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Machinalement, je regarde la date. Une dizaine de jours après mon enlèvement. Ou ma mort.
Je lis l’article. Il concerne Jeanne Davage, la PDG de la société pour laquelle je travaillais comme un fou. Alors qu’elle était pressentie pour entrer dans le futur gouvernement, l’article l’impliquait dans un scandale sexuel.
Tout revient en mémoire.
— Ce n’est pas moi, j’ai rien dit !
Evidemment pas de réponse.
— J’AI RIEN DIT !!!!
Non, je n’ai rien dit de ce que j’avais vu. Rien. De toute façon, je me fous de ce que peut faire la patronne et avec qui elle le fait.
Ce soir-là, j’aurai dû suivre ma première idée et partir au lieu de rester pour débugger un énième problème. Moi et ma conscience professionnelle !
Non, ce soir-là, à vingt-heure trente, après avoir résolu mon incident, je vais aux toilettes avant de rentrer. Et en passant devant le bureau de la patronne, j’avais entendu des râles et des appels au secours. Je suis entré aussitôt et ce que j’ai vu n’avait rien à voir avec un quelconque malaise.
Jeanne Davage était allongée sur le dos, sur son bureau, les jambes écartées et entre ses cuisses, Karine Cubzac, la secrétaire stagiaire. Les râles et les « au secours » n’étaient que l’expression de son plaisir.
Dire qu’elles furent surprises en me voyant débarquer était un euphémisme. Mais mes explications n’ont convaincu personne et le regard noir de la PDG n’augurait rien de bon pour moi.
— T’as pas intérêt à dire quoi que ce soit, sinon, tu vas entendre parler de moi.
— Non madame, je ne dirai rien, promis.
Je suis sorti du bureau me confondant en excuses et je suis rentré chez moi au pas de course.
Et me voilà ici, coupable de n’avoir rien fait. Si fuite il y a eu, elle ne venait pas de moi.
— C’EST PAS MOI !!
Silence. L’obscurité rendait mon malaise pesant.
BLANC.
La lumière revint toujours aussi violente, brûlant une nouvelle fois ma rétine.
Je relis l’article. Pas de photos, juste des transcriptions de conversations. Comment aurais-je pu raconter tout ça, puisque tout ce que j’avais vu aurait tenu sur la moitié d’un timbre poste.
Toujours est-il que maintenant, j’en étais sûr : je n’étais pas mort, que j’étais séquestré et qu’en plus on m’avait affublé des seins de Samatha Fox.
— LAISSEZ-MOI PARTIR !
NOIR.
BLANC.
Le journal et mon plateau repas sont accompagnés d’une enveloppe. Ce qui n’est pas pour me rassurer. Je lis le journal en mangeant les haricots verts. Au moins la bouffe est bonne, c’est déjà ça.
Dans les pages régionales, il est rapporté un accident. L’état de la voiture ne laisse rien présager de bon quant aux occupants.
La voiture ressemble étrangement à la mienne.
En fait, c’est la mienne.
L’article raconte que le conducteur n’a pu être identifié que par la plaque de la voiture. Laurent Moran. Moi.
– Et il ne vous est pas venu à l’idée qu’on aurait pu me voler la voiture ? » pensé-je à haute voix
Je continue ma lecture. L’identification a été confirmée par plusieurs objets personnels que ma mère avait reconnus.
Maintenant, je suis vraiment mort. Du moins aux yeux de ma famille et de l’administration.
Je ferme le journal. Pas envie d’en lire plus. Envie de vomir.
J’ouvre l’enveloppe. Des photos d’un enterrement. Une pierre tombale à mon nom. Ma famille éplorée.
J’éclate en sanglots.
NOIR.
BLANC.
Pour la première fois, une voix trouble le silence de la pièce.
— A partir de maintenant, vous devrez vous habiller !
— Avec quoi ? dis-je avec ironie.
Lors de mes explorations, j’avais constaté que l’armoire était fermée à clé. Et la clé n’était pas dans sa serrure.
Machinalement, je jette un coup d’il au meuble made in Sweeden. Et ô miracle, la clé avait fait son apparition.
Je m’étais habitué à mes nouveaux attributs pectoraux. Je me lève en me cambrant plus que je ne le faisais habituellement pour compenser le poids supplémentaire.
J’ouvre l’armoire et j’éclate de rire. Rire jaune.
— Et puis quoi encore !
L’armoire était remplie de vêtements féminins, de dessous en dentelle et de chaussures à talons hauts.
— Je ne suis pas une tarlouze !
Evidemment, pas de réponse ni de commentaire.
Je regagne mon lit, en passant par les toilettes.
NOIR.
Et j’ai même pas fini mon affaire !
Je me réveille une fois de plus, toujours ignorant du temps passé. Depuis combien de temps étais-je ici. Des jours ? Des semaines ? Des mois ? Aucune idée.
Envie pressante.
Je pose le pied par terre. Une violente douleur transperce ma plante des pieds.
J’enlève l’épine qui s’avère être une punaise. Le sol en est totalement recouvert.
— MAIS VOUS ETES DE GRANDS MALADES !!!
BLANC.
La lumière s’allume toujours aussi agressive. J’ai dû perdre la moitié de mes capacités visuelles.
Une paire d’escarpins est au bout du lit.
Le message est clair. Si je veux marcher, je devrais mettre ces chaussures.
Je me résigne et les mets aux pieds. Si je trouvais ça très sexy sur les filles, l’idée d’en mettre ne m’était jamais venue à l’esprit.
J’écarte les punaises et je me redresse. A cause de la hauteur des talons et mes gros seins, je suis obligé d’accentuer la cambrure de mes reins. Je comprends enfin la torture que vivent les femmes, parfois seulement pour nous faire plaisir.
Je fais ma petite commission et regagne aussitôt mon lit pour enlever ces échasses.
NOIR. BLANC. NOIR.
Le temps passe. Le repas est servi. Chaussures obligatoires à cause de l’invasion de punaises. Cette fois pas de journal mais une tablette électronique. Sans connexion au web bien sûr. Seulement quelques fichiers vidéo et texte. Enfin de quoi passer du temps. Mais je déchante vite. Tout traite de la mode féminine, de cours de maquillage et de maintien.
Avec ce qu’il y avait dans l’armoire, le message était clair : je devais devenir une femme. Du moins en apparence. Pour le moment.
Soit. Au point où j’en suis, que peut-il m’arriver de pire. Administrativement et aux yeux de ma famille, je suis mort. Alors si je peux sortir de cette prison en drag-queen, pourquoi pas. Tout, du moment que je revois le soleil.
Je me plonge dans les différents documents. Ça à l’air simple. J’ouvre l’armoire et sors un soutien-gorge. Simple en effet. Dans la vidéo ! Parce qu’en vrai Mais comment font les gonzesses pour mettre ce truc ? L’expérience a montré que je suis plus doué pour les dégrafer.
Je me fais rappeler à l’ordre par la Voix pour avoir voulu utiliser la mauvaise méthode. Au bout de vingt minutes, j’arrive enfin à caser mes gros lolos dans le sac de dentelle.
— Recommence ! me dit la Voix
– Nooooon !
— SI ! Et sans râler !
J’ai dû recommencer je ne sais pas combien de fois. Mes pieds me faisaient un mal de chien. La Voix m’oblige à rester debout. Mais après plusieurs heures, j’arrivai à mettre mon soutif en dix secondes chrono.
Le string fut plus facile, même si mon service trois pièces a eu du mal à se loger.
NOIR.
Je regagne mon lit à tâtons et quitte avec un soulagement certain mes escarpins.
BLANC.
Les punaises ont disparu. Mais quelque chose me dit qu’il vaut mieux que je continue à mettre les talons si je ne veux pas les voir revenir.
Changement notoire : un petit miroir à fait son apparition sur la table ainsi qu’un vanity. Avec tout le nécessaire de maquillage et quelques instructions.
« Me faire les ongles, puis une fois le verni sec, me maquiller le visage »
La Voix, toujours aussi métallique, m’ordonne de changer mes dessous.
Je lime mes ongles qui avaient vraiment poussé et dépassaient de plusieurs millimètre le bout de mes doigts. L’application du vernis n’est pas compliquée. Mais je retrouve la même galère qu’avec mon soutien-gorge pour me faire les yeux.
Maquillage. Démaquillage. Re-maquillage. Re-démaquillage. Re-re-maquillage. Re-re-démaquillage
Enfin, la Voix est satisfaite. Et m’ordonne de tout enlever.
NOIR.
BLANC.
La voix me réveille. J’ai fini par m’habituer à la lumière crue et cruelle.
— Change tes dessous et maquille-toi. Tu as dix minutes.
Neuf minutes, trente secondes. La Voix égrène le compte à rebours de mon ultimatum. Je m’en fous. Que pouvait-il m’arriver de pire ?
J’achève ma transformation bien après le zéro final. Mais pas d’explosion.
— HABILLE-TOI SALOPE !
Ben si finalement, il y avait eu explosion. Sonore.
Je me dirige vers l’armoire. Tranquillement. J’ai le pouvoir d’énerver mes geôliers.
Aujourd’hui, c’était mini-robe noire et petit tablier blanc en dentelle. La tenue de la parfaite soubrette. Une paire d’escarpins vernis noirs avec une bride à la cheville accompagne mon déguisement.
L’ensemble me va comme un gant. Je suis surpris de constater la douceur du vêtement sur ma peau. Rien à voir avec mes chemises et mes pantalons.
— Interdiction de t’asseoir jusqu’à nouvel ordre, me dit la Voix.
— Et qu’est-ce que je vais faire ?
— Le ménage par exemple, dit la Voix moqueuse.
Je fais le tour de la pièce et je découvre contre l’armoire tout le nécessaire de la parfaite femme de ménage.
Ok. Je fais le ménage. Ou plutôt semblant de le faire car la pièce était déjà immaculée.
Ça devient vite insupportable. Tourner en rond dans cette petite pièce n’avait rien d’agréable. Déjà faire le ménage n’était pas ma tasse de thé, alors faire semblant Je touche le fond quand je dois faire laver les vitres. Des vitres vaguement dessinée sur le mur à un endroit où il devait y avoir une fenêtre.
Les « journées » passent ainsi. Je dis journée car il y avait un noir puis un blanc. Mais jamais de la même durée. A chaque fois mes tenues changeaient.
Aujourd’hui, c’était minijupe en cuir rouge, veste assortie et un top a bretelle. Je m’étonne de donner aussi facilement un nom à ces fringues.
Je passe le top qui ne cachait pas grand-chose de mes nouveaux attributs et l’ensemble en cuir qui me va parfaitement.
De même, je n’ai plus de soucis pour marcher avec des talons aiguilles. L’ensemble du jour est livré avec des sandales rouges aux talons encore plus hauts.
Mais le pire, c’est que me maquiller et m’habiller en fille est devenu naturel. Cela dit, que pouvais-je faire d’autre.
Les jours suivant, la température chute brusquement. Et je découvre de nouveaux éléments : les bas, les porte-jarretelles et guêpière.
Combien de fois j’avais fantasmé sur ses attributs ô combien sexy. Mais rares étaient mes partenaires qui en mettaient.
Je me débats avec les attaches du porte-jarretelles. Mes ongles trop longs ne m’aident pas beaucoup. La sensation est agréable. Bien plus que je ne l’imaginais. Mais pas d’excitation. D’ailleurs, depuis que je suis enfermé, je n’ai pas eu la moindre érection. Ils doivent surement me filer un produit qui empêche ce phénomène physiologique. Finalement, le bromure, c’est pas que pour les militaires.
Comme d’habitude, je déambule dans la chambre, je refais le ménage pour la quatrième fois d’affilée. Encore un petit effort et je pourrai voir à travers la fenêtre.
— JE VEUX SORTIR !!!
Toujours le même silence.
Malgré les interdits, je m’affale sur le lit et j’éclate en sanglots.
Tout comme mes ongles, mes cheveux ont poussé et m’arrivent au milieu du dos. Je ne sais pas quand ni comment, mais ils sont impeccablement coupés. La frange arrive à la limite de mes sourcils. Le miroir trop petit ne me donne qu’un aperçu partiel de mon visage. Visage qui s’est efféminé d’ailleurs.
Ah putain, c’est quoi déjà la vitesse de pousse des cheveux ?
Malgré tout, je me suis fait à mon nouveau visage et ma nouvelle vie de femme. Je suis train de refaire mon rouge à lèvres quand le miracle se produit.
J’entends un bruit venant de l’armoire et je constate qu’elle pivote dans le mur. La lumière qui arrive est au moins aussi violente que celle de la pièce dans laquelle je vis. Une silhouette entre dans la pièce.
— VOUS ?! dis-je en bondissant de ma chaise.