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L'île du Pacifique – Chapitre 1




Avant de commencer, je tiens à préciser que toute ressemblance avec des faits réels est purement fortuite. Privilégiez un rapprochement avec le film « Seul au monde » (2000, avec Tom Hanks dans le rôle principal) ou la série « Lost » (2004-2010) pour l’inspiration, plutôt que des évènements (généralement tragiques) ayant pu se produire de nos jours. Je vous conseille également la (re)lecture de « Vendredi ou la vie sauvage », par Michel Tournier.

Prologue : « Mayday ! Mayday ! »

Sydney

La nouvelle était tombée peu après 21h, heure locale. Jackson « Jackie » Smith, assis confortablement dans son fauteuil à roulettes dans la salle de contrôle aérien de l’aéroport de Sydney, Australie, jetait un coup d’il distrait à l’écran radar situé devant lui tout en reluquant les jambes de Mercury, sa collègue de travail et fantasme quotidien. C’est en l’imaginant une énième fois abandonnée à lui qu’il nota du coin de l’il une diode nouvelle parmi la pixellisation de l’écran. La petite figure en forme d’avion symbolisant le vol Air Robinson 6895, Paris Charles de Gaulle Sydney avec escale à Pékin en Chine, clignota deux fois puis disparut, son emplacement demeurant noir, superposé à la Mer des Philippines.

Réajustant son casque audio dernière génération, Jackie tenta un premier contact infructueux avec le pilote du vol 6895. Après plusieurs « Air Robinson 6895, this is Sydney, do you read me ? », qu’il proféra avec la meilleur pose héroïque qu’il puisse imaginer, Mercury l’observant avec étonnement, et constatant qu’il n’obtenait pas de réponse, l’opérateur décida d’en référer au chef de trafic aérien de ce soir-là. L’engrenage hiérarchique se mit en place, d’abord jusque dans les hautes sphères de l’aviation civile australienne puis française, gravitant ensuite dans les échelons politiques des deux nations, et retombant en pluie au sein des marines de guerre d’au-moins cinq pays ayant des navires croisant dans la zone. Malgré toutes les bonnes volontés du monde, la mobilisation record de destroyers, avions d’observations et sous-marins, le vol Air Robinson 6895 restait introuvable une semaine après que Jackie eut noté l’interférence radar qui l’avait distrait des bas et talons hauts de Mercury.

Île inconnue

Nous avions eu beau de mettre nos souvenirs en commun : impossible de se rappeler précisément du crash. C’était d’autant plus difficile pour moi que je m’étais assoupi peu de temps après avoir avalé l’infâme plateau repas servi à bord. Infâme sur le moment, car je le regrettais fortement après une semaine. Une semaine depuis le grand bruit, assourdissant, et le flash blanc, aveuglant. L’espace d’une seconde je me revoyais pendant mes « vertes » années comme militaire au sein d’un régiment de char, le tir canon vu de l’intérieur n’ayant rien à envier à cet énorme craquement ressenti dans l’avion. Mais au lieu d’entendre juste après le rire de mes camarades, ça n’avait été que le noir total et un bruyant sifflement. Je m’étais réveillé dans un haut fond, les yeux brûlants de sel, abasourdi de me retrouver au bord d’un rivage qui n’avait rien à envier à une carte postale tropicale. Sauf qu’il y’avait quelques débris de fuselage autour. Titubant et tombant à mi-corps dans l’eau, j’avais pu gagner la plage, à la recherche de quelqu’un ou même, sentiment illusoire, de mes bagages. Rien, évidemment. Je m’étais affalé sous un buisson et étais tombé d’un sommeil fiévreux et comateux. Le lendemain, c’est elle qui m’avait réveillé, elle tirait sur ma jambe pour voir si j’étais toujours de ce monde.

Elle, c’est la jeune fille qui était aussi sur le même vol, française comme moi et également en tourisme en Australie. Il nous a fallu une journée pour passer le choc initial, tenter de se calmer (elle surtout) et évaluer notre situation. Le lendemain nous nous sommes précipités en suppositions et en actions vaines. Il fallait signaler notre position, pour que l’on nous repère, chercher d’autres survivants, fouiller le territoire pour trouver une trace de civilisation, etc, tout à la fois et sans aucune réelle organisation. Un début de coup de chaleur nous a vite calmé au milieu de l’après-midi, et nous a forcé à ré-évaluer notre situation. Elle plaçait beaucoup d’espoir dans ce que je lui avais dit sur mon passé militaire. A l’inverse de ce que la plupart des gens ont l’air de le croire, le soldat moyen n’est pas un expert de la survie en milieu hostile, capable de chasser, se soigner, vivre et triompher avec un bout de bois et une lame rouillée. D’ailleurs, nous n’avions même pas de lame. J’avais quand même quelques restes de vagues recherches sur Internet, de blagues de terrain avec le régiment et de connaissances basiques. Mais, paumé dans ce lieu après un crash d’avion, je me sentais plus proche de mon boulot actuel dans les assurances que de mes plus jeunes années dans les camps de manuvre de l’est de la France.

Il nous avait fallu une bonne semaine pour nous établir un petit campement correct, avec deux huttes grossières en surplomb de la marée, et quelques nécessités indispensables : des noix de coco brisées avaient servi de premiers repas, puis les coques réutilisées pour recueillir l’eau de pluie (plusieurs orages tropicaux nous avaient réhydratétout en dévastant nos premières « tentes »), quelques bricolages avec des lianes plus ou moins bien tressées, des coquillages, des cailloux cassés, des bouts de bois flottéje m’étais attrapé des crampes lors de mes premiers essais pour allumer du feu avec un système de frottis de bois et failli me casser des doigts en tentant de frapper des cailloux les uns contre les autres pour faire jaillir des étincelles, mais nous avions fini par pouvoir entretenir régulièrement un feu de camp. En dernier recours, il y’avait ses verres de lunettes. Nous avions dressé un bûcher, protégé par de larges feuilles vertes, au cas où nous entendrions un avion ou apercevrions un bateau. En revanche, pour les vêtements, l’océan ingrat ne nous avait rendu aucun bagage de l’avion, mais je me félicitais d’être allé faire du tourisme sportif en Australie et que mes chaussures de randonnée et mon pantalon d’extérieur soient intacts. Ma chemise en revanche avait perdu une manche. Quand à elle, ses baskets tenaient bon, son pantalon était devenu un short et je lui avais offert mon t-shirt pour compléter sa propre chemise.

Bien que je l’entende souvent pleurer la nuit, tandis que je n’en étais pas en reste, le moral s’était amélioré et nous avions jusque-là tenu bon, en sachant nous adapter. Mais toujours aucun secours à l’horizon. C’est au cours de la seconde semaine (ma montre aussi avait tenu le choc, la marque venant de gagner ma confiance à vie) que nous prîmes la décision, puisque requinqués, de pousser plus en avant l’exploration de la jungle et du rivage, à la recherche d’aide.

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