4-
J’avais un mois à patienter, ronger mon frein. Un mois. Une éternité. Malgré tout, je profitai de rares et courts moments où je restais seul à la maison pour faire quelques essayages. Depuis que j’avais mis la robe de Léa, je compris que j’avais accès à tous ses placards. Je fouillai dans ses dessous, découvris des bas autofixants, des minijupes, des hauts, etc. une vraie caverne d’Ali Baba.
Pendant ces quelques dizaines de minutes, je pouvais redevenir Sarah, perchée à dix centimètres au-dessus du sol.
Les vacances de Noël arrivèrent enfin. Je n’étais plus qu’à deux semaines de ma soirée. Mais quelle ne fut pas ma surprise lorsque Maman m’annonça que je devais à nouveau redevenir Sarah pour parfaire mon rôle et avoir la meilleure chance de gagner le fameux concours.
Evidemment, de grognai et râlai, disant que ça pouvait attendre et que de toute façon, connaissant mes tantes et les précédents concours, je n’avais aucune chance.
Maman ne voulut rien entendre et me demanda de remettre la robe noire de Léa. Sauf que cette fois, il y avait une modification à mon costume.
Je repassai à la salle de bains pour une épilation intégrale. Mais à l’issue, Maman me demanda d’attendre là.
Elle revint quelques instants plus tard avec une boite.
— Il te manquait une chose la dernière fois, dit-elle.
Des faux-seins !
J’exultai intérieurement.
— C’est obligé ? demandai-je, faussement contrit.
— Obligatoire même ! trancha Maman.
Elle les colla littéralement sur mon torse et comme d’un coup de baguette magique, je me retrouvai avec une jolie poitrine volumineuse et lourde. Certes, je n’étais pas au même niveau que ma mère ou même ma sur, mais c’était déjà très bien.
Et qui disait poitrine, disait lingerie adaptée. Maman m’aida à mettre un soutien-gorge noir tout en dentelle du plus bel effet. J’étais à deux doigts d’avoir une érection.
— Va dans ta chambre et finit de t’habiller. Ensuite, je t’apprendrai à te maquiller.
Je trouvai la robe noire de ma sur et une paire de collant. Mes précédents essayages m’avaient prouvé que des bas étaient incompatibles avec cette robe. Dès que je m’asseyais, elle remontait trop haut dévoilant les jarretelles.
J’enfilai les collants par-dessus le string assorti au soutien-gorge, passai la robe et chaussai les escarpins. Je rejoignis Maman au salon.
Ma nouvelle poitrine m’obligea à réapprendre à marcher avec mes talons, d’autant plus qu’elle modifiait aussi mon champ de vision. Par contre, j’avais désormais un joli décolleté.
On retourna à la salle de bains et Maman m’expliqua le B-A-BA du maquillage. Je tachai de ne pas montrer le plaisir que je prenais à cet exercice, ratant volontairement le trait de crayon ou mettant la brosse du mascara dans l’il.
Ce qui agaçait Maman.
Elle me prêta quelques-uns de ses bijoux et me parfuma. A sa demande, j’allai m’admirer dans le miroir.
— Comment tu te trouves ?
Je ne répondis pas, me contenant d’hausser les épaules. En réalité, je me trouvais super jolie. J’osai me regarder sous toutes les coutures, soupesant mes seins.
— Il reste une dernière chose, dit Maman. Suis-moi.
On alla au salon et je m’installai à un bout de la table. Maman me fit face et posa un flacon de vernis à ongle et une petite pochette. Je compris que j’allais avoir des ongles longs et vernis. Le fin du fin. La touche ultime.
L’opération dura un certain temps mais le résultat était superbe. Revers de la médaille : la moindre action des plus banales se transformait en aventure.
— Et voilà, dit Maman, satisfaite. Une vraie petite femme.
— Si tu le dis
— Oh arrête ! Je sais parfaitement que tu kiffe d’être en fille.
— Mais non ! répliquai-je, au bord de la panique.
— C’est ça, prends-moi pour une idiote !
Je baissai la tête, penaud.
— Alors c’est vrai ? Tu aimes être habillée en fille ?
Je me décomposai ! Maman avait appliqué une tactique vielle comme le monde : prêcher le faux pour savoir le vrai. Et j’étais tombé dans le panneau.
Je ne répondis rien. A quoi bon.
Je m’habituai à mes faux-ongles, à mes talons hauts. Léa laissa échapper un sifflement admiratif.
— Eh bien dis donc ! Une vraie meuf, plus vraie que nature, commenta-t-elle. Tu vas faire un carton le trente-un.
La soirée se passa tranquillement, devant la télé. Léa me donna définitivement la chemise de nuit et tout le monde gagna sa chambre.
Je repensai à cette journée. Maman savait pour moi et mes nouveaux penchants et il y avait fort à parier qu’elle allait tout raconter à Papa. Si ce n’était pas déjà fait. Mais d’un autre côté, j’étais plus sereine. Je n’avais plus besoin de me cacher ni jouer la comédie. La seule inconnue résidait dans les limites qu’on allait me fixer tôt ou tard.
Je me regardai dans le miroir. Je me trouvai jolie, même féminine bien que démaquillée. Mes pieds m’attirèrent et je décidai qu’ils devaient prendre un peu de couleur.
Je filai discrètement vers la salle de bains et fouillai dans le tiroir sous le lavabo. Je mis un peu de temps à me décider et optai finalement pour un rouge sombre. En passant devant la chambre de mes parents, j’entendis des bruits qui ne laissèrent aucun doute sur ce qui s’y passait.
Je vernis mes orteils délicatement. C’était la première fois que je me risquai à cet exercice et mes ongles longs ne me facilitaient pas la tâche. J’attendis non sans impatience de passer la deuxième couche.
Je m’allongeai sur le lit, admirant mes petons. Mon sexe s’anima. Je me laissai aller à mes pulsions pour m’adonner au plaisir solitaire.
Avec les fêtes qui approchaient, tous les centres commerciaux étaient ouverts le week-end. Maman décida d’affronter la foule pour faire quelques achats. Papa déclina l’invitation, prétextant que les bains de foule, c’était pas son truc.
Nous partîmes donc entre filles. Première épreuve : trouver une place de parking. J’avais changé mes escarpins contre les bottes aux talons plus petits et plus larges. Ce fut la première fois que j’appréciais cette séance de shopping. Tous les clients pressés par les achats en retard ne firent pas attention à moi. J’osai regarder plus en détail les robes de fêtes, m’imaginant dans chacune d’elles. Maman ne disait rien. Léa regardait ailleurs.
— Elle te plait ? demanda Maman à voix basse tandis que je détaillai un robe en dentelle et paillettes.
— Oui, osai-je répondre.
Maintenant qu’elle savait, plus la peine de jouer la comédie.
— Tu veux l’essayer ?
Je jetai un coup d’il à ma sur.
— Qu’est-ce qu’elle va dire ?
— Que veux-tu qu’elle dise ? Allez, prend-là !
Je ne me le fis pas dire deux fois.
Léa nous rejoignit dans les cabines d’essayage alors que je sortais de la mienne. Elle s’arrêta net.
— Eh bien ! Pour quelqu’un qui n’aimait pas s’habiller en fille, je trouve que tu y prends gout. Cela dit, elle te va très bien cette robe. Je suis presque jalouse.
Le compliment me toucha autant qu’il m’inquiéta.
— Je n’aurai pas dû, dis-je en rentrant dans la cabine.
— Je n’ai rien dit à ta sur, dit Maman en passant la tête par le rideau. J’avoue que j’ai joué avec le feu et je ne m’attendais pas du tout à ce que tu aimes t’habiller en fille. J’en ai parlé avec ton père et si tu veux passer les vacances en tant que Sarah, on n’y voit aucun inconvénient.
— Et Léa, qu’est-ce qu’elle va dire ?
— Ne t’inquiète pas pour ça.
Je ressortis de la cabine changée. Léa détaillait le tombé d’un pantalon.
— Je me disais un truc, annonça maman à Léa. Je pense que Thom devrait passer les vacances en fille pour se mettre vraiment dans le rôle. Juste un week-end, ça ne va pas suffire. Qu’est-ce que tu en penses ?
Ma sur me toisa de la tête aux pieds et inversement. Un sourire malicieux, presque sadique, s’afficha sur son visage.
— Oui, c’est une bonne idée. L’habit seul ne fait pas le moine, conclut-elle sentencieusement.
Maman avait habilement transformé mon nouveau désir de féminité en ce qui pour Léa tenait de la corvée, voire de la punition. J’étais sauvée.
— Parfait ! dit Maman. Tu n’auras qu’à lui prêter tes fringues.
— Pas de souci, répondit Léa. J’en ai plein que je ne mets plus.
Maman régla la note de nos achats dans lesquels se trouvait la robe que j’avais essayée. On passa par la boutique de lingerie et nous choisîmes de quoi tenir deux semaines. Enfin, je quittai le supermarché avec une trousse à maquillage garnie.
5-
C’est ainsi que commença ma nouvelle vie de fille. Mais très vite, je me rendis compte que les talons hauts ne se conjuguaient pas au quotidien. Ce fut Léa qui me guida dans une nouvelle virée shopping de laquelle je revins avec des chaussures plates : ballerines, sneakers, boots.
Nous passâmes le réveillon de Noël en famille. Pour l’occasion je revêtis la robe que j’avais essayée une semaine plus tôt. Mais entre temps, j’étais ressortie en ville pour m’offrir des dessous qui allaient avec. Soit un ensemble string, soutien-gorge, porte-jarretelles. Et surtout des bas à couture.
J’avais mis un temps fous pour les mettre, vérifiant sans cesse que la couture était bien droite. Avec mes escarpins à talons hauts, je me trouvais divine. D’autant plus que j’avais passé pas mal de temps sur Youtube et ses tutoriels de maquillage.
Lorsque je fis mon entrée dans le salon, Léa resta bouche-bée.
— Eh bien dis donc, Maman. Tu t’es surpassée !
— Je trouve aussi, dit-elle.
Je ne répliquai pas, lui laissant la propriété de mon travail. Cela restait le meilleur moyen pour laisser ma sur dans l’ignorance de mon penchant.
Nous étions invités le lendemain chez mes grands-parents paternels. Malgré tout, Maman et Papa acceptèrent que j’y aille en fille, qu’ils leurs expliqueraient le comment du pourquoi. Léa jubilait, imaginant déjà la réaction scandalisée de Papi et Mamie.
Elle fut déçue. Car pas d’esclandre. Juste un étonnement et un grand éclat de rire.
— On saura quoi t’offrir pour ton anniversaire, railla Papi.
— Arrête de dire des bêtises, tempéra Mamie. C’est juste un déguisement. Ça ne va pas durer.
Elle partit dans la cuisine vérifier la cuisson du gigot.
— Mais c’est dommage, reprit-elle en revenant, ça lui va bien la jupe.
Le réveillon de fin d’année n’était plus qu’une question d’heures. Je me déguisai donc en petit chaperon rouge, avec les bas blancs et les bottines rouges à talons. Je me sentais bien. Heureuse.
Léa s’était grimée en son idole, le handballeur Nicolas Karabatic avec son maillot de l’équipe de France. Elle avait poussé le réalisme en trouvant sur Internet des collants avec des poils.
Papa et Maman faisaient des Bonnie and Clyde assez angoissant avec leur mitraillette Thomson en plastique. Mais c’était surtout Papa qui m’épata avec sa perruque et son maquillage année trente.
Mais je compris très vite que mes chances au concours du meilleur déguisement étaient sérieuses lorsqu’en arrivant, Taties Ghislaine et Marianne, qui assurait le pointage des participants, grognèrent en me voyant.
— On avait dit que les filles devaient se déguiser en garçon !
— Mais je suis déguisée, répliquai-je.
Elles restèrent coites, me dévisageant un long moment et me firent entrer.
Il y avait de tout. Et si je ne m’attardais pas trop sur les femmes (donc en garçon), j’observai la concurrence.
Il y avait beaucoup de Conchita Wurst, pratique pour dissimuler la barbe, des femmes banales. Mais celui qui amusa beaucoup l’assistance fut Tonton Patrick.
Patrick, un cousin de Maman était un homme à part. Il aurait très bien pu être le quatrième membre des ZZ top à cause de sa barbe et de ses lunettes noires, mais aussi jouer la doublure d’Obélix si on s’arrêtait à son ventre. Toujours habillé en cuir, sa passion pour les Harley aurait pu faire de lui un chef de gang genre Sons of anarchy, s’il n’avait pas du sang de Bisounours dans les veines. Beaucoup comme moi attendait de savoir comment il allait arriver. Et on ne fut pas déçu. Patrick s’était transformé en danseuse du ventre ! Certes, une danseuse plus qu’enceinte. Mais il déclencha l’hilarité générale.
Je fis aussi une autre constatation : j’étais la seule en talons hauts !
La soirée battait son plein. Je dansais, riais. On détailla mon déguisement. Certains et certaines n’hésitèrent pas à soulever ma jupe et découvrir avec effarement mes bas tenus par des jarretelles et s’étonnant d’un tel souci du détail.
Juste avant le décompte qui allait mettre un terme à l’année écoulée, Ghislaine et Marianne montèrent sur le podium pour annoncer le résultat du concours.
— Cette année, commença Ghislaine, il n’y aura pas une mais deux récompenses. Une pour le déguisement garçon et une autre pour le déguisement fille.
— Je savais qu’avec un thème pareil, on n’allait pas être déçu continua Marianne. Et vous vous êtes surpassés. Comme toujours. On va commencer par le déguisement garçon.
— Je crois que vous savez tous et toutes qui a gagné ? repris Ghislaine.
Un « Oui » général monta du public
— Le vainqueur, ou plutôt les vainqueurs du déguisement garçon sont LES VILLAGE PEOPLE !!!
Le petit groupe monta sur scène chercher leur trophée. Lorsqu’elles étaient arrivées en début de soirée, elles avaient fait une énorme sensation, réduisant à néant les chances de tous les autres candidats. Et elles avaient poussé le détail en rejouant en live la chorégraphie complète du tube planétaire YMCA
— Mais avant de remettre le prix du déguisement fille, on voudrait remettre un prix spécial à Marc et Sophie, nos Bonnie and Clyde.
Tous applaudirent, Papa et Maman mimant une rafale de mitraillette
— Pour le déguisement fille, reprit Ghislaine, on a eu beaucoup de mal à choisir. Car on s’est très vite aperçu qu’on ne savait sur quels critères juger. La précision, le réalisme, l’humour Finalement, on a tranché. Le meilleur déguisement est celui qui ne se voit pas. Et le gagnant
— Ou la gagnante, ajouta Marianne en riant
— Oui la gagnante, car je crois que ce soir elle a fait plus que se déguiser est est Thomas Lebon !
Tout le monde applaudit, moi y compris ne réalisant pas que c’était mon nom qui avait été cité.
— Thomas ? Où es-tu ?
— Oh Sarah, c’est toi qu’on appelle, dit Maman en me donnant un coup de coude
— Quoi ?
— C’est toi qui a gagné. Va chercher ta coupe.
Je fendis la foule et montai sur scène.
— Incroyable non ? dit Ghislaine.
Elle me prit par la main et me fit tourner sur moi-même. La jupe se relevant juste assez pour dévoiler la lisière des bas.
Marianne me remit la coupe.
— Merci, merci dis-je.
Ghislaine reprit le micro devant mon mutisme.
— Il reste encore quelques minutes avant de changer d’année. Amusez-vous bien !
La musique repartit de plus belle.
— Bravo ! dit Maman. Finalement, ça a payé !
— Oui, oui. Mais après ?
— Après quoi ?
— Non rien.
Car la parenthèse enchantée allait bientôt se refermer. Sarah allait disparaitre pour laisser revenir Thomas.
Nous rentrâmes au petit matin et je restai au lit jusqu’au début de l’après-midi. Quatorze heures du mat’ s’amusait à dire Papa lorsque Léa émergeait au moment du dessert. Papa et Maman étaient partis pour aider à ranger la salle.
Je m’habillai malgré tout en fille. Tant pis. Je voulais en profiter jusqu’à la dernière minute.
Aussi, Léa fut étonnée de me voir ainsi.
— Je pensai que tu allais revenir comme avant.
— C’est de votre faute. Vous m’avez tellement habitué que j’ai pris le pli.
Elle me regarda de travers.
— C’est ça prend-moi pour une conne aussi. En fait, tu kiffe de t’habiller en fille ? Hein, c’est ça ?
— Non, c’est juste que j’ai pris l’habitude.
— Mais oui, bien sûr. Cela dit, je m’en fous. Tu fais ce que tu veux. Hein, frangine !
Voilà, c’était fait. Maman savait. Papa savait. Et maintenant Léa savait. J’étais officiellement le travesti de la famille.
Restait juste à savoir comment j’allais pouvoir vivre ma nouvelle vie de fille ou plutôt jeune femme.