Lorsque Kukka arriva, nous étions réunis dans une des chambres de l’hôtel afin de définir la marche à suivre. Si Svetlana était d’avis de filer droit vers l’Est pour franchir au plus vite la frontière suédoise, nous devions continuer notre périple vers le Nord où nous espérions des réponses à nos questions. Il fallut donc la convaincre, sans dévoiler la raison de ce qui ressemblait à un entêtement. La promesse de trouver chez les parents des deux frangines norvégiennes un havre de tranquillité et de confort propice au rétablissement de Natasha était notre seule carte dans cette tâche ardue.

Marie résuma la situation à sa compagne, et plus le récit avançait, plus Kukka écarquillait les yeux. Elle ausculta Natasha et ne put que constater l’évidence : elle était épuisée. Sa tension était un peu faible, mais cela n’avait rien ni de surprenant ni d’inquiétant après les épreuves traversées. Son état quasi dépressif lui donnait plus de soucis, même si les raisons étaient on ne peut plus logiques : elle avait tué. Nous avions beau lui répéter que la mort du médecin n’était que légitime défense, rien n’y faisait.

Je laissai tout le monde s’affairer autour de Natasha et proposai à Roxanne de faire un petit tour dans les rues de Bergen. Personne n’insista pour nous accompagner lorsque j’exprimai mon souhait de faire cette virée en tête-à-tête avec ma fille ; après tout, c’était bien naturel…

Des vitrines où des rennes empaillés prenaient autant de place que les marchandises exposées servirent de prétexte à de fréquents arrêts pour m’assurer que personne ne nous suivait. Bizarrement, Svetlana, malgré son aide, ne semblait pas engendrer une grande confiance. Je me mis en quête d’un bureau de poste d’où le disque dur récupéré chez le médecin décédé pourrait être expédié. Une fois le colis envoyé, il ne me restait plus qu’à acheter un souvenir pour ma charmante et adorable fille pour parfaire l’illusion d’une promenade banale.

Elle tomba en arrêt devant un pull en laine qui la protègerait de la fraîcheur du Nord. Lorsqu’elle l’enfila, j’éclatai de rire : l’épaisseur du chandail lui conférait une carrure de déménageuse est-allemande ; pour sûr, elle ne craindrait pas le froid !

– Papa, moi aussi j’aimerais t’offrir un cadeau.

– Tu as une idée en tête ?

– Oui, bien sûr : un pendentif que tu porterais en permanence autour du cou. Ainsi tu pourras penser à moi lorsque je ne serai plus avec vous.

– Quel genre de pendentif ?

– Hier, Ingrid et moi nous sommes baladées en ville pendant que vous cherchiez Natasha. Viens, suis-moi, je vais te faire voir. J’espère qu’il te plaira.

Roxanne m’entraîna dans un dédale de ruelles entre les échoppes de Bryggen, le quartier où la Hanse avait exercé le commerce des siècles durant. Ces étroits corridors de bois nous firent passer des façades colorées à l’arrière, bien moins aligné et chatoyant. Des marches permettaient de se lancer à l’assaut des collines. Nous suivîmes une rue de traverse qui en longeait le pied. Les façades moins chamarrées mais parfois plus riches en ornements lui conféraient une atmosphère plus intime que les devantures du port.

Le magasin n’avait rien d’un attrape-touristes. Une partie du local servait à accueillir un fouillis d’objets hétéroclites anciens instruments à vent, poupées en porcelaine, scaphandres et autres vieilles bicyclettes et, comme si le commerce était tenu par un doux schizophrène, une autre partie alignait dans une parfaite rigueur des bijoux d’inspiration viking ou du moins païenne.

Elle me montra dans une vitrine le modèle qu’elle avait choisi. Il était de toute beauté. Le médaillon représentait Yggdrasil l’arbre-monde sur lequel étaient bâtis les neuf mondes de la mythologie nordique arrimé à deux têtes de serpent en bronze dans lesquelles était serti un collier en cuir brun dont le tressage des lanières dessinait un motif de losanges symbolisant les écailles de Jörmungandr, le serpent monstrueux encerclant Midgard.

– Alors, il te plaît ?

– Oh, que oui ! Je veux que tu en choisisses un également : nous serons ainsi doublement connectés. D’accord ?

– Comment pourrais-je dire non, sincèrement ?

Elle affichait un sourire radieux. Ma fille était magnifique, et aussitôt me vint à l’esprit que, malgré la distance qui ne manquerait pas de nous séparer à un moment ou à un autre, il me faudrait veiller sur elle, faire attention à tous les loulous qui lui tourneraient autour comme des mouches autour d’un pot de confiture.

Le plus dur pour elle fut de choisir. Elle hésitait entre trois modèles : Mjolnir, le marteau de Thor ; Gungnir, la lance d’Odin ; et le masque d’Odin qui ne portait pas de nom spécifique. Je tentai de l’aider dans son choix, trouvant Gungnir plus féminin : il s’agissait tout simplement d’une tête de flèche effilée. Par esprit de contradiction, Roxanne se décida pour le masque. Elle choisit un cuir noir pour le collier qui supporterait son pendentif.

Après que ma fille eut réglé son achat, je demandai au vendeur, dont la personnalité devait parfois lui jouer des tours, de m’emballer le marteau de Thor et la lance d’Odin ; ils orneraient à merveille le cou de Natasha et Alexandra. Pour ne pas être en reste, je me mis à la recherche d’un pendentif pour Kristina ; mon il fut attiré par un monstrueux Kraken.

De retour à l’hôtel, les choses se précisaient. La répartition dans les véhicules était organisée, et Svetlana, à défaut de pouvoir influencer la direction, avait établi une stratégie pour nous éviter de tomber dans les mailles d’un piège routier. Sigrid roulerait en tête : voiture immatriculée en Norvège et conductrice norvégienne, elle n’attirerait pas l’attention et franchirait sans problème un barrage policier. Dans cette éventualité, elle pourrait alerter les véhicules suivants. Évidemment, Kristina l’accompagnerait, ainsi que le duo de rousses ; ainsi, Valérie et Marie n’auraient pas à se côtoyer. Malgré la coopération sans faille de tout le monde lors du sauvetage de Natasha, cette tension inane subsistait entre elles, et nous devions composer avec.

Je laissai Sigrid prendre de l’avance avant de m’engager à mon tour sur la route. Vu la tournure que prenaient les événements, notre véhicule semblait de moins en moins approprié à notre tournée. Peut-être faudrait-il envisager de trouver un bus pour accueillir tout le monde ?

Je tournai la clé de contact ; Roxanne, assise à côté de moi, saisit son nouveau pendentif entre le pouce et l’index et le porta à ses lèvres pour nous souhaiter bonne chance. Elle ne le faisait point par superstition : elle entendait ainsi marquer cet instant comme un nouveau départ. Je quittai le parking et, donnant un coup d’il dans le rétroviseur qui réfléchissait le tout-terrain de Svetlana, je me demandai si laisser Tom et Ingrid avec elle était une bonne idée.

À l’arrière, Natasha succomba rapidement au rythme lent de la conduite en Norvège. Quatre-vingts kilomètres/heure… il fallait parfois s’accrocher pour ne pas sombrer dans l’ennui. Par chance, Roxanne prenait plaisir à nous concocter un programme musical équilibré. Natasha s’était écroulée contre Marie qui parfois essuyait une petite larme au coin de son il. Sans le savoir, sa sur avait mis dans le mille en sélectionnant le Eye in the skyde l’Alan Parsons Project. Qu’est-ce que nous l’avions écouté, cet album, lorsque Marie venait dans mon antre !

Kukka feuilletait le dossier de Natasha par intermittence, tant pour éviter les nausées dues à la lecture en voiture que pour s’accorder le temps de comprendre ce qu’elle y découvrait. Il était clair qu’elle avait de quoi s’arracher les cheveux. C’eût été dommage, compte tenu de la magnifique chevelure de la Finlandaise. Marie en avait dressé un portrait parfait lorsqu’elle avait parlé de celle qui partageait sa vie. La ressemblance avec Tarja Turunen était si évidente qu’on pouvait les imaginer surs : les mêmes cheveux de jais contrastant avec le regard d’un gris-bleu métallique, la mâchoire un peu carrée… les lèvres de Kukka étaient peut-être un peu plus charnues que celles de la chanteuse.

Sigrid et moi étions convenus d’un plan dont nous étions les seuls informés. Pour son succès, il suffisait de rester le plus près possible de la côte. En soit, la tâche n’avait rien de compliqué ; ce qui la rendait ardue était l’abondance de côtes. La priorité était de filer vers le Nord. Premier obstacle : le Sognefjorden. Traversée sur un bac. Je serrai un peu les fesses lorsque, arrivant à l’embarquement, j’aperçus un grand type avec une casquette, un gilet jaune fluo passé sur un treillis. Je fus soulagé de constater qu’il ne s’agissait que d’encaisser le montant de la mini-croisière.

Tout compte fait, jusqu’à présent nous n’avions eu qu’un aperçu de la Norvège. À partir de là, c’était comme si nous entrions dans le pays grandeur nature. La route s’élevait dans un paysage digne des Alpes, et cette chaîne de montagnes justement baptisée Alpes Scandinaves ne déméritait pas. Mais passer du niveau de la mer aux sommets constellés de plaques de neige en quelques kilomètres rendait l’expérience encore plus étourdissante.

Pour ne pas épuiser Natasha, la troupe stoppa là son avancée. Un camping au confort rustique nous permettrait de profiter du décor. Après avoir planté la tente, devenue trop petite pour l’assemblée que nous formions, nous nous installâmes dans une hytte, cabane en bois plus ou moins spacieuse que proposent les campings de Norvège. La nôtre avait quatre lits que Marie, Kukka, Natasha et moi-même occuperions. Il était souhaitable que la convalescente soit sous surveillance médicale le plus souvent, bien que son état s’améliorât ; trop lentement, hélas, mais c’était en bonne voie. Kukka s’avouait dépassée par « le cas Natasha », comme nous commencions à l’appeler.

– J’ai une amie qui bosse dans un laboratoire. Elle y fait de la recherche en biologie. Noëlle a effectué un stage de plusieurs mois dans mon service. Je pourrais lui téléphoner si tu veux, proposa Marie.

– Au point ou nous en sommes, toute lumière sera la bienvenue.

Kukka me regarda avec un air gêné et s’excusa de ne pouvoir faire plus pour Natasha. Elle en prenait soin, et pour le moment c’était tout ce qui comptait. Marie pianota sur son téléphone. Elle expulsa bruyamment l’air de ses poumons en signe de concentration.

– Salut, Noëlle. Je m’excuse de ne pas avoir pris le temps de t’appeler plus tôt, et surtout de le faire pour te demander un service. Voilà, j’ai une amie qui vient de… comment dire… déclencher des réactions inhabituelles.

Marie expliqua en long, en large et en travers. Mon oreille me joua peut-être un tour, mais j’eus l’impression d’entendre un bruit sourd, comme quelqu’un tombant le cul par terre. Noëlle demanda qu’on lui envoie une copie du dossier pour le décortiquer.

– L’idéal serait de pouvoir faire des prélèvements pour effectuer certains tests, mais puisque vous êtes si loin, je ferai sans, pour l’instant.

L’après-midi était bien avancé et chacun se détendait à sa façon. Svetlana était partie se balader au pas de course pour admirer le paysage ; étant la plus sportive de tous, elle avait cette nécessité de bouger, de se défouler physiquement. Depuis qu’Alexandra avait tiré Valérie de son placard à l’hôpital, une connivence s’était installée entre les deux rousses, et toutes les deux étaient allées se prélasser sur un gros rocher, les pieds dans l’eau du torrent qui bordait le camping. Kristina et Sigrid roucoulaient, à leur habitude. La Brésilienne piqua une tête dans l’eau bleu-glacier de la rivière. Elle n’avait de cesse de plonger dans l’eau depuis notre course contre la montre pour retrouver Natasha. À notre grand étonnement, Kristina supportait sans difficulté la température plus que fraîche de la mer ou des rivières.

– Tu es restée trop longtemps dans l’eau : tu es toute froide !

– Ça m’a fait le plus grand bien, je t’assure.

Sigrid entraîna Kristina dans la tente. Elles s’isolèrent dans leur alcôve ; la blonde ôta en quelques gestes ses légers vêtements tandis que Kristina terminait de se sécher.

– Viens te blottir contre moi ; laisse-moi te réchauffer.

– Rien que pour entendre cette proposition, cela valait la peine !

Sigrid sentit les tétons de Kristina durcis par l’eau froide pointer contre ses seins. Elle adorait cette sensation. Après s’être embrassées comme si elles ne s’étaient pas vues depuis plusieurs semaines, Sigrid se glissa le long du corps de la Brésilienne jusqu’à ce que ses lèvres puissent apporter un supplément de chaleur aux pointes érigées comme des bougies n’attendant qu’une allumette pour revenir à la vie. La langue souple et délicate frôla tour à tour les tétons de Kristina qui ne put que gémir à ce contact. Elle poussa de légers soupirs comme une fleur s’ouvrant aux premiers rayons du soleil puis caressa du bout des doigts la peau claire de Sigrid. Les phalanges épousèrent la courbe enivrante des seins. La fraîcheur des doigts fit tressaillir la Norvégienne qui glissa une cuisse entre celles de son amante.

Les mains volèrent de caresse en caresse et les lèvres de baiser en baiser. Sigrid sentait la verge encore flasque de Kristina étalée sur sa cuisse reprendre vie au fil de l’excitation tant physique qu’orale.

– Tu sais ce qui me plairait ?

– Dis-le-moi ; j’ai tellement d’idées à ce sujet qu’avant de tomber sur la bonne réponse, la tournée sera peut-être terminée, murmura Kristina.

– À ce point-là ? Essaye quand même… Quelles sont les trois idées que tu mettrais sur le podium ?

– Hummm, je n’ai jamais hiérarchisé mes idées dans ce domaine.

– Peu importe, essaye. Ce n’est qu’un jeu, de toute manière…

– Tu rêves d’être prise sur scène par tout le groupe pendant un concert !

– Non ; cela ne concerne que nous deux. L’idée est plaisante, j’avoue, mais qui s’occuperait du son ?

– Ton professionnalisme t’honore, répondit Kristina sur un ton proche de la plaisanterie. Je veillerai à ce que ton contrat soit renouvelé.

Sigrid laissa sa main sur la hanche de Kristina, les doigts écartés comme pour étendre la surface de caresses. La main glissa jusqu’à la fesse, attirant la guitariste encore plus près. La Norvégienne sentit la verge devenir de plus en plus chaude et raide contre sa cuisse ; elle la flatta de son autre main, ayant hâte de la sentir en elle.

– Alors ? Je t’écoute…

– Tu voudrais qu’on se marie ?

– Non, je n’ai pas besoin de ça pour être heureuse avec toi. Quoique ce serait excitant de porter une robe de mariée gothique…

Kristina avait maintenant une belle érection ; Sigrid comptant bien en profiter, elle la fit basculer sur le dos et vint s’empaler sur le vit. Coulissant de long de la hampe, elle se pencha quelque peu en arrière pour malaxer les couilles lisses dont elle aimait tant le contact dans sa main.

– Dernière proposition ?

– J’ai du mal à me concentrer quand tu te sers ainsi de tes mains expertes. Sans compter les muscles autour de ma queue. Voudrais-tu que je me fasse tatouer ton prénom ?

– Pas du tout, mais c’est bien en relation avec la peau : j’aimerais qu’on se fasse photographier dans des poses sensuelles. J’aime le contraste entre mon épiderme blanc et le tien si hâlé : cela ferait de belles images. Qu’en dis-tu ?

– Ton idée est excellente ; j’en suis toute excitée. À mon tour de te dire ce que j’aimerais… mais je suis moins joueuse que toi. Et surtout, j’ai trop envie de jouir pour te laisser chercher la bonne réponse.

– J’aime te savoir si enflammée…

– Ça me manque beaucoup de me faire prendre, alors si tu as un strap, j’aimerais que tu m’éclates le cul.

– Je suis sûre que l’on trouvera ça à Trondheim et je te fais la promesse que tu ne pourras t’asseoir de sitôt ! En attendant…

Sigrid se coucha sur sa partenaire comme des notes sur une portée. Seins contre seins, elles échangèrent soupirs et silences. Kristina dirigea de sa baguette le rythme endiablé de leurs ébats sur une gamme peu platonique. Le ton était donné et l’ingénieur du son fut vite au diapason du plaisir de son amante. La guitariste maintenait la cadence avec la régularité d’un métronome. Il y avait à la clé une jouissance en chur, et il était hors de question d’y mettre un bémol.

Le tempo allait crescendo et le beat de Kristina entraîna Sigrid, enchantée, vers un accord parfait. La blonde interpréta quelques trilles de son répertoire. Le charme opéra ; elles jouirent à l’unisson. Kristina déversa son staccato liquide contre l’utérus de sa dulcinée sur les hanches de laquelle elle reposa ses mains. Elles avaient enfin mis une sourdine à leur désir et purent à nouveau se joindre à nous.

Kristina attrapa sa guitare folk pour jouer quelques airs de son pays. Elle entonna Boa Sorte de Vanessa da Mata, magnifique chanson interprétée en duo avec Ben Harper. Nous fûmes aussitôt transportés sous les tropiques. J’imaginais Natasha allongée dans un hamac suspendu à deux poutres de bois peintes en bleu, sous l’avancée du toit abritant la terrasse d’une bicoque aux larges planches disjointes, faisant face à la mer. L’air iodé de l’Océan Atlantique nous titillerait les narines. Un verre de rhum à la main que nous siroterions à une vitesse oscillant entre savourer et griser, nous nous laisserions charmer par les sourires éclatants de beautés à la peau hâlée.

Sigrid accompagna le chant de Kristina ; c’était bien la première fois que nous l’entendions chanter. Après avoir sorti ma caisse claire du véhicule, je vins m’asseoir à leurs côtés et les accompagnai. Marie, Kukka et Natasha s’installèrent sur la petite terrasse devant la hyttepour profiter de ce moment d’insouciance. Alors que cette interprétation acoustique et en plein air s’achevait, tout le monde éclata de rire en distinguant dans la tente la voix d’Ingrid qui prenait son pied dans les bras de Tom. Se rendant compte de la situation, la jeune sur nous supplia de continuer tant la chanson décuplait son plaisir.

– OK, petite sur, on va faire une version longue rien que pour vous deux.

Roxanne prit ma place. Elle avait une envie perpétuelle de jouer. Elle était dans son élément parmi toutes ces personnes jouant de la musique ou qui, tout simplement, appréciaient d’en écouter. Je rejoignis Natasha, savourant ces instants de bonheur. Assis à même le sol, dos contre le mur de la cabane, je caressais Natasha, allongée paisiblement entre mes jambes, sa tête appuyée contre mon torse ; le temps ne défilait plus. Des douleurs intermittentes dans le bas ventre la lançaient et je la sentais se contracter. La souffrance n’était plus aussi violente que la nuit où elle avait été transportée à l’hôpital. La cause en était maintenant connue, et même si l’origine de ce phénomène restait incompréhensible, Natasha ne courait plus aucun danger.

– Il y a un truc que je n’arrive pas à saisir. Mon corps s’est entièrement transformé en très peu de temps, mais pour ce qui est de ce nouvel organe ça prend des jours.

– Pour ce qui est de ta métamorphose, je pense que l’immanence du danger en est la raison. Ton corps a réagi instinctivement pour te protéger, tentai-je de la rassurer.

– Pour ce qui est de ton nouvel organe, comme tu dis, c’est plus long car il n’y a, d’une part, aucune urgence ; d’autre part, il ne s’agit pas à vraiment parler d’un nouvel organe, mais de plusieurs. Ce n’est pas qu’un vagin qui est en train de se former, mais tout un système reproductif ; et ça, la Nature ne l’a encore jamais fait. Il faut faire de la place pour ces nouveaux organes, dirai-je trivialement, mais aussi veiller à ce qu’ils fonctionnent tout autant que les anciens. Il faut donc créer des vaisseaux sanguins, des nerfs… bref, il ne s’agit pas seulement de prendre de toute urgence l’apparence d’un animal, d’imiter ce qui existe déjà, mais de créer de nouvelles fonctions, et cela prend plus de temps, expliqua Kukka.

Elle laissa un temps de silence pour que Natasha intègre ces éclaircissements et pour se persuader qu’elle-même avait choisi les bons mots.

– Quant à savoir pourquoi cet étrange son a provoqué cela, et pourquoi tu es la seule à avoir été affectée… ce n’est pas de mon ressort, si tant est que cela puisse être du ressort de quelqu’un, conclut-elle.

– Minute ! Qu’est-ce qui dit que Natasha a été la seule concernée ? Nous sommes peut-être tous touchés par ce phénomène, mais à des degrés moindres ou tout simplement de manière différente et moins évidente, intervint Marie.

– Que veux-tu dire ?

– Tout simplement que le phénomène ne se traduit pas de la même manière selon les personnes. Nous nous sommes tous concentrés sur Natasha à cause de son malaise puis de sa disparition, mais Franck, tu as ramené… enfin, je ne sais pas trop quel terme employer… Valérie de je-ne-sais-où, et ses capacités sont tout aussi étranges que celles de Natasha.

Kukka écarquilla les yeux et je la vis se pincer pour s’assurer de ne pas être en train de rêver. Le constat de Marie était on ne peut plus juste : l’urgence nous avait fait passer cet événement au second plan. Tout comme la métamorphose de Natasha avait été provoquée par une menace imminente, la présence de Valérie répondait aussi à une urgence et avait été cruciale.

Natasha souhaita que je lui relate avec force détails le fil des événements depuis son arrivée dans la chambre. De mes trois auditrices, seule Natasha était présente cette nuit-là, mais elle n’en savait pas plus ; seule Marie en avait eu quelques échos. Finalement, je n’avais guère eu le temps de prendre du recul pour analyser ce phénomène. L’instant où Valérie, jouant avec les mots, avait évoqué sa mort me revint à l’esprit ; je m’étais juré de vérifier ce qu’elle était vraiment devenue, une fois la tournée parvenue à son terme. Peut-être valait-il mieux ne pas remettre à plus tard cette recherche.

Je me connectai au Wi-Fi du camping et pianotai sur mon téléphone. Après quelques minutes à attendre, la connexion asthmatique communiqua les premiers résultats : rien ! Valérie n’avait laissé aucune trace sur un quelconque réseau social. Si ce qu’elle m’avait raconté au chevet de Natasha était vrai, cette absence relevait d’une volonté d’effacer son existence. J’en eus froid dans le dos : cela signifierait que j’avais mésestimé la valeur de sa parole. Je ne pouvais cependant me résoudre à abandonner mes recherches aussi facilement. N’ayant pas les bons outils à ma disposition, je n’arriverais à pas grand-chose ainsi. Je pianotai à nouveau sur mon téléphone, mais à la recherche d’un numéro de téléphone cette fois-ci.

Sabine répondit. Elle était avec Karen et avoua, comme pour demander mon autorisation, qu’elles passaient beaucoup de temps ensemble. Sabine envisageait même de s’installer avec la future mère jusqu’à notre retour. Elle pourrait ainsi prendre soin de Karen et s’assurer que la grossesse se déroulerait sans problème. Connaissant la bisexualité de mon interlocutrice, je devinai qu’elle ne se contenterait pas de veiller au confort de son amie…

– Je te donne mon assentiment. Je regrette une seule chose : ne pas pouvoir assister à vos ébats.

– Je te promets de filmer quelques scènes, rien que pour toi… Quoi de neuf ? La tournée se passe bien ?

Je ne pouvais donner à Sabine des informations qui risquaient d’inquiéter Karen, aussi me contentai-je de prendre des nouvelles et d’édulcorer les nôtres. Tant pis, je me tournerais vers Dimitri une fois encore.

Il sembla essoufflé quand il répondit à mon appel ; je m’excusai de le déranger certainement au milieu d’une séance de bête à deux dos. Sa copine n’était pas directement la cause de sa respiration bruyante : il courait depuis plus d’une heure, souhaitant lutter ainsi contre les négligences passées de sa vie de geek.

– Il faudra que tu me présentes ta petite amie à notre retour : je tiens à la féliciter pour l’influence heureuse qu’elle a sur toi.

– Que puis-je faire pour toi ?

– Je voudrais que tu fasses une recherche concernant une femme. Je t’enverrai un message avec son nom et tout élément qui pourrait t’aider…

– C’est en rapport avec le disque dur ? D’ailleurs, me l’as-tu envoyé ?

– Oui, c’est fait, je l’ai posté ce matin. Mais il n’y a pas de lien direct avec cette femme. En fait, c’est une ex et j’ai besoin de savoir ce qu’elle est devenue. J’ai essayé de faire une recherche ici, mais la connexion est mauvaise et un téléphone n’est pas le meilleur outil pour ce genre de tâche. Je m’excuse de te surcharger de travail…

– Pas de souci ! Sabine passe beaucoup de temps avec Karen et me laisse ainsi beaucoup de liberté pour faire le boulot qui n’est pas des plus prenants pendant l’été.

– Bientôt les vacances ?

– Oui, mais je n’ai rien de prévu. Par contre, ce qui est sûr, c’est que ça se fera avec Isabelle. Des vacances à deux, ce sera une première pour moi !

La nuit se résuma à un long, très long crépuscule. Aucun des membres du groupe n’avait connu cette sensation de jour qui résiste à la nuit. Un peu comme dans ces films où le héros se bat à mains nues contre un des méchants au bord d’une rivière. Les deux finissent par y tomber, le gentil se faisant malmener, se débattant pour que l’autre ne lui maintienne pas la tête sous l’eau, ce que le méchant parvient toujours à faire jusqu’à ce qu’après d’interminables secondes le bon réussisse à inverser la situation. Personne n’eut l’occasion de s’assurer que le héros, ce soir là, mettrait la tête sous l’eau : l’épuisement des derniers jours fut le grand vainqueur, et tout le monde s’endormit alors que le crépuscule continuait de s’effilocher pour devenir aurore.

Le réveil se fit à des heures indues par rapport à nos horaires habituels : une longue étape s’offrait à nous. Natasha ayant dormi à poings fermés, elle se leva d’humeur radieuse. Les cauchemars qui l’avaient hantée la nuit précédente n’avaient cette fois pas eu raison de son sommeil. Elle n’avait aucune explication à donner si ce n’était le bonheur que lui procurait cette Nature majestueuse et ces paysages en cinémascope qui nous entouraient.

– Alors tu iras de mieux en mieux : les décors que nous allons traverser aujourd’hui t’enchanteront, l’encouragea Sigrid.

– C’est étrange : j’ai la sensation d’être connectée avec cette terre, comme si je revenais chez moi. Je n’arrive pas à l’expliquer.

– Je comprends ; j’ai eu la même sensation la première fois que je suis allé en Irlande. C’était effectivement comme tu le décris : j’avais cette sensation d’être chez moi… Comme un retour au bercail après de longues années d’exil.

– Oui, c’est exactement ça ! Le plus étrange, c’est ce sentiment de retour et de découverte mélangés, comme si j’avais longtemps oublié mon lieu d’origine.

– Peut-être étais-tu une Viking dans une vie antérieure ? plaisanta Svetlana.

– Ou même une Sâme, ajouta Sigrid.

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