De retour à la maison, Alicia trouva les lieux anormalement silencieux.

« Sophie ? demanda-t-elle. T’es là ? »

N’ayant pas obtenu de réponse, la femme se dirigea finalement vers la chambre à coucher. Elle y aperçut, dans une vision d’horreur, le corps inerte de Sophie qui reposait sur le lit. S’approchant d’elle, elle constata son teint livide, ses lèvres violacées et la quasi-absence de mouvements respiratoires.

« Oh mon Dieu, Sophie !! Qu’est-ce qui t’arrive ? »

D’un bref regard circulaire, elle vit la présence de la lettre et aussi du verre qui renfermait encore un fond de liquide laissant échapper des vapeurs d’alcool.

« Oh non, Sophie, c’est pas vrai ?! T’as pas fait ça ?! »

La femme médecin, formatrice chevronnée en soins avancés en réanimation, ne fit ni un ni deux : ayant fait basculer la tête de la rouquine, elle entreprit une désespérée manuvre de respiration bouche-à-bouche alors qu’elle entendait la porte s’ouvrir, annonçant le retour de Catherine du travail.

« Vite, Catherine ! lança-t-elle entre deux insufflations, cours chercher ma trousse de réanimation et prépare de la naloxone ! »

« Oh Seigneur, Sophie ! s’exclama l’infirmière en apportant le nécessaire. C’est une intox ?

— Pas de doute, fit l’autre. J’ai vu la bouteille de Dilaudid vide traîner sur le comptoir. Naloxone 0,4mg IV stat ! »

Pendant qu’Alicia poursuivait ses manuvres, Catherine cherchait fébrilement une veine à piquer.

« Il n’y a pas de veine ! clama la nurse, presque en panique. Ses membres sont atones !

— Fais-le-lui intramusculaire alors, ordonna la doc. Donne-lui 0,4mg dans chacun des deltoïdes puis apporte-moi la bouteille d’oxygène et le ballon-masque de la voiture. »

La fille s’exécuta. Malgré le faible apport d’oxygène que constituait le bouche-à-bouche, Alicia crut voir les téguments de Sophie prendre une meilleure coloration. Les deux doses d’antidote des opiacés administrées, Catherine revint avec l’équipement de ventilation manuelle. Alicia put ainsi fournir de plus grandes quantités d’oxygène à Sophie en la ventilant au ballon-masque.

« Comment est son pouls, demanda-t-elle à Catherine ?

— Filant, mais régulier, répondit l’autre.

— Dieu merci, son cur ne s’est jamais arrêté ! conclut la doc. OK, ajouta-t-elle, fais le 9-1-1, on va l’embarquer.»

La respiration de la victime maintenant artificiellement soutenue par les manuvres, la situation revint sous contrôle en attendant que l’antidote fasse le travail. Au bout de quelques minutes, les membres de Sophie se remirent légèrement à bouger. La voyant toussoter, Alicia retira le masque de ventilation.

« Est-ce que… je suis… au Ciel ? demanda une petite voix empâtée par l’alcool alors que la rouquine ouvrait timidement les yeux.

— Tout va bien, chérie, fit Alicia, les larmes aux yeux. Tout va bien, respire profondément.

— Vous êtes un très bel ange. Votre visage me rappelle celui de celle que j’ai toujours aimée. Où est-ce qu’on est, ici ?

— À la maison. On va faire un petit tour à l’hôpital, répondit, la voix tremblante d’émotions, Alicia, alors qu’une sirène annonçait l’arrivée de l’ambulance. »

Alicia accompagna la pauvre jusqu’aux urgences et fit son entrée avec elle à la salle de triage.

« Docteure LeBel, annonça l’infirmière en poste, ça tombe vraiment mal. Nous avons présentement deux codes bleus en cours. Notre médecin de garde est débordé.

— Mais elle est en intox, cette femme, insista Alicia. Il lui faut une perfusion de naloxone stat !

— Vous pourriez peut-être la prendre en charge vous-même, docteure. Il y a une urgence évidente dans votre cas.

— Très bonne idée. Je contacterai le directeur des services professionnels. Sûrement qu’il m’accordera un privilège d’hospitalisation pour 48 heures. Sortez-moi une requête pour une admission aux Soins intensifs. »

Pendant qu’une équipe d’infirmières, à laquelle s’était jointe Catherine, préparait Sophie pour son admission, Alicia remplit sa demande:

« Requête de Soins Intensifs. Diagnostic d’admission : dépression respiratoire sévère sur intox opiacés + R-OH. Services demandés : observation + monitoring et support ventilatoire prn X 24-48 heures. Pronostic : réservé à bon. »

Sophie fut installée au lit 8 des Soins, où elle retomba en dépression respiratoire, l’antidote ayant terminé son travail sans que le produit toxique n’ait eu le temps de s’éliminer. Averties par les alarmes qui se mirent à sonner, Alicia et son équipe accoururent au chevet de la malade.

« Qui est bonne pour trouver une veine, ici ? demanda la doc au personnel infirmier qui avait entrepris les manuvres de réa. On est pas pour lui bourrer continuellement les muscles de Narcan !

— Dans l’état où elle est, Alicia, s’hasarda l’infirmière-chef de l’unité alors présente parmi le groupe, un accès central serait plus approprié qu’une veine périphérique ! »

Acceptant avec bienveillance le conseil de l’infirmière d’expérience qui était aussi une grande amie, Alicia fit stabiliser sa patiente avec de l’oxygène et la fit préparer pour l’installation d’une sous-clavière, ce cathéter intraveineux devant être inséré sous la clavicule pour se rendre directement dans l’oreillette droite du cur.

Préparation chirurgicale à l’intérieur de la petite chambre. Désinfection habituelle à l’hibitane. Pose de champs stériles. Portant sous sa blouse stérile un tablier la protégeant des rayons X, gantée et portant un masque, Alicia se tourna vers une des infirmières :

« OK. Xylo : on va geler la peau. »

Puis, s’adressant à sa biche, qui restait calme, un masque d’oxygène sur le visage :

« Ça va piquer un peu, ma belle. Après, tu ne sentiras plus rien. »

L’anesthésie locale terminée, elle enclencha en insérant le trocart sous la peau, derrière la clavicule, et ponctionna la veine sous-clavière droite, permettant un accès à la broche-guide dont la fonction serait de frayer son chemin jusqu’au cur. Guidée par les images générées par les rayons X sur l’écran de fluoroscopie, Alicia suivait le cheminement du fil métallique destiné à orienter le cathéter vers l’oreillette.

« Merde ! fit-elle, frustrée. Le guide remonte sans cesse vers la jugulaire au lieu de redescendre vers le cur. »

À force de retirer partiellement le guide et de le repousser à tâtons, l’instrument de guidage descendit finalement et docilement pour atterrir dans la cavité cardiaque, à la satisfaction de toutes.

« Parfait. Je prends le cathéter et l’enfile sur la broche flexible. Vas-y mon beau, fit-elle en introduisant graduellement le conduit de 20 centimètres dans le vaisseau sanguin : droit en bas… et voilà ! »

La broche-guide fut retirée, laissant le cathéter en place.

« OK, les filles, ordonna Alicia. Je fixe avec de la 2-0. Pansement et perfusion de naloxone stat !

— Quel dosage ? demanda l’infirmière en charge de Sophie.

— On suit le protocole. Après, on verra. »

Alicia fixa le tout avec le fil de soie puis se retira, en jetant un regard sur Sophie qui, ayant docilement subi la procédure, arborait à sa douce moitié un léger sourire. La doc consigna ses prescriptions au dossier de la malade :

« Monitoring cardiaque et respiratoire. Protocole de naloxone. Oxygène via lunette nasale ou masque pour maintenir saturation d’O2 à 94%. Diète à volonté. M’AVERTIR SANS DÉLAI SI FRÉQUENCE RESPIRATOIRE EN BAS DE 8 PAR MINUTE.»

Elle remit le dossier à l’assistante-chef-infirmière. Assise au poste des infirmières, les deux mains dans la figure, le visage contre la surface de travail, elle retomba en larmes, pendant que Catherine, à ses côtés, tentait de la consoler :

« Elle va s’en sortir, elle a été prise à temps.

— Tout ça, c’est de ma faute ! Pourra-t-elle me le pardonner ? Lui restera-t-il assez de neurones pour pouvoir le faire ? »

**************************

Vingt-quatre heures eurent passé. À la satisfaction de tous, l’EEG s’avéra négatif, Sophie ayant complètement récupéré de son épisode dépressif. Dre LeBel y alla de ses dernières ordonnances au dossier :

« Cesser monitoring à minuit. Cathéter sous-clavière à être retiré par l’interne. Congé demain matin. Faxer nouvelles prescriptions à la pharmacie locale de la cliente. »

18h30. L’heure du repas terminée, Alicia demanda à Catherine de monter la garde à la porte de la chambre de Sophie, toujours hospitalisée à l’unité des Soins intensifs :

« Je dois maintenant passer au confessionnal, lui dit-elle en lui apposant un petit baiser sur la bouche avant de franchir la porte. Sophie m’a adressé un évident petit reproche dans sa lettre. Je dois mettre tout ça en ordre avec elle.»

Une alarme se déclencha au poste central : Moniteur de saturation d’oxygène débranché, lit 8’. Accourant à la chambre, Patrick, l’infirmier en charge de Sophie ce soir-là, se fit doucement arrêter à la porte par Catherine. Apposant un doigt sur sa bouche en signe de silence, elle entrouvrit lentement la porte afin de permettre à l’homme de voir deux gouines enlacées en train de s’embrasser amoureusement, Sophie ayant laissé tomber la sonde de monitoring qu’elle avait sur le bout du doigt.

À peine quelques minutes plus tard, Patrick se fit de nouveau alerter par une seconde alarme qui se fit entendre au poste : Rythme cardiaque supérieur à 100/min., lit 8’. Accourant de nouveau, l’infirmier se fit de nouveau rassurer par Catherine :

« Je crois que vous devriez éteindre toutes vos alarmes, du moins tant que Dre LeBel est au chevet de sa patiente ! »

Le clinicien ayant repris le chemin de son poste de travail, Catherine entrebâilla légèrement la porte : Sophie était toujours semi-assise dans son lit, tout sourire, la tête levée au plafond, pendant qu’Alicia, debout à ses côtés, avait la tête enfouie sous les couvertures, entre les cuisses de sa patiente.

Alicia réapparut hors de la chambre, au bout de vingt minutes, le visage radieux. Elle s’adressa coquinement à Catherine qui était restée postée devant la porte :

« Sophie me fait demander si tu voulais aussi passer au confessionnal. Commence par tes péchés les plus hauts, termine ensuite par les plus bas ! Je t’attendrai ici. »

(À venir : Mystère résolu)

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