Saint Valentin, fête commerciale et ridicule.
Ah, quelle belle fête que cette Saint Valentin ! Peut-être que ce récit rappellera quelques souvenirs à certains lecteurs.
Pour nous j’entends ma femme et moi la Saint Valentin de cette année a un goût un peu différent des autres car il y a quarante ans était l’année de notre rencontre. Tout fraîchement amoureux, nous avions célébré cet événement sans savoir que l’année suivante nous nous unirions pour la vie en nous mariant. Cette fête-anniversaire me ramène à ces années où la vie n’était pas facile ; le départ dans la vie active était pour moi dur et impitoyable ; pour réussir, je devais me battre toujours et encore.
C’est en voyant un jeune homme tourner autour du kiosque à bijoux d’une célèbre grande surface, son billet de dix euros à la main ; visiblement il cherchait le bijou qui fera le bonheur de sa petite amie. Il essaya de négocier le prix d’une petite paire de boucle d’oreilles et repartit sans rien, la tête basse avec certainement le même sentiment d’échec, de honte, de culpabilité que je ressentais à l’époque.
Je me souviens de ces années 78 à 90 où pour moi, offrir un bouquet, un bijou même aussi petit soit-il par manque de finance était compliqué, voire impossible. À cette époque, nous habitions en Bretagne ; la priorité était le bien-être nos enfants avant tout. Il fallait qu’ils aient à manger, des jeux, être correctement habillés et avoir tout ce dont ils avaient besoin. C’était notre priorité.
Je me revois passer devant les vitrines des bijoutiers où trônaient des bagues, des colliers, boucles d’oreille ; tous ces bijoux hors de portée de ma bourse. Je rentrais le soir sans rien à offrir à ma chérie pour la Saint Valentin, et cela me faisait mal. Mais elle prenait les choses différemment en me disant simplement « Ce n’est pas grave, mon chéri : je t’ai, toi, et je n’ai besoin de rien d’autre. »
Tout ceci m’amène à cette réflexion : pourquoi faut-il que les couples rentrent dans cette norme où si le pauvre garçon n’ayant pas pu ou a tout simplement oublié cette fête devienne coupable ? Coupable de n’avoir rien offert à sa belle, ce qui prouve qu’il ne l’aime plus ? Ou encore de passer pour un pingre, un égoïste vis-à-vis des collègues qui, eux, se vantent d’avoir offert le collier, la bague ou je ne sais quoi à X centaines d’euros.
En réalité, notre chérie n’attend pas forcément de cadeaux à des prix exorbitants ; bien sûr qu’elle va aimer le bouquet, le bijou. Elle dira « Merci, moi aussi je t’aime. » Ce qu’elle veut, c’est un mec, un vrai, qui soit à côté d’elle quand elle va mal, qu’il la cajole tous les jours. Que son amoureux ne soit pas comme celui dont le nom est dans le journal, condamné pour avoir fracassé le joli minois de sa copine parce qu’il était bourré.
Il avait réservé une table dans un restaurant qui, à grand renfort de publicité, offre la coupe de champagne. Idiot, il ne sait pas qu’il les paye, ses coupes ; et cher en plus. Le commerçant aura concocté un menu « Spécial St Valentin » bien calculé pour lui. Il va réaliser le plus gros chiffre d’affaires de la saison.
Il y a aussi les fleurs : les roses rouges, c’est la coutume ! Demain elles seront fanées, elles aussi auront coûté une fortune. Elle plongera son nez dedans en disant « Hum, elles sentent bon, merci ! » Elles n’ont aucune odeur, le bouquet est mal fait et moche, mais il va lui aussi remplir les poches du fleuriste.
Et les bijoux ; c’est important, les bijoux : ils sont la preuve irréfutable de l’amour porté à sa chérie qui, en rentrant du resto, dira « non » aux avances de son chéri. Elle dira « non » car elle n’a pas envie de faire l’amour avec ce mec bourré ; il va finir par l’insulter parce qu’elle n’a pas envie de faire l’amour. Il vient de dépenser une fortune pour lui faire plaisir. Elle finira à l’hôpital, et lui en prison.
Nous ne sommes pas obligés de suivre les règles de ce commerce où il faut montrer, offrir pour prouver qu’on aime. C’est la même chose que pour toutes les fêtes de l’année : Noël, fête des mères, des pères, des grand-mères, des grand-pères aussi, celle des secrétaires (ça, c’est pour qu’elles passent sous le bureau) et aussi la fête de la femme, un jour par an ; et les autres jours, elle n’a pas le droit ?
Nous pourrions aller plus loin encore avec ce système marchand qui s’est emparé de toutes les fêtes (et en a même créé certaines) en les dépouillant de leur valeur symbolique (comme, par exemple, la galette dite "des rois" est un symbole solaire, ce soleil qui renaît au solstice d’hiver, sol invictus, fête païenne). Pour ça, la religion catholique s’est bien réconciliée avec les marchands du temple ! Vous ne croyez pas ?
La femme n’a pas besoin de toute cette mascarade ; il lui faut de la complicité, de la joie, du soutien, de l’aventure. Elle aime se faire entraîner, prendre des risques avec son homme ; elle a besoin de vivre, tout simplement.
Pour nous, avec nos quarante balais de vie, de complicité et d’amour, nous ne nous offrons jamais ou quasiment jamais rien pour cette fête. Les fleurs, c’est selon l’envie, comme arriver avec un bouquet sans qu’il n’y ait rien à fêter ; c’est juste pour dire « Je t’aime… » qui sera suivi d’un « Oh, merci ! » accompagné d’un regard pétillant et d’un gros baiser.
Pas de restaurant, mais plutôt un bon petit repas cuisiné avec amour que nous préparons l’un ou l’autre suivant nos disponibilité, et parfois ensemble. Quelquefois nous passons une soirée douce et calme avec sur la platine tourne-disques un trente-trois tours de Brel, Ferrat ou encore Alan Stivell, Gilles Servat et plein d’autres, un canapé, un petit digestif, un feu dans la cheminée. Nous écoutons sans un mot ; juste quelques caresses tendres et sensuelles. Nous avons goûté à ce plaisir de faire l’amour sur un tapis de laine épaisse en points noués et crochetés à la main que nous avions fait ensemble. Placé devant la cheminée avec juste le pare-flammes pour éviter de prendre des escarbilles sur les fesses. La chaleur du feu de bois combinée au feu intérieur qui brûlait en nous nous avait emportés dans un orgasme sans précédent ; ce fut un pur bonheur.
Si au jour d’aujourd’hui nous ne faisons plus les pirouettes d’avant, le plus important, c’est d’être bien ensemble, d’avoir réussi à être là où nous en sommes, d’être chez nous, d’avoir montré le chemin à nos enfants et d’avoir construit une famille unie.
Bon, cette année, je vais peut-être faire un écart et acheter un bijou ; ce sera un surprise et elle me dira « Mais je n’ai besoin de rien, et nous avions dit qu’on n’achèterait rien ! »
Bonne fête à tous les Amoureux !
Pat