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Un compte à régler avec ma banquière – Chapitre 1




Qui na jamais eu de galères, des problèmes de fric ?

Je mappelle Jeff, jai 42 ans, et je vais vous raconter ce qui mest arrivé.

Jétais un fonctionnaire travaillant au Trésor Public ; ce quon appelle un « petit fonctionnaire ». Rentré dans ladministration des finances avec le bac en poche javais gravi quelques rares échelons ; mais à 40 ans, faute davoir réussi les concours passés pour obtenir une promotion, je restais un fonctionnaire de rang C, à 1600 par mois.

Jétais marié, javais 3 enfants, une femme assez jolie mais dont les sentiments pour moi semblaient sessouffler avec les années, dautant quelle pestait sans arrêt contre tout, la vie chère, notre vie quelle trouvait minable, sans vouloir admettre que si nous ne pouvions nous offrir de belles vacances, au soleil et à létranger, cétait peut-être à cause de son refus de freiner ses dépenses : 2 fois par an les soldes (ses vêtements quasiment neufs partaient à la poubelle ben oui : « démodés »), tous les 2 ans changement de voiture (ben oui, il en faut une plus belle, plus performante). Résultats : des crédits à la conso en permanence, un découvert chronique à la banque, des fins de mois qui durent tout le mois, et des efforts à se creuser la tête pour ne pas augmenter ce découvert

Et tout ça avec ses jérémiades, ses reproches (« tu peux pas demander une promotion ?! » « tu peux pas essayer de trouver un autre job ?! »), lamertume (« On est des cons. Regarde nos amis, eux, ils sont partis au Canada en vacances ! »), et jen passe.

Un beau jour elle partit non sans mavoir trompé pour un type qui avait une belle « situation », et qui, elle en était convaincue, allait faire son bonheur, à elle et à mes 3 gosses quelle avait emmenés.

Je me retrouvai donc seul, débarrassé, remarquez-bien (bien que je mis quelques mois à men apercevoir), mais avec la moitié du découvert du compte en banque à combler, ce qui nétait pas une mince affaire.

Même si jétais, moi, capable dêtre économe, je me rendis compte que jallais mettre de longs mois à remonter la pente.

Au bout de 3 mois, avec la pension alimentaire à payer (pas trop importante, mais quand même) qui grevait mon maigre salaire, je finis par avoir un prélèvement rejeté.

La banquière qui gérait mon compte mappela immédiatement au téléphone pour me le signaler, et me demandant « dalimenter mon compte. »

Comme cela est joliment dit. Les banquiers simaginent quoi ? Quon a des magots planqués sous le matelas, ou dans un trou au fond du jardin ?

On se débrouille, on demande une avance sur son traitement, on se résout à aller voir ses parents (situation combien humiliante à 40 ans passés) pour leur demander une petite aide, et surtout on sexcuse platement dune voix éteinte au téléphone auprès de sa banquière au ton monocorde.

Malheureusement, la situation ne saméliore guère et on bout de 3 mois rebelote. La banquière vous rappelle, vous demande une explication, vous menace de façon à peine déguisée de vous "mettre" à la Banque de France.

Vous ramez, vous remontez tant bien que mal la pente (enfin juste de quoi vous sortir la tête de ce trou abyssal), vous vous éloignez de la ligne blanche du « maximum découvert autorisé ».

Et puis un jour cest la tuile, une prime qui saute, la voiture qui vous lâche et que vous devez faire réparer (moyennant 5 traites) sinon plus de boulot, et cette fois, sans vous avertir préalablement, vous recevez un gentil courrier froid et sinistre comme une porte de prison vous avertissant que vous navez plus le droit de faire de chèques, et vous intimant de prendre rendez-vous à votre agence bancaire avec vos « moyens de paiement ».

Comme un chien avec la queue basse vous vous présentez au rendez-vous, savez que vous allez devoir rendre chéquier, carte bleue, vous imaginant déjà S.D.F.

Personnellement, je nen menais pas large. Ma banquière était une dame dun âge difficile à cerner (jaurais dit une bonne quarantaine, début de cinquantaine), froide, assez austère, avec des cheveux châtain clair coupés courts et assez raides, toujours vêtue dune jupe droite des plus classiques, collants et chaussures à talons sans fantaisie, tenue et maintien de rigueur, bref, sans aucune grâce.

Je ne dois pas oublier de préciser que, depuis plusieurs mois que mon compte sobstinait à rester dans le rouge, javais droit à des appels des plus réguliers sur mon portable pour me rappeler que jétais à découvert (comme si je pouvais lavoir oublié !) ; daucuns auraient pris ça pour du harcèlement, pour des méthodes simplement détestables, mais je savais simplement quelle faisait son boulot, sans états dâme. « Cest les règles du jeu, tas quà pas être à découvert. » Dans quel monde on vit, enfin

Lentretien fut assez bref, humiliant à souhait ; jessayai comme un gosse pris en faute de me justifier, promettant que ça allait sarranger, et menquis de ce qui allait se passer par la suite, comprenant quel parcours du combattant ça allait être pour redevenir dieu sait quand un citoyen normal.

Ma banquière mécouta poliment, naffectant aucune compassion, mais également je dois bien le reconnaître aucun mépris, et je compris quelle navait pas beaucoup de temps à me consacrer, nettement moins que le jour où jétais venu ouvrir mon compte chez elle.

Elle prit congé poliment, me serrant la main, me raccompagnant jusquà la porte de son bureau. Pas un sourire, mais bon, étant donné que ses sourires étaient déjà plutôt rares dordinaire, vu les circonstances, hein

« Cest le genre de femme qui doit avoir un ordinateur à la place du cerveau, une calculatrice à la place du cur. Seuls les chiffres doivent la faire mouiller » me dis-je en repartant abattu.

Je fis tout pour remonter la pente, me serrant la ceinture, tentant de faire des heures sup (mais lAdministration est plutôt avare avec ses petits fonctionnaires), et comme disait notre premier ministre à lépoque : « notre route est droite, mais la pente est forte », et je prenais conscience que jallais mettre des mois, voire des années à en sortir.

Je me permis malgré tout de jouer au loto chaque semaine – lespoir fait vivre même si jétais bien conscient de la chance sur environ 6 millions calculs à lappui – de tomber sur les 6 bons numéros.

Et puis un soir : limpensable ! Je lisais et relisais mon ticket validé, je me demandais si je navais pas rêvé. Mais non, je les avais bien, je venais – chance incroyable – de gagner le gros lot !

Je passai une nuit blanche, la première moitié à attendre que le site internet publie les numéros sortis afin que je revérifie, la deuxième moitié la tête à lenvers, me demandant ce que jallais faire de ma vie, et surtout par quoi jallais commencer.

Le lendemain jallai bosser quand même et travaillai toute la journée comme un zombie, tout le monde me regardant avec ma tête de déterré, se demandant ce qui métait arrivé, ce que javais, tant par mon aspect de mec qui a lair de sortir de boîte que par les conneries que je fis, ayant la tête ailleurs, redemandant les réponses que javais déjà demandées une minute avant.

« 15 millions deuros », je me répétais sans arrêt dans ma tête, « 15 millions deuros » ; javais su combien jallais toucher, ça nétait pas une fortune colossale, mais quand même suffisamment pour ne plus jamais plus avoir à travailler si je ne faisais pas nimporte quoi.

Jessayai dans les jours qui vinrent de garder la tête froide.

Jallai au siège de la grande entreprise nationale toucher mon chèque, acceptai leur conseils, comme suivre leurs espèces de séminaires pour ne pas péter les plombs ni me faire escroquer par le premier venu.

Evidemment, sortir de mon fichage à la Banque de France fut facile.

Premièrement je me rendis dans une banque autre que celle où je tenais mon compte. Etant fiché on commença par mopposer un refus ; mais exhibant mon chèque et le courrier de létablissement qui me lavait fait, les choses allèrent très vite.

Dans un premier temps javais décidé de ne plus remettre les pieds dans mon ancienne agence bancaire, et de demander à ma nouvelle banque de faire elle-même clôturer illico mon ancien compte, sans avoir à me déranger. Etre riche donne des privilèges, et tout ce qui ne peut se faire pour un pékin moyen, devient soudain possible quand on devient détenteur dun solde avec 7 zéros.

Dans un second temps, je changeai davis : il me prit l’envie de faire les démarches moi-même, de prendre rendez-vous avec ma chère banquière, d’avoir le plaisir de clôturer mon compte et de la narguer, en lui montrant létendue de ma fortune toute nouvelle, dont elle ne verrait pas la couleur, bref de lui afficher mon mépris.

Mais je réfléchis et me ravisai.

Je décidai dans un troisième temps de me donner le temps de réfléchir à la meilleure façon dagir (cest fou comme on a du temps quand on est riche puisque le temps cest de largent), et je mûris peu à peu chaque jour mon plan, léchafaudant méticuleusement, et en y prenant un réel plaisir.

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