Les doutes et les remords sont vains. Elle sait bien qu’elle a fait la bêtise de sa vie, mais celle-ci est irrattrapable. Elle tourne dans sa tête mille fois les scènes qui se sont déroulées dans son salon, et elle revient toujours à cette conclusion facile que si Gabriel n’avait pas appelé… Mais avec des si le monde ne tournerait sans doute pas mieux. Et se morfondre ne la fera pas revenir en arrière. Elle se doit d’avancer et après le déjeuner, elle se décide. Une sortie « Couche-Tard » lui fera le plus grand bien. Alors en fin d’après-midi, le cérémonial de la douche suivi d’une séance de maquillage et la voici prête à affronter le monde de la nuit.
Mais cette fois, c’est en voiture qu’elle commence sa virée nocturne. D’abord passer chez ses amis qui tiennent un restaurant là-haut dans la montagne. Une sorte de chalet où ils servent des tartiflettes et des viandes fumées. Elle est accueillie par la bonne humeur coutumière de son amie Marine. Avec cette femme, elles ont fréquenté les bancs de l’école communale et sont restées très proches. Au fil des années les hommes aussi sont devenus des amis et les deux couples se fréquentent régulièrement. Marine, que tout le monde surnomme « Minouche » a épousé Alain, un ancien champion de ski, et ils ont fondé leur affaire au pied des pistes.
Alors ma belle ! Vous êtes de sortie ? Gaby n’est pas là ?
Non ! Tu sais bien… son séminaire annuel… et je n’ai pas le cur à rester seule.
Tu as bien fait. C’est calme ce soir. Si tu veux, tu peux aller voir Alain en cuisine. Tu dineras avec nous ?
Je ne sais pas trop. Je vais voir ton homme et j’aviserai.
De toute façon, comme la neige n’est pas encore là, tu vois la salle n’est pas… surchargée, nous devrions être libres de bonne heure.
Bon, je vais embrasser Alain…
Oui, j’arrive dans cinq minutes.
Laure a poussé les deux battants de la porte qui sépare la salle de la cuisine. Alain est occupé à ses fourneaux et il ne regarde pas qui arrive.
Marine… ma chérie, trouve-moi deux coupelles pour les fruits au sirop ! J’ai des soucis avec le four.
Bonsoir Alain. Dans quel coin elles se trouvent tes coupelles ?
Surpris par la voix qui lui répond, Alain se retourne brusquement. Et il sursaute à la vue de cette silhouette si agréable à regarder.
Ah ! Laure ! Excuse-moi, je croyais…
Oui, j’ai compris. Le temps de te faire un bec et dis-moi où ça se trouve…
Mais tu ne vas pas te salir… Bon Dieu comme tu es…
Ça va…
Elle s’est avancée et les lèvres douces trouvent une joue. Un bruit de bisou, qui résonne dans la carrée, et il se remet à son four.
Les coupes à fruits… sur l’étagère à ta gauche Laure.
Ah oui ! Je les vois.
Ouf, j’ai enfin réussi à régler ce foutu four… bon ! Passons aux desserts maintenant. Gaby est avec Marine ?
Non ! Il est bien loin, tu sais, son séminaire, comme tous les ans. Je viens de le dire à Marine…
Ah oui ! Tu sais quand je bosse, je n’entends que l’essentiel. C’est gentil d’être venue nous rendre visite.
… ? Je m’ennuie un peu toute seule…
J’en ai fini avec les desserts des deux derniers clients. Tu veux venir avec nous ? Nous allons sortir, juste le temps de prendre une douche et nous irons dîner en ville. Minouche a envie d’une pizza… alors si tu veux nous tenir compagnie…
Pourquoi pas ?
Entre les deux battants de la porte, la frimousse de Marine vient brusquement de surgir. D’une voix neutre, elle réclame :
Les desserts de la douze !
Elle est entrée dans la cuisine et s’empare des deux assiettes ! Elle repart aussi rapidement qu’elle est venue et Alain et Laure sont là à attendre. Ils ne savent pas quoi vraiment, mais ils se fixent avec les yeux dans les yeux, comme si chacun jaugeait l’autre.
Bon je file prendre ma douche et me changer. Le temps que je le fasse, la salle sera vide. Tu montes aussi à l’appartement ou tu retournes avec Minouche ?
Je vais tenir compagnie à ta femme…
Il marmonne deux ou trois paroles qu’elle ne comprend pas, tout en s’éloignant vers les escaliers qui mènent à l’étage. Laure est à nouveau dans la salle où son amie prépare deux cafés et l’addition des derniers clients. Un couple plus très jeune qui est sans doute en vacances dans le secteur.
Vous allez manger une pizza ? Je peux vous accompagner ?
Oui bien sûr. Tu sais bien et je le sais aussi que mon Alain a un faible pour toi…
Arrête de raconter des âneries. Gabriel me suffit…
Oh ! Je le sais bien, même si parfois…
Quoi parfois ? Ne me dis pas que tu aimerais des trucs bizarres. Nous nous aimons !
Mais ça n’a rien à voir, ça ! Et puis changer les vaches de pré donne parfois du meilleur lait.
Eh bien, en voilà des paroles… et en plus tu sais que je suis seule… ce n’est pas cool.
Pas cool, pas cool, c’est l’occasion qui fait le larron. Et tu serais moins seule à passer la nuit chez nous, non ?
Celle qu’à mon avis tu entrevois ne me semble pas être dans mes goûts.
Tu as donc déjà essayé pour en parler comme ça ?
Non et toi ? Ça vous est déjà arrivé de faire ce genre de choses ? À plusieurs je veux dire ?
Demande donc à Alain… attends, je vais encaisser la douze et je reviens.
Laure regarde cette femme, son amie qui louvoie entre les rangées de tables vides pour accéder à la seule occupée. Elle la voit qui se sert de l’appareil à carte bleue et puis les autres se lèvent. Les mots qu’elle n’entend pas sont sans doute des formules de politesse. Incroyable que depuis tout ce temps, Laure n’ait jamais rien su de cette histoire de… sexualité débridée de ce couple qu’ils fréquentent depuis si longtemps. Marine revient vers son comptoir avec un sourire sur les lèvres.
Encore un sacré pistolet que ce bonhomme. À mon avis, eux aussi, ils aiment les… bon ! Alors on file à l’appartement ! Alain doit être prêt maintenant. Je dois aussi me rafraîchir un peu et on y va ?
C’est vous les chefs… je vous suis.
Bon alors, je passe devant.
Laure suit son amie qui se déhanche devant elle. Il lui semble qu’elle la regarde d’une autre façon depuis qu’elle l’imagine en train de… De quoi du reste, puisque Minouche est restée bien évasive sur leurs activités conjugales. Les marches sur lesquelles elles grimpent lui permettent d’admirer la superbe cambrure des reins de son amie. C’est vrai que Marine est sublimement bien foutue. Pourquoi la vie de la brune bascule-t-elle depuis hier dans cet étrange état de transe ? Elle ne se sent pourtant d’ordinaire pas plus attirée que cela par ses semblables !
Je vais prendre ma douche, enfin si Alain a fini. Tu peux nous servir un verre. La vodka est dans le réfrigérateur, au frais et tu connais la maison !
Oui ! Ton homme aussi en prend ?
Quoi ?
Je parle de la vodka !
Ah oui ! Non, lui c’est plutôt un whisky. La bouteille est dans notre bar…
D’accord.
La femme s’est éloignée vers une porte close. Il n’y a pas ou plus de bruit d’eau. Au moment ou Marine ouvre celle-ci, Alain débouche tranquillement dans la pièce où Laure sert les verres. Elle lève les yeux et d’un coup son bras reste en l’air, comme suspendu à la vision que lui offre le mari de Minouche. Il est totalement à poils, et sans aucun complexe déambule librement dans la salle à manger. Il ne peut ignorer la présence de Laure. Et pour bien lui montrer qu’il sait qu’elle le voit, il l’interpelle.
Pas de glace ma belle dans mon verre. Pour Minouche un zeste de jus d’orange ! Tu en trouveras dans le frigo.
Euh…
Tu es donc des nôtres pour la pizzeria ?
Oui… enfin si ça ne dérange pas trop vos projets.
Tu rigoles ? Tu peux même rester toute la nuit si tu te sens trop seule… Gaby est bien chanceux…
Marine aussi, non ?
Ah ! Tu parles de ça ?
Il a juste joint le geste à la parole et il a lancé en avant la trique qui entre ses cuisses pend sans gêne.
Elle peut aussi te la prêter volontiers. Je ne sais pas si elle t’en a déjà touché deux mots, mais pour moi ce serait d’accord.
… ?
Son rire un peu forcé montre qu’il n’est pas aussi à l’aise qu’il veut le faire croire. Et Laure non plus du reste. Elle ne sait plus trop si elle doit rire ou filer rapidement. Alors elle baisse les yeux et se verse une large rasade d’un liquide translucide. Alain disparaît de sa vue, happée par ce qui est la porte de la chambre à coucher du couple. Curieusement, seule la brune est toute remuée par ce qu’elle vient de voir et d’entendre. C’est le retour de son amie qui lui permet de se ressaisir. Marine en déshabillé vaporeux reste un court moment auprès d’elle.
On trinque toutes les deux ?
Tu ne veux pas attendre Alain ? Enfin, j’ai soif aussi alors, les absents ont toujours tort.
Laure hausse les épaules en songeant que c’est la seconde fois en peu de temps, qu’elle prend en pleine figure, ce proverbe. Les lèvres qui trempent dans l’alcool, puis la descente chaude qui s’ensuit la ramènent à une réalité plus immédiate. Depuis la nuit passée, elle est devenue l’amante de son voisin et s’aperçoit que ses amis qu’elle imaginait si sages sont tout autrement. Une vie qui s’écroule ? Un univers personnel qui prend l’eau de toute part finalement. Tout cela à cause d’un coup de téléphone de son Gabriel.
Mais le pire dans cette affaire, c’est bien que ça ne lui déplaît pas vraiment. Comment cette facilité à s’arranger avec sa conscience ne peut-elle pas la surprendre plus que cela ? Puis Marine et Alain ne lui ont-ils pas tout bonnement et implicitement montré leur envie de la garder pour la soirée ? Avec ce que cela implique forcément ? Alors pourquoi son esprit ne lui dicte-t-il pas de partir en courant ? Et son ventre qui s’échauffe rien qu’à la pensée de passer la nuit avec le couple, est-ce normal ?
oooOOooo
La dinette à trois est faussement joyeuse. Chacun garde ses sentiments bien cachés au fond d’une caboche remplie d’incertitude. Minouche aimerait aller danser, mais Alain a une autre idée ancrée en tête et il serait heureux qu’elle soit partagée par les deux nanas. Laure s’absente un instant pour les pipi-rooms et il en profite pour glisser deux mots à son épouse.
Tu crois que Laure nous accompagnerait à « L’effeuillage » ?
Parce que tu as l’intention ce soir de m’y emmener ?
Ben… nous n’avons pas si souvent l’occasion d’avoir une soirée de libre de si bonne heure.
Ouais… pour elle ce n’est pas gagné. Je peux lui demander si tu le désires vraiment.
J’avoue qu’elle me fait bien bander, la femme de Gabriel. Le seul problème c’est qu’il n’est pas là et ça risque de la gêner un peu.
Bof ! On verra bien. Bon laisse moi cinq minutes, je vais la retrouver aux toilettes.
D’accord ! Je règle l’addition pendant ce temps.
Marine file vers le petit coin où Laure est toujours, sous le regard mi-amusé, mi-perplexe de son mari. Sans leur amie, la soirée serait toute tracée. Ils aiment ces deux-là à faire quelques coquineries dans ce club perdu dans la montagne. Mais si la femme de Gabriel veut rentrer, ça risque d’être compromis. Pas de quoi s’énerver non plus. Alain garde le sourire. Il fera l’amour de toute façon à sa Minouche. C’est toujours un réel bonheur que de la prendre dans toutes les positions possibles et imaginables. Elle comme lui sont insatiables.
L’homme a fait un geste de la main et la serveuse est arrivée. Pas mal roulée non plus cette gamine. Mais bon, pour l’heure son client lui réclame l’addition et elle s’empresse d’exécuter la demande.
Vous sortez sans vos parents ? Si le cur vous en dit… nous allons à l’Effeuillage ! On vous emmène ?
… ? Je n’ai pas fini mon service et je ne sors jamais avec les clients. Question de principe…
Bien vu ma belle !
Alain lui fait un clin d’il et la pauvre jeune femme est rouge comme une pivoine. Elle se sent plutôt idiote en repartant vers la caisse avec l’argent des personnes qui sont venues dîner. Par contre du côté des toilettes, et plus précisément dans celles des dames, s’engage une conversation plutôt insolite.
Alors ma belle, tu te sens mieux ? Dis-moi, je peux te poser une question plutôt indiscrète ?
De toute façon, tu la poseras quand même, je me trompe ?
À propos de tromper, ton Gabriel l’a-t-il déjà été ?
C’est direct ! Droit au but comme à l’OM ! Tu penses sérieusement que je vais répondre à ce genre de boulet tiré à bout portant ?
Tout le monde peut rêver. Et l’Effeuillage, ça te parle ? Parce qu’Alain voudrait bien que nous y allions faire un saut.
C’est une boîte de nuit ? Un endroit où on peut danser ?
Tout est possible, mais c’est surtout un club, comment t’expliquer… échangiste. Tu vois le genre.
Vous fréquentez donc ces endroits toi et ton homme ? On te donnerait le Bon Dieu sans confession pourtant.
Tu évites de répondre à ma question, tu veux noyer le poisson ? Oui, je dois dire que ça nous est arrivé et que finalement ce n’est pas désagréable du tout. Les gens y sont parfois bien plus respectueux que dans la rue. Et puis tu peux aussi juste visiter, la consommation n’est en rien obligatoire. Après tout c’est humain de mater ce que finalement nous faisons dans l’intimité de nos maisons.
C’est vrai alors ? Vous êtes libertins pour de bon ? Je ne sais pas si j’oserais et puis Gaby… comment prendrait-il la chose, je ne veux pas seulement y songer.
Rien ne t’oblige à lui dire et nous serons là pour te guider et surtout veiller sur toi. Mais ma demande n’a aucun caractère obligatoire. C’est seulement à toi de décider.
Oui ? Mais je suis venue ici dans votre voiture, la mienne est devant votre maison.
Nous ferons un crochet pour te déposer si tu ne veux pas nous suivre. Mais je crois que ça te ferait du bien de… savoir au moins ce que c’est. Tu pourrais aussi seulement prendre un verre, personne ne te sautera dessus, ni ne te violera tu peux en être certaine.
Vous… Alain et toi, vous allez consommer ? Je veux dire avec quelqu’un d’autre ? Un homme ? Une femme, un couple ? Je suis curieuse, trop peut-être ?
Non, je comprends bien où tu veux en venir. En fait c’est la trouille qui te serre un peu les tripes n’est-ce pas ? Tu crois que tout le monde baise tout le monde dans ces clubs et tu as tort. Tu gardes ta liberté de choisir, faire ou pas, baiser ou non et puis c’est anonyme. Personne ne viendra te trouver demain pour raconter tout à ton mec.
Et si j’ai… envie de participer moi aussi, avec vous, je veux dire ?
Viens voir comment ça se passe d’abord ! Après tu verras si tu es prête ou non !
À suivre…