Ma société étant proche de lappartement, nous faisons le trajet à pied. Il fait chaud mais je suis glacé intérieurement. Moi qui ne suis pas croyant, je prie pour quil ne soit rien arrivé à Lucy. Egoïstement, je me dis que je ny résisterais pas, ce serait un choc terrible pour Mandy. Mais il ny a pas que ça, il faut bien me lavouer. Hier jai été séduit par le charme indéniable de la jeune femme, sa beauté, sa fragilité. Elle me donne envie de la protéger, de la serrer contre moi Bon, je me fais leffet davoir un cur dartichaut, mais cest plus fort que moi. Et puis ses yeux Sils sont le miroir de lâme, celle-ci est une grande âme, à nen pas douter.

Dépitée, Mandy coupe la communication après avoir remercié son interlocuteur. Lucy nest pas passée à son travail et son patron est inquiet. Ma fille ne dit rien mais sa lèvre inférieure tremble et ses yeux débordent. Je serre sa main pour lui communiquer le courage dont je manque cruellement et nous hâtons le pas.

Quand nous sortons de lascenseur , Mandy pousse un cri aigu :Lucy est recroquevillée en position ftale contre la porte dentrée. Nous nous précipitons et la relevons, affolés mais aussi rassurés de la savoir vivante. Elle lève un visage éploré, ses yeux rougis et larmoyant déchirent mon cur trop malmené.

Pardon, balbutie-t-elle. Je naurais pas dû mimmiscer dans votre vie. Je suis venue mexcuser

Texcuser de quoi ? coupe ma fille dune voix cassée par ses pleurs.

De Je ne veux pas vous juger, tu sais. Je sais que tu as souffert, ton père est si beau Je dis des bêtises, je vais partir, vous laisser.

Tu ne vas nulle part, Lucy. Tu es ici chez toi, je te lai dit. Ma fille et moi avons à te raconter une histoire. Des trucs privés, intimes, mais je pense que nous devons faire table rase et ça passe par ça.

Vous navez pas à faire ça, proteste-t-elle. Je ne suis rien pour vous.

Rien ? Si tu pars, nous serons détruits, autant Mandy que moi, et toi aussi, probablement. Il est temps de se serrer les coudes et de parler.

Pas convaincue, mais lasse de discuter, Lucy hoche la tête et nous nous installons dans le salon, en triangle comme la veille. Après distribution deau pétillante, je parle. De moi, de Nastya, de mort, dalcool, de rédemption. Je démarre difficilement, cherchant les mots, bégayant sous le coup de lémotion quand jévoque mon épouse défunte. Puis je trouve un rythme quasi hypnotique, aborde ma déchéance, lultimatum de ma fille et ma lutte pour remonter à la surface.

La trahison de Serge, elle connaît. Elle sait que Mandy a été dévastée ; mais elle ne savait pas rien de ma traversée de lenfer et tout ce que ma fille avait fait pour moi. La jolie métisse réalise quil ny a pas de vainqueur ici, juste des vaincus, brisés par la mort de lépouse, de la mère. Elle se lève et vient se couler à mon côté avant de menlacer. Elle embrasse mon cou et le nourrit de ses larmes.

Je suis désolée, vraiment. Je ne savais pas ce que vous aviez vécu, mais je comprends un peu. Papa est mort lan dernier et jai été mal. Il a toujours été distant avec moi, et jétais loin de lui depuis longtemps, mais jai souffert plus que je ne le pensais. Alors pour vous deux, je nose imaginer

En revenant de New York, Mandy a pris un nouveau coup au moral, nous étions au trente-sixième dessous. Je nai pas à justifier ce que nous avons fait, notre amour sest traduit différemment, nous avons donné du plaisir et reçu du plaisir. Pas de honte, pas de remords non plus.

Je crois que je comprends, vous savez. Quand on traverse lenfer, tout secours est bon à prendre. Vous avez été courageux de tout me raconter. Merci.

Nous partons tous trois au studio de Lucy pour laider à porter suffisamment daffaires chez nous. Je lui dit que je quitte Paris pour quinze jours en vacances dans le Lubéron, à ma surprise les deux filles ont proposé de maccompagner. Lucy avec grand réticence a admis quelle aimerait bien se changer les idées. Elle a des jours de congé à prendre, et aussi la possibilité de travailler sur des ouvrages à traduire nimporte où, pour peu quil y ait lélectricité et un accès au réseau Internet. Et puis, pourquoi le cacher, elle nous aime bien et nous fait confiance.

Moi qui comptait passer deux semaines à glander, profiter de la piscine et nabsolument rien faire, me voilà en charge de deux femmes qui vont me pourrir le séjour !

Non, je suis enchanté de partager la maison prêtée par mon meilleur pote Alex avec deux beautés sans pareilles. Nous partons le samedi matin, très tôt (vers 5 heures, et oui) pour éviter les bouchons. Presque sept heures de route en se partageant le volant de ma vieille Volvo, pour arriver devant le portail de la bastide dAlex. La partie rénovée nest pas très grande mais suffisante : trois belles chambres, chacune avec sa salle deau, un grand séjour avec cuisine américaine aménagée, un pool house avec spa, jacuzzi, rameur, home-trainer, vélo elliptique.

La terrasse est parfaite avec piscine à débordement et barbecue géant, les nombreuses dépendances permettent dabriter la voiture du soleil et contiennent plusieurs VTT, un quad et deux scooters. Le rêve après Paris et sa canicule polluée. Dautant que la vieille bâtisse, avec ses murs larges de plus dun mètre, conserve une fraîcheur bien agréable.

Je démarre le quad pour aller faire quelques courses à Gordes, à douze kilomètres de là. Les filles veulent papoter, et parfois un homme doit reconnaître quand il est de trop. À mon retour, je me coltine seul le transport des sacs de provisions, le rangement dans le frigo américain géant. Il fait chaud, mais pas comme à Paris ; déjà, il y a le chant des cigales en toile de fond, puis le vent qui souffle dans les chênes blancs et les cèdres assez nombreux par ici. Lair est incomparablement plus pur et sain, chargé dodeur de résine, de lavande, de thym et de romarin. Je range le quad et inspire à plein poumon.

Une joie simple. Javais oublié tout ça.

Comme je men doutais, les deux femmes sont dans la piscine. En me voyant tout habillé pantalon de lin bleu et chemisette à fleurs -, elle rient et me lancent :

Allez, viens ! Leau est géniale, tu vas voir !

Je file me changer et jarrive ! Mais il va bien falloir manger, il est déjà 14 heures.

Tu ne vas pas mettre un maillot, non ? crie ma fille.

Mettre un maillot ? Je mapprêtais à le faire ; mais je constate alors que les deux filles ne sen sont pas embarrassées. Prenant mon meilleur air décontracté, je commence à déboutonner ma chemisette, dénude mon épaule droite, fait glisser le tissu sur mon biceps avant denvoyer voler le vêtement sous les applaudissements nourris et les vivats.

Je suis encore bien foutu ; jusquà mes trente-cinq ans jai joué au rugby au Stade Français comme troisième ligne aile. Pas dans léquipe professionnelle, mais dans son antichambre. Javais le gabarit nécessaire avec mon mètre quatre-vingt treize et mes cent kilos, mais me manquaient le petit talent en plus, la volonté et labnégation nécessaires pour pouvoir et vouloir faire carrière. Jai préféré mon travail de cadre supérieur, et Nastya en était ravie.

Nastya. Mon visage sassombrit et je me fige, je vais masseoir sur un bain de soleil en teck et fourrage dans les mèches indisciplinées qui me servent de chevelure. Un coup de blues, comme si souvent. Cest comme un flash qui traverse mon cerveau, je pourrais ouvrir une bouteille de whisky et la boire entièrement en quelques minutes, rien que pour éteindre la douleur un instant.

Mandy est près de moi, elle sagenouille, nue et ruisselante. Elle pose la main sur mon épaule et chuchote :

Ce nest rien, je suis là. Tu es avec nous maintenant, respire fort, oublie un instant le passé et vis le présent, sil te plaît.

Je relève la tête et ses yeux inquiets plongent dans les miens. Je tente un sourire, pas très convainquant vu la mine dubitative de ma fille. Puis elle hoche la tête et se lève en me tendant la main. Elle est magnifique, sa peau claire constellée de gouttelettes semble irisée, sa petite poitrine danse la samba

Sans savoir comment, je me retrouve debout devant elle qui mencourage dun battement de cils. Jai conscience du regard appréciateur de Lucy, accoudée au bout de la piscine, ses aréoles brunes durcies au contact de leau pointant. Je baisse le pantalon sur mes cuisses et lenjambe pour le poser sur la chemisette puis, après un temps dhésitation, jôte mon boxer noir. Mandy madresse un beau sourire et prend ma main dans la sienne, elle me tire et je suis le mouvement, nous plongeons pieds en avant.

Je mébroue et me redresse comme Lucy sapproche de moi, pose ses mains sur mes épaules et se redresse pour membrasser chastement au coin de la bouche. Ma fille séloigne discrètement et nage sur le dos.

Merci, Pat. De mavoir acceptée, davoir une fille comme Mandy, dêtre ce que vous êtes. Je te présente mes condoléances, ta femme devait être fantastique pour vous avoir aimé tous les deux. Et être aimée autant.

Et toi, tu nas aimé que le prof de russe ?

Oui. Quelques amourettes avant, rien de sérieux. Avec lui, je croyais que ça y était. Comme quoi

Je te souhaite de rencontrer enfin quelquun dhonnête et qui te rendra heureuse.

Oh, je crois que je lai rencontré. Honnête, sensible, intelligent. Et qui a une fille adorable.

Je suis surtout déglingué et je ne sais pas si je suis capable de mengager, Lucy.

Je le sais. Moi aussi jai peur. Moi aussi jai souffert, pas comme toi qui a vécu lenfer, mais cest récent et je suis à vif. Mais je veux me battre et ne pas passer à côté de ma vie.

Je la repousse doucement à bout de bras et plonge dans ses yeux dorés si sérieux, si tendres Elle est belle, disponible, mais fragile et blessée par la vie. Je ne sais pas si les grands malheurs font les grandes histoires damour, et jhésite. Elle perçoit mon embarras et une vague de tristesse brouille ses traits, elle tente de se dégager pour couper court à cette discussion trop intime, mais je la retiens.

Attends. Tu es si belle, si jeune, tu as envie de tencombrer dun type comme moi, alcoolique, dépressif et qui a douze ou treize ans de plus que toi ?

Vu sous cet angle, évidemment, ironise-t-elle, sans parvenir à sourire.

Parce que moi, si jai été un dragueur impénitent quand jétais jeune, jai été fidèle à ma femme depuis le premier jour. Je ne veux plus papillonner, et si je mengage cest pour la vie. Tu comprends ?

Tenu. Je ne pourrai plus jamais faire lamour avec un homme que je naime pas. Tu voudrais bien me faire lamour, sil te plaît ?

Elle semble si fragile quand elle dit ça Elle quémande de lamour avec la peur au ventre dêtre à nouveau déçue. Mais elle a placé sa confiance en nous, en moi, et cest important de ne pas la décevoir. Jai la trouille mais je me force à sourire et lui fait signe : elle se rue dans mes bras, sa tête se niche contre mon épaule et elle se met à pleurer silencieusement en plantant ses ongles dans mon dos.

Je veux bien, Lucy. Mais je ne veux pas que tu sois malheureuse.

Elle sécarte juste assez pour me faire voir son visage éclairé par un sourire lumineux, ses yeux humides mais au vert éclatant, elle se quille sur la pointe des pieds pour embrasser mes lèvres.

Je suis heureuse. Mais javais peur que tu noses pas essayer, que tu te cantonnes dans le passé. Je te promets de ne jamais essayer de te faire oublier ton épouse, de ne jamais me mettre entre Mandy et toi, et de tout faire pour te rendre heureux. Viens, fais-moi lamour, je sens que tu en as envie.

Nous entrons dans la bastide en adressant un clin dil en même temps à Mandy. Elle rit aux éclats, la petite peste, et agite la main frénétiquement. Cest donc nus et main dans la main que nous arrivons dans la chambre que jai choisie. Les volets sont fermés, il règne une délicieuse fraîcheur. Nous allumons toutes les lumières, nous voulons voir lautre, surtout cette première fois. Lucy est magnifique, époustouflante. Les épaules larges, des seins un peu lourds et une taille étroite faisant paraître les hanches plus pleines, des cuisses fuselées de sportive

Tu fais beaucoup de sport, non ?

Pas mal de natation, jai fait de la compétition au CNM, le club du Mans. Mais depuis trois ans que je suis à Paris, je me suis calmée, je ny vais plus que deux fois par semaine. Et je fais du footing, aussi. Dis donc, tu as vraiment envie de moi ! Je navais jamais vu une bite aussi impressionnante.

Certaines filles avaient la trouille, quand jétais jeune. Mais je sais faire attention, tu sais.

Et je ne veux pas paraître indiscrète, mais avec Mandy, vous avez fait lamour

Ce qui sest passé entre nous, cétait soudain, miraculeux

Une échappatoire pour deux êtres malheureux.

Attention, je ne regrette rien, elle non plus dailleurs.

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