Clisson, Loire-Atlantique, Juin 2011.
J’avais tout juste la vingtaine et j’avais décidé de participer au Hellfest cette année-là. J’avais commencé l’installation de ma tente sur l’aire de camping mise à disposition par le festival. Pas trop proche de l’entrée pour ne pas être embêtée par le flux incessant des festivaliers ; pas trop en recul non plus, par sécurité.
J’attendais avec impatience l’arrivée de mes deux compagnons de ce week-end festif. L’un, Ellande (« é yan dé »), était une connaissance de longue date. Nous avions fait nos années de primaire, de collège puis de lycée ensemble. Sans être véritablement amis ou confidents, nous avions un point commun : la joie de pogoter sur du bon rock. C’est tout naturellement que j’avais accepté son invitation à venir au festival.
L’autre, Ozan (« ossane »), était son frère. Je ne le connaissais pas et je n’avais pas connaissance de son existence avant ces deux jours. Le téléphone sonna :
Salut, tu es arrivée ? me demanda Ellande.
Oui, je suis en train de poser la tente, lui répondis-je.
Rentre dans le camping, tu verras un gros chêne ; je suis juste derrière.
Parfait, on arrive ; à de suite ! dit-il d’un ton jubilatoire.
Rapidement, je me mis à guetter leur arrivée et les distinguai bientôt dans la foule. Sautillant sur place, j’interpellai Ellande, battant l’air de mes deux bras. Enfin il me vit et me répondit d’un signe de la main. Une fois à ma hauteur, Ellande me fit la bise en me saluant :
Bonjour, Olea, ça a été le train ? me dit-il souriant.
Oui, super, mis à part la navette blindée de la gare à ici, tout s’est bien passé ! lui expliquai-je.
Et vous, la route ?
Tranquillement ; nous nous sommes relayés. On a eu du mal à trouver une place ici, mais sinon tout va bien.
D’ailleurs, reprit-il, je te présente mon frère Ozan.
Enchantée. Moi, c’est Olea ! lui dis-je en me tournant vers lui et en lui claquant une bise sur les deux joues.
Une fois la présentation faite, les deux bonhommes installèrent leur tente à côté de la mienne. Après avoir bu quelques verres de bière, on décida de franchir enfin les portes de l’enfer. Pour ce premier soir, nous étions restés ensemble.
Ce festival comporte plusieurs scènes, chacune spécialisée dans une mouvance musicale différente. Le hasard avait fait en sorte que nos goûts musicaux coïncident. Pogo, headbang, wall of death, circle pit, mosh pit. Je n’avais rien oublié cette nuit là. S’il n’est pas rare de voir une fille dans ce type de festival, il est plus incertain d’en croiser une dans la mêlée, se jetant sur ses comparses majoritairement masculins et exultant ses démons intérieurs.
Paradoxalement, je ne me suis jamais sentie en danger dans la fosse. Il y régnait un profond respect. Imaginez une frêle jeune femme, pas très grande et pas si lourde, se risquant à vouloir déplacer de toutes ses forces une horde de Vikings en vain ! Immanquablement, je me retrouvai au sol après un choc un peu trop violent, et c’est là que la menace était véritablement présente. Une foule en transe, alcoolisée et droguée tourbillonnante autour de moi, mais jamais je ne me suis fais marcher dessus, jamais je n’ai eu peur. Il y a toujours eu quelques personnes suffisamment lucides pour ébaucher autour de mon corps un espace de répit ou pour me relever.
J’aimais ces moments où s’encanailler avec le diable était un jeu. Je goûtais la douleur des galanteries dont j’étais la mire tandis que je haletais, l’esprit dans le vague. La contredanse avec ma conscience pouvait durer des heures avant que ma chair me rappelle à l’ordre, et bien souvent le sommeil qui s’ensuivait n’était en rien salvateur. Ecchymoses, coups et écorchures me rappelaient alors que j’étais une jeune femme stupide et imprudente.
Ma première nuit de sommeil se termina dans la douleur et les pleurs. Mon repos si on peut le qualifier comme tel fut écourté par le bruit d’une corne acoustique horrible non loin derrière le tissu de la tente. Les cris d’indignation, les insultes, mais aussi les rires qui accompagnaient la note en une harmonie dissonance, me forcèrent à me lever.
C’est tout ankylosée que je passai la tête dehors. Le soleil était déjà haut dans le ciel et l’aiguail s’évaporait de la végétation. Ozan s’était levé le premier ; il mangeait un reste de sandwich de leur voyage de la veille.
Bonjour, bien dormi ? lui demandai-je d’une voix enrouée.
Pas trop ; j’ai un peu mal partout : c’est toujours comme ça avec le premier festoche de l’année, me répondit-il en rigolant de bon cur.
Puis il ajouta, en joignant un geste de moulinet de l’épaule à la parole :
Par contre, la douleur est vraiment présente, ici.
Je profitai qu’il était torse nu pour passer derrière lui et remarquer la présence d’un bel hématome sur une omoplate. J’approchai mes doigts de la contusion pour en effleurer la peau.
Oui, tu as un beau coup ici ; c’est pas beau à voir, lui expliquai-je.
Sa réponse fut aussi rapide que mon frôlement était doux :
Tu as aussi quelques coups sur tes cuisses et tes côtes, m’indiqua t-il en ajoutant : j’ai du baume du tigre dans mon sac, si tu veux.
Jetant un coup d’oeil sur mon propre corps, je me rendis compte de l’état déplorable dans lequel je m’étais couchée : des contusions sur les jambes et les côtes, certes, mais aussi sur les bras. Ma peau était sale, terreuse et parsemée de gouttes de sang séché. Ozan vit bien mon désarroi face à la découverte de mon propre corps, et c’est encore enjoué qu’il m’indiqua de son doigt tendu l’entrée de sa tente :
La poche de devant, le sac sur ta droite en entrant.
Je m’approchais de l’abri quand je pris soudain conscience de l’absence de son frère.
Ellande est déjà levé? lui demandai-je.
Il n’a pas dormi ici, en tout cas, je l’ai vite perdu de vue après que tu sois partie te coucher, m’expliqua-t-il.
Prenant note de l’information, je m’introduisis à quatre pattes sous le voile à la recherche du cataplasme. Son explication était claire, et je ne tardais pas à mettre la main sur le contenant en verre quand la voix d’Ozan résonna subitement au dessus de ma tête :
Tu trouves ? se renseigna-t-il d’une voix volontaire.
Saisie par la proximité de son timbre à mon oreille, je reconsidérai immédiatement l’indécence de notre situation. Mon arrière-train complètement exhibé, uniquement drapé d’un short de nuit au tissu fin et ma poitrine dissimulée derrière un simple soutien-gorge me firent monter le rouge aux joues. Le savoir juste au-dessus de moi, et surtout si proche de ma quasi-nudité transmua d’une manière irrémissible ma position. Mes fesses se sont campées sur mes talons tandis que mon dos se raidit à l’extrême. Dans le mouvement, l’arrière de mon crâne frôla le menton du jeune homme qui avait eu le réflexe d’esquiver la fulgurance.
Holà ! Excuse-moi, je ne voulais pas te faire peur ; je pensais que tu m’avais entendu arriver, me dit-il en rigolant joyeusement.
Il poursuivit :
D’ailleurs, tu as toi aussi un joli coup sous la couture de ton soutif ; tu dois avoir un peu de peau arrachée : il y a un peu de sang.
Embarrassée qu’il puisse m’observer aussi facilement, je lui proposai de nous doucher avant d’appliquer le baume sur nos blessures. D’un signe affirmatif de la tête, chacun de nous alla quérir serviette et vêtements de rechange dans nos tentes respectives. Une fois à l’abri des regards, je me maudis d’avoir été aussi imprudente. L’ambiance était bon enfant, les gens sympathiques et respectueux, alors pourquoi diable déambulais-je en une tenue aussi légère ? Pourquoi jouer avec le feu ?
Mes poings s’abattirent violemment à deux ou trois reprises sur mes cuisses ; au moins ces coups-là étaient mérités.
J’enfilai la tenue de la veille pour me diriger ensuite en compagnie d’Ozan vers les douches. C’étaient des cabines individuelles dont l’intérieur était suffisamment spacieux pour avoir un endroit où poser nos affaires protégées par un rideau de douche. En fonction de l’heure d’arrivée, l’eau était plus ou moins froide, mais jamais chaude !
J’observais ma silhouette avec compassion tout en suivant du regard l’eau tiède qui s’écoulait sur toute la hauteur de mon corps, trouvant un chemin au travers de tous les obstacles naturels de ma composition. L’essentiel du flot passait par l’entre-deux-seins alors que quelques gouttes perlaient depuis l’extrémité de ma modeste poitrine durcie par le froid. L’onde venait ensuite recouvrir mon ventre pour être ralentie dans son élan par ma courte et entretenue toison pubienne. Une fois l’hourvari passé, le torrent cascadait sur le sol. Au fil des minutes, ma peau redevint plus claire. Je frottais mon corps avec attention, à la recherche de toutes mes douleurs. J’étais heureuse d’être enfin propre et lavée de toute la violence subie la veille, heureuse de l’harmonie de mes formes. Comme chaque matin de festival, je me posais la question : « Pourquoi te faire autant de mal ? Idiote ! Tu es contente dans la vie, tu es belle ! Assume-toi ! »
Malgré mes tentatives d’auto-persuasion, il m’était difficile d’appliquer ces simples préceptes. Jeune, le regard des gens avait un impact tellement important sur moi que je n’assumais pas mon corps et mes envies. Je n’étais pas dans les standards des beautés grandes et filiformes, et ce n’est que plus tard que j’apprendrai à vivre pour moi et non pour les autres.
C’est en ayant fait peau neuve que je sortis de la douche, propre et fraîche pour affronter cette nouvelle journée d’hostilités. Vêtue d’une fine robe, je rejoignis Ozan qui m’attendait puis nous prîmes la direction de nos tentes.
De retour à notre campement, on se rendit compte qu’Ellande ronflait sous la toile des deux frères. Je proposai à Ozan de lui passer du baume sur le dos ; il accepta ma proposition et enleva son haut.
Je frottai délicatement la zone endolorie de son épaule puis lui tendis le pot pour qu’il fasse le reste lui-même. Une fois terminé, ce fut à mon tour. Le jeune homme me proposa de procéder de la même manière, d’abord les zones inaccessibles, puis je ferais le reste ensuite. Je lui expliquai que, mis à part une culotte, je ne portais rien en dessous et que je ne voulais pas faire ça à la vue de tout le monde ! Je me débrouillerais donc seule et à l’abri des regards sous mon tendelet. J’entendis soudain une voix féminine derrière moi :
Je peux t’aider si tu veux ! dit la demoiselle.
Je restai dans l’expectative face à ce nouvel évènement. S’apercevant de mon désarroi, elle ajouta :
J’ai entendu ce que tu as dit en passant ; si tu veux, je peux t’aider à te mettre la crème, c’est comme tu veux ! me dit-elle, le sourire aux lèvres.
J’analysai immédiatement les risques, et n’y voyant aucun problème particulier, je l’invitai à entrer dans mon repaire avant d’en fermer l’accès. La brunette était aussi charmante qu’avenante, et une fois toutes deux face à face elle me demanda où elle devait appliquer le baume. Je me retournai et commençai à remonter ma robe le long de ma dorsale. Une fois que le tissu a passé la tête, je le déposai au sol devant moi. Je posai mes fesses par terre entre mes pieds et gardai mon équilibre en ouvrant assez largement mes genoux, le flanc des cuisses couché sur le matelas de camping. J’ouvris ma cage thoracique afin de lui offrir le maximum de mon verso, alors que par pudeur je cachai d’un bras ma légère poitrine.
J’entendis mon infirmière de fortune ouvrir le pot d’onguent, puis le déposer au sol. La jeune femme frottait ses mains, probablement pour chauffer la pâte avant de l’appliquer sur ma peau. Je m’attendais à un contact imminent quand le bruit de friction s’est arrêté, mais je ne perçus aucun mouvement. Le silence devenait gênant, et les quelques secondes qui venaient de s’écouler me semblèrent être une éternité. Je me risquai à tourner mon visage vers la fille quand elle déposa une main ferme mais tout en douceur sur un flanc, ses doigts pas loin d’effleurer la rondeur de mon sein.
Ne bouge pas ; tu as des coups partout ! s’étonna-t-elle.
La paume de sa main était froide, contrastant à merveille avec la tiédeur de ses doigts humides. Cette exquise dualité provoqua un frisson incontrôlable tout le long de mon corps. Elle poursuivit, pleine de prévenances :
Surtout dis-moi si je te fais mal.
Aussitôt ses autres doigts se posèrent sur le plus gros des hématomes qui parsemaient mon échine. Ce contact soudain me fit sursauter, mais déjà une rotation lente mais appuyée se dessinait sur mon cuir. Le pouce de sa première main me caressa dans le but de me détendre lorsque ma bienfaitrice passa pour la première fois sur l’éraflure provoquée par l’attache de mon soutien-gorge. Toujours pour détourner mon attention, elle commença à parler et à me poser des questions, sans oublier de se présenter. C’est ainsi que j’appris son prénom, Nathalie.
Nous avions sensiblement le même âge et elle était venue au festival avec deux amies. Elle me demanda sur quelles scènes je comptais me rendre ce jour-là. Avant que je puisse lui répondre, elle m’intima de me pencher plus en avant pour que mes reins soient plus accessibles. Sans réfléchir, j’accédai à sa requête et posai mes deux mains sur le sol, loin devant moi. Cette prise de position eut pour effet de dégager complètement ma poitrine du joug que je lui imposais, inéluctablement attirée vers le sol sous l’effet de la gravité. De la même manière je cambrai naturellement mon postérieur pour éviter les éventuelles douleurs aux lombaires.
C’était la deuxième fois que j’exposais mon derrière à un inconnu ce jour-là, et je me moquai intérieurement de mes différentes introspections ainsi que de mes multiples auto-mises en garde. Cela valait bien la peine de se faire la morale si c’était pour bafouer mes principes à la première occasion Un rire nerveux s’échappa de ma bouche et ne passa pas inaperçu aux oreilles de Nathalie.
Qu’est-ce qui te fait rire ? demanda-t-elle.
C’est pas la première fois que je me retrouve dans cette position devant quelqu’un aujourd’hui, lui soufflai-je timidement.
Elle éclata de rire et ajouta :
Si ce n’est que ça, c’est bon : il y a pire, je te rassure ! Et elle rigola de plus belle.
Voyant tout de même ma gêne malgré le sourire de façade que j’affichais, elle recentra la discussion :
Et donc tu ne m’as pas répondu. C’est quoi ton programme aujourd’hui ? Se renseigna-t-elle tout en reprenant ses massages embaumés sur mes reins.
Acceptant finalement la situation, je la remerciai secrètement d’avoir éteint le fard qui commençait à embraser mon visage, et c’est naturellement que je lui répondis, enjouée :
Je vais vadrouiller un peu partout la journée ; par contre, je passerai la soirée au mainstage. J’ai absolument envie de voir Apocalyptica, et surtout le final avec Scorpions !
C’est avec une claque sur ma fesse légèrement découverte le tissu s’étant engouffré vers mon intimité suite à la tension de ma position que sa réponse m’arriva :
Alors on se verra peut-être ce soir ! se réjouit-elle.
Puis elle reprit, tout en refermant le pot du baume :
Ton dos est recouvert de crème ; je pense que tu peux finir le reste.
Et elle sortit de sous la tente, me laissant pantoise, exhibant ma presque nudité à qui regarderait par l’ouverture que Nathalie avait laissée dans son sillage. Je me retournai et actionnai vivement la fermeture pour m’isoler à nouveau de l’extérieur. Je finis d’étaler le baume sur mes cuisses et mes bras tout en conservant dans ma tête l’image de cette jeune femme. Je ne savais qu’en penser, mais manifestement elle avait marqué mon esprit de par sa douceur apparente, mais surtout de par son audace. En y réfléchissant bien, certes, elle avait aidé à calmer les douleurs de mon dos, mais elle avait aussi laissé traîner ses mains là où il n’était pas nécessaire qu’elles y fussent. Je repensai à la fessée qu’elle m’avait administrée juste avant de s’échapper.
Ce n’est que quelques minutes plus tard que je fis face à l’évidence : la nymphe avait ouvertement tenté de me séduire. Quoique je n’aie jamais envisagé une telle relation, il était évident dès lors cette prise de conscience que je pourrais céder à ses avances, tant le vide qu’elle avait créé en sortant de ma cachette était devenu insupportable.