Son bus venait d’arriver, et Jeanne monta à bord, filant droit chez elle.

Personne dans la maison. Chloé n’avait pas dû rentrer. Jeanne se précipita à l’étage, dans sa chambre, et déplaça sa table de nuit. La pochette l’y attendait. Jeanne s’en saisit, et tourna les talons en direction de la chambre de ses parents.

Le temps qu’elle traverse le couloir, une idée s’était imposée à son esprit.

Elle consulta sa montre : midi trente-deux. Guillaume lui accorderait bien un petit retard supplémentaire ?

Jeanne s’assit sur la moquette, face à l’armoire, prête à tout remballer et à faire disparaître la pochette sous le meuble au moindre bruit dans l’allée qui menait à la maison. Le cur battant, elle ouvrit la pochette, sortit la liasse, la retourna tout entière, et commença à tourner les pages, de la plus ancienne vers la plus récente.

Elle retrouva le « Certificat d’aptitude » qu’elle avait lu dans la nuit de samedi à dimanche, et qui l’avait tellement troublée.

Juste après, suivait un « Contrat d’échange », daté du 15 septembre 2018, signé de la main de Chloé et de celle de sa Tutrice, qui prévoyait :

« Par la présente, la Tutrice remet à la Novice un dispositif électronique et informatique miniaturisé d’enregistrement audio (dit DEIMEA) produisant des fichiers au format MP3, sauvegardés sur une clé USB également remise à la Novice. Ce dispositif et cette clé, ainsi que la teneur des fichiers MP3 restent propriété pleine et entière de l’Ordre des Beltaynes. La Novice devra conserver ce dispositif par-devers elle en permanence. Elle l’activera à première demande de sa Tutrice, et n’interrompra l’enregistrement que sur commande de sa Tutrice.

« En contrepartie de ce prêt, la Novice remet à la Tutrice l’intégralité des noms d’utilisateurs et des mots de passe de ses comptes courriel ainsi que de ses pages de réseaux sociaux. La liste complète figure ci-après. La Novice s’engage à n’ouvrir aucun nouveau compte ni aucune nouvelle page sans en avertir la Tutrice. L’accord préalable de la Tutrice n’est toutefois pas requis.

« Pour que nous emporte la débauche, et pour valoir ce que de droit, nous signons »

La page suivante était plus éloquente.

« Rapport de Tutrice, 16 septembre 2018.

« Par la présente, je, soussignée Laetitia L…, Tutrice de Chloé M…, déclare avoir constaté les faits suivants.

« Avertie hier samedi 15 septembre par ma Novice qu’elle comptait se rendre à une soirée étudiante prévue dans l’une des boîtes de nuit de *** (Yvelines), je lui ai intimé mon exigence qu’elle porte le DEIMEA. Je lui ai donné l’instruction de porter un top court, sans soutien-gorge, des collants noirs et un minishort, et lui ai demandé de me rejoindre dans un café à proximité de la boîte de nuit en question, quinze minutes avant le début des festivités.

« La Novice a été exacte. Je lui ai donné des instructions supplémentaires, et l’ai prévenue qu’elle devait surveiller son téléphone car, toutes les places étant déjà vendues pour la soirée, je ne pouvais pas moi-même m’y intégrer : aussi lui transmettrais-je d’autres indications par SMS.

« Une heure après le début de la soirée, la Novice a abordé une cible déjà connue de l’Ordre, Kadel M…, étudiant en M1 en droit fiscal (fiche individuelle disponible dans les archives de l’Ordre).

« La Novice a dansé avec la cible pendant une vingtaine de minutes. Tous deux sont ensuite rendus au bar, où la cible a commandé un soda, tandis que la Novice demandait un jus d’ananas.

« Par SMS, j’ai demandé à la cible d’enclencher l’enregistrement. Il est disponible en archives sous la référence MP3 Chloé M… 20180915. Le son en est au début très médiocre, en raison du bruit de fond dans l’établissement. Il s’améliore très nettement au timecode 22:47, dès que la Novice récupère son manteau au vestiaire.

« La Novice a suivi la cible jusqu’à sa voiture. Ils ont démarré et, après un trajet de vingt-trois minutes pendant lesquelles ils échangèrent des propos amusés mais explicites, ils arrivèrent au domicile de Kadel M…

« On peut dire qu’ils ont partagé une nuit conséquente, avec trois rapports (timecodes 1:44:36, 2:15:05 et 3:47:21).

« La Novice, deux jours après son recrutement, a satisfait à ses obligations hebdomadaires. Cette rapidité me conduit à recommander de la pousser dès la semaine prochaine à la phase 2 du Noviciat.

« Concernant la cible, je sollicite de ma Tutrice l’autorisation d’évaluer Kadel M… Je m’étonne que ce Partenaire, qui d’après sa fiche a déjà convenu à plusieurs reprises, n’ait pas encore été Recommandé comme Convers.

« Pour que nous emporte la débauche, et pour valoir ce que de droit, je signe »

Juste en dessous de la signature, portée à la main, s’ajoutait la mention suivante :

« Avis favorable pour porter la Novice concernée à la phase 2.

« Avis favorable pour la demande personnelle de la Tutrice.

« Pour que nous emporte la débauche, et pour valoir ce que de droit, »

Suivait la signature déjà connue de l’Ultima Sororis.

Assise en tailleur sur la moquette de la chambre parentale, Jeanne bouillait d’excitation. Il lui fallut un gros effort pour tourner la page et lire le rapport suivant.

« Rapport de Tutrice, 19 septembre 2018.

« Par la présente, je, soussignée Laetitia L…, Tutrice de Chloé M…, déclare avoir constaté les faits suivants.

« Sur ma demande, le lundi 17 septembre dernier, la Novice m’a remis la liste des membres de son équipe de natation. Je lui ai demandé, parmi les membres masculins de l’équipe, lesquels pourraient l’intéresser. Elle m’a répondu que, par déontologie, elle n’avait jamais voulu entretenir de liaison, même brève, avec un autre membre de son équipe. Sur mon insistance et sur le rappel de notre Règle, elle devait m’obéir en tout point. Après bien des difficultés, elle m’a indiqué le nom de Frédéric B…

« Ce lundi au soir, après une rapide approche de cette cible, j’ai réussi à l’inviter à la soirée que j’organisais hier dans la maison de mes parents (nombre de participants : 11 ; voir liste en annexe).

« Mis en présence l’un de l’autre chez moi, Frédéric B… et la Novice ont manifesté une subite surprise puis ont fait mine de ne pas se connaître.

« Par SMS, j’ai intimé à la Novice d’allumer son DEIMEA, et d’approcher la cible. Je lui ai donné pour consigne de satisfaire la cible dans ma propre chambre, dont je lui ai remis la clef.

« La Novice a profité de cette brève entrevue pour protester que sa réputation était en jeu, et avec elle la discrétion de notre Ordre.

« Je lui ai rappelé l’absolu secret auquel elle était tenue, et ma totale indifférence envers sa réputation.

« Non sans réticences, elle a réussi à conduire la cible jusqu’à l’endroit voulu, et à donner satisfaction.

« Comme je le pressentais, la Novice a réussi la phase 2. Je préconise un délai d’une semaine avant la phase 3. Je propose en outre de soumettre la Novice au Choix des Convers du samedi 29 septembre prochain, afin qu’elle puisse ensuite être présentée au festival de Samain.

« Pour que nous emporte la débauche, et pour valoir ce que de droit, je signe »

Comme pour le rapport précédent, l’Ultima Sororis avait apposé sa signature, précédée d’un court paragraphe : « Avis favorable pour que la Novice soit soumise au Choix des Convers à condition, comme le prévoit notre Coutume, qu’elle ait complété la phase 4 de son Noviciat à cette date. En tant que Complie, vous connaissez cette condition qui conduit toujours aux mêmes difficultés concernant les Novices recrutées courant septembre. Vous effectuerez peut-être votre prochain recrutement à une date différente. Pour que nous emporte la débauche, et pour valoir ce que de droit, »

« Trois mecs ! », songea Jeanne. « Trois mecs en cinq jours ! Plus que moi en six mois ! » Dans les replis de son esprit, l’excitation le disputait à la jalousie. L’excitation l’emporta : elle tourna la page et découvrit un rapport daté du lendemain :

« Rapport de Tutrice, 20 septembre 2018.

« Par la présente, je, soussignée Laetitia L…, Tutrice de Chloé M…, déclare avoir constaté les faits suivants.

« Ce matin, la Novice, suite à la soirée et à la nuit du 17 au 18 septembre dernier, m’a contactée par téléphone pour m’informer que Frédéric B… l’invitait ce soir à dîner. Elle m’a précisé sa vive intention de passer au moins une partie de la nuit avec lui et elle me demandait si ce début de liaison tombait sous le coup de l’article sixième de la Règle.

« Conformément à notre Coutume, après avoir agréé sa sincérité, j’ai confirmé à la Novice qu’un délai de dix jours était admis avant que la déclaration de relation suivie ne devienne obligatoire. Je lui ai rappelé qu’à compter de cette déclaration, le Partenaire concerné ne pourrait plus compter au nombre des obligations hebdomadaires de la Novice.

« En conséquence, elle m’a demandé un délai de réflexion supplémentaire.

« Je n’ai pas cru utile de solliciter de la Novice un enregistrement intégral de la soirée à venir. En revanche, j’ai recommandé à la Novice, qui termine à peine sa première semaine de Noviciat, de prendre des notes rigoureuses sur ses Partenaires, en vue de produire un rapport circonstancié en fin de mois.

« Je regrette ce délai réclamé par la Novice, qui va peut-être empêcher l’accomplissement des phases 3 et 4 de son Noviciat au 29 septembre prochain.

« Pour que nous emporte la débauche, et pour valoir ce que de droit, je signe »

Jeanne tourna la page.

« Rapport de Tutrice, 23 septembre 2018.

« Par la présente, je, soussignée Laetitia L…, Tutrice de Chloé M…, déclare avoir constaté les faits suivants.

« Primo. Ayant approché Félicité C…, membre de l’équipe de natation à laquelle appartient Chloé M…, j’ai assisté ce jour à la compétition régionale organisée à Saint-Gremain-en-Laye. J’ai pu observer que Chloé M… et Frédéric B… font mine d’entretenir des rapports distants, sinon froids. Sur question de ma part, Félicité C… m’a confirmé qu’à sa connaissance, Frédéric B… était célibataire, et m’a transmis son numéro de téléphone.

« Secundo. À l’issue de cette compétition, j’ai conduit un entretien avec la Novice au cours duquel elle m’a déclaré que, depuis la nuit du 20 au 21 septembre dernier, elle avait consacré toutes ses nuits au Partenaire Frédéric B… Elle a convenu qu’il lui donne toute satisfaction. J’ai alors expliqué à la Novice :

— Qu’une telle conduite exigeait d’elle une déclaration de relation suivie avec Frédéric B…, avec effet rétroactif au 20 septembre. La Novice a aussitôt signé la déclaration réclamée, jointe en annexe.

— Que si son Partenaire lui donnait satisfaction, il convenait qu’elle le recommandât afin que nous procédions à sa Conversion.

— Que ses obligations hebdomadaires demeuraient exigibles, et qu’il lui restait cinq jours pour approcher deux nouveaux Partenaires.

« Tertio, la Novice, à ces propos, a exprimé une réticence croissante. Elle m’a expliqué que l’intensité de ses nuits avec son Partenaire lui laissait peu de loisir d’en approcher d’autres. Je lui ai rétorqué que l’Ordre n’avait cure de ces difficultés pratiques, et que si elles s’avéraient insurmontables, la Novice serait radiée. La Novice m’a alors demandé si l’Ordre pouvait lui fournir un Convers. Je lui ai rétorqué que l’Ordre n’avait aucune obligation de ce type envers aucune des Beltaynes de quelque rang que ce soit, et qu’il appartenait à chaque Beltayne de remplir par ses propres talents les obligations prévues à l’article cinquième de la Règle.

« Quarto, je demande à l’Ultima Sororis sa grâce extraordinaire pour ces interprétations rigoristes de notre Coutume. Je soulève toutefois, en vue de cette grâce, l’exception d’urgence, eu égard à la proximité du prochain Choix des Convers auquel je souhaite vivement soumettre la Novice.

« Pour que nous emporte la débauche, et pour valoir ce que de droit, je signe »

Suivait un avis manuscrit de l’Ultima Sororis : « Sur avis conforme du Conseil des Parfaites, l’exception d’urgence invoquée en Quarto est admise, et la grâce extraordinaire accordée. »

Jeanne tourna la page et découvrit la fameuse « Déclaration de Relation Suivie selon l’article sixième de la Règle de l’Ordre des Beltaynes », signée de la main de Chloé et de celle de sa Tutrice.

Le rapport suivant était daté du lendemain.

« Rapport de Tutrice, 24 septembre 2018.

« Par la présente, je, soussignée Laetitia L…, Tutrice de Chloé M…, déclare avoir constaté les faits suivants.

« Ce matin, la Novice m’a montré un SMS envoyé la veille au soir à Frédéric B…, expliquant qu’après la fatigue de la compétition, elle préférait dormir seule cette nuit-là.

« Dans le même temps, la Novice m’a spontanément remis une fiche de Partenaire dûment complétée, à la date du 23 septembre, concernant un jeune homme de dix-neuf ans, Quentin H… La Novice m’a également remis l’enregistrement de la nuit précédente, obtenue par activation de son DEIMEA. Ces éléments figurent dans les archives de l’Ordre.

« La bande sonore montre que Quentin H…, approché par la Novice en pleine rue, en fin d’après-midi, dans le centre-ville de Saint-Germain-en-Laye, n’a pas donné satisfaction à la Novice. Elle, cependant, l’a fort bien servi.

« J’engage la phase 3 du Noviciat de Chloé M… ce jour.

« Je sollicite que l’Ordre procure un Frère pour la phase 4 du Noviciat de Chloé M…

« Pour que nous emporte la débauche, et pour valoir ce que de droit, je signe »

Jeanne brûlait d’impatience de découvrir ce que pouvaient bien signifier ces mystérieuses phases 3 et 4, mais un coup d’il à sa montre lui enseigna qu’il était déjà une heure cinq. Elle envoya un SMS catastrophé à Guillaume : « Dsl. Je quitte la maison, j’arrive chez toi dans quinze minutes. Faites chauffer les macaronis, Monsieur le Bâtonnier. »

Elle remit les feuillets dans l’ordre, les glissa dans la pochette qu’elle referma avec soin avant de l’expédier d’un geste prompt sous l’armoire parentale. Elle descendit l’escalier, enfila son manteau, saisit son sac à main, et sortit de la maison. Pendant tout le trajet, Jeanne ne cessa de se remémorer ce qu’elle venait de lire. Elle comprenait mieux, maintenant, les attitudes inhabituelles de sa sur depuis le mois de septembre, ses absences hors de la maison plusieurs soirs par semaine, ses comportements mystérieux. Les sursauts du bus sur les ralentisseurs se répercutaient dans ses reins, lui inspirant des images beaucoup plus nettes que les froids rapports de la Tutrice. Une partie de son esprit ne parvenait pas à se détacher de la sensation qu’imprimait le rembourrage de son soutien-gorge contre ses aréoles dont les pointes avaient durci depuis le début de sa lecture. Elle imaginait Chloé faisant l’amour à Frédéric, un garçon que Jeanne n’avait jamais rencontré, et dont Chloé ne lui avait jamais parlé, de sorte que Jeanne pouvait l’imaginer comme bon lui semblait.

Soudain, elle prit conscience de ce qu’elle imaginait vraiment : c’était les traits de Guillaume qu’elle prêtait à cet inconnu, Frédéric B…, qui semblait avoir si bien convenu à sa sur.

Au comble de l’excitation, elle descendit du bus devant la résidence universitaire où Guillaume logeait. Arrivée devant la porte, elle tira son portable de sa poche pour demander le code, mais Guillaume l’avait devancée : alors qu’elle s’apprêtait à envoyer le SMS, elle vit la silhouette de son camarade apparaître au fond du couloir. D’un pas mesuré, mais décidé, il approcha de la porte vitrée et l’ouvrit avec un sourire.

« J’ai vu ton bus arriver, je suis descendu tout de suite », expliqua-t-il.

Jeanne entra dans le hall, le port de tête altier. « C’est maintenant, ma chérie », se raisonna-t-elle.

Elle se tourna vers Guillaume qui venait de relâcher la porte pour la laisser pivoter sous la traction son blount, et qui s’apprêtait à avancer dans le couloir à la suite de son invitée. Jeanne se retourna, l’enlaça, plaqua son corps contre celui du garçon, et lui offrit ses lèvres. Il répondit au baiser avec empressement. Il sentait le souffle court, l’haleine ardente, le désir dévorant qui électrisait le corps de Jeanne contre lui.

« Viens », commanda-t-il en tirant la clef de son studio de sa poche. Il la conduisit jusqu’à l’ascenseur qui les emmena au quatrième étage. Pendant la minute que dura cette montée, Guillaume et Jeanne avaient poursuivi leur étreinte. Déjà, Guillaume avait glissé une main attentive sous le chemisier de Jeanne, qui haletait sans retenue.

Les portes de l’ascenseur coulissèrent. Guillaume saisit Jeanne par la main, sortit de l’ascenseur et tourna vers la droite dans le corridor qui menait à son studio.

« On n’allume pas la lumière ? », demanda Jeanne alors que les portes de l’ascenseur se refermaient, plongeant tout le couloir dans une obscurité presque complète, où filtraient à peine quelques lueurs sous les portes fermées. La résidence, silencieuse à cette heure, semblait déserte. Sans répondre, Guillaume mena Jeanne jusqu’à une porte. Il saisit les hanches de la jeune femme, lui plaqua le dos contre le montant, l’embrassa à pleine force. Jeanne soupira d’aise en sentant contre son pubis, à travers le tissu des pantalons, la solide érection de Guillaume.

« J’ai envie de toi depuis des semaines », avoua-t-il.

« Ah ouais ? », demanda Jeanne, feignant l’ingénuité.

« J’ai beaucoup pensé à toi pendant les vacances…

— Mmmm… Sérieux ? »

Pendant cet échange, Guillaume avait logé la clef dans la serrure et venait de la faire jouer. La porte s’ouvrit. Une délicieuse odeur de bolognaise fit saliver Jeanne : elle s’aperçut qu’elle avait le ventre vide depuis le petit-déjeuner, alors que sa séance chez le dentiste et sa lecture des rapports l’avaient mise en grand appétit.

Mais le déjeuner attendrait. Guillaume la poussa à l’intérieur, collé contre elle. « Il a presque la même taille que moi », songea-t-elle à la lisière de sa conscience. À peine étaient-ils entrés dans le studio que déjà Guillaume refermait la porte. Il logea les clefs dans la serrure intérieure, et aida Jeanne à sortir de son manteau, qui tomba à terre avec son sac à main. Les mains de Guillaume se précipitèrent vers les fesses de Jeanne, moulées dans son pantalon noir. Elle l’embrassait sans interruption, langues mêlées dans un menuet fabuleux. Déjà, les doigts de Guillaume cherchaient le bouton du pantalon, le dégrafaient, et glissaient dans la culotte de dentelle noire. Jeanne soupira quand il effleura le clitoris gonflé depuis des heures.

De son côté, le bras gauche passé autour du cou de Guillaume, elle posa sa main droite sur la braguette du jeune homme. Le volume la surprit. Ses anciens amants n’avaient pas été si prometteurs. Guillaume pressa le clitoris avec délicatesse, et Jeanne se mit à gémir. Elle éprouvait une envie de lui comme elle n’avait jamais désiré ses autres partenaires. Elle s’abandonna aux caresses avec une sorte de férocité joyeuse, précédant le garçon dans son déshabillage : bientôt elle tombait le corsage, le soutien-gorge. Repoussant de la pointe du pied droit le talon de sa chaussure gauche, elle put enfin ôter son pantalon et sa culotte. Ils tombèrent à terre avec un frou-frou mat.

« Jeanne… », commença Guillaume.

Il ne pouvait détacher ses yeux du corps svelte, longiligne, avec ses courbures élancées, avec ses jambes galbées, avec sa cambrure audacieuse, avec ses seins menus mais alléchants au dernier point, avec leurs aréoles sombres, presque noires.

Elle s’écarta d’un pas de lui, puis pivota sur elle-même. Elle arrêta son mouvement, dos vers lui, et tourna juste encore un peu le buste. La courbe de son sein dépassait juste assez pour que Guillaume en devînt fou d’excitation. La jambe gauche, appuyée sur la pointe des pieds, ouvrait sa cuisse, laissant deviner une fente aux parfums de musc et de savon aux fruits rouges. Jeanne tourna la tête autant qu’elle pouvait, un sourire radieux à l’adresse du garçon.

« La plus belle fille de L1 », s’exclama-t-il soudain.

« Tu aimes ce que tu vois ? »

Il tendit la main vers la peau lisse, délicate, charnue pourtant. Ses doigts bondirent à travers les vallons et les collines de ce corps juste nubile, pantelant, magnifique, comme une cavale de chevaux sauvages, crinières au vent, au grand galop dans la plaine de Camargue.

Elle se retourna vers lui, offrant tous ses replis à l’exploration de Guillaume. Elle posa ses mains sur chacune des joues du garçon et, sur la pointe des pieds, l’embrassa sur les lèvres, son regard plongé dans le sien. Alors qu’il entourait la taille de ses mains pour l’attirer à lui, elle défit en un éclair les boutons de la chemise, révélant des pectoraux solides, des abdominaux irréprochables, une vigueur d’une virilité brute qui réveillait en Jeanne une femelle bestiale. Elle feula comme une tigresse. Il l’embrassa comme un mascaret remonte un estuaire.

Emportée dans cette étreinte, Jeanne ne s’aperçut pas comment Guillaume quittait ses derniers vêtements. Quand elle rouvrit les yeux, sa nudité abrupte contre son ventre.

« Oui ! Oui ! », dit-elle alors qu’il la poussait contre le mur de l’entrée. Saisissant les fesses de Jeanne à deux mains, il la souleva de terre. Elle enlaça le cou de Guillaume de ses bras, les hanches de Guillaume de ses cuisses. Le gland approcha la fente entrouverte, se fraya un chemin entre les lèvres. Jeanne donna un coup de reins, maintenant ses épaules contre le mur, et s’accorda d’un coup toute la verge de Guillaume, longue, épaisse, palpitante de sang et de désir. Jeanne embrassa les lèvres de Guillaume, ses joues, son menton, son nez, ses paupières. Elle ne le quittait pas des yeux.

« Monsieur le bâtonnier… », soupira-t-elle dans un sourire. « En effet.

« Madame la Présidente », rétorqua Guillaume, « c’est un honneur pour moi de servir dans ce corps exceptionnel, et… »

Ils rirent aux éclats. Tout à coup, Guillaume reprit un air sérieux pour ajouter :

« N’empêche que je vais te mettre la pâtée à Street Mortal.

« Maître, vous serez bien aimable de m’adresser la parole dans les formes requises par l’audience. Je vous corrige, si vous y consentez.

— Tout le plaisir est pour moi, Madame la Présidente.

— Non, justement, le but, c’est que, moi, je prenne du plaisir et que… Maître, vous m’embrouillez ! »

Ils rirent une nouvelle fois. Jeanne sentait la longue bite de Guillaume en elle, dure comme une branche d’if, et elle la stimula plus encore par un léger mouvement du bassin combiné à une crispation du vagin sur toute sa longueur.

« Ouh… », souffla Guillaume, qui peinait à se retenir.

« Ce que je veux dire », reprit Jeanne.

« Ouais, voilà. Tu veux dire ?

_ … c’est que vous allez tenter de me mettre une pâtée à Street Mortal, nuance.

— Au cas où vous me vainquiez, je vous autorise un gage.

— Mais d’abord nous allons faire l’amour, vous et moi, comme jamais nous n’avions fait l’amour avant.

— J’approuve votre décision.

— Mais avant…

— Et merde !

— Mais avant, nous allons déguster ensemble vos délicieux macaronis parce que je meuuuurs de faim ! »

Ils éclatèrent de rire dans un délicieux élan commun, alors que Guillaume la reposait à terre.

Sur le bar du coin-cuisine s’étalaient déjà, côte à côte, deux couverts mis par les soins de Guillaume. Sans prendre la peine de se rhabiller, il conduisit Jeanne jusqu’aux tabourets. Elle prit place. La sensation de la moleskine contre son petit cul lui donna un frisson qu’elle réprima avec difficulté.

« Toute nue ? », demanda-t-elle.

« Figurez-vous, Madame la Présidente, » dit Guillaume en contournant le bar et en saisissant le manche de la casserole, « que je n’ai pas l’habitude de ramener des cohortes de… comment dire ? créatures… Oui, de créatures, dans ce studio. »

D’une louche approximative, il versa une portion de macaronis à Jeanne, et s’en servit une dans son assiette.

« Parmesan ? », demanda-t-il.

« De grâce, maître », répliqua Jeanne.

Il ouvrit le réfrigérateur, y chercha une boîte de plastique ronde, l’en tira et, alors qu’il se retournait, Jeanne lui dit :

« Merci. Mais ce que vous dites m’intéresse. Pas de cohortes de créatures, disiez-vous ? »

Guillaume plongea son regard dans celui de Jeanne.

« Depuis septembre, tu es la première.

— N’importe quoi ! », ricana Jeanne, la gorge sèche. « Tu as passé le premier semestre à faire la teuf !

— La teuf. » Guillaume écarta l’idée d’un geste du bras. « Tu as fini avec le parmesan ?

— Tiens », dit-elle en lui tendant la boîte.

« Non, pas la teuf du tout », reprit Guillaume. « Je viens d’une famille… comment dire… pas simple. »

Un ange passa. Jeanne reprit :

« Pardon, je ne voulais pas te…

— Non, non, pas grave », répliqua Guillaume. « Bref, enfin. Ce que je veux dire, c’est que j’ai tout fait, ce premier semestre, pour apparaître comme le brave fêtard inoffensif. Mais je ferais n’importe quoi pour sortir de là d’où je viens. N’importe quoi, Jeanne. Je suis sérieux. »

Jeanne le regarda droit dans les yeux. Elle porta une fourchette de macaronis à sa bouche. Mastiqua. Cligna des yeux.

« Ta bolognaise est succulente », lâcha-t-elle.

« Connasse », grommela Guillaume qui avalait lui-même une bonne bouchée de pâtes, un sourire aux lèvres.

Jeanne tendit les doigts, lui prit la main.

« Je te dis que je suis en train de tomber amoureuse de toi, espèce de con », dit-elle avec tendresse. Après un silence, elle continua : « Je veux être très claire avec toi.

— Je t’en prie.

— J’ai dix-huit ans.

— Moi aussi.

— N’attends pas une fidélité à toute épreuve de ma part.

— Toi non plus.

— Tu sais que je feindrai d’aimer mes amants ?

— Comment entretenir l’ardeur, sinon ? »

Guillaume serra la main de Jeanne dans la sienne. Il avala une deuxième bouchée de macaronis, et dit :

« Ton corps t’appartient, je te signale.

— Le tien aussi, au cas où tu l’aurais oublié.

— Je veux juste que tu jouisses assez pour majorer cette promo.

— Tu connais un meilleur stimulant ?

— Ouais. Dégommer un adversaire à Street Mortal.

— T’es con ! », rit Jeanne

« Toi aussi ! », rétorqua Guillaume. « Regarde-nous. Deux hypocrites s’avouant tels l’un à l’autre.

— Oh, ta gueule », dit Jeanne en finissant son assiette.

« Donc comme dessert, pour toi, j’avais prévu ma bite », dit Guillaume.

Jeanne l’empoigna sans hésitation, et dit :

« Je vais baiser avec plein de mecs. Tu sais pourquoi ?

— Balance, salope.

— Parce que tu vas me prouver que ça peut être juste… méga bon…

— Suce-moi.

— Oui, mais d’abord, promets-moi que toi aussi tu baiseras d’autres meufs. Pas n’importe lesquelles.

— Des bonasses, au moins ? »

Il l’avait dit par bravade. Jeanne le regarda au fond des yeux, la main sur sa verge érigée.

« Mec, tu vas tellement kiffer… La seule chose, » dit-elle en posant ses lèvres contre le gland décalotté, rubicond, magnifique, « c’est que tu ne devras jamais me demander comment je les amène jusque dans ton lit.

— Notre lit.

— Ni mes amants non plus. Les explications viendront. Plus tard. Compris ?

— Compris.

— Juré ?

— Juré. »

Elle engloutit la verge tendue dans sa bouche, surprise, mais pas dégoûtée, par le fumet de sa cyprine sur le sexe de Guillaume. Celui-ci renversa la tête en arrière, une main agrippée au bar pour conserver son équilibre sur le tabouret. Il ne parvenait pas à détacher ses yeux du joli visage tendu vers lui, du regard clair et rieur qui ne le quittait pas, des lèvres souples et pulpeuses qui s’adaptaient à son calibre alors que la moiteur de jungle de la bouche le portait au sommet de l’excitation.

« Jeanne, s’il-te-plaît… », murmura Guillaume.

« Mmm ? », demanda-t-elle en levant les sourcils, sans cesser de le pomper.

« Ne garde que mon gland dans ta bouche, et branle-moi pendant ce temps-là, tu veux ? »

Elle hocha la tête. Elle posa le tranchant de sa main droite sur le pubis et, doigt après doigt à mesure que sa bouche remontait au sommet de la verge, elle s’empara de la base. Quand l’auriculaire, l’annulaire, le majeur se furent enroulés sur le sexe dressé, elle referma ensemble le pouce et l’index. Sa bouche continuait de remonter. Ses lèvres s’immobilisèrent au renflement du gland alors que le gras de sa langue humectait le filet. Sa main droite remonta de deux, de trois, de cinq centimètres. Redescendit. Remonta. « J’ai la place », songea-t-elle. « Quelle queue, mais quelle queue ! Je vais tellement jouir sur lui… »

Guillaume soupira. Dans son expérience limitée, il n’avait jamais été si bien traité. Se retenir allait lui demander un effort majeur. Il glissa une main sous le menton de Jeanne, l’attira vers lui. Elle se redressa, l’embrassa sur la bouche, le saisit aux épaules. De son côté, il s’empara des fesses de Jeanne, les souleva du sol et les amena au-dessus de sa bite. La chatte tendre, souple, parfumée, inondée de cyprine, l’accueillit tout entier. Jeanne renversa la tête en arrière.

« Ha… », gémit-elle.

Quelques semaines plus tard, quand ils en seraient aux aveux intimes, Guillaume lui expliquerait qu’à cet instant, il passait mentalement en revue les dirigeants du monde entier, les imaginant en sous-vêtements et affligés d’une gastro-entérite fulgurante. C’était le truc qu’il avait fignolé à l’instant pour ne pas jouir dès la pénétration. Quand il en arriva à Theresa May et Donald Trump, il sut qu’il allait réussir. « Comme quoi, les politiques ont leur utilité », raisonna-t-il à part lui, idée qui le fit sourire intérieurement et apaisa son impatience.

C’est alors qu’à sa grande surprise, Jeanne posa la main droite dans son assiette encore barbouillée de bolognaise, et la passa, pleine de sauce tomate, au travers de sa poitrine.

« Lèche-moi ! », ordonna-t-elle.

Il s’exécuta aussitôt. Quel délice ! Déjà, la main de Jeanne repartait dans l’assiette, mais cette fois, au lieu de s’en barbouiller les seins, elle traça deux traits de sauce sur chacune de ses joues. Guillaume écarquilla les yeux.

« Géronimette, hugh », dit Jeanne en levant la main droite.

Guillaume éclata de rire, provoquant en retour l’hilarité de Jeanne. Cet incident les coupa dans leur élan : les yeux de chacun plongés dans le regard de l’autre, ils sentaient naître entre eux une complicité, une intimité, qu’ils n’avaient jamais connue avec quiconque. Les sensations délicieuses montées de leurs ventres jusque dans leurs poumons pétillaient en bulles de pure joie qu’ils dégustaient sur les lèvres de l’autre comme un champagne frais. Ils s’enivraient l’un de l’autre. Ils riaient comme l’on rit d’un bon mot lancé du tac au tac, comme un mathématicien rit en se frappant la tête quand la solution du problème lui saute aux yeux, dans l’insouciance inouïe qu’éprouve la conscience humaine lorsqu’elle reconnaît la parfaite adéquation d’une situation avec sa propre humeur, quand elle sent que l’instant qu’elle traverse se gravera à jamais dans la mémoire, et que cette seconde de bonheur durera plus longtemps que l’éternité de l’ennui.

Ils s’embrassèrent, enlacés, immobiles, silencieux. Jeanne sentait ses seins pressés, au rythme de sa respiration, contre les pectoraux de Guillaume. Elle le sentait, concentré sur elle, polarisé par sa personne, attentif à chaque détail. Les lèvres de Guillaume rencontrèrent les siennes. Les souffles se confondirent. Guillaume déplaça le bassin, à peine. Souleva, mais à peine, les hanches de Jeanne. La jeune femme redescendit, le reprenant au fond d’elle. Elle se releva un peu plus, retomba, imprimant un rythme lent, céleste.

« Oui… Continue… Oui… Ha oui… Ah… Aaaah ! »

Guillaume sentit le vagin se contracter autour de lui. Un flot de sperme monta du plus profond de son être, et inonda Jeanne d’une chaleur visqueuse. Aucun homme n’avait encore jamais éjaculé en elle et cette sensation l’étourdit de plaisir. Elle avait l’impression que la totalité de sa vie culminait à cet instant précis. Guillaume éjaculait encore, et encore, à longs traits, et Jeanne visualisait la blancheur étincelante de la semence projetée par contraste au plus noir de ses entrailles, imposée aux replis de ténèbres comme une aurore de juin déchire soudain la nuit.

Ils restèrent enlacés longtemps, savourant l’orgasme qu’ils venaient de partager.

« On va refaire ça », dit Jeanne.

« Oh oui.

— Je passe aux toilettes, d’abord. Il faut que j’évacue un peu tout ce que tu m’as mis…

— Flatteuse !

— On va voir. J’espère que tu es partant pour un deuxième round. »

Elle se redressa, se dégagea de lui, marcha droit vers la seule porte du studio qui menait, à l’évidence, à la salle de bains. Elle entra, referma, s’assit sur la cuvette. Le sperme de Guillaume commençait déjà à perdre sa viscosité et dégoulinait peu à peu de sa chatte.

« On n’est quand même pas sérieux », dit Guillaume à travers la porte.

« Pourquoi ?

— L’examen est après-demain. En droit constit.

— Ouais, ben, on est prêts, non ? », demanda Jeanne qui s’essuyait avant de tirer la chasse.

« C’est ce dont je voudrais m’assurer.

— Et comment proposes-tu qu’on fasse ? »

Elle ouvrit la porte. Guillaume se tenait debout, devant elle. Elle entoura le cou de Guillaume de se bras, colla son pubis contre celui du garçon, secoua la tête pour rejeter ses cheveux en arrière, et l’embrassa. Une chaleur solide, contre son clitoris, l’informa que Guillaume recommençait à bander. « Il bande pour moi », songea-t-elle. « On va faire l’amour une deuxième fois… Direct… Oh, là, là… »

« Simple », dit Guillaume entre deux baisers qu’il déposait dans le cou et sur l’oreille de Jeanne. « Pendant qu’on baise, on se pose des questions, l’un l’autre. »

Jeanne éclata de rire.

« N’importe quoi !

— C’est mnémotechnique. Comme ça, pendant l’examen, on n’aura qu’à repenser à nos, euh… ébats… pour retrouver les informations pertinentes.

— Tu sais, j’ai rarement entendu une idée plus conne que celle-là. Et le pire, c’est que ça pourrait marcher !

— Non seulement ça, mais en plus, devoir répondre à tes questions va m’aider à me retenir.

— Je n’en doute pas, cher Monsieur, mais ça va aussi faire retomber mon excitation à moi. Hein. Y songeâtes-vous, Monsieur le bâtonnier ?

— Ouais, ouais, j’y songeâtes, j’y songeâtes.

— Ho mais qu’il est con ! », dit Jeanne en riant aux éclats.

« Mais vous, réfléchissâtes-vous, hein, tant qu’on est dans la conjugaison pour les nuls », rétorqua Guillaume à l’adresse de Jeanne, qui riait de plus belle, « que justement, votre but à vous, ce sera de vous concentrer sur le droit constitutionnel pendant que je ferai de mon mieux pour vous déconcentrer et vous faire jouir, hein ? »

Elle le fixa du regard. Lui sourit. L’embrassa du bout des lèvres.

« Quel auteur a soutenu la doctrine de la pyramide des normes ?

— Facile. Kelsen.

— Baise-moi, Guillaume. Baise-moi de toutes tes forces. »

C’est ainsi que débuta une après-midi fort productive.

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