Cette série de nouvelles est la suite directe de la série « Brother’n sister ». Ne pas avoir lu cette dernière ne gênera pas la compréhension de l’histoire, mais certains points risqueraient d’être flous.
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L’air empestait l’alcool. De la fumée, provenant de cigarettes consommées par diverses personnes, couvrait la pièce d’un voile grisâtre. Les bruits de boules de billards résonnaient dans son dos. Antoine était assis sur l’un des tabourets du bar, buvant sa bière dont la mousse occupait la partie supérieure de son verre. Il but une gorgée, reposa son verre sur le comptoir et toussa : la fumée agressait sa gorge de non-fumeur.
-But ! s’écrièrent alors les autres clients du Daniel’s, le bar dans lequel se trouvait Antoine.
Le barman, derrière son comptoir, nettoyait, à l’aide d’un torchon blanc, un verre qu’il venait de laver. Pendant qu’il s’occupait de ce récipient qui, selon l’odeur, avait contenu du whisky, il avait les yeux rivés sur l’écran de télévision. Un match de football avait lieu : OL contre PSG. Ce n’était qu’un match amical, mais l’animosité due à son visionnage était violente, et l’un des clients du bar, un homme chauve mal rasé, reçut un coup de poing en plein visage.
-Eh ! s’écria le barman en toisant méchamment l’auteur du coup, un homme dont les cheveux bruns étaient coiffés en une queue de cheval. Les bagarres, c’est dehors !
Antoine ne leur prêta aucune attention. Il restait là, assis sur sa chaise, sirotant sa bière et toussant parfois. Il restait là, assis, perdu dans ses pensées. Cela faisait un an, jour pour jour. Un an que sa sur était morte. Un an qu’il l’avait tuée. Un an qu’il les avait réduits en cendres, elle et le policier qui le traquait. Un an que lui, Antoine Sora, s’était fait passer pour mort.
-Eh, Lucien !
Antoine, quand il ne buvait pas sa bière, était parfaitement immobile. Au fond de lui, il s’en voulait. Il ne pouvait se pardonner d’avoir assassiné sa sur. Le policier, il n’en avait que faire. Mais pas sa sur.
-Lucien ! Je te parle !
Antoine leva la tête. Le barman était en face de lui, les mains vides : il avait achevé de nettoyer son verre.
-Lucien, ça va faire quatre fois que je t’appelle ! T’es devenu sourd ?
-Désolé, j’étais perdu dans mes pensées.
En réalité, Antoine n’était pas encore habitué à son nouveau prénom. Lucien. Lucien Renoirs. Il avait été contraint de modifier son identité afin de pouvoir définitivement se faire passer pour mort. Après tout, il ne s’était pas échappé des griffes de la police pour se faire arrêter d’une manière aussi ridicule.
-Qu’est-ce que tu veux ? demanda alors Antoine au barman.
-T’es pour qui ?
Antoine se rendait régulièrement au Daniel’s. Il en ignorait la raison, sûrement à cause de l’ambiance lugubre qui y régnait. Cela l’aidait sûrement à se rappeler qu’après ce qu’il avait fait, il ne méritait pas mieux.
-Qu’est-ce que tu me racontes ? lui demanda Antoine en avalant une nouvelle gorgée de bière.
-OL ou PSG ?
-De quoi ?
-Bon sang, t’en fais exprès ou quoi ?! Le foot ! Tu sais, OL et PSG ! Lyon et Paris, quoi !
-Ah, je croyais que tu voulais que je te dise qui allait gagner entre le chauve et queue-de-cheval.
Le barman fit une moue incompréhensive, puis, lorsqu’il entendit le mot « salopard », il se tourna vers les deux clients qu’Antoine avait nommés : ils avaient repris leur combat.
-Putain de merde, j’ai dit stop ! rugit le barman en serrant les poings. La prochaine fois, c’est dehors !
Les deux hommes râlèrent, mais ils se rassirent sur leurs chaises et achevèrent de vider leurs verres. Ils ne furent bien long à demander une nouvelle dose d’alcool. Le barman les servit avant de revenir auprès d’Antoine.
-Nous disions donc, t’es pour qui ?
-Personne. Je suis pas trop dans le foot, répondit lascivement Antoine.
Le barman secoua la tête en plaquant sa main contre son front.
-Bon sang. Tu fumes pas, tu bois que de la bière, et encore, t’es séduisant, t’es intelligent, et pour finir : t’aimes pas le foot. T’es pas fait pour ce genre de piaule, tu devrais plutôt te trouver une nana. Je suis sûr que tu ferais un mec génial.
-Merci, mais non merci, répondit Antoine en finissant son verre.
-Je te resserre une mousse ? lui proposa aimablement le barman.
-Merci, mais non merci, répéta Antoine.
Le barman, chauve également, se gratta la barbe en observant son client.
-Allez, tu sais quoi, je te l’offre, cette mousse.
-Merci, mais non merci.
-Vieux, c’est pas tous les jours qu’on te propose une bière gratuite, insista le barman.
-Merci, mais non merci. J’ai plus soif, ajouta Antoine.
Le barman abandonna l’idée en haussant les épaules.
-Comme tu voudras.
Il prit l’un des verres qu’il avait encore à nettoyer et, après avoir inséré son torchon à l’intérieur, entama le nettoyage des parois internes de celui-ci.
-D’ailleurs, pourquoi t’as pas envie de te chercher une copine ? T’es gay ?
-Non.
-Y a pas de soucis avec ça, tu sais, lui précisa le barman en nettoyant désormais l’anse du verre.
-C’est pas ça.
-C’est quoi, alors ?
Antoine hésita. Il joua à faire tourner son verre sur le comptoir de bois en regardant dans le vide. Quel était le problème avec le fait de se trouver une fille avec laquelle il partagerait sa vie ? Salomé. Là était la réponse. Salomé, la sur qu’il avait tuée.
-Je suis pas sûr de mériter ce genre de choses, se contenta de répondre Antoine afin de ne pas entrer dans les détails.
-Qu’est-ce que tu me chantes ? Un mec comme toi qui mériterait pas un peu de bonheur, j’y crois pas une seule seconde.
Antoine se leva de sa chaise.
-Bon, c’est pas tout ça, mais faut que je parte. Non pas que tu me mettes mal à l’aise, mais j’ai sommeil. À demain, conclut-il en saluant le barman d’un signe de la main.
Antoine sortit du bar et marcha sur le trottoir en longeant diverses habitations tandis qu’il était toujours perdu dans ses pensées.
-Ce barman ne sait rien de moi, se dit-il à lui-même. Comment peut-il affirmer que j’ai le droit au bonheur ?
Antoine serra les poings tout en continuant sa marche.
-Tu devrais te calmer, Antoine, lui souffla alors une voix.
Le jeune homme passa la main dans ses cheveux blonds. Autrefois bruns, il les avait fait teindre après être parti pour Bordeaux. Il avait également laissé un duvet de barbe pousser afin que les risques qu’il fût reconnu fussent diminués.
-Toujours à essayer de me remonter le moral, n’est-ce pas, surette ?
Antoine regardait droit devant lui. Pour un quelconque passant, il marchait seul, une main le long du corps, l’autre dans ses cheveux. Toutefois, Antoine n’était pas seul. Salomé l’accompagnait depuis tout ce temps. Elle marchait à sa gauche, son visage semblant éprouver une inquiétude sincère pour son frère. Et pourtant, Salomé était morte. La chose qui se déplaçait à ses côtés n’était autre que le fantôme de Salomé, assassinée depuis un an, jour pour jour, par celui qu’elle avait toujours aimé, platoniquement.
-J’ai pas vraiment le choix, sinon tu deviendrais fou, répondit-elle en croisant les bras autour de sa taille.
-Tu arrives trop tard : je suis déjà fou. La preuve, je parle avec un fantôme.
Salomé le toisa alors d’un il sévère.
-Et à qui la faute ? C’est moi qui me suis suicidée, peut-être ?
Antoine, dont la vitesse de marche avait quelque peu augmenté, serra à nouveau ses poings qui se balançaient au rythme de sa marche, le long de son corps. Il avait envie de hurler, mais il se retint au dernier moment. Après tout, se mettre à crier sans raison valable au beau milieu de la nuit aurait alerté n’importe qui.
-Et voilà, tu recommences. Toujours en train de te refermer sur toi-même. Ce que tu peux être pénible, quand tu fais ton boudin, ronchonna le fantôme de Salomé tandis qu’elle venait de passer à travers un lampadaire.
Antoine lui lança un regard menaçant, auquel Salomé répondit par un rictus arrogant.
-Incroyable. Tu passes de l’état « boudin » à l’état « pas content » presque instantanément. Il faudra que tu m’apprennes comment tu fais, le taquina Salomé.
Antoine ne dit rien. Il regarda derechef devant lui avant de tourner à gauche, pénétrant alors dans une ruelle sombre entre un restaurant japonais et une boîte de strip-tease.
-Chic, j’ai toujours rêvé de me balader à l’arrière d’une boite à putes, ironisa Salomé tandis que le frère et la sur passèrent devant deux bennes à ordures bleues.
-Tu connais la différence entre un resto japonais et une boîte à putes ?
-Je dirais l’odeur de leurs poubelles. Mais si c’est une blague, je sais pas, répondit Salomé en haussant des épaules.
-Dans une boîte à putes, la morue que tu dégustes est encore vivante.
Salomé fixa son frère du regard, comme si elle avait raté un épisode.
-Flippant. Alors c’est ça, l’humour d’un assassin ?
Antoine ne répondit rien. Puis, subitement, il s’arrêta. Salomé manqua de trébucher tant sa manuvre fut brutale.
-Quoi ? Y a un mur invisible ou quoi ?
Antoine, ignorant les dires de sa sur, se tourna pour se retrouver en face du visage du fantôme. Elle avait les mêmes cheveux bruns et les mêmes yeux bleus que dans les souvenirs de son frère.
-Bon anniversaire, sourit enfin Antoine.
-Qu’est-ce que tu me chantes ? recula d’un pas Salomé, surprise. Mon anniversaire tombe en juillet, et là on est en avril.
-Pas ton anniversaire, notre anniversaire, rectifia Antoine. Ça fait exactement un an que tu es morte.
Salomé recula d’un second pas, si bien qu’elle manqua de tomber à la renverse.
-Je t’ai déjà dit que tu étais glauque ? Mais genre vraiment glauque ?
Salomé plaqua sa main contre son front en secouant la tête de droite à gauche.
-Tu sais, s’il y a bien une chose dont je n’ai pas envie de fêter l’anniversaire, c’est bien ma mort, poursuivit le fantôme.
-Peu m’importe, j’avais envie de le fêter. Et pour ça, tu vas devoir te laisser faire.
Antoine prit le fantôme de sa sur par la taille et la fit s’allonger contre le sol.
-T’as de la chance que les vêtements fantômes ne se salissent, sinon je t’aurais défoncé, ricana Salomé en s’allongeant de tout son long sur le sol de béton glacé.
Antoine déboutonna alors le jean de sa sur, dézippa la braguette située en-dessous de ce dernier et baissa son pantalon. Sa culotte blanche le rejoignit bientôt au bout de ses jambes, juste au-dessus de ses chaussures Adidas.
-Je peux savoir ce que tu veux faire ? lui demanda Salomé en le laissant faire.
-Je t’offre ton cadeau, dit-il en se déshabillant à son tour.
Son pantalon tomba à ses genoux, ainsi que son caleçon. Son sexe, en parfaite érection, se tendait vers la fantôme de sa sur qui regardait son organe avec intérêt. Antoine s’accroupit et, écartant tendrement les jambes de sa sur, approcha son bassin de celui de Salomé. Cette dernière avait les yeux rivés sur le pénis de son frère qui n’avait de cesse de s’approcher de la partie la plus intime de son corps. Lorsque le phallus d’Antoine entra en contact avec les lèvres intimes de la jeune fantôme, cette dernière eut un faible mouvement de recul, contenu par les mains d’Antoine empoignant les deux cuisses de Salomé.
-Prête ? demanda alors le jeune homme.
Salomé opina du chef, et aussitôt Antoine pénétra en elle. Il n’eut aucune difficulté à le faire : aucune résistance ne s’était fait ressentir. Toutefois, Salomé rougit et bascula la tête en arrière tandis que son frère commença à bouger. Son bassin remuait d’avant en arrière dans un mouvement oscillant totalement régulier. Le jeune homme avait les yeux fermés et se laissait aller aux sensations qu’il ressentait. Sa respiration était haletante, son rythme cardiaque rapide.
-Putain, c’est bon ! gémit-il entre deux coups de rein.
Salomé ne répondit que par des gémissements aigus. Leur union incestueuse se poursuivit alors dans une euphorie des plus parfaites. Des frissons parcouraient le corps d’Antoine tandis qu’il voyait Salomé dans l’état dans lequel elle se trouvait. La phase finale de leur coït approchait à grands pas quand, plus loin dans l’allée, une porte, menant au restaurant japonais, s’ouvrit. Un homme, d’origine japonaise, en sortit, un grand sac poubelle noir rempli d’ordures en tout genre dans les mains. Il se dirigea alors vers les bennes à ordures lorsque ses yeux se posèrent sur Antoine. Nu en dessous de la ceinture, il effectuait des mouvements de bassin dans le vide, comme s’il copulait avec une femme imaginaire.
-Eh, vous ! l’appela alors l’employé du restaurant. J’ignore ce que vous faites exactement, mais vous n’avez pas à le faire ici. Maintenant, fichez-moi le camp, ou j’appelle la police !
Antoine ne l’entendit pas. Il était concentré sur les émotions extraordinaires qui le tiraillaient de toute part. Il effectua une douzaine de mouvements avant de sentir l’orgasme arriver ; un liquide blanchâtre s’échappa de son uretère pour remplir le vagin de sa sur. De son point de vue, l’employé du restaurant avait simplement vu un homme éjaculer sur le sol, dans la ruelle arrière du restaurant dans lequel il travaillait.
-Mais vous êtes malade ! rugit-il. Je ne plaisantais en parlant d’appeler la police !
Cette fois, Antoine l’entendit et comprit ce qui venait de se passer. Salomé avait disparu de sa tête. La portion de sol où elle se trouvait allongée et nue avait été remplacée par une flaque de liquide séminal masculin. Le sien, en déduisit-il. Apercevant l’employé du restaurant attraper son téléphone et composer un numéro à deux chiffres, Antoine se leva dans un sursaut et s’enfuit aussi vite qu’il le put. Il courut le long des allées de maisons jusqu’à rejoindre l’immeuble dans lequel se trouvait son appartement. Il y entra, monta les escaliers lui faisant face après avoir dépassé une rangée de boîtes aux lettres vides, et rejoignit la porte de son appartement qu’il ouvrit à l’aide de la clé qu’il gardait toujours dans la poche arrière de son pantalon. Une fois entré chez lui, il se perdit pas de temps et rejoignit son lit. Il s’écroula sur les draps et, plaquant sa main contre sa tête, se murmura à lui-même :
-Mon vieux, je crois que tu commences à perdre le contrôle.