Réveillée par un rayon entre les persiennes du soleil pressé de mettre les choses et les êtres en mouvement, je reste un moment à contempler Coralie, alanguie sur le drap à peine froissé dune nuit sage, le visage serein auréolé de sa tignasse sombre en corolle sur loreiller.
Le jeu dans le canapé, la sincérité du plaisir ressenti, ne doit pas remettre en cause la pureté dune relation longue de deux ans. Nos attractions différentes ne briseront pas une si belle amitié.
Le haussement dune épaule, la moue inconsciente dun sourire, la belle endormie sapprête à ouvrir les yeux, peut-être troublée par mes sentiments paradoxaux.
Allez ! Debout ! Je dois préparer le petit-déjeuner. Ce nest pas la première fois quon dort ensemble.
Je me lève, décidée à mettre de côté mes états dâme, et quitte la chambre après un dernier regard vers la silhouette allongée sur le lit.
Balade dans le quartier de la Gare de lEst, un paisible samedi matin sous le soleil daoût, on se complait à ne rien faire parmi les promeneurs. La terrasse ombragée de parasols dun bistrot nous suffit pour linstant, côte à côte, le regard de lune tourné vers les beaux garçons, celui de lautre attiré par les jolies filles.
Tu crois que jai la cote avec Marie ? Je pose la question à mon amie en admirant de lautre côté de la rue le corps élancé dune jeune joggeuse en mini short et maillot, occupée à des exercices détirements.
Je ne sais pas, soupire Coralie agacée. Elle a peut-être une copine.
Pourquoi ce ton acerbe ? Elle jalouse la serveuse du 3 W ? Le jeu dans le canapé, à condition dapprécier ce plaisir intense comme une banale distraction, occupe encore son esprit. Pourtant, elle na jamais montré dattirance pour les nanas. Ou elle a peur quen tombant amoureuse, je labandonne.
Ce nest pas un problème. Je veux découvrir ma sexualité, pas rencontrer la femme de ma vie.
Coralie est rentrée chez ses parents, désireux de profiter un peu de sa présence. Le temps est venu de rendre une visite qui me tient à cur.
Ma grand-mère maternelle représente à mes yeux la parfaite incarnation du grand mystère de lexistence. Qui est vraiment cette dame souriante de 65 ans ? Quest-ce qui a pu lamener à un tel niveau de conscience ? Son comportement, aussi troublant soit-il, nen reste pas moins un gage de tranquillité, comme ces heures passées dans un fauteuil relaxant à regarder le vide et à écouter le murmure du silence, présence éthérée souriante aux fantômes que personne à part elle ne peut voir.
Jadore embrasser sa peau parcheminée à la bonne odeur de savon dAlep, garder sa main au chaud dans la mienne, lui prouver toute létendue de mon amour, me tenir près delle sans bouger de peur de la voir disparaître aussi. Plus que le souvenir réel dun deuil dans ma petite enfance, je ressens le manque de repères accordés souvent par ces personnages hors du temps.
Mon grand-père paternel a succombé à une maladie du travail avant quon ne lui laisse le temps de marquer mon enfance de son empreinte ; son épouse la rejoint sans raison apparente deux années plus tard. Je me plus alors, avec une hardiesse de petite fille, à imaginer quelle était morte de chagrin.
Mamie, quant à elle, réussissait à divorcer dun mari violent après avoir accouché dun enfant : ma mère. La chose était malaisée dans les années 70, alors ce fait plaça laïeule au rang de super héroïne à mes yeux quand je fus en age de comprendre.
Ça te ferait quoi si jaimais les femmes ? Je veux dire lesbienne.
Oh javais compris, soupire-t-elle après un temps de réflexion. Ce nest pas dans mon caractère de juger lintimité de ces choses, tu le sais. Tu en as parlé à tes parents, au moins ?
Non ! Et ne leur dis rien. Jai peur de leur réaction.
Les bras de mamie se referment sur mes épaules. Pourquoi les grands-parents sont-ils plus tolérants que les parents ? Une question existentielle en entraîne toujours une autre. Je my perds, et ça me rend malheureuse.
Ta mère comprendrait sans doute, je lai élevée dans ce sens. Ton père prendrait peut-être cette nouvelle pour une provocation, mais il laccepterait. Seul ton bonheur compte, ma chère enfant. Jamais tu ne pourras tépanouir en gardant le silence. Si tu veux, on leur parlera ensemble quand tu seras prête.
Le bar nest plus réservé aux filles en dehors de la soirée donnée par Barbieturix, les lesbiennes sy retrouvent cependant, et les garçons ne semblent intéressés que par eux-mêmes. Marie est fidèle au poste.
Un petit cocktail offert par la maison.
Ce nest pas trop alcoolisé ?
Non, rassure la barmaid souriante. Tu es venue seule, Coralie na pas aimé notre soirée dhier
Oh si, elle passe le week-end avec ses parents. Les miens sont en Bretagne pour quatre semaines. Jaurais pu les accompagner, mais on séclate mieux à Paris. Et je ne sais pas sil y a des bars comme ici à Pornic.
« Stop, Aurane, tu te rends ridicule. » Jécoute mon conseil, trop tard. Marie sourit de ma nervosité. Il en va peut-être ainsi avant de franchir le pas. Peut-être quensuite on en rit, on sattendrit sur dautres qui tentent à leur tour de mettre des certitudes sur des impressions.
Ton angoisse est normale, se veut rassurante la serveuse. Les filles entre elles se posent des questions. Parfois aussi, comme les mecs, elles entament une course à la performance, et se livrent à une frénésie sexuelle qui peut les entraîner loin. La peur de décevoir sévapore dans labus de relations intimes.
Perso, je méclipse en direction du sous-sol afin dy planquer ce foutu malaise.
La présence de la grande brune près de moi au retour amuse Marie qui soccupe à lautre bout du comptoir après nous avoir servi un cocktail. Elle assiste de loin au jeu de séduction mené par Karin, une habituée de 22 ans, célibataire dans lâme et fêtarde de première, une jeune femme aux formes discrètes.
La serveuse suit avec intérêt lévolution de la situation au fil des verres remplis avec entrain. La faible teneur en alcool ne suffit pas à menivrer, elle permet de faire tomber les barrières.
La séduction dont je suis lobjet me comble dune satisfaction inconnue. Karin ne manque pas de spiritualité, et mon désir grandit de ses attentions distillées avec soin, à la limite parfois de la provocation. Je me laisse volontiers captiver par son regard sombre, la finesse de ses traits, une certaine androgynie de ses rondeurs dissimulées par le blazer croisé recadré sur un jean taille basse.
On quitte ensemble le 3 W Kafé vers 23 heures.
Incapable de discerner la limite entre le ressenti véritable et la provocation pure, je balaie dun regard dubitatif lunivers coloré de Karin, un joli duplex meublé près de la porte de Vincennes dans le 12ème arrondissement.
Sur le buffet du salon, le Teddy bear drapé dans son drapeau américain salue un portrait de Che Guevara, des bibelots certifient des balades aux puces de St Ouen ou de la porte de Montreuil, des bouquins posés ici et là agrémentent le gentil désordre dune touche studieuse.
Cest mignon chez toi. Tu paies cher ?
Pas trop avec les allocations logement, avoue Karin en sasseyant sur le canapé près de moi. Tu veux boire quelque chose sans doute.
Tu sais, ce nest pas la peine de me saouler.
Jaurais voulu me montrer plus sereine.
Ce nest pas mon intention, rit ma nouvelle amie en se levant. Ce serait glauque, tu ne crois pas ? Mais on a le temps, parle-moi de toi.
Mon regard poursuit la silhouette. Les épaules à peine tombantes, le triangle du dos en transparence sous la chemise de coton, les hanches délicates, les fesses moulées dans le jean taille basse. La féminité de Karin nest pas aussi discrète que la lumière tamisée du 3 W Kafé le laissait paraître, ça me rassure. Inconsciemment, jimagine mal ma première expérience lesbienne avec un garçon manqué. Elle disparaît une poignée de secondes, et revient avec deux canettes fraîches de vodka soda. Je ne peux mempêcher dimaginer ses petits seins libres sous le tissu.
On ne ma pas amenée ici pour jouer aux cartes ; néanmoins, aucune appréhension ne métreint. Depuis trop longtemps dans lexpectative dune existence aux contours mal définis, je dois sauter le pas cette nuit, et trouver mes propres certitudes. Je vais enfin être débarrassée de mes doutes, de cette maudite camisole psychologique qui mempêche de grandir. Aucune importance si Karin nest pas un prix de beauté, son attitude me rassure.
De rires en sourires, on se rapproche lune de lautre sur le canapé. La discussion a tourné au déballage de mots inutiles, pour occuper le temps, comme sil était essentiel de retarder linéluctable. Mon désir transpire par chacun des pores de ma peau. Elle ne peut pas lignorer. Je pose un baiser furtif sur les lèvres trop près des miennes, je me recule et attends.
Immobile, souriante, Karin refuse encore de prendre linitiative. Pourtant, lenvie pulse dans ses entrailles de découvrir mes formes quaucune femme na touchées, de leur révéler le plaisir des sens. Car jai avoué ma niaiserie dans la discussion.
Énervée par le manque de réaction, je me hasarde à lembrasser de nouveau avec davantage daudace. Ma langue force sans effort la barrière de ses dents et senroule autour de la sienne. Karin participe enfin. Le baiser devient passionné, nos souffles se font saccadés, nos salives se mêlent.
Le salon est alors le témoin dun étrange ballet à quatre mains auquel les vêtements ne résistent pas. Enfin nues ! Je glisse mes mains dans son dos, elle enserre ma taille, nos bassins se collent lun à lautre. Le contact des peaux provoque un émoi partagé dune sensualité sauvage.
Soudain, Karin me repousse sans prévenir, laissant ma bouche ouverte comme si jembrassais le néant, la langue pointée entre mes lèvres. Son regard minspecte, me caresse, évalue mes formes, jépie lapprobation dans ses prunelles brillantes. Cest triste à dire ainsi, mais si agréable à ressentir.
Je ne suis pas en reste. Les petits seins pointus, le ventre plat, le sillon duveteux jusquau petit nombril, larrondi subtil des hanches, le pubis orné dun minuscule rectangle de poils noirs rasés, rien ne méchappe, pas même les grandes lèvres de son minou qui baillent un peu.
Viens, supplie une voix rauque.
Karin mentraîne par la main. Un peu en retrait, je me focalise sur son cul rond, pas très gros, ferme. Jai envie de mettre un doigt entre ces jolies fesses, den apprécier le soyeux, la texture, de suivre le sillon jusquà son sexe. On arrive trop vite.
Le mobilier, la couleur du papier peint, tout méchappe. Unique certitude, on est dans la chambre car je suis poussée avec douceur sur un grand lit.
Jaurais pu tomber de nimporte quelle manière, tourner sur le ventre, rouler, me recroqueviller comme un ftus. Mon inconscient choisit la facilité, je suis sur le dos, les bras en croix, les cuisses écartées dans une invite impossible à ignorer.
Jai chaud malgré mon frisson. Karin va devenir mon amante, la toute première, je le lis dans ses yeux.
« Tu es belle, Aurane. Jai envie de toi. »
Ces mots mauraient paru inutiles dans un roman. Ils comptent beaucoup ce soir, le timbre guttural me rassure, mincite à davantage dabandon encore. Elle sallonge à côté de moi, sa bouche se niche dans mon cou, sa main couvre mon corps de caresses douces, presque superficielles.
Sentir sa langue dans ma bouche, toucher ses seins, je nai quà tourner la tête sur le côté. Mon audace la surprend à peine, pas longtemps, Karin reprend le dessus.
Mon initiatrice caresse lintérieur de mon bras, la sensation mest délicieusement inconnue, jai tant à apprendre. On sembrasse et on se regarde en même temps, elle peut ainsi deviner ce qui me plait et suivre dans mes yeux le chemin tortueux qui me mènera au plaisir.
Mes seins simpatientent, mon sexe pleure dêtre au centre de ses attentions. Karin sen moque, occupée à me faire découvrir ce corps que je pensais connaître. Elle me révèle à moi-même en érotisant tout mon être.
Impatiente ingénue, jeffleure son minou du bout des doigts. Elle interrompt notre baiser. Un sourire accompagné dun signe de tête me retient daller plus loin.
« Laisse-moi faire. » mordonne-t-elle.
Sa bouche trouve ma poitrine, honore mes seins. Jamais je ne les ai sentis aussi gros, aussi durs. Sa langue joue avec mes tétons bandés, le bruit de succion ajoute à mon excitation. Lodeur de ses cheveux menivre.
Sa main descend sur mon ventre qui se contracte par à-coups. Ma bouche souvre sur un encouragement silencieux. Ses doigts sont si près de mon pubis, je nen peux plus. Elle relève la tête et observe mes seins brillant de sa salive. Sa langue dans mon nombril ajoute à mon excitation, comme si jen avais besoin.
Karin glisse vers le bas du lit, son sourire au-dessus de ma touffe mavertit. Elle la regarde comme un petit animal curieux. Elle veut tout voir dailleurs. Enfin, sa main masse mon pubis. La nouvelle position offre à mon amante le loisir de caresser mes seins et mon sexe en même temps, elle ne sen prive pas.
Deux doigts sinsinuent dans ma vulve, mes terminaisons nerveuses sont chauffées à blanc, cest bon. Je halète de savoir cette main étrangère fouiller ce que jai de plus intime. Ma moiteur lencourage à explorer dautres mystères. Son pouce trouve mon clitoris et son majeur titille lentrée de mon vagin.
« Oh oui prends-moi. »
Je suis tellement excitée que toute peur a disparu. Karine me pénètre lentement, sans efforts. Jai limpression de perdre ma virginité une seconde fois. Ma mouille abondante lubrifie le passage. Je suis une femme désormais.
La sensation se perd bien vite dans un besoin impérieux. Mon amante sait quune trop longue attente peut empêcher mon plaisir. Elle cherche à me délivrer. Sa main qui caressait mes seins sinvite à mon intimité. Elle écarte le haut de mes grandes lèvres et décapuchonne mon bouton. Son souffle sur ma plaie me ravit.
Alors, sans prévenir, la pointe de sa langue titille mon clito tandis quelle crochète son doigt dans mon vagin. Cen est trop, je me rends. Je mords ma main pour ne pas crier ce plaisir qui embrase tout mon être. Ma jouissance séternise, jen pleure.
Karin se redresse, fière, me dévisage dun air insolent et se délecte de ma mouille qui a humecté ses doigts.
Jai tenté de laimer à mon tour, de lui rendre un peu de ce plaisir quelle mavait offert sans retenue. Mes caresses maladroites lont amenée à un certain soulagement quil serait vaniteux dappeler orgasme. Karin ne men a pas voulu, son vrai bonheur a été de me révéler à moi-même.
On a guetté le sommeil dans les bras lune de lautre sans tricher, sans promettre un lendemain à cette aventure. Mendormir nue contre le corps dune femme et sentir nos formes incrustées au réveil, jen rêvais. Cest fait maintenant.
Mon amante voulait me raccompagner chez moi, jai refusé dun sourire. Descendue du bus avant darriver, je marche le long du Quai aux Fleurs le bien nommé. Il me faudra bientôt prendre à droite, traverser le Marais, remonter à la limite du 3ème, du 10ème et du 11ème arrondissement où je loge. Rien ne presse, la berge est déserte à 7 heures du matin. Je frissonne de lair frais sans me résoudre à prendre un autre bus, ou à accélérer le pas.
Ce ressenti bizarre na rien du banal contentement « de lavoir fait ». Il apparaît comme le chaînon manquant, le rituel qui permet denvisager lavenir. Cette première fois est le prélude dun opéra qui me reste à écrire, je le devine.
Jignore tout encore de mon nouvel univers ; pourtant, ce matin daoût, je marche le long de la Seine, avec rivé à lâme un certain fatalisme teinté darrogance devant linéluctable. Aucun retour en arrière nest désormais permis. Ma conscience peut séveiller, se libérer.
Je suis lesbienne.
Dimanche, pour la première fois, je fantasme sur le souvenir dun corps et non sur le mien. La masturbation mapporte une satisfaction relative. Mon unique désir est de renouveler lexpérience, et bien sûr daller plus loin dans la découverte de ce monde qui souvre à moi.