Le réveil résonne dans ma tête. J’ouvre péniblement un il. Malgré mon manque de sommeil, je me sens bien, différente même. Ce mot convient parfaitement à cette sensation. Un vide a été comblé en moi et avec lui la promesse d’un bonheur à venir que je pensais inaccessible. La reprise de nos jeux vers quatre heures du matin est bien présente dans mon esprit et mon entrejambe, très sensible. Dans un espoir, d’étreindre ma belle, mon bras part à la recherche de son corps, en vain. Rien d’étonnant, vu l’heure.
Avec difficulté, je réussis à me lever ; enfin, tomber du lit serait plus approprié et me dirige d’un pas lourd vers la cuisine. Tout est propre, rangé, ma fée du logis est passée par là. A mon approche, son visage s’illumine; elle vient à ma rencontre, et me tend ses lèvres.
Bonjour, ma princesse, bien dormie ?
J’émets un grognement et réponds à son baiser de bienvenue.
Les croissants sont sur le bar, si tu veux, reprend-elle d’une voix enjouée.
Assise devant mon café, j’essaye de remettre les événements dans l’ordre. Un; je n’ai pas rêvé puisque Mariam est devant moi, rayonnante comme un soleil. Deux; j’ai toujours l’agréable sensation de ses caresses sur ma peau. Trois; je retournerais bien faire des folies avec elle pour la journée.
De son côté, Madame cent mille volts va, et vient dans la cuisine, n’oubliant pas à chacun de ses passages d’avoir un geste tendre à mon égard. Soudain, elle marque un temps d’arrêt, se retourne et s’approche de moi avec un regard coquin. La bouche pleine, je me recule pour esquiver son contact.
Je vais t’en mettre partout ! dis-je, surprise.
M’en fous, j’ai envie, répond-elle avec fougue.
Du bout des doigts, elle attrape mon menton et sans avant que je réagisse, m’embrasse à pleine bouche. D’ordinaire, me déranger pendant mon petit-déjeuner est un sacrilège, mais à cet instant, je me soumets à ce contact délicieux et tout mon être réclame un rappel.
Toujours aussi bonnes ces viennoiseries, hein ? dit-elle d’un ton malicieux.
Exquises même, depuis ce baiser volé.
Je lui lance un regard de braise et passe ma langue sur ma lèvre supérieure. C’est peine perdue, le capitaine navigue déjà vers d’autres horizons, enfin le salon, en fixant son téléphone pour le rapport quotidien de ses moussaillons. Ma tentative puérile à l’aguicher se transforme en naufrage.
Bonjour, mes amours, lance-t-elle, très en forme. Tiens, j’ai droit à un appel vidéo ce matin !
Bonjour, Maman, répondent les jumelles en chur.
Vous avez tout rangé, alors ?
On a fait un peu de ménage pour que la maison soit propre quand tu rentres.
Hum, je ne veux pas savoir dans quel état elle était !
Arrête maman, tu n’es pas drôle ! râle Cathy.
Bref. Votre contrôle s’est passé comment, les filles ?
Les maths, je n’y comprends rien, c’est chiant !
Cathy ! Tu iras mettre un euro dans la boîte à jurons, s’il te plaît.
Et toi, maman, ça va à Paris ? Tu as l’air fatiguée, questionne Émily.
Un blanc s’installe. Dans mon coin, je pouffe de rire en éparpillant mon croissant sur le bar.
Heu… Oui, tout va bien. J’ai eu beaucoup de travail, le test est difficile, vous savez, mais… je dois bientôt partir, là. Je vous raconterai tout ça en rentrant, c’est promis. Ne traînez pas. Bisous, mes amours.
Bisous, Maman, reprennent-elles en chur.
Mariam soupire et raccroche en dodelinant de la tête, puis revient au bar avec un petit sourire.
Elles ont l’il, tes filles, dis donc ! affirmé-je d’un ton ironique.
Oui, tu as remarqué. Maman, c’est une vigilance de tous les instants, crois-moi !
* * * *
Dès notre arrivée dans le hall, j’ai senti le regard de Paul se poser sur nous. Après un bref bonjour, il me prend à l’écart.
J’ai l’impression que la nuit a été difficile, mesdames ? me chuchote-t-il à l’oreille.
Oui… problème de voisinage !
Mon meilleur ami me sourit. Je pensais être prête pour lui répondre, mais je me rends compte que mon mensonge est grossier ; il connaît mon appartement par cur et sait que mes plus proches voisins sont des retraités octogénaires. En me poussant du coude, il éclate de rire et reprend un ton ironique.
Des voisins bruyants. Ma pauvre Julie, la semaine où tu as une invitée, c’est un sacré manque de chance !
Tu me raconteras ?
Surprise, je recule, faisant mine de ne pas comprendre son allusion. D’habitude, nous échangeons sur nos aventures respectives, mais là, c’est différent.
Et tu n’oublies pas de m’inviter à l’occasion, hein ?
L’heure approche le bon timing pour m’esquiver vers la salle de test où m’attend Mariam, le sourire aux lèvres, lui rapporter mon aparté va être très délicat.
Aujourd’hui, nous décidons de laisser la porte ouverte malgré les consignes. Dès la première minute, le cou de Mariam m’hypnotise et notre soirée magique tapie en embuscade, envahit mon esprit qui ne demandait que cela. Nos caresses, nos baisers brûlants, tout le plaisir que nous nous sommes donnés repassent en boucle, et m’enflamment le bas-ventre. Stop ! Trouve très vite un autre sujet de réflexion, ma fille, sinon tu risques la combustion spontanée. Rester concentrée devient alors un supplice, une épreuve de force. Malgré une envie irraisonnée, je dois éviter tous contacts pour ne pas la perturber pendant l’exercice.
Pause repas dans deux minutes, annonce notre agent d’accueil, d’une voix aussi agréable qu’une poissonnière à la criée.
Cette impression de scène qui se répète sans fin me désole, une soudaine envie de changement germe au fond de moi. J’ai pourtant choisi et me suis battue pour cette vie, hors du contrôle familial, en totale indépendance. Elle me convenait parfaitement jusqu’à…
Mariam. Oui, c’est bien cela. Jusqu’au moment de comprendre le vide et l’inutilité de cette existence et les manques qui à cet instant me crèvent les yeux. Je relève le nez et détaille cet environnement si familier : dix personnes dans une salle trop petite, des odeurs de déodorants et de sueurs mêlées, des bruits de claviers incessants, des soupirs d’agacements. A ma droite, mon seul et unique ami. Le regard sombre, il dodeline de la tête pour signifier le futur échec de son candidat. Les cheveux en bataille, ce dernier semble tout droit sorti de son lit. Seules les marques d’oreillers sur la joue lui font défaut. De nouveau, mon regard se pose sur ma candidate, la boucle est bouclée. Face à elle, je me sens comme une droguée en manque et dois trouver une solution pour avoir ma dose au plus vite. Difficile de lui sauter dessus dans le couloir pour l’embrasser. Non, impossible. Discrètement, je me penche à l’oreille :
On va passer à mon bureau avant d’aller manger.
Mariam me jette un regard étonné; pourquoi ce changement de programme ? doit-elle se demander. Au signal de fin, nous sortons de la salle, elle prend ma suite sans un mot. Dès l’ouverture de la porte de mon bureau, je lui cède élégamment le passage, la pousse à l’intérieur sans ménagement, et le referme à clé, derrière moi. Elle se retourne pour protester, mais quand nos regards se croisent, comprend très vite la situation. Sans ménagement, je la saisis par son débardeur et la tire à moi. Je dois satisfaire cette envie, coûte que coûte, nos lèvres se joignent, s’aspirent, se mordillent. Une joute sensuelle s’engage, nos mains s’agitent, chacune essaye de dominer l’autre. Cette nuit, elle m’a confié que ses oreilles sont des zones érogènes hypersensibles. Depuis, j’ai envie de les croquer dès que j’en ai l’occasion. Sur la pointe des pieds, j’attrape son lobe droit du bout des dents.
Non, ce n’est pas juste, tu triches, me susurre-t-elle dans un souffle.
Alors j’ai gagné, tu es à moi !
Pendant que ma langue avide parcourt son lobe, mes doigts en profitent pour visiter son ventre et remontent vers ses seins, exacerbant mon excitation. Soudain, deux coups brefs sur la porte nous surprennent ; ils ont résonné comme des déflagrations. Dans un mouvement de recul, je bouscule un siège qui tombe au sol. Pour la discrétion, c’est raté. La poignée descend doucement, quelqu’un essaye d’entrer, c’est la panique.
Julie, tu es là ? demande une voix masculine.
C’est Paul. Soulagée, je soupire et me racle la gorge pour répondre le plus naturellement possible.
Oui, Paul, cinq minutes. Nous avons un petit souci à régler.
Je peux vous aider ?
Non, non, je te remercie, c’est purement féminin !
Ah ! OK, désolé. Rien d’urgent, à tout à l’heure, alors.
Cette interruption a refroidi nos ardeurs et nous partons d’un fou rire en remettant nos vêtements en place.
Tu as de la chance, sans l’arrivée de Paul, j’aurais gagné.
Je n’ai pas dit mon dernier mot, me lance Mariam. Je ne me laisserai pas avoir si facilement la prochaine fois.
On verra !
Avant de sortir, je lui dépose un baiser du bout des lèvres. Cet intermède nous a ouvert l’appétit. Direction le restaurant.
* * * *
Près des baies vitrées, notre table est libre. Nous allons pouvoir être à l’écart. J’ai doublé ma ration de salade tellement la faim me tord l’estomac. Mariam, fidèle à elle-même, attaque un plateau chargé à bloc à grands coups de fourchette.
Mesdames, vous permettez que je me joigne à vous ?
Occupée à vider ma première assiette, je n’ai pas vu Paul s’approcher. Je lève les yeux pour questionner Mariam qui, un petit sourire au coin des lèvres, acquiesce d’un battement de cils.
Bien sûr, Paul, je t’en prie.
Par calcul, il se pose à côté de moi pour être face à ma candidate.
Le test se passe bien, Mariam ? attaque le nouvel arrivant.
Oui, ça va, dit-elle entre deux bouchées. Je me sens à l’aise dans les exercices et ma tutrice est très chaleureuse avec moi, un vrai bonheur.
Mes yeux s’arrondissent ; je lui frôle le mollet sous la table en guise d’alerte. Paul tourne la tête vers moi et je replonge dans mon assiette pour échapper à son regard.
Tu as raison, je connais bien ma Juju, elle est capable de donner beaucoup d’elle-même, c’est son côté altruiste.
Eh bien, je te confirme qu’elle me chouchoute et que notre collaboration n’est que plaisir, répond-elle du tac au tac avec un grand sourire.
Oh mon Dieu ! Pourquoi a-t-elle utilisé ce mot ? Il est clair que le double sens de cette phrase ne va pas échapper à Paul et je me demande quel film se tourne dans sa tête en ce moment. Je ne sais plus où me mettre.
Tu en penses quoi ma Juju ? reprend Paul, l’air goguenard.
Pendant ce temps, un pied nu remonte avec lenteur le long de ma jambe, augmentant davantage mon trouble.
Heu, Mariam est très… douée. Je pense qu’elle réussira le test haut la main !
Je foudroie Mariam du regard. Fière de sa blague, elle me gratifie d’un grand sourire satisfait.
Vous avez l’air de bien vous connaître tous les deux, surenchérit Mariam.
Oui, je dirais que nous sommes très complices et on aime bien s’asticoter avec ma Julie !
Ah bon ! Complice comment ? interroge-t-elle en plongeant ses yeux dans les miens.
J’ai senti une pointe de sarcasme dans ses deux derniers mots. Paul se tourne vers moi et suspend cette question délicate. Il nous est arrivé de laisser s’exprimer nos envies charnelles par le passé ; juste par plaisir, mais, ce n’est pas l’endroit ni le moment pour s’étendre sur le sujet, si je puis dire.
Un ange passe, tous deux attendent une réponse. Mes yeux cherchent une porte de sortie et croisent la pendule qui indique un retour imminent en session.
Heu… ne traînons pas, c’est bientôt l’heure.
L’expression « sauvée par le gong » me convient parfaitement à cet instant, mais j’ai vu dans le regard de Mariam qu’elle attendait autre chose.
* * * *
L’après-midi a été difficile. La fatigue due au manque de sommeil m’a interdite toute concentration de plus de cinq minutes d’affilée sur le problème du jour. Un combat perpétuel pour tenir mon rôle et éviter que mes pensées se tournent vers demain et la suite de notre aventure. Une question a surgi et me hante : quel avenir avons-nous ensemble ?
Assise derrière mon bureau, le nez dans mes rapports, je regarde Mariam du coin de l’il. J’aimerais avoir le courage d’en parler avec elle, mais c’est un exercice plus facile à fuir qu’à affronter. J’ai senti un flottement chez Mariam, son regard me fuit. J’aimerais qu’elle me bouscule pour me dire : « Et maintenant, comment vois-tu la suite ? ». Je suis perdue, incapable d’analyser cette situation qui ne peut se décliner en lignes de codes et équation mathématique. Cela m’aurait certainement aidée.
* * * *
La soirée a démarré en silence et d’un commun accord nous avons décidé de rester sages pour apaiser ce qui nous a emportées comme une vague ces derniers jours. Cette envie folle qui nous a submergé l’une et l’autre. Un coup de foudre, si cela en est un, n’explique pas tout et cette impression de connaître les pensées de l’autre, de se comprendre sans rien dire est une sensation incroyable. Une petite recherche sur la toile m’a permis de compléter le concept du terme « âmes surs », une compatibilité parfaite entre deux personnes, mais j’ai une logique plutôt cartésienne et je ne sais pas quoi en penser.
Il est à peine vingt heures. Accoudée au bar, je regarde Mariam nous concocter une petite salade composée. Dès que je me suis approchée de la cuisine en parlant de manger, elle m’a tout de suite dit que cela lui ferait plaisir de préparer le repas. Je ne pouvais pas lui refuser. Et puis, il y a moins de risque que cela finisse au compost.
Dans un silence presque religieux, ce frugal repas est vite consommé. Nous nous sommes ensuite installées sur le canapé, dans les bras l’une de l’autre. Demain est le dernier jour du stage. Je refuse d’y penser pour profiter de l’instant présent. Mariam caresse mes cheveux pendant que je dessine des ronds autour de ce nombril que je trouve ravissant. Enfin, c’est idiot, tout est adorable chez Mariam.
Après une douche rapide, nous nous couchons l’une contre l’autre. Calée au creux de son épaule, je me sens une autre femme, sans peur, prête à affronter le monde.
Bonne nuit ma princesse, me chuchote une voix suave à l’oreille.
Je lève la tête et joins mes lèvres aux siennes en guise de réponse. Aussitôt, nos langues mutines s’entremêlent et réveillent la flamme au creux de mes reins. Notre résolution de début de soirée s’envole comme une feuille au vent. Sous les soupirs de mon amante, mes mains partent à l’exploration de son corps. J’aime qu’elle s’abandonne à mes caresses; l’entendre exprimer tout le plaisir que je lui donne quand sa peau vibre sous mes doigts. Une drogue qui me chauffe le sang et m’excite au plus haut point, libérant la louve tapie au fond de moi.
A pleine bouche, je happe ses seins que je mordille tour à tour à coups de dents féroces.
Doucement, s’il te plaît, supplie-t-elle en me caressant les cheveux.
Dans une frénésie dévorante, j’ignore sa requête. Mon désir de la posséder devient bestial. Petit à petit, mes gestes perdent leur douceur, mes doigts les malaxent au lieu de les effleurer, et mes ongles griffent sa peau.
Aïe ! Julie, arrête ! s’exclame-t-elle en me repoussant.
Pardon, dis-je, confuse, je… je suis désolée. Je ne sais pas ce qui m’a pris.
La colère dans ses yeux me fait l’effet d’une douche froide. Guidée par mes instincts primaires, j’ai perdu le contrôle ne répondant qu’à une envie, la mienne. Un peu honteuse, je niche ma tête au creux de son épaule ne sachant plus trop où poser mon regard. Mon don pour gâcher les meilleurs moments m’exaspère.
J’aime ta fougue, ma princesse, chuchote-t-elle d’une voix douce pour me rassurer, mais avec ses journées, je suis fatiguée, laisse-moi un peu de temps.
Ce soir, pas de jeu de domination, nous ferons l’amour uniquement pour satisfaire notre besoin de tendresse, pour le plaisir de s’offrir l’une à l’autre.
Cette nuit, il ne sera pas question de lâcher Mariam, je sais cette pensée incestueuse, mais être dans ses bras m’apaise, son côté maman me plaît et me rassure.