Retour manqué 2/6

Tous les essais ne se transforment pas ! Peut-on reconstruire sur un échec ?

En rentrant dans cette chambre qui maccueille, jai retrouvé lair frais du soir. Personne ne peut comprendre sans lavoir vécu, ce que peut représenter un souffle de vent dans la nuit qui coule sur une joue, ni ce bonheur de voir au loin des phares de voiture. Tout devient sujet à plaisir ! Je suppose aussi que les doses dalcool que jai pris durant cette soirée sont aussi pour quelque chose dans cette euphorie qui métreint. Je savoure cette liberté toute neuve. Et en métendant sur le lit, dans le noir, je réalise que je viens de mallonger sur un morceau de papier.

Il est vrai que si ma chambre pour la nuit comporte un verrou, je nai pas de clé pour en interdire laccès si je mabsente. Pur réflexe de taularde, je contrôle soudain, avant même de lire le billet, si tout est en ordre dans ma piaule. Apparemment, rien na été déplacé. Du reste certain pliage de mes fringues serait impossible à refaire, astuces de vieilles condamnées pour savoir si des fouilles de cellules ont eu lieu en notre absence. À la lumière de lampoule qui pend du plafond, je lis enfin le message.

    Votre avocat a appelé et désire vous parler. Rappelez le plus rapidement possible.

La note est manuscrite et comporte seulement un tampon, celui du directeur de ce foyer. Je plie soigneusement mon courrier et le range dans une boite avec les rares lettres reçues pendant ma détention. Dire que mon baveux ne ma plus écrit dès que ma maison a été vendue et quil a empoché son pognon, alors que me veut-il donc ? Je nai pas grand-chose à lui dire non plus. Je reste encore aujourdhui persuadée quil ma lui aussi jugée coupable lors du grand cirque qui a servi à la justice pour me condamner. Il peut donc attendre un peu.

Cette première nuit me trouve tendue, et chaque heure qui saffiche au cadran de ma montre me voit éveillée. Curieusement, je guette tous les bruits qui mentourent, comme espérant que la ronde va passer. On ne sort pas indemne de ces nuits où vous êtes épiées toutes les heures. On shabitue vraiment à ces petits détails, un rayon furtif de lumière qui vous rappelle que derrière la porte, une ombre anonyme vous observe, scrute parfois tous vos faits et gestes, même les plus anodins. Le sommeil devient plus léger, moins profond, juste une survie en quelque sorte. Les matonnes se défendent de faire du boucan bien entendu. Mais cest dans nos caboches à nous, les enfermées que se joue cette trame si spéciale.

Elle laisse aussi des traces indélébiles, au fur et à mesure des mois, puis des années. Tout comme les fouilles, les appels de six heures quarante-cinq. Mais au bout du compte, les fouilles autant corporelles que celles de notre espace de vie, toutes deviennent routine et se normalisent au fil du temps. Je maperçois cette nuit que ceci devrait encore me poursuivre un certain temps. Le simple réflexe de tenir une clé ou de jeter immédiatement un coup dil vers la porte au moindre bruit de pas dans le corridor, me prouve quil me faut guérir, que je dois franchir cette étape pour avoir une chance de revivre normalement. Je ne pense pas que cest ici que jai une chance dy parvenir. Du moins pas dans cet établissement.

Dans ma tête je songe quil me faut bien vite réagir et trouver le plus rapidement possible un havre plus accueillant, un endroit qui nappartiendra quà moi. Puis les images de cette folle journée, la première à lair libre, me remontent comme autant de bulles qui viennent crever la surface de mon cerveau. Cette sensation davoir eu de nouveau des envies, des désirs, de ne pas être obligée de les camoufler aux yeux de gardiennes blasées, peu amènes parfois. En fonction de toute une liste de paramètres, elles pouvaient être très agréables, mais aussi trop souvent désobligeantes. La nature humaine est ainsi faite elles ne sont quimparfaites à limage de notre société.

Cet homme charmant avec qui jai diné, quattend-il vraiment de moi, il na pas insisté alors quil sest mépris sur les motifs de mon refus. En fait, jaurais sans doute adoré être embrassée, être chouchoutée, mais cest un poil trop rapide. Je crois que jai surtout besoin de me reconstruire de lintérieur. Grégoire finalement est tout aussi seul que je peux lêtre ! La seule différence cest que tout meffraie, tout me fait peur. Je cherche vainement un sommeil qui ne viendra pas. Combien de fois dans mon lit dune place me suis-je tournée et retournée, épiant chaque miaulement dune porte, chaque bruit qui ne me parait pas normal et cela ne me rassure pas ! Mon nouveau silence meffraie !

Les premiers rayons du soleil levant mont frôlé avec les yeux grands ouverts sur ce monde des vivants. Je suis allée sans doute la première à la douche, et pour la première fois depuis des années je my suis rendue sans chaperon. Jai pris tout mon temps pour savonner ce corps qui me paraissait sale, souillé par ces années perdues. Mes doigts ont osé retrouver des chemins oubliés, comme pour me rappeler que je pouvais encore espérer de beaux jours, pour me dire : « tu nes pas complètement morte ». Alors je me suis souvenue et jai laissé errer mes propres mains, qui façonnaient des arabesques tendres sur mon corps.

Elles ont, pour commencer, refait le tour de ma poitrine. Mes seins se sont vite rendu compte que cela pouvait encore les exciter. Les fraises au bout de chacun deux ne se sont pas privées de se mettre au garde-à-vous sous la pression dun index et dun majeur, aventuriers en diable. Puis quand la paume de la main tout entière sest lovée sur mon corps, glissant depuis la frange qui sépare mes deux mamelons pour séchapper vers mon ombilic, jai commencé à savourer cette chaleur intérieure qui menvahissait. Jai cependant toujours gardé un il rivé sur la porte, de peur quelle ne souvre violemment sous la poigne féminine dune surveillante lasse dattendre que jaie terminé. Cest sous le jet tiède que jai enfin réalisé que le cauchemar aurait sans doute une vraie fin !

Mes ablutions terminées, jai regagné ma petite chambre, bien décidée à en découdre avec cette nouvelle vie qui marrivait. Bien sûr pas de sèche-cheveux, pas de produits de maquillage, rien pour parer la pâleur caractéristique laissée par ces trop longs moments dinternement. Mais au moins avais-je retrouvé un semblant de plaisir à revisiter ces endroits délaissés depuis si longtemps. Je savais que mon ventre avait envie, que des sensations sétaient naturellement montrées, sous limpulsion de quelques caresses. On réapprend vite les gestes du bonheur. Javais besoin daller plus loin dans mon renouveau et la redécouverte de mon âme aussi.

oooOOooo

Le souvenir que javais gardé du vieil homme qui mavait assisté lors de mon passage en cour dassises est mis à mal par lapparition dans la porte dun homme jeune. Je me présente à lui et il me tend la main.

Vous avez eu affaire à mon père qui a pris sa retraite depuis deux ans déjà. Jai repris son cabinet.

Bien ! Vous vouliez me parler ? Je dois encore quelques honoraires à votre père ?

Non, non pas du tout ! Entrez ! Nous devons parler de tout ceci et nous serons aussi bien assis dans mon bureau.

Docile, je suis lhomme qui finalement ne me parait plus aussi jeune que je limaginais. Ma perception des choses sest sans doute altérée durant cette privation de liberté.

Tout dabord, Madame, je suis heureux de voir que vous êtes enfin libre. Mon père sen est toujours un peu voulu davoir échoué dans votre défense. Mais je voudrais surtout vous remettre le reste de largent qui a été versé par lacquéreur de votre maison.

Quoi ? Il reste de largent ?

Oui soixante-dix-sept mille euros pour être exact et ils sont désormais à vous.

En disant cela, le bonhomme pousse devant Claude une enveloppe contenant un chèque. Elle a la main qui tremble un peu en saisissant cette dernière ! Voilà quelque chose dinespéré pour elle.

Mais je ne comprends pas je croyais

Oui, je sais mon père aurait du faire suivre ce chèque à la prison, mais il a pensé que cet argent vous serait plus utile dehors à votre sortie. Puis il parait que les rackets et autres pressions sur les détenues sont monnaie courante. Il avait placé ce capital pour vous et loin de dormir, ces euros ont fait des petits pendant votre longue détention. Ceci explique la somme conséquente que je vous remets aujourdhui !

Merci ! Sauriez-vous me donner le nom des acheteurs de ma mon ex maison ?

Vous ne le savez vraiment pas ?

Non ! Il faut dire que je ne me suis jamais intéressée à ce genre de détail. Javais autre chose à penser à cette époque, je lavoue ! Jai signé tous les papiers que lon me présentait sans y jeter un seul coup dil.

De toute manière, ce nest pas un secret et vous lapprendriez de toute façon. Cest lex-mari de la sur de votre mari qui a acheté votre maison.

Mais comment cela ? Ils étaient divorcés depuis des années, quand mon mari

Oui je sais, mais il sest présenté un jour et nous a déclaré vouloir se rendre acquéreur de votre demeure si elle venait à se vendre. Alors mon père a pensé que ça resterait un peu dans votre famille Du reste il a payé rubis sur longle le prix demandé.

Eh bien ! Pour quelquun qui navait jamais un sou devant lui Cest étrange

Je ne saurais vous dire, je navais que dix-neuf ans à cette époque et je nai pas vraiment suivi votre histoire ! Elle concernait surtout mon père.

Cest bien ! Alors je vous remercie !

Mais de rien, nous sommes à votre disposition pour tous renseignements si vous avez besoin de

Non ! Ça ira comme ça !

Claude a pris lenveloppe, la glissé dans son sac et elle quitte le bureau de lavocat. Dans sa tête cette information lempoisonne. Pourquoi Alain lancien mari de Danièle sa belle-sur a-t-il jugé bon de racheter sa maison ? Lui qui était toujours fauché ? Finalement, haussant les épaules, elle se dit quelle verra bien, quelle saura bien un jour ou lautre Ouvrir un compte en banque lui prend un peu de son temps. Mais pour linstant cest ce quelle a le plus le temps ! Ensuite elle se rend dans une agence pour lemploi. Il lui faut trouver du boulot.

Ces démarches essentielles effectuées, il savère être lheure du déjeuner. Mes pas me guident machinalement vers le restaurant ou jai fait la connaissance de Grégoire. Le bar devant lequel je minstalle est un repaire dhommes âgés qui discutent bruyamment. Les verres sentrechoquent au rythme des tournées quils soffrent à tour de rôle. Jai un mal fou à me trouver une petite place pour loger mes soixante kilos. Un vieux se tourne vers moi, les yeux égrillards, un sourire édenté et me lance une vanne graveleuse. Je nai pas vraiment le cur à sourire. Sans doute vexé que sa blague tourne court, il reprend sa conversation avec ses amis, sifflant son « petit jaune » avec une rapidité stupéfiante.

Je bois lentement un diabolo grenadine, quand une main se pose sur mon épaule. Perdue dans mes pensées, je nai pas vu arriver celui qui soudain me sort de ma torpeur. Je suis là, sans vraiment y être. Je fais un bond qui ne doit pas passer inaperçu, sur le tabouret haut sur lequel je suis posée. Il est là ! Il me parait plus grand que dans son cabinet. Le fils de lavocat a sur les lèvres un rictus qui saffiche, pareil à un sourire !

Vous prenez un verre avec moi ?

Je lève mon godet à la couleur rose et pétillant de bulles. Il hausse les épaules, semblant ne pas saisir ce que je consomme. Ses yeux noisette sincrustent un peu trop dans mon regard. Ils ne lâchent plus mes prunelles et cest moi qui du coup, baisse la tête pour ne plus avoir à supporter ça. Je nai plus lhabitude dêtre regardée de cette manière. Cest un peu comme sil déshabillait mon âme, sil entrait en moi et je ne sais plus résister à cette intrusion. Les anciens près de nous font un boucan terrible ! Ça rit, ça braille, ça crie, difficile dans ces conditions davoir une vraie conversation.

Je comprends enfin que par un signe, il me demande de le suivre. Je repose mon verre à demi vide et lève mes fesses du siège. Je me laisse guider vers une table au fond du restaurant, loin du bar et de son brouhaha.

Vous déjeunerez bien avec moi ? Vous êtes mon invitée !

Je je ne sais pas si je dois

Allons ! Appelez-moi Gilles ! Pas de chichi entre nous ! Je suis certain que vous êtes une femme bien. Jai si souvent entendu mon père parler de vous Il est resté convaincu jusquau bout de votre innocence.

Il doit bien avoir été le seul dans ce cas

Une sorte de voile passe devant mes yeux et lautre en face de moi qui, jen suis sûre, sen est rendu compte ne prononce plus une seule parole. Pourquoi cette envie de pleurer me monte-t-elle aux yeux ? Gilles garde son regard sur moi. Je dois avoir lair dune vraie godiche. Je ne vais pas encore mapitoyer sur mon sort. Non, je veux tirer un trait sur le passé, revenir à une vie normale. Et ce nest pas en chialant que je vais y parvenir. Jesquisse un sourire tout neuf, un sourire tout beau. Et lui prend cela pour lui. Il se redresse sur sa chaise.

Finalement jose affronter son regard. Il a des yeux un peu en amande. Si jai bien compris ce matin, lors de notre première entrevue, il avait une vingtaine dannées lors de mon procès et il faut donc en ajouter six. Il na pas un âge aussi éloigné du mien finalement. Quoique une bonne quinzaine de piges nous séparent. Pour me donner une contenance, jai pris le menu, me plongeant dans la lecture de tous ces plats dont jai oublié jusquà la saveur. Je ne sais pas pourquoi, mais il me semble que je respire un peu plus fort, un peu plus vite. Jai beau essayer de calmer ce cur qui bat, rien ny fait.

Mon unique jupe noire, celle que je porte en fait, est restée longtemps dans une valise. Le chemisier qui saccorde par la teinte avec le bas est lui, tendu par des bouffées que je ne peux réprimer. Comme si lair de mes poumons ne parvenait plus à en sortir. Et je sens sur moi, la brulure des yeux de Gilles. Mon corps semballe dêtre si proche de ce garçon. Les caresses de la douche me renvoient elles aussi des ondes étranges qui commencent à me donner des coups de chaud. Je réalise soudain que je suis près dun homme et que tout mon être réclame un peu damour. Je nai pas encore la sensation précise de ce quil veut, mais lidée se fixe dans mon cerveau.

Après ma si longue hibernation, cest comme un printemps. Toute ma personne se remet en route et jéprouve des envies oubliées, enfouies bien profondément, des besoins naturels qui refont surface. Je sais soudain que cet homme, devant moi, est le déclencheur de cet état de manque trop longuement entretenu par ma pénitence. Je ne le vois pas comme un homme, mais comme un sexe qui serait à ma disposition, comme une bite sur pied. Quil soit beau ou moche nest plus quaccessoire ! Du reste sa physionomie ne reflète rien pour moi, aucun intérêt dans une beauté ou une laideur toute relative. Je sais juste que jai soudain une violente envie de faire lamour. Pas davoir de lamour, juste cet effrayant vide qui ne demande quà être comblé. Et il est là de là à penser quil peut me contenter, il ny a quun pas. Mais suis-je encore capable de le franchir ?

Vous ne vous sentez pas bien ? Vous êtes dune pâleur

Si ! Ça va, je vous assure je pense à des choses enfin des choses de femme !

Vous mavez fait un peu peur !

Puis-je vous poser une question disons indiscrète ?

Je vous écoute !

Êtes-vous marié ? Vous avez des enfants ?

Ni lun ni lautre. Mais pourquoi ?

Écoutez là doù je viens, on na pas souvent loccasion de voir, de rencontrer un homme et je voudrais savoir si si je suis encore capable dêtre une femme. Vous comprenez ?

Je crois que oui mais jai bien peur de ne pas être celui quil vous faut

 ! Vous pensez que je ne serais pas à la hauteur ? Je ne vous plais donc pas ?

Oh ! Non ! Non, il ne sagit pas de vous, mais de moi je je nai jamais fait lamour avec une dame.

Vous voulez dire que vous êtes encore puceau ?

Euh ! Pas tout à fait je veux vous faire comprendre que je suis

Eh ! Bien, dites-moi ! Vous êtes quoi ?

Le monde a beaucoup changé durant ces cinq ou six dernières années et les hommes sont libres dafficher des sentiments différents, vous comprenez ?

Pas du tout, mais je ne veux pas mourir idiote ! Dites-moi ce que vous pensez vraiment.

Pour vous le dire de manière plus abrupte, je suis homosexuel ! Vous comprendrez que je nai jamais couché avec des filles. Je suis désolé. Vous êtes belle, mais

Pardon alors davoir osé

Non ! Ne le soyez pas. Vous me flattez en me montrant votre estime et votre attirance, cest juste que mon corps à moi nest pas réceptif à vos attentes. Nous déjeunons ?

Je crois que oui. Je garderai mes envies encore un peu, cest aussi simple que cela

Pourquoi ai-je la certitude quil me ment ? Je sens dinstinct que cest pourtant un homme à femmes ! Sans doute ne veut-il pas mélanger travail et loisir. Le repas se déroule en discussion affable sans pour autant menlever ce point que jai au ventre. Mon désir est entier, faisant naitre des idées bizarres dans ma caboche de femme. De longues minutes, lespoir quil change davis mhabite. Mais il ne me parle que de ses conquêtes masculines, me narrant mille et un détails qui loin de me faire oublier que je suis affamée de sexe, prolongent seulement mon agonie sexuelle. Nous nous quittons bons amis.

Lui sans doute heureux davoir pu méloigner, sous prétexte de libérer sa conscience, et moi avec un volcan sur le point dentrer en éruption au fond du ventre. Une sorte de boulimie sempare de moi. Je fais les boutiques, victime dune fièvre acheteuse dévorante. Du plus urgent comme les produits de maquillage au superflu, je reconstruis, sinon ma vie du moins ma garde-robe.

oooOOooo

Une journée bien remplie et la penderie de ma chambre est garnie de jolies tenues. Je les juge sexy, mais la mode me passe un peu par-dessus les cheveux. Jai dû suivre à plusieurs reprises les conseils des vendeuses des magasins dans lesquels jai fait des emplettes. Alors que je sors de la douche commune, celle de ma piaule ne fonctionnant pas très bien, traversant le couloir qui mène à ma chambre, je croise le regard dune autre paumée de la vie qui comme moi, crèche ici. Son salut et ses yeux admiratifs me font me souvenir que je me trimballe avec seulement une serviette nouée sur le corps. Quel bonheur que de passer un temps fou à redevenir la Claude dantan ! Le miroir minuscule qui me renvoie une image de cette femme qui renait, me rappelle dautres moments ceux ou penché sur mon épaule un homme me murmurait des mots damour. Je soupire, le passé est révolu, lavenir incertain est pourtant devant moi. Quand je me trouve assez jolie pour sortir, jenfile en tremblant ces fringues qui me vont comme un gant.

Me voici à nouveau présentable, pour ne pas dire consommable. Si je reste calme, au fond de moi, lattente de mon corps pour du sexe reste comme ancrée, chevillée au moindre de mes mouvements. Jai lutté sous la douche pour ne pas satisfaire ce besoin impérieux qui menvahissait peu à peu alors que la pomme arrosait mon épiderme de son jet doucereux. Aucun désir de trainer trop longuement dans cette chambre sordide, encore que cest un palace au regard de la cellule qui ma servi de maison durant des années. Puisque je me sens belle, je veux aller marcher dans des rues pleines de vie, je ne demande rien dautre que sentir des regards se poser sur moi, me frôler, me désirer peut-être aussi.

Alors que je quitte létablissement qui maccueille, le directeur sur le pas de la porte, à lextérieur, fume une cigarette et son bonsoir claque dans le soir qui tombe. Une sorte de chaleur suit mes reins quand je méloigne. Je suis certaine que ses yeux me déshabillent jusquà ce que je disparaisse, au coin de la rue. Une odeur est remontée dans ma mémoire, celle du tabac blond. Je nai jamais fumé, mais je me souviens de celles que toi, Michel tu broussais. Tes traits se sont légèrement estompés et seul le bout rougeoyant de ta clope reste en toile de fond de mes souvenirs. Comment mes pas memmènent-ils vers notre ancien « chez nous » ? Il arrive que lon fasse des choses, machinalement, et le chemin qui me rapproche de cette maison est comme un pèlerinage.

Devant les grilles ouvertes, je suis tentée davancer vers ce lieu qui ma donné tellement de bonheur. Je nose pas aller plus avant que la haie de troènes bien taillés. À quelques dizaines de mètres de moi, une balançoire me rappelle que dautres désormais vivent ici. Un dernier coup dil sur le balcon où tu venais si souvent et jai comme limpression fugace que je devine ta silhouette. Les yeux embués, je regarde une fois encore et si un homme est bien là, il ne te ressemble en rien. Immédiatement, je sais de qui il sagit. Alain na pas vraiment changé, mais la distance peut parfois être trompeuse.

Jai un mouvement de recul, trop rapide, mal négocié et je suis sûre quil ma aperçu. Ce nest quune fraction de seconde, mais cest clair, il a vu cette intruse qui se trouvait sur sa propriété. Je file de là le plus vite possible, mes talons résonnent sur les trottoirs. Enfin essoufflée, je me calme et ralentis mon allure quand je juge que je suis loin de lui. Le bruit qui parvient à mes oreilles cest non pas possible, cest de la musique et en levant le regard il me semble reconnaître la maison de Grégoire. Cest drôle comme quelques notes me ramènent à la réalité. Oui ! Cest bien dans cette maison que je suis venue hier.

Quel instinct me pousse sur le perron de cette demeure ? Je nen sais rien, mais je suis devant la porte et je pousse doucement le battant de celle-ci. Elle nest pas fermée et jose pénétrer dans cet antre doù séchappent les plaintes dun violon qui me crispe le ventre. Toujours poussée par je ne sais quelle main invisible, me voici dans la salle doù les sanglots me parviennent. Grégoire me tourne le dos, son instrument collé à sa joue, larchet tire des montagnes de douceurs des cordes bien réglées. Jadore cette musique. La septième symphonie de Beethoven. Quand il se retourne, je mets mon doigt travers de mes lèvres et lui ne semble pas plus perturbé que cela par cette intrusion surprenante.

Mon sac jeté sur un fauteuil, je me place devant le seul endroit qui mintéresse. Mes mains désormais retrouvent une autonomie instinctive. Elles flottent sur les noires et les blanches, courent pour suivre le rythme et donner la réplique au violon. Dans la pièce, une ambiance bizarre sinstaure tranquillement, les sons se mélangent, se mêlent et semmêlent, se nouent en sanglots, se défont en soupirs. Je ne pense à rien seulement à ce souffle qui me court sur le cou, celui dun temps passé, dune ère perdue. Mes paupières closes sont les meilleures protections du monde, je me sens bien, je suis de nouveau heureuse. À tel point que je nai pas entendu le violoniste se taire. Je réalise seulement quune présence réelle est contre moi quand senvolent les dernières mesures de cette aubade salvatrice.

Grégoire sest rapproché et sa main placée sur mon épaule, reprend la place que tu as laissée vacante. Cest bien, cest bon ! Mon ventre nest toujours pas calmé, ma faim de visite revient au premier plan. Comme pour lavocat, ce type nest rien dautre pour moi quun refuge. Il na pas de visage, il ne représente pour moi quune opportunité de retrouver une vie sexuelle normale. Mais la normalité des uns nest pas celle des autres et jai encore à lesprit la baffe reçue lors de mon déjeuner avec Gilles. Malgré tout son comportement de la veille semble indiquer son attrait pour les femmes mais sait-on jamais ? Une véritable obsession sest emparée de mon esprit.

Je ne vois plus dans cet homme quun vit qui me ferait du bien. Juste un sexe bien raide qui calmerait pour un temps cet appétit qui mempêche de discerner le bien du mal. Je me retiens pour ne pas sauter sur cet individu qui me serre le haut du bras.

Je suis heureux de te revoir.

Pardon dêtre entrée sans mannoncer mais la porte nétait pas fermée.

Elle ne lest jamais ! Jaime que mes pioupious viennent à leur guise dans ma maison ! Je nai que la musique pour raison dêtre enfin peut-être plus seulement

Je jaimerais que tu que tu membrasses tu veux bien ? Dit ?

Il sest juste un peu plié en deux pour toucher ma bouche de ses lèvres. Une incroyable sensation me fait trembler. Mes lippes souvrent sous ce baiser quémandé à Grégoire. Et comme par enchantement ma langue et la sienne se heurtent, se croisent, pour senlacer dans un ballet qui me coupe le souffle. Quand il me lâche pour reprendre un peu dair, jen profite pour me remettre debout. À nouveau attirée contre lui, un autre baiser fait suite à ce préambule qui me rend ivre denvie. Ses bras me tiennent contre une poitrine forte sur laquelle sécrase la mienne. Les baisers succèdent aux baisers et puis tout senchaîne à un rythme prodigieux.

Je suis la première à chercher les boutons de sa chemise ! Comme rien ne va assez vite à mon gout, il en sera quitte pour en recoudre quelques-uns. Son torse nu minterpelle, menivre aussi. Cest presque férocement que je mattaque à la ceinture de cuir qui ferme son pantalon. Il tente bien de calmer mes mouvements désordonnés ! Peine perdue, jai trop envie de faire lamour ! Cest devenu une idée fixe. Il doit me prendre pour une cinglée ! Hier je refusais ses avances et ce soir cest moi qui suis prête à le violer. Pourtant, il na pas lair de se plaindre du traitement que je lui inflige.

Il sest mis aussi à ouvrir mon corsage. Lattache de mon soutien-gorge résiste à ses doigts de male excité. Puis il parvient enfin à libérer mes deux seins de leur carcan de tissu. Sa bouche maintenant se livre à de délicieuses arabesques sur chacun deux et je tremble dimpatience. Si ses lèvres sucent mes tétons, ses mains poursuivent le but quelles se sont fixé. Ma jupe retrouve sur la moquette le pantalon du monsieur. Il ne lui faut que peu de temps pour tirer sur lélastique de ma culotte qui coule le long de mes jambes. Je nai aucune envie de membarrasser de préliminaires. Je ne veux que sentir cette trique qui bat mon flanc, je ne veux que la savoir entrée en moi. Nous basculons tous les deux sur le duvet de laine qui couvre le sol.

Il est allongé de tout son long, le dos face au sol ! Je monte sur ce ventre un peu rond, et me laisse glisser, cuisses largement écartées, jusquà sentir son pieu à lentrée de mon sexe. Alors, sans aucune hésitation, je descends encore dun cran et dune seule traite, je mempale littéralement sur ce chibre qui y trouve son compte. Il ne bronche pas non plus quand cest mon bassin qui ondule pour ressentir toutes les vibrations de cette bite fichée en moi. Je deviens folle, je me cabre sur lobjet, me propulse sur lengin, je me secoue de droite à gauche, monte et descend ! Il soupire alors que je ferme les yeux pour garder toutes les pulsations intactes de cette queue qui mhabite. Quel bonheur de retrouver un peu de vie au fond de mon ventre ! Je mouille abondamment et son vit glisse joyeusement dans mon coquillage.

La frustration, labstinence prolongée, tout décuple cette envie qui métreint. Grégoire nest à mes yeux pas un homme ! Il nest en fait que laboutissement de mon désir, il en devient un gode vivant. Je me sers de lui pour arriver à jouir, pour retrouver ces gestes, ces moments qui mont si cruellement fait défaut. Il ne peut pas matteindre et ma seule prière muette cest quil bande assez longtemps pour que je prenne mon pied magistralement. Je ralentis ma cadence au gré des éblouissements que provoquent les va-et-vient que je distille moi-même en me hissant sur le pic raide. La boule de feu qui fait naitre des gouttes de mouille, qui engendre des spasmes au fond de moi, cest celle de mon envie. Je sais que je veux parvenir à jouir, je réclame en dodelinant du chef ce droit inaliénable à lorgasme.

Privée de ce genre de sport, depuis tellement de mois mon corps ne sait plus vraiment gérer les frémissements qui accompagnent chacun de mes mouvements. Je brule de ce feu sacré, je crève de cette envie et pourtant, inconsciemment, je refoule lidée que je vais être emportée par une marée de plaisir. Bien sûr après une longue chevauchée, Grégoire lui nest plus en mesure de répondre présent à cette difficile ascension de mon bonheur. Il se crispe à plusieurs reprises et sa pine qui sébroue aurait même tendance à me faire un peu mal. Manque dexercice sans doute ! Et ce qui devait arriver inéluctablement survient alors que je ne suis quà mi-chemin de cet orgasme que jappelle si ardemment, si totalement.

À trop demander, je métiole dans les soubresauts que Grégoire ne peut plus retenir. Il jouit avec un cri bizarre, me serrant à men faire mal aux bras. Et il se libère de son trop-plein de sève, sans plus attendre que je le rejoigne, oubliant bien sûr jusquà ma présence. Si baiser ma fait un bien fou, je reste néanmoins sur un échec. Je nai pas réussi à atteindre ce nirvana que jespérais. La prison aurait-elle eu aussi raison de cela ? Serais-je un jour à nouveau normale de ce côté-là aussi ? Comment ne pas douter de soi, de son propre corps alors que je me sens trahie dans ma chair par ce raté monumental ? Et lautre là, qui nen finit plus de râler en jutant en moi, sait-il seulement que je nai pas pris mon pied ? Jen doute

Wouah tu es une amante fabuleuse tu mas donné limpression de vouloir me tuer, juste avec ta chatte. Quel pied ! Merde alors ! Comme cétait bon !

Tu crois ?

Tu nas pas aimé ? Pourtant jai cru que

Je ne réponds pas ! Ça nen vaut pas la peine ! On peut être un bon musicien et ne pas savoir quand sa ou son partenaire jouit. Pourquoi en vouloir à ce Grégoire ? Il ny est vraisemblablement pour rien. Je reste seule dans ma tête, prison plus solide que les murs que jai quittés récemment. Mes doutes sont toujours là, plus forts, plus violents quauparavant. Et ces incertitudes me bouffent, me rongent de lintérieur ! La société a bien fait son boulot, je suis finalement plus détruite que je ne laurais cru ! Cest tout en profondeur et me donner au premier venu pour recouvrer lestime de soi nest sans doute pas la bonne méthode pour extirper de mes entrailles les craintes et les peurs qui mhabitent depuis des années

Je ramasse mes hardes, me rhabille à la hâte et quitte sans regret la maison de Grégoire. Il insiste pourtant un peu pour que je reste encore. Rien ny fait ! Je dois tracer ma route, et pour cela cest seule que je dois affronter les dures réalités. Demain, au petit jour, je chercherai un appartement, un havre de paix bien à moi. Il me faut me ressourcer et repartir de zéro, comme si je venais de renaitre de mes cendres. Tout doit être effacé. La parenthèse Grégoire naura pas marqué dune pierre blanche mon retour à la liberté, mais elle ma permis de me rendre compte que faire les choses à la va-vite noffre aucun intérêt. Il ne suffit pas davoir envie, encore faut-il que celle-ci soit guidée par lessence même dune vraie relation ce que tous appellent Amour !

oooOOooo

À suivre

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