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III – À corps perdu – Chapitre 22




Florian se réveille en sursaut alors qu’il entend frapper.

« Shama ! » lance-t-il en se redressant dans le lit.

En face de lui, la télé est allumée, le son presque inaudible. Le temps de se remettre les idées en place, on toque une nouvelle fois. Il saute du lit et se précipite pour ouvrir ; il s’attendait à voir Shama, mais c’est Typhaine qui est derrière la porte.

 Putain, je pensais que c’était Shama, souffle-t-il, un soupçon de déception dans la voix.

 T’as pas eu de nouvelles d’elle depuis hier soir ?

Florian va chercher son téléphone.

 Elle m’a envoyé un message ! s’écrie-t-il, « Je rentre à l’hôtel, suis crevée, tout va bien. Biz ».

il pousse un grand soupir de soulagement et Typhaine se décrispe aussi.

 J’ai essayé de veiller, mais je me suis endormi, dit-il en arrêtant le moniteur.

 Elle l’a envoyé à quelle heure ?

 2h11, répond Florian après avoir regardé son téléphone.

Typhaine pousse un long sifflement.

 La vache, elle a bien pris son temps ! s’étonne-t-elle.

 J’ai hâte de savoir si la caméra a bien filmé.

 On va peut-être un peu la laisser se reposer avant d’aller la voir.

 Oui, t’as pas tort. Elle doit être morte, la pauvre.

 Petit-déj’ en attendant ?

 Avec plaisir !

Ils descendent et prennent leur temps pour petit-déjeuner.

Dans le cas où ils auraient toutes les images qu’il leur faut, Typhaine a émis l’idée de renvoyer Shama en France avant de se confronter à Stover, histoire d’éviter qu’il ne lui vienne à l’esprit de la retrouver pour se venger. Florian a vivement acquiescé, il a déjà des remords d’avoir fait prendre de si gros risques à son amie et il ne veut pas en rajouter.

Aux alentours de dix heures, ils décident d’aller voir Shama. Ils passent d’abord par la chambre de Typhaine pour prendre son ordinateur portable, puis ils se rendent dans celle de l’Indienne.

Florian tapote doucement à la porte.

 Si elle dort, t’as intérêt d’y aller plus fort si tu veux qu’elle se réveille, suggère Typhaine.

 Oui ben ça va, j’ai pas non plus envie de lui faire peur !

Florian frappe un peu plus fort, cette fois-ci. Après une poignée de secondes, la porte s’ouvre ; apparaît alors le visage pétrit de sommeil de Shama.

 Ça va, chérie ? demande Florian d’une voix douce.

L’Indienne, les yeux à demi-fermés, répond par un grognement avant de repartir vers son lit. Typhaine et Florian entrent dans la chambre pendant que Shama traîne des pieds jusqu’à s’affaler sur son matelas et s’enrouler dans la couette.

Le plug trône sur une table. Pendant que son ordinateur s’allume, Typhaine retire sans ménagement la caméra du jouet et récupère la carte mémoire pour l’insérer dans son pc.

 Le fichier fait plusieurs giga, c’est déjà une bonne chose, se rassure Typhaine.

Fébrilement, elle double-clique dessus ; un écran noir s’affiche.

 C’est normal ? s’inquiète Florian.

 Oui, ça a commencé à filmer quand on était encore au bar, avec le cache dessus.

Typhaine avance dans la vidéo. Quatre, huit, dix, quinze, vingt, vingt-cinq minutes, toujours rien. Quand enfin, à la 28e minute, Shama apparaît à l’écran, assise sur le visage de Stover. Deux immenses sourires s’affichent sur les visages de Typhaine et Florian. La rouquine monte le son.

«  J’ai rien entendu !

 Kenneth Stover.

 Plus fort !

 Kenneth Stover !

 Et il aime bouffer le cul de sa maîtresse, Kenneth Stover ?

 Oui, il aime beaucoup, maîtresse !

 Alors bouffe, chien ! »

 Putain, il dit même son nom, ce con ! glousse Typhaine.

 C’est énorme, putain, c’est énorme ! rajoute Florian.

Ils regardent quelques extraits de la vidéo en alternant cris de joie et de douleur.

 La vache, t’y es pas allée de main-morte, lance Typhaine, le pire, c’est qu’il bande, ça lui plaît vraiment !

Florian saute sur le lit pour enlacer Shama.

 T’es la meilleure, ma chérie ! se réjouit-il en embrassant toutes les parties visibles de son visage.

Shama ronchonne, mais esquisse quand même un sourire.

 Ça a bien filmé ? murmure-t-elle.

 Et comment ! On a de quoi faire un film avec ce qu’on a ! s’exclame Florian.

Voilà un moment de bonheur comme il n’en avait plus connu depuis des lustres ! Enfin, il tient un moyen de pression pour que Stover stoppe son chantage.

 Je vais dans ma chambre pour monter la vidéo, dit Typhaine en fermant son pc, qu’elle prépare ses affaires, son vol décolle en milieu d’après-midi.

 Hein ? Quoi ? sursaute soudainement Shama alors que Typhaine sort de la chambre, je repars pas encore quand même !

 Si, c’est mieux, confirme Florian.

 C’est cette peste qui veut que je me barre, c’est ça ? râle-t-elle en plissant les yeux de colère.

 Non, c’est moi qui ai décidé ça, ment Florian.

 Mais pourquoi ?

 Même si ce n’est pas flagrant avec ce que tu as vu cette nuit, Stover est un homme très dangereux. Il a beaucoup de relations haut placés et je n’ai pas envie qu’il remette la main sur toi quand il comprendra que tu l’as piégé. Tu as déjà pris beaucoup de risques et c’est hors de question de continuer à t’en faire prendre plus que de raison.

Shama soupire en se laissant retomber lourdement sur le lit.

 C’est nul ça, moi qui voulais aller à Venice Beach, bougonne-t-elle.

 Je sais, ma belle, je suis désolé. Je suis certain que tu auras l’occasion de revenir un de ces jours.

 Mouais, c’est pas gagné C’est quand que vous devez le voir pour lui montrer les images ?

 Normalement, demain midi. On partira aussi dans la foulée.

 OK. Bon ben je vais aller préparer mes affaires, alors, dit Shama, déçue.

 Prends un peu de temps pour toi et détends-toi dans un bon bain. Je passe te chercher vers midi, on ira se faire un bon gueuleton pour fêter ta réussite !

Comme promis par Florian, ils vont déjeuner tous les trois.

L’ambiance est très détendue grâce à l’évolution de la situation. Certes, rien n’est encore plié, car tant que Stover n’a pas dit qu’il arrêtait son manège, JFD Comm’ est toujours en sursis, mais le plus délicat est derrière eux. Shama n’a pas envoyé de petites piques à Typhaine, elle l’a laissé tranquille durant le repas. Non pas que la rouquine soit soudain devenue une grande amie, mais elle n’a pas envie de gâcher son plaisir d’avoir réussi sa mission.

                                                                          *************

Une fois de retour à l’hôtel, Florian accompagne Shama dans sa chambre pour l’aider à porter ses affaires.

 Dis, Flo, j’ai deux petits services à te demander, dit-elle à son ami alors qu’elle boucle sa valise.

 Tout ce que tu veux !

 Comme j’ai rompu avec David et que je n’ai pas forcément envie de cohabiter avec Camille, même si elle me l’a proposé, je voudrais savoir si je pouvais aller chez toi le temps de me trouver un appart’. Comme tu habites chez Jenny

 Bien sûr ! Par contre, je dois rendre les clés d’ici deux semaines au proprio.

 Pas de soucis, je pense que ça suffira pour louer quelque chose. Et puis si jamais je n’ai pas trouvé à ce moment-là, j’irais chez Camille. Elle est un peu chiante à vivre, mais tant pis.

 Tu peux aussi venir chez Jenny, elle n’y verrait aucun inconvénient, j’en suis certain.

 Sans doute oui, mais on verra le moment venu.

 Les clés sont dans ma chambre, je passerai les chercher avant qu’on aille à l’aéroport.

 Super, merci !

 Avec plaisir ! Et pour le second service ?

Shama devient soudainement bien plus gênée et baisse la tête, ce qui étonne Florian qui n’a pas l’habitude qu’elle se comporte ainsi.

 Ça va ? s’inquiète-t-il.

 Oui oui, c’est juste que c’est un peu spécial, chuchote-t-elle.

Après quelques secondes d’attente, elle relève le visage vers Florian.

 Voilà, commence-t-elle, tu te souviens de la première fois où je suis venue chez toi, et surtout de ce qu’il s’y est passé ?

 Et comment ! La peau de mes fesses porte encore la marque de tes ongles ! blague-t-il.

Shama sourit.

 Comme tu me l’as déjà dit, avant ça, j’étais plutôt introvertie, et ce qu’il s’est passé avec toi m’a, en quelque sorte, permis de me lâcher.

 En effet.

 Bon, derrière, j’ai un peu fait n’importe quoi, mais là n’est pas la question. Tout ça pour dire que c’est ce jour-là et avec toi que pas mal de choses ont changé.

 Où tu veux en venir, Shama ?

 Aujourd’hui, je suis de nouveau à un tournant, j’ai envie de passer à autre chose, envie de mettre un peu de côté tous ces trucs extrêmes que j’ai pu faire. C’est pas que ça ne me plaît plus, juste qu’il faut que je remette un peu d’équilibre à ce niveau.

 Je sais, tu me l’as déjà dit hier, mais je ne vois pas le rapport avec moi.

Shama s’approche tout près de Florian.

 J’ai envie de le débuter avec toi, ce nouveau tournant.

Elle plante ses yeux dans les siens.

 Fais-moi l’amour, Florian, fais-moi l’amour comme tu le ferais à Jenny.

Florian est estomaqué par la demande de son amie ; il scrute au plus profond de son regard et n’y voit que de la sincérité. Shama n’a pas envie d’une baise musclée comme elle n’est que trop habituée à en vivre, elle veut ressentir autre chose, de la passion, de la sensualité, de l’amour. Elle sait pertinemment que Florian ne l’aime pas comme il aime Jenny, mais elle sait aussi qu’il est capable d’être d’une infinie douceur, et c’est tout ce qu’elle attend de lui.

Après quelques instants à l’observer en silence, Florian lui sourit. Il attrape ses mains et joint ses doigts aux siens, puis il se penche pour lui offrir un baiser. Ils s’enlacent alors amoureusement, leurs mains se caressant lascivement. Florian entraîne lentement Shama vers le lit et la fait allonger. Il entreprend de la déshabiller tout en continuant de la couvrir de baiser. Elle savoure les douces attentions de son ami dévoué et déguste la douceur de ses gestes sur sa peau, une peau qu’il était plus souvent habitué à maltraiter qu’à caresser. Son corps, Florian le connaît par cur, mais il a l’impression de le redécouvrir. Il n’avait jamais remarqué à quel point sa peau est douce et chaude ; son épiderme exhale une légère saveur épicée qu’il prend, à présent, tout le temps d’apprécier.

Comme Shama le désirait, Florian lui a fait l’amour, et à la fin de leur étreinte passionnée, elle a pleuré. Non pas grâce à son partenaire, même s’il l’a parfaitement comblé, mais parce qu’elle s’est rendu compte à quel point elle avait oublié ce que c’était que de faire l’amour de la manière la plus pure et simple qui soit. Ce frisson divin a réveillé une flamme trop longtemps étouffée par ses habitudes sexuelles démesurées. À présent, elle compte bien ne pas s’arrêter en si bon chemin, mais encore faut-il trouver la personne avec qui vivre tout ça.

Après s’être rhabillé, Florian sort de la chambre pour se rendre dans la sienne et récupérer les clés de son appartement. Il voit Typhaine arriver, elle s’apprêtait à venir les chercher.

 Bordel, mais vous foutez quoi ? L’enregistrement des bagages doit être fait à l’avance ! s’exclame Typhaine.

 Euuuh oui oui, on on a juste un peu parlé, c’est tout mais elle est prête, c’est bon, bafouille Florian.

Arrivée à hauteur de Florian, Typhaine fronce les sourcils et se penche pour le sentir.

 Qu’est-ce qu’il y a ? demande-t-il.

 Hum rien, on dirait que votre discussion était assez rapprochée. Tu vas où ?

 Chercher un truc dans ma chambre, répond-il en éludant la réflexion de Typhaine et en continuant sa route.

La rouquine va frapper à la porte de Shama.

 Oh, salut, dit l’Indienne.

 Je venais te saluer, avant ton départ.

 Ah ben rentre, vas-y, l’invite-t-elle.

Malgré la fenêtre ouverte, une odeur de sexe plane dans la pièce. Si Typhaine n’avait déjà pas des masses de doute après avoir croisé Florian, à présent, elle n’en a plus du tout quant à la raison de leur retard.

 Je sais que tu ne m’aimes pas et que tu te moques de ce que je pense, mais je voulais quand même te remercier. Sans toi, on n’aurait jamais eu ces images, dit Typhaine.

 Pas de problèmes, répond Shama.

 Malgré ce que tu peux imaginer de mes intentions, mon seul souhait, c’est que Jenny aille mieux et que Florian et elle soient heureux ensemble. C’est la seule raison qui m’a fait l’accompagner jusqu’ici.

Shama se poste devant Typhaine avant de pousser un long soupir.

 Merci à toi aussi, finit-elle par dire, sans toi, Flo et moi n’aurions pas pu faire tout ça. Maintenant, n’imagine pas que j’ai changé mon fusil d’épaule te concernant, mais je veux bien te laisser le bénéfice du doute. Florian semble avoir confiance à toi, donc l’avenir nous dira s’il a raison ou tort !

 Eh bien, c’est un bon début ! sourit la rouquine.

 Peut-être à bientôt, Typhaine, la salue l’Indienne en lui tendant la main.

 Je l’espère. Bon voyage, Shama.

Les deux femmes se serrent la main et se quittent avec un sourire.

                                                                  ************

Après avoir enregistré ses bagages, Shama discute avec Florian en attendant l’embarquement.

 Et sinon, il y a quelque chose que j’ignore entre Typhaine et toi ? demande innocemment Shama.

 Tu ne vas pas recommencer avec ça, je t’ai dit qu’il n’y avait rien ! Pourquoi tu insistes ?

 Je ne sais pas, durant le séjour, j’ai ressenti une sorte de tension, entre vous.

 Une tension ?!? s’étonne-t-il. Ah non, pas du tout, on s’entend juste bien, rien de plus.

 Oui, ça, je l’ai remarqué que vous vous entendiez bien, reste à voir jusqu’à quel point.

 Qu’est-ce que tu sous-entends, Shama ?

 Ben à toi de me dire.

 Bon, ça va, OK, t’as gagné. On a couché ensemble, voilà ! La veille de ton arrivée, mais c’est tout !

Shama éclate de rire.

 Wahou, quel scoop ! s’esclaffe-t-elle.

 Quoi ?

 Je ne suis pas conne, Flo, je me doute bien que vous avez couché ensemble ! Déjà que t’as pu t’empêcher de lui masser le cul alors qu’il y avait Jenny juste à côté, j’imagine bien qu’en étant seul avec elle à plusieurs milliers de kilomètres, tu n’allais pas te contenter de la regarder dans le blanc des yeux.

 T’insinues quoi ? Que c’était prémédité ? Si tu penses ça, tu te trompes lourdement !

 J’ai pas dit ça, Flo, mais je te connais, c’est tout. Bref, tout ça pour dire que ça ne m’étonne pas. Je voulais plutôt parler de choses plus sérieuses.

 C’est-à-dire ?

 Que vous ayez couché ensemble, c’est pas dramatique en soi, sauf que j’ai comme l’impression que ça va au-delà du sexe. Ta manière de te comporter avec elle, et surtout de la regarder les yeux ne mentent pas.

 Et comment je la regarde ?

 Tu la regardes parfois comme comme tu regardes Jenny.

 Et je la regarde comment, Jenny ?

 Comme si c’était la huitième merveille du monde.

Florian arque les sourcils.

 Je ne vois pas trop ce que tu vas penser, Typhaine et moi, on a couché ensemble, c’est tout. Ce n’est pas raisonnable, j’en ai bien conscience, mais ça ne va pas plus loin. Je ne sais pas ce que tu t’es imaginée voir dans mon regard, mais tu te trompes.

 OK. Si je te dis ça, c’est juste parce que je sais que depuis que Jenny a eu son accident, tu es plus vulnérable et je n’ai pas envie que tu te fasses avoir. Typhaine a déjà brisé ton couple avec Marion, je ne voudrais pas qu’elle recommence.

 Elle ne cherche pas à m’éloigner de Jenny, elle n’est pas comme ça, je t’assure.

 Elle l’a déjà été, pourtant.

 J’ai appris à mieux la connaître pendant ce voyage et crois-moi, Typhaine n’est pas comme tu l’imagines.

 C’est peut-être ce qu’elle veut te faire croire.

Florian reste silencieux, il ne veut pas raconter tout ce qu’il sait, par respect pour Typhaine.

 Fais-moi confiance, Shama, se contente-t-il de répondre.

Elle le fixe sans ciller.

 Quand Jenny se réveillera, elle aura besoin de toi, et pas juste une seule moitié.

 Je serais entièrement là pour elle, promet-il.

 T’as intérêt, sinon, je te jure que je prendrais un malin plaisir de te faire subir la copie conforme de tout ce qu’a enduré Stover ! le prévient-elle d’une moue faussement colérique.

 Je vais me tenir à carreau, alors !

L’embarquement débute et les deux amis s’enlacent longuement pour se dire au revoir. Florian attend de voir décoller l’avion de Shama avant de rentrer à l’hôtel.

Il ne reste maintenant plus qu’à se confronter à Stover, ultime étape, et non des moindres, avant de pouvoir crier victoire.

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