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L'heure des courses – Chapitre 1




Pratiquant depuis nombre dannées plusieurs arts martiaux, mon kimono – que javais acheté neuf au début, commençait à montrer des signes dusure.

Jachetais toujours de la qualité, en général des vestes en coton tressé qui résistaient longtemps aux tractions et aux frottements, mais force était de constater quune quasi-décennie et des heures de pratique avaient fait perdre son bel aspect au vêtement.

Je navais rien à prouver aux autres, et si pour certains, pratiquer avec une veste complétement élimée est un signe dexpérience, personnellement, paraître miteux pourrait passer pour un manque de respect pour le Dojo, les autres, et le Doshu.

Etant donné que cela fait quelques années que jai pris conscience du gâchis, du gaspillage et de la consommation effrénée auxquels on nous pousse au nom du sacro-saint mythe de la « croissance » (alors que les ressources naturelles non renouvelables de notre planète, et mêmes les renouvelables, dailleurs, sépuisent à un rythme accéléré), je me suis dit quavant daller dans un magasin de sport acheter une veste toute neuve, pourquoi ne pas rechercher sur les sites de petites annonces si des personnes nen proposaient pas doccasion à la vente ; vu le nombre de personnes, adultes ou enfants, qui commencent chaque année à la rentrée un art martial et labandonnent au bout de quelques semaines, il devait bien en avoir des quasi-neufs qui dormaient dans des penderies, proposées à un prix réduit.

Effectivement, quand on consulte les annonces en ayant sélectionné le thème choisi, on saperçoit vite que nombre de personnes mettent ce genre darticles en vente.

Une fois éliminées les annonces de vendeurs habitants à plus de 50 km, celles dont les vendeurs cupides en veulent un prix quasiment égal à celui du neuf, celles dont les tailles des vestes ne correspondent pas ou présentent une erreur manifeste, on arrive quand même à sélectionner quelques annonces dont le produit semble celui que lon recherche, et ce dans des villes avoisinantes.

Je pris donc un rendez-vous et passai un soir chez le vendeur après mon boulot.

Mais là, déception : la taille ne correspondait pas.

Puis un deuxième : et là, déception et surprise encore, la veste savérait encore plus usée et élimée que la mienne (je mabstins de faire la remarque à la dame, que, personnellement, quand la mienne est dans cet état-là, je la jette, je ne cherche pas à la vendre, surtout une douzaine deuros.)

Je commençai donc à déchanter, constatant, en faisant le tri de toutes ces offres, quil y en avait probablement finalement bien peu qui correspondaient à ce que je cherchais. Mais je ne perdais pas encore espoir.

Un troisième rendez-vous mamena dans un pavillon à peu de kilomètres de chez moi. Une dame maccueillit, blonde, une petite cinquantaine (quelques années de plus que moi, donc.)

Elle me fit entrer dans sa maison. Elle me précéda dans lescalier qui montait à létage où se trouvaient les pièces principales.

Nous nous retrouvâmes dans sa cuisine et elle alla chercher le kimono en question. Je défis ma veste et enfilai par-dessus ma chemise la veste blanche en coton écru.

Elle était propre, quasiment pas usée, malheureusement je constatai aussitôt quelle était un peu étriquée.

Je grimaçai et lui en fis la remarque, autant déçu pour moi que pour elle.

« – Vous pouvez lessayer sans votre chemise » me dit-elle, « peut-être quelle vous ira mieux »

Jhésitai un peu, non pas que ça me dérangeait de me mettre torse nu devant cette femme (linverse aurait été plus dérangeant), mais parce que je me rendais compte que, avec ou sans chemise, jallais être trop serré dans cette veste.

Elle insista et me dit :

« – Vous pouvez vous changer dans la pièce à côté, si vous voulez », pensant que jétais gêné par la situation, ce qui nétait absolument pas le cas.

Elle continua en souriant :

« Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas vous violer. »

Jeus un rire franc :

« – Non, ça nest pas la question » lui dis-je, reprenant un air soucieux par rapport à la taille, « cest que je crois que ça ne changera rien. »

Jallais renoncer et laisser tomber, mais me ravisai :

« – Bon, oui, ok. Je vais quand même lessayer. »

Et jentrepris denlever ma chemise et mon maillot, ici-même, dans la cuisine, pour lui montrer que ça métait égal.

Jespérais en me défaisant quelle nallait pas simaginer que je nétais pas gêné parce que je ne la trouvais ni avenante, ni digne dintérêt, bref, que je ne la considérais pas comme une femme, car cétait bien le contraire.

Mais je ne me voyais pas lui dire quelque chose sur ce sujet pour me rattraper ; je navais pas envie de prendre le risque de lui balancer une allusion fine ou une blague maladroite qui aurait pu lui faire croire que je la draguais.

Pourtant, cette situation commençait, finalement, à mémoustiller : me retrouver torse nu devant une parfaite inconnue dans sa cuisine aurait pu être cocasse si ça navait pas pu paraître équivoque.

Je vis ses yeux me regarder, me détailler, sans aucun signe de gêne, ni sourire ambigu.

Après tout, nous aurions pu tout aussi bien nous rencontrer sur un tatami, et être deux camarades de pratique, même si dans les dojos, les vestiaires hommes et femmes sont bien évidemment séparés.

Constatant avec regret que, même sans chemise ni maillot, la veste était toujours trop juste, je me résolus à prendre congé.

Au bout de quelques jours de recherche, je finis par trouver ailleurs ce que je cherchais : une personne me vendit un kimono en excellent état, de marque, qui plus est ; les manches étaient un peu courtes à force de lavage, mais la taille était bonne.

Quelques mois passèrent. Un soir, en rentrant du boulot, je marrêtai faire des courses au SuperX qui est sur la route.

Rien de palpitant les courses, il faut bien avouer, mais il faut bien les faire.

De temps en temps, et selon mon « humeur », en me déplaçant dans les rayons, je mate des « petits lots » qui font leur course également. (Jappelle « petits lots » les femmes de mon âge que je trouve appétissantes, dans la tranche 45 60 ans car je nai jamais couru après les minettes, et ça ne ma pas encore pris en vieillissant.)

Cest bien la seule distraction que je moctroie le soir en semaine, et alimente pauvrement mes fantasmes depuis mon veuvage.

A la caisse, quand il y a de lattente, ça permet parfois aussi de passer le temps agréablement, du moins quand on a la chance que la caissière soit pas mal, ce qui est rarement le cas, ou que les dames devant nous dans la file, se penchent assez dans leur caddie pour nous offrir une vue intéressante sur leur décolleté – ou sous leur jupe qui remonte, cest selon.

Ce soir, il y avait peu de monde – la fréquentation de ce petit supermarché semble un peu déclinante.

Devant moi, en train de passer à la caisse ses articles, une vieille dame. Sans intérêt. Derrière moi était arrivée une blonde à lunettes. Javais bien vu quelle sétait mis à me sourire, sourire que je lui avais rendu bien évidemment, bien quun peu étonné.

Elle finit par me dévisager.

Devant son insistance, je finis par lui demander :

« – On se connaît ?

— Ça nest pas vous qui êtes venu chez moi pour une annonce ? Une veste de kimono ?

— Ah oui, à C. ? Oui, en effet, je me souviens maintenant.

— Vous habitez près dici ?

— Oui, je nhabite pas loin, en effet, à G., cest à peine à 2 km. »

Je me souvins alors de cet étrange essayage dans sa cuisine. Et aussi cette impression, peut-être fausse, que je ne la laissais pas indifférente.

Notre bref échange verbal sétait arrêté. Mes articles passaient en caisse, et la caissière pressée de terminer (pour faire une mini-pause entre les deux clients) allait à une allure démente. Je narrivais pas à suivre. Ma suivante me regardait en coin, et continuait à sourire.

Peut-être avais-je lair comique en essayant de rattraper le retard que javais pris sur la caissière, soufflant, fronçant les sourcils cherchant à vider le bout du tapis où commençaient à samonceler mes articles, et à les placer où je pouvais dans mon caddie.

Mais soudain, je vis ma blonde suivante, prise dempathie, se précipiter à côté de moi et venir à mon secours :

« -Je vais vous aider » me dit-elle en sactivant et en commençant à remplir mon chariot.

Touché par son intention, et ne cherchant pas à len empêcher je lui répondis

« – Merci, cest très gentil à vous.

« – Je sais ce que cest. Quelle corvée les courses. Le pire cest après, quand il faut les monter à la maison. Et moi, la mienne nest pas très pratique, il y a un étage à monter. Et jai cette épaule qui me fait mal depuis plusieurs semaines. Il paraît que jai une tendinite.

En plus il ny a personne chez moi, mon mari part travailler à la semaine (je ne peux pas attendre le week-end quil rentre pour le traîner en course), et je vais devoir porter tous mes sacs au 1er étage toute seule

— Oui, en effet », dis-je, touché que cette gentille femme, soit venue maider alors quelle souffrait de son épaule.

Je me souvenais bien-sûr de sa maison, avec cette cour devant, le sous-sol au rez-de-chaussée, lescalier et les pièces à vivre au 1er étage (la cuisine ainsi que les autres pièces.)

Du coup, une fois que jeus payé, cest tout naturellement que je lui proposai de laider à mon tour à mettre ses courses dans son caddie.

Elle me remercia avec force sourires. A nous voir nous entraider et finir nos courses ensemble, on aurait presque eu limpression que nous étions un couple.

Je proposai bien évidemment de laccompagner jusquà sa voiture pour prendre les choses lourdes des profondeurs de son caddie pour lui éviter ces manutentions douloureuses pour elle.

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