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La boîte à outils – Chapitre 1




Marie et moi étions mariés depuis dix-huit mois, quand se présenta loccasion de construire une maison dans un lotissement accolé à la ville voisine. Nos familles nous encouragèrent vivement à entreprendre les démarches qui aboutiraient à faire de nous des propriétaires. Mon beau-père, maçon, proposa dassurer la réalisation du gros-uvre. En plus de mes activités professionnelles laventure mapporta des occupations nouvelles de recherche demprunts aux meilleurs taux, de contacts avec les fournisseurs de sable, fer, pierre et autres matériaux et, bien entendu, des formalités administratives variées.

Nous avions un adorable bébé, fruit dune folle nuit de noces, dont les premiers pas allaient réclamer beaucoup dattention. Ses balbutiements enfantins nous ravissaient. Jassurais seul par mon salaire la vie du ménage. Mon épouse de vingt-et-ans se livrait aux travaux ménagers et assurait la garde de lenfant. A vrai dire le ménage consistait surtout à tenir les deux pièces que nous occupions à létage, chez ses parents, et à cuisiner pour les repas de midi et du soir. Par beau temps elle promenait bébé dans sa poussette neuve.

Cétait lété et souvent, quand je rentrais du travail, je retrouvais ma douce chérie et notre fils dans le jardin en compagnie de Gaby, ma belle-mère, ou de Joe le père de ma femme adorée, petite brune piquante aux yeux de braise. Ces yeux mavaient conquis; je lisais dans son regard tout lamour fréquemment déclaré et témoigné avec ardeur dans lintimité du sanctuaire douillet que nous habitions provisoirement.

Un soir, peu après dix-sept heures, au retour du travail, jeus la surprise de rencontrer, dans le jardin, avec toutes les personnes citées un inconnu: cétait un grand gaillard de plus dun mètre quatre-vingts, aux épaules carrées. Il devait être dans la trentaine, un beau garçon bien solide. Je neus pas la possibilité de mentretenir avec lui, parce que mon bébé me tendait les bras, alors que ce jeune homme saluait ses hôtes et séclipsait rapidement. Mon retour lavait-il dérangé ou sétait-il mis en retard en prolongeant sa visite? Je trouvais légèrement étrange cette disparition subite.

Joe moffrit une bière bien fraîche et lança la conversation sur lavancement de lachat du terrain qui allait précéder la demande de plans et du permis de construire. Au cours de la discussion mon épouse sen alla pour coucher Daniel. Je lui trouvais un air contrarié auquel je nétais pas habitué. La conversation en cours aurait dû lintéresser et Daniel ne semblait pas vraiment fatigué. Je minquiétais de savoir si javais pu déplaire involontairement, mais je ne voyais pas comment jaurais pu en si peu de temps y parvenir. Joubliai et repris la conversation.

Quand plus tard jarrivai dans notre cuisine-séjour, Daniel babillait encore sur les genoux de sa mère, à mon vif étonnement. Elle mexpliqua quil refusait de sendormir avant mon retour. Je lai porté un peu, nous avons joué ensemble, puis je lai couché dans son petit lit qui occupait le fond de notre chambre à coucher. Il me sourit, sourit aux anges, ferma ses petits yeux pendant que je chantonnais une berceuse que ma mère mavait chantée vingt cinq ans plus tôt. Enfin je retournais à la cuisine. Contrairement à lhabitude la radio ne diffusait pas de musique. Tout était parfaitement rangé en dehors de deux verres à liqueur qui séchaient sur le bord de lévier et que je remarquai immédiatement tant leur présence était inhabituelle. Marie était assise à table, lair rêveur.

— A quoi penses-tu?

dis-je en mapprochant delle. Je lui tendais les bras, elle se leva, maccorda un sourire mais je ne trouvais pas dans son regard la petite flamme que jy avais toujours lue. Jinsistais:

— Ca ne va pas, tu as des soucis? Tu sembles fatiguée.

-Tu sais, Pascal, parfois Daniel veut être porté à bras et évidemment cest fatigant.

Ce fut sa seule réponse, jamais auparavant elle navait laissé entendre que la garde du bébé était source de fatigue. En y réfléchissant, je me demandais si cette apparente lassitude navait pas une autre cause. Sans doute avait-elle besoin de réconfort; je la pris dans mes bras, la serrai contre moi, ma bouche cherchait ses lèvres, natteignit que sa joue. Comme je faisais vingt centimètres de plus quelle, elle leva les paupières. Dans ses yeux, une sorte de voile de tristesse, une expression indéfinissable mavertit quelle nétait pas dans son état normal. Pour ne pas aggraver son malaise je memparais de sa bouche et voulais lembrasser avec gourmandise, pensant que cela pouvait constituer un excellent remède. Certes elle répondit à mon baiser, mais là encore je fus étonné de sa participation plus tiède que de coutume, bouche close. La passion senvolait-elle? Jusquà ce jour, Marie, si douce, menchantait par ses élans de tendresse. Que se passait-il pour que son baiser restât aussi conventionnel. Vraiment javais dû commettre une bévue: oui, mais où, quand, comment?

Durant le repas du soir je fis des efforts, lui racontai ma journée au bureau puis enchainai avec quelques blagues. Finalement je réussis à la dérider et men réjouis. Je menhardis alors à lui demander si elle avait un reproche à madresser, si je lui avais déplu.

2/1 -Pourquoi me poses-tu cette question? Non je nai aucun grief contre toi.

— Je te sens songeuse et attristée, jespère ne pas tavoir blessée?

— Mais non, mon chéri, il ny rien de tout cela en dehors de la fatigue dont je tai parlé et dun mal de tête sans doute provoqué par une trop longue exposition au soleil. Allez, viens ici que je tembrasse.

Elle mit cette fois plus de chaleur, ses lèvres souvrirent mieux, sa langue fit un rapide voyage dans ma bouche, une étincelle brilla dans ses yeux. Ce ne fut pas aussi long quau temps de nos fiançailles, mais cela suffit à me rassurer sur le champ.

A lheure du coucher, ostensiblement elle se prépara un efferalgan effervescent, signe que son mal de tête ne se dissipait pas. Il faisait chaud dans notre chambre, nous nétions couverts que dun drap léger. Après une dernière étreinte, je compris que ce soir serait un soir « sans », en raison de sa lassitude; je refoulai mon désir, constatai, hélas, que Marie me tournait le dos et je décidai de ne pas limportuner par des caresses ou taquineries souvent préliminaires à des scènes damour brûlantes. Quand nous nous lâchions, Marie savait répondre sans frein à mes sollicitations. Je navais certes rien dun amant monstrueux, cependant jétais assez satisfait des attributs dont la nature mavait doté et qui faisaient de moi un amant très acceptable, comme me lavaient révélé quelques conquêtes avant le mariage. Dordinaire Marie flattait mon ego en madressant des compliments sur linstrument de son plaisir et sur mon art de men servir pour la mener à lorgasme. Après deux ou trois manifestations répétées de sons gutturaux qui annonçaient quelle atteignait des sommets, il lui arrivait de vanter mon endurance. Cela avait pour effet de me gonfler dorgueil et de relancer ma libido. La coquine savait y faire pour obtenir de nouveaux assauts. Rares étaient les soirs où jétais ainsi délaissé, sans caresses coquines, sans mélange de salives, sans une rudimentaire pipe en période défavorable: ce nétait pas son plat favori. Mais la caractéristique principale de notre amour était la tendresse, la douceur, le partage amoureux plutôt que la recherche de lexploit physique ou la chasse brutale à lorgasme arraché au milieu des cris par des mouvements violents. Lunion des corps calme, patiente, attentive aux réactions du partenaire, menait progressivement à lextase partagée, merveilleuse entente, complicité des sens qui traduisait lintensité des sentiments.

Le sommeil fut long à venir. Jentendais à côté de moi le souffle régulier de Marie. Le médicament avait détendu ses nerfs bien vite. Peut-être allait-elle se réveiller dans de meilleures dispositions au cours de la nuit et voudrait-elle rattraper le temps perdu. Je gisais sur le dos, dans lattente dun éventuel renversement dhumeur et de situation. Jattendis en vain. Je brûlais de désir à proximité dun corps chaud mais endormi. Je repensais à ma journée de travail: je partais le matin à sept heures quinze, revenais manger entre midi et quatorze heures et rentrais du service du personnel à dix-sept heures. Ma deux chevaux CITROEN ne mettait pas dix minutes à parcourir les quelques kilomètres qui séparaient mon domicile de mon lieu de travail. En approchant point nétait besoin de klaxonner pour avertir de mon retour, le bruit caractéristique du moteur était reconnaissable.

Souvent Marie était à la fenêtre sur rue de létage et maccueillait avec son magnifique sourire. Cétait un merveilleux moment de ma journée.

Dans la moiteur de la nuit, tournant et retournant dans les draps, je repensais à mon retour de ce soir. Je revoyais cet inconnu sur le départ alors que jembrassais mon fils et soudain je me souvins que Marie avait omis de me donner ce doux baiser daccueil qui saluait tous mes retours. Etrange, aussi étrange que son comportement pendant toute la première partie de soirée. Mavait-elle un instant oublié à cause du mouvement créé par le partant, il avait serré la main de chacun en disant « au revoir ». Peut-être ne mavait-elle pas embrassé devant létranger pour navoir à le saluer que dune poignée de main? Mais, quand même, elle pouvait embrasser «son mari chéri » sans avoir à faire de même avec cette connaissance. Était-ce un subit accès de pudeur en sa présence? Ou bien plus prosaïquement était-ce un effet de son mal de tête. Et encore, ce nétait pas ses premiers maux de tête, jamais elle navait failli à la coutume. Mal de tête ou pas, javais toujours eu droit à cette marque daffection.

Comprenez-vous ce qui me tourmentait et mempêchait de trouver le sommeil? Il était aussi possible que la chose ne fût pas aussi importante. Je me faisais sans doute des idées, il ny avait vraiment pas de quoi fouetter un chat! Et pourtant, dun rien je faisais une montagne. Je nageais dans un sentiment vague mais pénible dincertitude. Simple distraction? Erreur de ma part. Je navais oublié aucun anniversaire, aucune fête, javais offert hier encore un bouquet de fleurs uniquement pour faire plaisir à ma chérie. Elle mavait remercié divinement et nos étreintes ardentes nous avaient laissés couverts de sueur dans la touffeur de la nuit dété. Je revoyais les derniers jours, tout semblait presque parfaitement se dérouler. Alors il faudrait consulter le médecin de famille pour vérifier létat de santé de Marie. A côté de moi, son souffle régulier répondait à la respiration légère de Daniel. Episode passager dû à la fatigue. Ou bien craignait-elle que notre engagement dans laccession à la propriété fût prématuré. Si cétait le cas, pourquoi ne pas en discuter?

3/1 A minuit, jétais éveillé. Ne pas savoir, ne pas connaître la cause, ressasser « pourquoi ? » à linfini et ne pas trouver de réponse. Jétais fatigué mais du fond de mon inconscient peu à peu montait une question que je tentais de refouler, qui me paraissait incongrue, stupide, peu honorable pour moi et pour Marie. Le malaise avait-il été provoqué par ce visiteur ? Je chassais cette supposition, je ne sais

pourquoi je la trouvais désagréable, irritante. Et plus je voulais loublier, plus elle sinsinuait dans mon esprit, plus elle prenait corps. Cet inconnu sinterposait-il entre Marie et moi? Je me tournai vers Marie. Je posai doucement ma main à plat sur son front pour constater si elle avait de la fièvre. Dans un soupir, elle murmura « je taime ». A qui sadressait cette déclaration damour en plein sommeil ? Maimait-elle toujours, ou rêvait-elle dun autre, de cet individu que je rencontrais pour la première fois par exemple? Apparemment tous les autres membres de la famille le connaissaient et avaient dû penser que cétait aussi mon cas, puisque personne navait pris le temps de nous présenter. Puis je glissai dans ce sommeil tant attendu et trop retardé.

Le réveil matin sonnait avec rage, Daniel se mit à pleurer, Marie me secoua:

— Alors debout, il est lheure.

Mes paupières souvrirent lentement au moment où je recevais mon premier baiser passionné de la journée. Quel bonheur! Je goûtais ce bonjour plein de chaleur. Les yeux rieurs de ma femme annonçaient quelle avait retrouvé sa bonne humeur matinale, tous les nuages avaient été balayés, Marie était sereine. Ses lèvres me quittèrent, elle se leva, toujours aussi attrayante dans sa chemise de nuit aérienne et sempara du bébé pour le calmer. Je navais pas eu mon compte de repos et pendant que je me redressais je ressentis dans ma tête une certaine lourdeur, un peu comme si nous avions échangé au cours de la nuit ce malencontreux mal de tête. Je souris à cette idée de transmission entre nous deux, comme si nous ne faisions quun, un tout. A moi de prendre un calmant. Mon érection matinale cependant, après une nuit « sans » ne laissait planer aucun soupçon sur ma forme physique, Popol, tel était son surnom, dressait hardiment ses quinze centimètres, comme aux plus beaux jours. Je me précipitai vers la salle de bain pour procéder à ma toilette.

Je revins mhabiller et me rendis à la cuisine: sur la table mon petit déjeuner était servi, Marie souriante et heureuse donnait le biberon que Daniel tétait goulûment comme il avait tété les seins de sa maman pendant plus de six mois. Cétait un spectacle charmant qui alimenterait quelques instants de ma journée de travail., une image heureuse dun bonheur simple et quotidien capable de chasser les éventuels tracas Et comme je jouissais de la mine joyeuse de Marie et de la gourmandise de notre trésor, soudain je mentendis demander, sur un ton désinvolte, comme si la réponse attendue navait aucune importance:

— A propos (quel propos?),qui était ce gars qui vous quittait hier à lheure de mon retour?

Sans la moindre hésitation, comme si elle attendait la question, sa réponse jaillit:

-Cest un copain de mon père, une vieille connaissance qui travaille avec lui à lusine.

Certes, mais il ne faisait pas partie de léquipe de maçons que Joe mavait présentés: Paul, Louis, André et le manuvre Diego. Je le remarquai à voix haute et aussitôt elle compléta le renseignement:

— Il vient du village où nous habitions avant de nous installer ici, il est logé au foyer des célibataires à la cité et quand il se sent seul, il aime rencontrer des gens du pays. Cest ainsi quil nous a rendu visite hier après-midi.

Le regard de Marie se détourna vers le bébé pour retirer le biberon vide, elle se leva, mettant fin à la conversation et se dirigea vers la table à langer. Je vis passer comme une ombre sur son front, mais le travail mappelait et javais lhabitude scrupuleuse de ne pas arriver en retard.

-Une dernière question, chérie, quel est son nom?

Elle fit comme si elle navait pas entendu, ensuite parut un tantinet troublée :

-Mais, cest AL

Cétait comme une évidence, mais comme je la sentais réticente, je persistai:

-Oui, mais AL comment, naurait-il pas de nom de famille,?

dis-je sur un ton de plaisanterie. Elle eut un sourire gêné et lâcha assez bas :

-Al Duclos.

Elle scruta mon visage, ny lut aucune expression particulière, retrouva son aplomb et tendant sa bouche, me dit en riant:

— Allez, paresseux, tu vas être le dernier ce matin.

-Ah! il a travaillé dans la maison? Pourquoi avait-il une boîte à outils?

-Non il na rien fait. Tu me poses une colle.

Et elle membrassa pour me donner du courage, comme chaque matin. En cours de route, jeus soudain une sorte de révélation. Au fond de moi un écho retentit: Al Duclos, ce nom ne métait pas tout à fait inconnu. Absorbé dès mon arrivée par les tâches de mon emploi, je dus attendre onze heures

4/1 avant de pouvoir consulter les registres du personnel. Plusieurs Duclos y figuraient. En tête de liste dun secteur qui nétait pas de mon ressort se détachait un ALOYS Duclos, 29 ans, né à Juloux, précisément le village dorigine de la famille de Marie. Cétait bien ce jeune homme vu la veille. Il était effectivement domicilié au foyer de célibataires de lusine. Tout concordait. Alors je ressentis une douleur dans ma poitrine, mon estomac se noua, mes intestins se tordirent et mon cerveau se retrouva à lenvers. Ma collègue de travail me regardait, elle sinquiéta même.

— Non, tout va bien.

Elle fit semblant de me croire. Je me levai, filai aux toilettes, le miroir au-dessus du lavabo me renvoya mon visage tout blanc. Je maspergeai deau fraîche et respirai profondément durant quelques minutes avant de retourner à ma place. Au regard interrogateur de ma collègue je répondis que je devais avoir une petite indigestion.

Pour quon puisse comprendre mon état à ce moment précis, il faut que je fasse dans le temps un bond en arrière de plus de deux ans, presque trois. Je travaillais alors dans un premier emploi, à une bonne dizaine de kilomètres du domicile parental et javais loué une chambre chez un couple âgé fort sympathique. Ce samedi soir jétais allé au bal de la marine.

Une mariée en tenue vint minviter dès que le chef dorchestre annonça un tango au choix des dames. Flatté de son choix, je mexécutai avec plaisir. Jétais à la recherche de lâme sur et ce ne pouvait être cette mariée en robe blanche! Elle mapprit alors quelle adorait danser mais que son mari était le clarinettiste, chef de lorchestre. Ainsi, me voyant seul, avait-elle jeté son dévolu sur moi. Elle me demanda quelles danses jaimais et donc réserva, si cela me convenait, tous les tangos, les valses, slow, paso doble, java que le twist et le rock and roll navaient pas encore relégués au magasin des souvenirs. Le mari me fit un signe amical et je mengageais au service de la jeune personne.

Pour le moins jétais assuré de ne pas faire tapisserie cette nuit! Je pris même, je dois lavouer, beaucoup de plaisir à danser avec cette excellente cavalière. Je crois avoir perfectionné mes pas au cours de cette mémorable rencontre sans lendemain: javais un professeur patient et enthousiasmé par mes progrès. Cétait une jeune femme libérée qui nhésitait pas à presser son corps plein de vie contre moi pour sassurer que nos pas étaient synchronisés. Mariée du matin, elle samusait à mémouvoir en trémoussant son bassin au contact moelleux et chaud contre le mien. Était-ce par malice ou se préparait-elle pour accueillir son mari ? Si elle séchauffait autant quelle me troublait il aurait une femme brûlante au petit matin. Après le bal le mari moffrit un verre pour me remercier.

Le dimanche après midi, des collègues de travail vinrent me chercher, ils étaient trois, deux en galante compagnie, le troisième aussi célibataire que moi. Nous voilà partis, devinez où : il y avait bal « en matinée »dans une salle voisine de celle où javais évolué la nuit précédente. Nous avons pris place: les deux couples damoureux se sont aussi vite lancés en piste. Je scrutai la salle, jespérais voir une connaissance féminine. Las, les lumières tamisées ne me permettaient pas de distinguer les visages. Je me levai donc et entrepris un tour des tables. Ici une jeune femme me remercia de mon invitation: elle était accompagnée, dit-elle. Il y avait juste à côté un groupe de quatre demoiselles bien sages et au milieu Marie me souriait. Sans perdre de temps je minclinai devant elle et lui demandai si elle acceptait de danser. Son sourire sépanouit, elle se redressa et me suivit.

Nous nous sommes mis au pas, avons tournoyé sans nous quitter des yeux. Nous nétions pas de parfaits inconnus, mais jusquà ce jour le sort nous avait à peine permis de nous voir. Ma vie détudiant mavait tenu éloigné de ma ville natale. A mon retour javais gardé une chambre chez mes parents, mais en semaine javais loué, je lai déjà écrit, une chambre à proximité de mon travail. Marie demeurait chez ses parents, dans une rue perpendiculaire à la rue des miens, à très petite distance. Ils avaient racheté depuis quelques années seulement la maison dun de mes camarades denfance.

Les week-ends il mavait été possible de la voir passer devant notre maison. Ma jeune sur de 13 ans la fréquentait à loccasion. Au moment où avec mes premiers salaires je me constituais une garde robe un peu plus étoffée cest elle qui mavait servi dans le magasin de confection: elle y faisait son apprentissage de vendeuse. Peut-être suis-je retourné dans cette boutique plus que nécessaire pour voler au passage un sourire. Depuis peu je ne ly avais plus revue.

La danse finit et nous sommes retournés à notre place, elle avec ses amies et moi avec mes copains. Lorsque fut annoncé un tango au choix des dames (cela se pratiquait fréquemment à lépoque),vu que je connaissais peu de monde dans cette ville, je mattendais à rester assis. Surprise: Marie la timide, se tenait devant moi, me tendait la main et minvitait à danser. Nous avons ensuite enchaîné les danses. Depuis la nuit précédente, javais gagné de lassurance et menai avec joie ma partenaire. Jappris quelle avait suivi ses copines sans en parler à ses parents, quelles étaient venues par le train et quelles devraient quitter le bal dès six heures trente pour prendre le chemin du retour. Je sus aussi quelle travaillait dans un autre magasin comme vendeuse en alimentation. Dans ses yeux je lisais

5/1 presque à livre ouvert le plaisir éprouvé en ma compagnie. Je me sentais si bien la tenant dans mes bras, jaimais les mouvements de son jeune corps souple et surtout il y avait le lac brillant de ses yeux marron.

Je sus aussi quelle navait pas de petit ami. Je plaisantais sur ses rendez-vous au coin de notre rue. Je lavais aperçue lune ou lautre fois en compagnie galante, échangeant, comme tous les adolescents, quelques baisers pudiques, baisers de lapprentissage amoureux, en surveillant du coin de lil la maison où on lattendait. Mais je nen parlai pas davantage; il me suffisait de savoir que la voie était libre. Javais le sentiment que ma quête de lâme sur était en bonne voie. Quand vint lheure de la séparation, je la raccompagnai jusquà la gare toute proche, marchant avec elle derrière le groupe hilare de ses amies.

A suivre…

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