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Indécences – Chapitre 1




Bois flotté

Une très belle journée, vouée à lindolence, sachevait en cette période estivale sur la côte bretonne. La fin des vacances était proche, lenvie de profiter encore plus longuement de ces derniers instants de liberté nen était que plus forte.

Alors que les ombres sallongeaient sous le rougeoiement dun soleil couchant, Granite, mon jeune barbet tout nouvellement offert pour mon dernier anniversaire, fixait avec insistance sa laisse accrochée au vestiaire de lentrée. Trompé par ma feinte indifférence, il exhala son impatience avec de plus en plus dinsistance, et se mit à glapir pour attirer mon attention. Métant amusée de ce petit divertissement familier, ne tenant pas plus que lui à manquer cette ultime balade quotidienne, je lui fixai enfin ce cordon salvateur synonyme de défoulement au bord de locéan.

Je pris donc la direction dune petite anse toute proche qui offrait lavantage de nêtre fréquentée que par les riverains et quelques très rares promeneurs. Ce petit bout de plage, encadré de deux pointes rocheuses contournables uniquement à marée basse, nétait autrement accessible que par un sentier mal entretenu et peu engageant. Parvenue sur son lieu de trotte préféré, je libérai mon animal de son attache, sachant quil ne séloignait jamais loin et revenait facilement au signal, bien quil ne fût encore quun chiot.

La marée était très haute ce soir-là et ne nous laissait quun fin cordon de sable sur le rivage déchiqueté pour partager ce moment de complicité à la douceur du crépuscule. Granite me ramena un bout de bois flotté, son jeu favori étant que je le jette – de préférence à leau ! – pour me le rapporter fièrement en travers de sa gueule.

En lançant une énième fois ce projectile improvisé vers le large, alors que le vent forcissait, sa trajectoire sen trouva rallongée plus que ne laurait permis ma seule force. Il en eut fallu plus pour dissuader mon vaillant petit compagnon à quatre pattes qui, nécoutant que son instinct, se jeta à leau avec sa fougue de jeune « chien fou ».

En le voyant regagner la terre ferme, je constatai quil dérivait un peu en raison du ressac et aborderait inéluctablement de lautre côté dune épine rocheuse savançant dans locéan. Je lobservai avec attention, prête à réagir à la moindre nécessité mais, se montrant déjà habile nageur, je ne minquiétai plus outre mesure sur sa capacité à se sortir seul de cette situation. Arrivé sur le sable, il sébroua et me porta un regard étonné, semblant se demander pourquoi je traînais autant à sa suite.

Lobstacle impromptu navait que quelques dizaines de centimètres de hauteur sur sa partie la plus basse, mais il était suffisamment dentelé pour gêner le passage dun petit animal. Ne sachant pas sil y avait un accès au littoral sur lautre bord, je voulus le récupérer pour lui éviter la tentation de se risquer sur ces entrelacs de roches. Uniquement chaussée despadrilles, jeus quelque peine à franchir le récif rendu glissant par les mousses et les algues. Alors que je le rejoignais, il marqua larrêt, ayant visiblement levé la piste dun gibier.

 Alors, jeune fille, on a un problème avec son chien ?, tonitrua une voix forte, sur un ton un brin railleur qui me déplut sur le moment et dont je ne parvenais pas à situer précisément la provenance.

 Ce nest pas prudent de rester là quand la mer monte, vous risquez de vous faire piéger par le flot, clama à nouveau la voix.

Je devinai alors ce qui devait être le haut dune tête et deux bras gesticulant au-dessus dune haie épaisse sur un terrain surplombant la plage. Lhomme, car il sagissait de toute évidence dun homme, se doutant que je ne lavais pas repéré, tentait manifestement de me signaler sa présence en jouant le sémaphore pendant que je récupérai mon chiot en le tenant fermement contre ma poitrine.

 Excusez-moi monsieur, jignorais que lendroit pouvait être dangereux, criai-je, en me reculant pour tenter dapercevoir lindividu qui mavait interpellé avec vivacité.

 Avancez un peu, il y a une trouée plus loin, vous pourrez rejoindre la route par mon jardin, mordonna la silhouette dont je pouvais suivre le déplacement en clair-obscur au travers dune portion moins touffue du front végétal.

Jobtempérai sans rechigner, et vis apparaître mon duettiste dans une trouée de la haie à lendroit où une palissade de bois linterrompait en partant à léquerre. Un homme, à la courte chevelure blanche et drue, me faisait face.

 Bonjour ! Pardonnez-moi de vous avoir inquiété, insistai-je en tentant descalader maladroitement la faible déclivité entre les deux terrains.

Me tendant une main secourable, il maida à franchir linfime obstacle dune poigne ferme. Je pus enfin contempler mon interlocuteur, que jestimai quinquagénaire. Svelte et de haute stature, il dégageait une autorité naturelle. Se montrant affable, il me guida au travers dun luxuriant jardin où poussaient, sans ordre apparent, des plantes qui métaient pour la plupart inconnues.

 Êtes-vous de la région mademoiselle ? me demanda-t-il sur un ton toujours aussi énergique.

 Non, seulement en vacances, mes parents possèdent leur résidence dété tout près dici.

 Il ne me semble pas vous avoir déjà vue, seriez-vous une habituée des lieux ? Enfin, je veux dire, vous venez régulièrement dans ce coin reculé ?

 Euh pour être franche, cest seulement mon deuxième été en Bretagne, et euh avant je restais avec ma grand-mère dans le Sud, répondis-je, tentant de me justifier maladroitement à ce que je ressentais comme une inquisition.

Notre trajet nous ayant amenés naturellement au-devant dun monumental portail, il me plut dimaginer être arrivée au terme de la traversée de ce qui mapparaissait plus un parc quun simple jardin. Le remerciant une nouvelle fois de mavoir tirée de ce mauvais pas, je mapprêtais à prendre congé lorsquil me renouvela ses conseils de prudence. Ému par mon embarras, il le fit sur un ton adouci qui me surprit :

 Il faudra faire plus attention à lavenir, les marées hautes peuvent parfois être piégeuses sur cette zone. Il nest dailleurs pas rare que japerçoive quelques étourdis sur la grève au moment du flux. Il serait plus sage de consulter lhoraire des marées avant de vous risquer sur la plage.

Puis, après un court silence, il se fit plus tendre :

 Allez, je vous ai suffisamment houspillée, nen parlons plus ! reprit-il. Sinon vous allez me prendre pour un vieux pisse-vinaigre !

Il est vrai que cest à peu près le constat auquel jétais parvenue après toutes ces tirades moralisatrices qui me paraissaient loin dêtre justifiées. Il ne mavait nullement semblé que cette plage puisse représenter un réel danger, que dailleurs aucun panneau ne signalait.

Devina-t-il mon scepticisme, ou était-ce simplement une façon datténuer sa peu élogieuse mélopée à mon égard ? Avec un sourire désarmant, il me déclara sur un ton devenu enjôleur :

 Vous êtes charmante mademoiselle. Après ce malencontreux contretemps, accepteriez-vous de prolonger cette rencontre en prenant un petit remontant en ma compagnie ?

Je ny tenais nullement ! Je déclinai poliment linvitation, prétextant de ne pouvoir prolonger ma sortie à la nuit tombante. En revanche, je ne pus – ou nosais ? – refuser la sollicitation qui suivit :

 Au moins, maccorderez-vous le privilège de partager votre compagnie ne serait-ce quun instant ? Demain par exemple, disons seize heures ? De plus, je voudrais tant me faire pardonner ma rudesse.

Par pure courtoisie, vraiment sans plaisir, jacceptai la pressante invite. Avec obligeance, il mouvrit une porte à échelle humaine intégrée dans lun des vantaux de limposant portail, me délivrant ainsi de son incommodante compagnie, mais nullement de létrange agitation qui naissait en moi.

Mon chiot toujours pelotonné dans mes bras, je mempressai de rejoindre le doux refuge de mon « chez moi ». Le corps chaud de Granite me rassurait et éloignait progressivement la perspective de devoir retrouver cet individu dont je ne connaissais même pas le prénom. Chemin faisant, je ne pus mempêcher de pester intérieurement : tout ça pour un simple morceau de bois lancé un peu trop loin

Le lendemain, comme lheure fatidique approchait, je prétextai lenvie de prendre un bain de soleil sur la côte comme jen avais lhabitude. Revêtue dune tenue de saison : une courte tunique de plage sous laquelle je ne portais quun simple maillot deux-pièces, et pour unique bagage un cabas contenant serviette de bain et ambre solaire, je pris seule la direction de ce rendez-vous « imposé » avec une apparente désinvolture.

Nos demeures nétant distantes que de quelques hectomètres, il me fallut peu de temps pour atteindre le domicile du quidam. Face au portail dentrée, je ne pus étouffer un soupir alors que jactionnai la sonnette encastrée dans lun des massifs piliers. Il sécoula un long moment sans que le moindre signe dactivité venant de la propriété ne me parvienne. Presque soulagée de devoir renoncer, sans en être fautive, je mapprêtai à partir quand je perçus un bruit de pas sur le gravillon dune allée.

 Bonjour mademoiselle !, déclara mon mystérieux samaritain de la veille en émergeant soudainement dans lencadrement du portillon. Excusez-moi de vous avoir fait attendre. Vous étiez sur le point de vous sauver ?

Me contentant de bouger la tête dans un geste de dénégation, je perçus quil ne se laissait nullement abuser par ma duperie. Lhomme, à la stature qui me parut déjà bien moins imposante que la veille, mouvrit plus largement laccès et me pria très courtoisement de le suivre en rajoutant :

 Je pense avoir manqué à mon plus simple devoir hier mais il faut avouer que notre rencontre fut de courte durée. Permettez-moi de me présenter : Philippe, officier de marine à la retraite.

Tout en songeant que notre entrevue de la veille ne mavait pas paru si brève, je lui déclinais à mon tour mon seul prénom : Justine.

Au détour dune allée serpentant entre les plantes luxuriantes, un attrayant pavillon soffrit à ma vue, comme par enchantement. Lhabitation, de plain-pied, donnait une impression dextrême simplicité, et se trouvait tout aussi remarquablement entretenue que son environnement. Une terrasse de dallage clair accueillait le visiteur, en partie recouverte par une avancée du toit sous laquelle un salon de jardin cossu, aux banquettes ensevelies sous de moelleux coussins, ajoutait une note encore plus conviviale.

Se montrant très affable, me désignant lun des sièges dun bras tendu, il me dit :

 Je vous en prie, prenez place chère Justine. Désirez-vous un thé ? Un café ? Un soda ?

Peu habituée à me sustenter à cette heure, joptais pour le jus de fruit et pris place sur lun des profonds fauteuils, nosant masseoir que du bout des fesses pour garder une position droite. Sengouffrant dans la demeure par une porte-fenêtre largement ouverte sur la terrasse, lhomme réapparut très vite avec un plateau portant un carafon rempli dorangeade, deux gobelets et quelques biscuits prisonniers de leur emballage. Avec des gestes bien assurés il versa la boisson, délivra les gâteaux et les étala à même la table.

 Comme vous le constatez, dit-il en désignant le tout dun large geste de la main, je ne suis guère habitué à recevoir, mon métier de militaire ma toujours tenu à lécart des obligations sociales de la société civile !

Après quelques secondes dun silence pesant, il poursuivit :

 Dailleurs, je tiens à mexcuser pour hier, je me suis comporté en véritable guerrier. Mais ce petit coin de plage est parfois plein de traîtrises.

Ne sachant comment engager la conversation, nayant aucunement lenvie de revenir sur lévénement de la veille, je tentai au moins de mintéresser à sa situation.

 Vous êtes en retraite, si jai bien compris ?

 Pouvons-nous nous tutoyer ?

Déstabilisée par la question abrupte, jacquiesçai cependant dun signe de tête approbateur, en portant le verre de soda frais à mes lèvres.

Le front soudain barré de plis, comme sous le coup dune profonde réflexion, il poursuivit :

 Hé oui, la roue tourne ! Vous Tu as la chance dêtre encore jeune Justine, profites-en bien ! Javoue que mon retour à la vie civile a été difficile, mais je my suis fait.

Après un silence, il lâcha dans un soupir :

 Plus de soixante-et-une berges jai passé ma vie à courir toutes les mers du monde, et aujourdhui lancien marin se terre sur ce petit bout de terrain dont je ne suis pas peu fier, au demeurant.

Mon ex-inconnu avait donc atteint la soixantaine, jen fus admirablement étonnée, tant il paraissait dans une forme resplendissante. Je me souviens de cette confuse émotion que cela avait fait naître en moi : je métais alors imaginée quil devait cette apparente vitalité à la pratique régulière dun sport et que cette ardeur ne pouvait être quun avantage pour plaire à déventuelles conquêtes.

Je navais encore jamais ressenti un tel chamboulement et le désir que minspirait ce confident inattendu nétait pas étranger à la perte dattention dans laquelle mes pensées mavaient plongée. Je fus surprise de lentendre me demander :

 À propos, comment trouves-tu mon jardin ?

Je fis leffort de revenir à la réalité de la situation et, omettant le tutoiement, répondis presque machinalement :

 Vous vous en occupez vous-même ?

 Je nai pas ce que lon appelle la main verte mais, avec le temps, jai appris. Je conviens quau début je trouvais ça fastidieux, mais je me suis découvert une vraie passion. Tu as vu cette allée de charmes ? Et ces cornus ? À lautomne ils se parent de rouge, sublime ! Jai également planté certaines variétés exotiques rapportées de mes différents voyages et, pour la plupart, le doux climat du sud de la Bretagne semble leur convenir.

 Elles sont magnifiques ces plantations. Jai eu limpression de traverser un parc hier. Ça doit vous demander du temps. De la rue, on ne simagine pas quil se cache un petit coin de paradis ici.

Mon avis était sincère, il en fut visiblement agréablement touché. Un large sourire fendait son visage aux traits à présent plus détendus.

 Assez parlé de moi, que fais-tu dans lexistence ma chère Justine ?

Je lui racontais un peu ma vie, ma scolarité, tous ces « petits riens » qui égrènent nos existences. Il mécoutait avec attention, parlant peu, se contentant de me faire préciser certains aspects qui lui tenaient apparemment plus à cur, ceux qui avaient trait à ma vie sentimentale notamment. Puis, de simple papotage, nos échanges prirent la direction dépanchements plus intimes.

Sirotant nos orangeades, croquant de temps en temps un biscuit, nous étions tellement captivés par nos effusions communes que le temps passa sans que nous nous en rendîmes compte. Lagitation estivale qui ne devait pas manquer aux alentours ne nous parvenait pas, filtrée par lépais rideau de verdure qui nous en isolait. Mon aversion initiale sétait totalement envolée, je commençais même à lui trouver un certain charme

Me laissant aller aux confidences, je métais tout aussi naturellement relâchée sur ma posture et ne maperçus pas demblée que ma position avachie au creux de ce fauteuil trop accueillant lui offrait une nouvelle vision de ma personne. Ma courte tunique remontée plus haut quà mi-cuisses laissait deviner dautres rivages quil semblait désireux daccoster. Cherchant à retrouver un peu de contenance, je croisai bien maladroitement les jambes, exposant au passage bien plus que ne lexige la bienséance.

Tout aussi appliqués lun que lautre à ne rien laisser paraître de notre gêne respective, seulement trahie par la légère teinte rosée qui avait envahi nos joues, nous fûmes ensemble victimes dune petite quinte de toux ; sortilège dun insidieux courant dair circulant sous la marquise ?

Lharmonie nen fut pas rompue, mais une certaine gêne sétait installée. Je ne pouvais imaginer si ma maladresse avait déclenchée une tempête sous le crâne de celui que je nosai toujours pas appeler par son prénom, mais il devenait évident que mes pensées naviguaient en eaux troubles.

Face au désarroi dans lequel me plongeait le silence pesant qui venait de sinstaller, tout autant que son envie de sarracher à sa propre confusion, il prétexta le besoin daller remplir le carafon et de la nécessité de nous ravitailler en biscuits.

Jaurais désiré profiter de cet éloignement providentiel de mon hôte pour me lever et fuir cet endroit qui suscitait chez moi des sentiments contradictoires, mais je ne parvins pas à me redresser et cest toute palpitante quil me retrouva finalement après sa courte absence. Comment avouer mon émoi ? Je ne pouvais encore reconnaître ce trouble inquiétant que minspirait cet inconnu !

Je tentai de retrouver une certaine contenance mais demeurai totalement figée par lémotion. Lui aussi semblait sous lemprise dintenses sentiments et, tout en évitant de croiser mon regard, il savança pour finir à genoux devant moi après avoir tendrement placé lune de mes mains au creux des siennes. Je restai confuse, la tête baissée, nosant affronter son regard, par peur de trahir ce sentiment de honte quil me fallait combattre.

Cherchant ses mots, il mit quelque temps avant de pouvoir me dire :

 Justine, je sais combien tu te sens gênée à lidée de mavoir offert involontairement cette vision plus intime de toi ; tu ne dois pas ten sentir troublée et sache juste que je nai vu dans cette situation quune charmante et adorable jeune fille, dans la candeur de sa jeunesse.

Libérant ma main, il souleva lentement et délicatement mon menton de son index pour trouver mes yeux de petit animal blessé. Je ne pus me soustraire à lattention de celui qui me réconfortait, dissimulant très maladroitement ma gêne.

Séclaircissant la voix dune toux discrète, il poursuivit :

 Je vais te faire une confidence Il y a déjà quelques jours que je tobserve sur la plage en compagnie de ton chien. Je te trouvais tellement charmante, pleine de grâce et de naturelle, que jai cherché un prétexte – stupide, je men rends compte désormais – pour parvenir à te rencontrer.

À ce moment précis, comprenant soudainement la manière dont je métais laissée abuser, jaurais voulu le gifler, lui taillader le visage de mes griffes effilées.

Je me levai brusquement, mais mes jambes chancelantes ne purent me supporter. Il neut que le temps de me saisir, livide, entre ses bras, mévitant de justesse de glisser au sol, puis il maida à métendre sur lune des banquettes, encore toute étourdie. Sasseyant à mes côtés, il mobservait, anxieux, ne sachant quelle attitude adopter.

Voyant son air contrit, je rassemblai mes quelques forces pour le rassurer sur mon état. Tranquillisé, il effleura mon front du dos dune main encore tremblante, puis caressa mes joues de la même manière. Honteuse de mêtre laissée emporter par tant démotion et quelque peu vexée de me retrouver une nouvelle fois sa proie, je me risquai à lui adresser un sourire, auquel il répondit en me taquinant le menton :

 Hé ben, jeune fille, pourquoi se laisser aller à tant dagitation ? Jespérais, avant votre rencontre, que vous apporteriez un peu de piment à mon existence dascète, mais là vous vous êtes surpassée ! La vie ne doit pas manquer de sel à vos côtés !

Le vouvoiement semblant lui être redevenu le ton de circonstance, je ne parvins confusément quà bredouiller de vagues excuses.

Me remettant de mon ébranlement de jouvencelle, je me relevai. Craignant une nouvelle faiblesse de ma part, il anticipa mon geste, et je me retrouvai ainsi entourée par ses bras robustes, magrippant fermement à ses épaules. Notre enlacement fut bref, mais intensément chargé de sensations nouvelles pour moi : ma jeune poitrine écrasée contre son corps, le souffle de sa respiration sur mon cou, la fugace impression dun inhabituel renflement à son bas-ventre Troublée par ce mélange de déconcertantes perceptions, voulant en finir au plus vite avec ce sentiment de malaise qui sétait emparé de moi, josai lui affirmer, avec une fermeté de ton qui me surprit moi-même :

 Il faut que je rentre, sinon mes parents vont sinquiéter !

 En effet, je pense que cest souhaitable, répondit-il, renonçant à discuter ma sentence.

Comme je cherchais à récupérer mon inutile bagage resté sur lun des fauteuils de la terrasse, il me demanda :

 Aurons-nous une chance de nous revoir ?

 Ce sera difficile, nous partons après-demain.

Je réalisais en prononçant ces mots toute la cruauté quils pouvaient représenter pour celui qui mavait finalement avoué avec de plus en plus dinsistance le désir de partager ma compagnie.

 Reviendrez-vous lan prochain ?

Soulignant mon ignorance par un vague haussement dépaules, je lui répondis dune manière tout aussi évasive :

 Je nsais pas, peut-être

En réalité, je savais déjà que je naurai aucun mal à le retrouver lors de mes prochaines vacances estivales, si lenvie men prenait, mais jéprouvai un malin plaisir à nen rien dévoiler comme pour me venger de ce piège grotesque dans lequel je métais laissée entraîner, devenant la victime dune embuscade qui avait heurté ma fierté et qui réclamait vengeance.

 Jai été très heureux de faire ta connaissance Justine En tout cas, si tu souhaites me revoir, ma porte te reste largement ouverte

Cest sur cette espérance, pas nécessairement pleinement partagée, que prit fin notre premier rendez-vous.

Sur le chemin du retour, bien que soulagée de mêtre ainsi éclipsée, je ne parvenais pas à oublier tous ces instants troublants que je venais de vivre pour la première fois.

Je sentais au plus profond de moi que le jeu de la séduction qui avait amené Philippe à me rencontrer, était bien plus puissant que ce que je voulais bien reconnaître. Javais goûté au plaisir de voir cet homme me désirer, me courtiser, et je pris incontestablement conscience dun indicible désir

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