Septima
Romane nous a appris à écrire. Dans lAutre Monde, seuls les citoyens en détiennent le savoir. Je me demande ce que pourrait en penser mon maître. De toute façon je nen ai rien à faire, jespère que ce chacal est mort.
Par où commencer ? Par mon arrivée dans Xanths ? A quoi bon ? Malgré tout le mal que je peux en penser, je nai véritablement trouvé un sens à mon existence que lorsque je lai rencontré ; certes, pas la première fois. Ni la seconde dailleurs. Jai mis de longues années à men rendre compte, mais cette femme a probablement sauvé ma vie, symboliquement autant que physiquement (si ce nest plus). Comment a-t-elle appelé ces signes déjà ? Je crois que ce sont des parenthèses. Bah, je vais lui demander. Oui, ce sont bien des parenthèses. Oh et puis elle ma encore pris la tête, cest toujours pareil : pourquoi est-ce quelle cherche toujours à jouer le rôle du chef? Quand nous nous sommes rencontrées, elle arrivait à peine à survivre deux jours de suite sans se faire capturer, alors que javais presque un an dexpérience. Jai autant de légitimité quelle ! Non, jen ai plus quelle : je survis mieux quelle, jai plus dexpérience, je suis plus forte, plus rapide. Mais jignore pourquoi, il se dégage de sa personne une impression de Je ne sais pas, de puissance ? de force ?
Déjà pourquoi passait-elle tout son temps à moitié nue ? Lorsque nous nous sommes rencontrées la première fois, elle était à un cheveu de se faire engrosser par les ogres qui peuplent la garde. Bon daccord, le sang du premier ogre ayant été versé, elle avait hésité avant dattaquer le second. Joli coup du sort, je ladmets. Mais après, elle sest tout de même faite rattraper par le deuxième ; et en plus il lui a fait boire une eau spéciale, celle tirée des fontaines dattraction, ou une source, je sais plus. Elle a écarté les cuisses bien volontairement après. En y repensant, cela me fait rire : à lépoque, je lavais sauvé uniquement pour espérer léchanger à une autre patrouille, contre ma liberté ; ça aurait été une de moins à conquérir. Pourtant, les deux ogres mavaient à peine proposé une seconde chance, moffrant une seconde possibilité déchapper à Xanthos. Etant parvenue à sentir le traquenard, javais refusé.
Une fois Romane sortie de son long sommeil, je lavais chassé. A lépoque, je pensais être en mesure de me débrouiller seule. Je nen suis plus tout à fait sûre aujourdhui. La deuxième fois, cette idiote mavait volé mon sort. Le sort que je cherchais depuis près de trois mois : larc-en-ciel. Il permet de réaliser nimporte quel vu. A lépoque, je pensais être en mesure de rentrer dans lAncien Monde ; javais mis très longtemps à me renseigner sur son pouvoir et son emplacement. Cétait un petit faune qui me lavait indiqué : il avait essayé de mempoisonner avec des herbes bizarres quil avait mélangé à mes préparations.
Jétais parvenu à lui échapper, et jétais revenue plus forte encore. Après lavoir capturé, il mavait indiqué ce que je voulais : un moyen de quitter ce monde, la horde de gobelins ayant été omis de son récit. En fin daprès-midi, armée de divers sort (soin, force et armure), je métais enfoncée dans les cavernes quil mavait indiqué, me servant de mon expérience dans les mines de lAncien Monde pour mémoriser les tunnels que javais emprunté. A peine entré dans les galeries, des rires et des attroupements métaient parvenu depuis un endroit en particulier, que je mis du temps à localiser.
Dans le noir, quelque chose ma attrapé par surprise, avant de me mordre le cou : cétait grand, bien plus grand que moi, et bien plus imposant. Jai entendu comme un bruit daile, puis cest parti. Je nai même pas eu le temps de réagir, mentalement comme physiquement : en un battement daile, la créature était arrivée et repartie. Le sang ne coulant pas de ma plaie, jai continué mon chemin.
Et cest à ce moment-là que je suis tombée sur Romane pour la deuxième fois. Je lai à peine reconnu, sauvagement montée par le chef du groupe, et abusée par quatre autres gobelins. Je nai pas eu le temps de réagir : elle avait le sort dans la main, et la utilisé. Je me souviens lavoir entendu pleurer, et hurler de plaisir presque en même temps, pendant que les gobelins se sont partagé son corps : je me suis dit quelle était perdue, et je suis sortie de la salle. Jétais en colère : pour la deuxième fois, cette femme mavait empêché de revenir dans mon monde ; elle avait utilisé mon sort, le mien ! Jai trouvé ça injuste, et cela ma rendu folle de rage.
Mais plusieurs hommes étaient en train dabuser delle. Je me suis alors remémoré lAncien Monde, et prise de rage, je suis rentré dans la salle, et jai repoussé tous les gobelins, ramassant Romane sur mon dos. Puis je suis sortie de la grotte. Ma cachette était située à plusieurs kilomètres alors jai décidé de nous faire un abri pour passer la nuit, sachant pertinemment quelle ny survivrait probablement pas. Jai utilisé un sort de mirage au fond dune crevasse pour la laisser se reposer, et après avoir allumé un feu, je lai nettoyé, la vidant de la semence que les gobelins avaient relâchée dans son ventre et sur sa poitrine. Jai attendu que son ventre grossisse, mais malgré toute mon attention, je me suis endormie, ayant passé les deux derniers jours éveillés.
***
***
Romane
A moitié ravagée par les coups de burins des gobelins et leur semence brûlante, jétais presque tombé dans les vapes. Quelque chose clochait : depuis quun deux mavait mordu, javais limpression dassister à mes coït au ralentit : le plaisir en était décuplé, mais en échange je me retrouvai incapable de bouger le moindre muscle. Ils se succédèrent pendant des heures ; du moins jen eu limpression. Et puis au bout dun moment, tout sarrêta. Les gobelins disparurent de mon champ de vision, les uns après les autres, et quelquun me plaça sur son épaule. La position était affreuse, et me procura un mal de ventre abominable ; mais je ne parvenais pas à bouger. Ce devait sûrement être la garde, qui me ramènerait bientôt à Xanthos. De toute façon jétais fichue.
Ma vision se brouilla, mes oreilles bourdonnaient, et les gardes lavèrent mon corps. En me réveillant le lendemain matin, allongée à même le sol rocailleux des montagnes, je me rendis compte que mon esprit tournait encore légèrement plus lentement que dhabitude. Il faisait beau, le soleil se tenait haut dans le ciel. Je parvenais difficilement à bouger. Jentendis quelque chose craquer sur ma droite : en me retournant, je reconnus la jeune femme blonde qui mavait sauvé la vie deux semaines plus tôt ; elle marchait dans ma direction, le sourire au visage. Cétait elle ! Javais mal au dos, les blessures de ma chute pour échapper aux harpies devaient sêtre ouvertes. Ce nétait donc pas la garde, qui mavait capturé ? Cétait elle ? Pour la deuxième fois elle mavait sauvé la vie, et pour quelquun qui cherchait à limpressionner dune manière ou dune autre, dans loptique de sallier à elle, je me sentais mal.
Elle ne me jeta même pas un coup dil : toute souriante, la jeune femme sassit à ma droite et ferma les yeux, sendormant dun seul coup. Jeus un flash : je me mis subitement à palper mon ventre ; je ne métais pas faite engrosser. Comment était-ce possible ? Tous les gobelins métaient pourtant passés dessus. Alors pourquoi ? De toute façon, je ne parvenais pas à réfléchir : mon cerveau était embrumé, sûrement à cause dune forme de venin lié au gobelin qui mavait mordu. Je ressentis une grande douleur à mon bras : cétait celui sur lequel jétais tombé dans ma chute, en échappant des harpies. La femme lavait enroulé de lianes. Pourtant, il ne mavait causé aucune douleur dans la grotte. Comment était-ce possible ? Je décidai dexplorer les environ ; ce que je neus pas le temps de faire.
A peine levée je trébuchai, encore sonnée par le venin. La jeune femme dû entendre le bruit, puisquelle me sauta à la gorge, couteau à la main. Cétait la deuxième fois depuis mon arrivée à Xanths, ça commençait à bien faire.
— Stop ! criais-je. Cest moi, je suis tombée, cest tout. Désolée de tavoir réveillée.
Elle relâcha ma gorge, lair complètement estomaquée. Septima est une très belle femme : blonde aux yeux bleus, elle a un nez fin et se coiffe souvent les cheveux avec de grandes tresses. Ses coiffures dénotent toujours, et sont éclatantes de beauté, je dois le reconnaître. Son petit nez, plissé par la stupéfaction et lénervement, la rendait craquante, à ce moment-là. Son sourire avait disparue : pourquoi avait-elle réagi de manière aussi appuyée ? Après tout elle mavait vu en arrivant à linstant Elle recula, abasourdie :
— Comment Sorcière ! Comment avez-vous fait ? Vous devriez être morte ! Votre ventre
Elle semblait aussi perturbée que moi. Zvolk mavait pourtant assuré quil métait impossible de survivre à une décharge animale dans mon ventre sans laide de la garde : la graine aurait dû gonfler et me détruire de lintérieur. Or, il nen était rien, mon ventre semblait aussi plat que dhabitude, voire même légèrement plus maigre, dû au contexte de survie. Je ne me lexpliquais pas, jaurais bien été en peine de lui expliquer à elle. Elle serra son couteau fort dans sa main, et au bout de quelques instants, une lueur vint éclairer son visage :
— Le sort ! Vous lavez utilisé ? Jétais venu le chercher exprès.
Elle madressa un coup de poing en plein visage, folle de rage. Malgré son gabarit, légèrement inférieur au mien, elle mavait projeté au sol. Ses réactions disproportionnées et son inclinaison à me frapper commençait à magacer fortement : même si je navais jamais été du genre à me battre, jétais à deux-doigts de lui rentrer dedans.
— Hé ! hurlais-je. Tu es folle? Je te préviens, si tu me touches encore une fois je
— Le sort ! minterrompit-elle. Le sort arc-en-ciel ! Il permet de réaliser tous les vux. Jaurais pu rentrer dans mon monde. Et au lieu de ça, il vous a juste sauvé la vie Pour quel souhait lavez-vous utilisé ?
Jeus un mouvement de recul. Je me sentais nulle davoir été sauvée encore une fois, par la même personne. Zvolk mavait sauvé deux fois, elle également, à lépoque cétait déjà beaucoup trop. Il était temps que japprenne de mes erreurs et que je devienne autonome, même dans ce contexte. Ainsi il métait impossible de lui en vouloir, malgré toutes les horreurs quelle mavait lancées au visage. Au final, elle a bon fond, et je sais aujourdhui quelle avait été véritablement touchée par cet échec, presque totalement désespérée.
— Je Oui. Enfin, je suppose. Javais juste en tête de ne pas tomber enceinte ; jy ai pensé très fort, le sort a disparu Je pensais quil avait disparu. Cest ma faute, je suis désolée.
— Il aurait pu être bien mieux utilisé que ça. Dans deux jours vous tomberez de nouveau sur une autre créature, et elle vous tuera comme ces gobelins ont manqué de le faire.
Si seulement je pouvais transplanter ma conscience actuelle dans mon corps de lépoque, je laurais frappé violemment au visage. Le pire, cest quelle sest à peine adoucie avec les années. Réflexion faite je ne pouvais pas spécialement lui en vouloir : lendroit nous a tous changé, nous poussant aux pires extrémités. Elle avait vécu lenfer, et je le découvrais à peine. Mais en ce temps-là, jétais nouvelle, je navais aucune idée de comment survivre, donc je métais tu. Au moins, jétais toujours vivante, bien portante à lexception de quelques blessures, et jétais même parvenue à la retrouver. Il ne nous restait plus quà retrouver Zvolk. Elle reprit son monologue :
— Félicitation. Je nai plus quà tout recommencer maintenant.
— Il faut retrouver Zvolk, fis-je. Il saura peut-être quelle attitude adopter. Peut-être même où trouver une autre sphère arc-en-ciel.
— Qui ça ? Logre bleu ?
Après avoir rencontré ces foutus gobelins, javais bien retenu la différence : les Hobgobelins sont plus grand, moins stupide, et de couleur grise, voire bleu ; les gobelins sont verts. La jeune femme commença à ramasser ses affaires, les rangeant dans un petit sac quelle se plaça en bandoulière.
— Cest un Hobgobelin, rectifiais-je. Pas un ogre. Il mattend à lendroit où la garde mavait débusqué.
— Peu importe, cest un homme : il nest pas digne de confiance.
— Quest-ce que tu racontes ? Zvolk ne ma jamais menti, il ma même sauvé la vie.
Evidemment, javais omis la fois où il mavait expliqué comment annuler les effets secondaires des plantes : celle dont je métais servie avait continué démettre bien après quil lui ait uriné dessus. Mais ce type de détail naurait pas servi mon argumentation, mieux valait le laisser de côté, et attendre dêtre avec Zvolk pour en parler. Seule à seul.
— Il na jamais cherché à abuser de vous ? me demanda-t-elle.
— Non.
— De toute façon la question ne se pose pas. Je ne lui fais pas confiance, et vous devriez en faire autant. Les gobelins ne vous ont pas servi de leçon ? Je vais retourner dans ma cachette, le mirage derrière lequel vous étiez caché est situé un peu plus loin. Vous voulez que nous fassions route ensemble ? Très bien, mais uniquement pour ce trajet. Après, nos chemins se sépareront, et il ny aura plus jamais de nous, compris ?
Je souriais. Après tout, je parviendrais peut-être à la convaincre de rester à mes côtés. Ce ne serait pas une opération facile, ni même enviable, mais je navais rien à perdre.
— Marché conclu.
***
Nous marchâmes en direction du sud. Sonnée par la harpie, je ne métais pas rendue compte à quel point la distance sur laquelle elle mavait transporté était grande. Jespérais juste que Zvolk mattende, et quil ne perde pas patience. Au total, nous avions marché sur trois jours. Le matin, avant même que le soleil se lève, nous cherchions une crevasse ou une grotte pour nous abriter et nous cacher, le biome sy prêtant. Là, nous nous échangions les tours de garde sans trop nous adresser la parole. Tard dans la nuit, nous prenions la route, marchant jusquau petit matin.
Le premier soir, après sêtre reposé la journée entière, caché par le mirage, nous nous étions mises en route dès le coucher du soleil, éclairé par un croissant de lune. Tard dans la nuit, nous étions tombées sur une source deau, perdue entre deux versants de montagnes. Pour la deuxième fois depuis que je lavais rencontré, la jeune femme sétait mise à sourire ; ce qui malheureusement ne dura que quelques secondes. Elle proposa une halte, et jacceptai. La jeune femme déposa sa sacoche, et commença à retirer son espèce de protection en cuir : elle était composée de plusieurs plaques de cuir dune vingtaine de centimètres de long, reliées entre elles par des lianes, qui protégeaient son ventre, lenroulant comme une ceinture. En dessous, elle portait grande peau de bête qui la couvrait des épaules jusquà mi-cuisse, laissant seulement le dessous de son bras droit découvert.
Elle se déshabilla très rapidement, sans aucune pudeur vis-à-vis de moi. Elle conserva juste un petit couteau en pierre taillée, attaché à une liane autour de son ventre. Son sexe était entièrement épilé. Elle était très belle : petite blonde, sûrement avec un bonnet B. Ses seins étaient plus petits que les miens, mais soulignaient magnifiquement sa silhouette. Je mis également très peu de temps à retirer la peau couvrant mes fesses : elle était de bien moindre qualité que les siennes, qui plus est ma poitrine nétait pas couverte ; cela me permis de prendre conscience que ma toison avait disparue corps et bien, arrachée par mon coït avec la harpie. Seules quelques touffes de poils çà et là étaient encore présentes : le résultat nétait pas beau à voir, jaurais peut-être dû suivre les conseils de Zvolk.
Je menfonçai dans leau : elle était fraiche. Cette fois, je regardai où mettre les pieds, me rappelant ma dernière expérience. La blonde semblait sen foutre, elle resta sur la berge, se lavant juste ce quil fallait, la pointe de ses seins durcie par la fraicheur de leau. Je commençai par quelques allers-retours, ce qui sembla létonner.
— Vous savez nager ? me demanda-t-elle.
La question me surprit : aujourdhui, tout le monde semblait plus ou moins savoir nager après tout. Mais autre chose commençai à me courir sur le haricot :
— Je ten prie, tutoies-moi.
— Quoi ?
Je navais aucune idée de lendroit où elle avait grandi, mais cette remarque me déstabilisa complètement, si bien que jeus du mal à lui expliquer :
— Au lieu de dire vous Dis « tu ». Pas la peine de prendre des pincettes.
— Je ne comprends rien à ce que vous dites.
Jétais pourtant claire non ?
— Ne madresse pas de marque de respect, ne te prends pas la tête. Je ne sais pas moi Parle-moi comme si jétais une amie. Au point où on en est
— Mais vous nêtes pas mon amie
— Oh et puis va te faire foutre !
Non mais pour qui elle se prenait ? Je ne me sentis pas blessée par ses paroles, mais par le ton quelle avait employé : il était descriptif, comme si elle avait juste établi un constat. Force était de constater quelle navait pas tort, on ne sétait fréquentée que quelques heures, mais Un long silence sabattit. Je retentai ma chance :
— Bien sûr que je sais nager, pas toi ?
— Je nai pas eu la chance de naître maîtresse. Tu Tu sais nager, mais tu ne sais ni coudre, ni fabriquer de cuir. Cest à peine si tes lambeaux tiennent sur tes hanches.
Elle me fit rire :
— Je ne suis pas née maîtresse, mais tu nas pas tort. Doù est-ce que tu viens exactement ?
— De Capoue. Mon maître sappelle Oenomaüs, il est commerçant. Il ma racheté aux mines lorsque jétais enfant. Et vous ? Je veux dire, et toi ?
Capoue ? Capoue ? Où est-ce que jen avais déjà entendu parler ? Ce nom me disait quelque chose.
— Je viens de France. De Paris pour être plus exact ?
— De Pâris ? Comme le troyen Pâris ?
Son visage sétait illuminé, et sa remarque illumina le mien : Capoue se situe en Italie, si ma mémoire est bonne, cétait à cet endroit que la révolte de Spartacus contre la République Romaine était née. Javais adorée la série. Mais alors Non Non, ça nétait pas possible Est-ce que ?
— Dis-moi, est-ce que tu connais un certain Spartacus ?
— Bien sûr, il gagne tous les combats de gladiateurs en ce moment, il est vraiment en vogue. Mon maître sest fait une fortune en pariant sur ses victoires.
La nouvelle me tomba sur la tête aussi violement quune enclume : je venais de comprendre. Pourquoi cette jeune femme me vouvoyait, pourquoi elle était incapable de nager mais disposait dun savoir-faire impressionnant. Pourquoi elle nétait pas née maîtresse. Elle avait été esclave, au premier siècle avant la naissance de Jésus, en pleine République Romaine. Tout était clair, mais toujours incompréhensible. Jappris bien plus tard que la magie de Xanths permettait de traduire toutes les langues, nous permettant de nous comprendre malgré des millénaires de différence ; et il en était de même pour les humanoïdes : hobgobelin, harpies, tous étaient en mesure de se comprendre. Restait à savoir comment Nathanaël voyageait à travers le temps et les dimensions
Au final, je finis par me placer au centre de la source :
— Allez, ramène-toi.
La jeune femme me regarda dun air suspicieux, avant de me répondre :
— Je nai plus pied à mi-chemin.
— Je sais, répondis-je. Mais je vais tapprendre. Allez ! Si javais voulu te tuer, jaurais déjà pu le faire pendant ton sommeil, fais-moi un peu confiance.
Elle savança, très lentement, faisant bien attention aux endroits où elle mettait les pieds.
— Nimporte quoi.
Sa réponse me fit rire. Au bout de quelques instants, elle franchit le pas, se débattant maladroitement dans leau, alors que jessayais désespérément de la stabiliser.
— Comment tu tappelles ?
— Septima.
— Ok Septima. Moi cest Romane. Surtout, naies pas peur de te retrouver la tête sous leau, il suffit juste de ne pas respirer lorsque cest le cas.
***
— Tes pas cool, Heichkâ. Taurais pas dû faire ça. Tu sais que ce monde est pourri. Tu joues au jeu de Nathanaël.
Zvolk épluche une sorte de pomme avec son couteau, quil a retrouvé. Romane lavait laissé tomber lorsquelle sétait fait capturer par la harpie. Il espère quelle est saine est sauve, de tout son petit cur bleu. Il discute avec un faune, quil vient de recroiser en haut de la falaise.
— Ah non ! Tu ne vas quand même pas commencer à me faire la morale ? Si tu ne veux pas te servir de ce quon toffre cest ton problème, moi je ne tiens pas à mourir avant davoir pu assurer ma descendance. Ah, ça non ! Cest hors de question. Déjà que mon peuple est en voie de disparition : tu ne sais pas ce que cest toi, dêtre en voie de disparition. Ton peuple séclate à faire des chasses dès que les gardes pointent le bout de leur nez, et tu viendrais me faire la leçon ? Ah ça non alors !
Zvolk souffle. Son compagnon parle beaucoup trop pour lui.
— Mais tas failli crever, non ? Si tu tétais pas échappé, elle aurait pu te laisser sécher dans sa cachette.
— Mais je tassure mon bon Zvolk, cétait totalement prévu. Je lai envoyé dans LA caverne. En fait je ne sais même pas si elle contient un sort arc-en-ciel, je lai juste baratiné pour pouvoir sauver ma peau. Mais remarque, vu ce qui sy cache, ça ne métonnerait pas le moins du monde. Oh et puis après tout cest bien fait pour elle ! Elle ma torturé, tu entends ! Torturé ! Et pas joviale le moins du monde, même pas souriante, une vraie peste. Heureusement quelle était mignonne, parce que
Zvolk tique : il habite Xanths depuis déjà un petit moment, il sait que des dangers mortels, voire pire pour les femmes, peuvent se terrer à chaque coin de jungle. Alors il doute : pourvu que Romane ny soit pas passée ; il y a peu de chance de toute façon. Mais sa curiosité est piquée :
— Quest-ce quy a la bas ? Y a pas que des gobelins ?
Heichkâ se met à rire, et manque de sétouffer. Mais lui aussi a peur. Il a tellement peur quil nose même pas prononcer le nom de la créature en question. Zvolk sen étonne, aurait-il perdu sa langue ?
— Un truc un peu plus dangereux.
***
Romane
Finalement, nous trouvâmes un abri pour nous loger une partie du jour. Septima et moi nous étions mises daccord, comme par miracle : nous reprendrions la marche en fin daprès-midi, jusque tard dans la nuit. Nous nous étions lavé, javais rasé les trois poils restant de ma toison, et Septima était parvenue à rester émergée quelques secondes. En retour, elle mavait montré quelques astuces pour dépecer les animaux : elle était parvenue à trouver en moins dune heure un petit terrier, duquel elle avait débusqué la même bête que javais mis toute une nuit à attraper. Elle était bien meilleure que moi sur ce point. En fait, tout aurait bien pu se dérouler si elle ne mavait pas jeté le résultat de son travail au visage. Au moins, je pus enfin couvrir ma poitrine. Même si mon ventre et mes épaules restaient découverts, au moins je me sentirais moins exposée, et plus protégée.
Non sans sêtre pris la tête une dernière fois, nous nous sommes donc couchées dans le creux dune falaise, en en cachant lentrée avec un buisson arraché à quelques mètres. Elle avait pris le premier tour de garde. Je tombai de fatigue, malheureusement le sommeil ne venait pas : je repensais à ce monde, à Nathanaël, et surtout aux milliers, peut-être aux millions de femmes qui, comme moi, comme Septima, sétaient retrouvées malgré elle dans cet enfer. Nathanaël devrait être puni.
Au bout de quelques minutes, Septima commença à piquer du nez. Cela me fit doucement rire : elle qui jouait les aventurières expérimentées, elle avait du mal à tenir son tour de garde. Ça nétait pas grave : jallais prendre le premier tour et la réveillerais plus tard. Il fallait que je trouve un moyen pour que nous nous unissions. Bien sûr, elle avait un caractère de cochon, et elle ne se privait pas de me contrer chaque fois quelle le pouvait. Mais elle avait bon cur. Enfin, il me semblait.
Au bout de plusieurs minutes, elle se releva. Elle se défit de sa sacoche, et enleva son couteau de sa ceinture avant de partir, tout simplement. Dans ma tête, je la trouvai gonflée : elle devait sûrement chercher à répondre à ses besoins naturels, mais elle aurait quand même pu me prévenir ; après tout, cétait censé être son tour de garde. Cela me mit en rogne, je lui en voulais dêtre autant une tête de mule, de nen faire quà sa tête. Elle mit longtemps à revenir : lorsquelle entra de nouveau dans la grotte, un joli sourire illuminait son visage.
« Eh bien, on se fait plaisir à ce que je voie ».
Elle remit sa sacoche et son couteau à leur place, et sendormit sur le coup : ses respirations étaient régulières, la tête penchée contre le mur ; elle dormait. Elle devait mavoir vu veiller, et sétait laissée allée. Jen fus énervée toute la nuit.
***
— Mais toutes les nuits tu me fais le coup ! On sest posée trois fois, et trois fois le soir tu tes éclipsée discrétos pour aller faire je ne sais pas quoi en pleine nature. Tu sais, si tu veux te toucher, je men fous perso, mais préviens moi quand tu pars. Et sil te plait, prend ton couteau ou ta sacoche, jaimerai bien que tu restes en vie.
Elle parlait en même temps que moi, hurlant sûrement aussi fort. Même avec le sort de souvenir je narrive pas à bien comprendre ce quelle avait dit en même temps. Les trois jours passés à ses côtés avaient été ponctué par les mêmes scènes : tout était un prétexte pour se confronter ; ça me fatiguait. On était pratiquement arrivées, et mon plan pour la garder à mes côtés avait été un échec complet.
— Tu racontes nimporte quoi. Et arrête de vouloir me donner des conseils alors que tu serais morte dix fois sans moi ou ton foutu ogre bleu ; je nai pas de leçon à recevoir de ta part.
— Septima ! Cest un hobgobelin, pas un putain dogre !
— Mais peu mimporte, de toute façon il finira par te trahir. Crois-moi, terre toi dans un trou et nen sors pas, sinon tu finiras par te faire capturer.
Elle a le don de mexaspérer lorsquelle fait plus sèche et méchante que ce quelle nest vraiment. Là elle y était parvenue. Nous étions parvenu à lendroit où elle avait construit sa cachette : un simple trou dans le sol, un kilomètre au nord de lendroit où je métais faite secouée par logre de la garde. Le soleil commençait doucement à disparaître derrière lhorizon : nous avions forcé la dernière journée, en faisant bien attention aux chemins parcouru, en prenant bien soin desquiver toutes les bestioles possibles.
— Tu es sûre de ne pas vouloir nous rejoindre ? fis-je. On est beaucoup plus efficace à deux, imagine juste ce que ce serait à trois
— Je tai déjà dit non. Je ne fais pas confiance à ton ogre bleu. Et tu ferais mieux den faire autant.
Je ne voulais pas ménerver. Le soleil se couchait, il faisait beau ; et même si jétais complètement épuisée par les trois derniers jours, je ne voulais pas la contrarier encore une fois. Ni même me contrarier une nouvelle fois : la situation, ces adieux ne sy prêtaient pas.
— Prends soin de toi, Septima. Je ten prie, fais attention à toi.
Je la pris dans mes bras, mais ne réagit pas. Elle semblait surprise, et dubitative. Mince ! Moi qui ne voulais pas la froisser Lui adressant un dernier sourire, je lui tournai le dos et commençai à dévaler la falaise.
— Prends soin de toi, toi aussi.
Je me retournai, la saluant une dernière fois en souriant, et poursuivit ma route. Mon objectif avait été un échec, il était grand temps de retrouver Zvolk et de préparer la suite des évènements. Au final, cette escapade aurait été bénéfique : aux côtés de Septima, javais appris à faire du cuir, à enlever correctement la peau des animaux, et même à utiliser les sorts. Lorsque jarrivai à lendroit du mirage, je me rendis compte que le renfoncement dans la roche avait disparu, remplacé par une paroi de falaise : le mirage était actif. Mais je neus pas le temps de le traverser : Zvolk fonça sur moi, en me prenant dans les bras, pleurant de joie. La situation me fis rire ; mais ce fut surtout un rire gêné, étant donné que le sexe de Zvolk tapait le long de mes jambes, et que sa tête était profondément enfouie entre mes deux seins. Mais moi aussi, jétais contente de le revoir. Un petit être sorti du mirage, haut comme cinq pommes. Il avait la bouche bâillonnée.
— Romane ! Cest toi ? Oui cest toi ! Quand jai vu la harpie tembarquer, jai eu peur. Mais tes résistante, une des plus résistantes des vagabondes que je connaisse !
Il se recula.
— Oui enfin, sans laide de Septima je serais morte depuis longtemps. Mais moi aussi ça me fais plaisir de te voir.
Il fronça les sourcils :
— Septima ? Cest qui ça ?
— Une vagabonde blonde qui ma sauvé de la garde il y a plus de deux semaines. Après on sest croisée dans les grottes que jai emprunté pour échapper aux harpies, on a fait route ensemble après.
Un frisson me parcourut léchine : Zvolk avait écarquillé les yeux. La nuit était tombée, et lon ny voyait presque plus rien : le croissant de lune était à peine visible dans le ciel, et il fallait forcer sur sa vue pour parvenir à distinguer le moindre détail. Pourtant, je parvins distinctement à détailler les yeux écarquillés du hobgobelin. Et jy parviens toujours, aujourdhui, lorsque les cauchemars me prennent.
— Elle cherchait pas une sphère arc-en-ciel ?
— Euh, si Mais comment tes au courant de ça ?
Le petit être commença à gesticuler, pointant le bout de liane qui lui bâillonnait la bouche. La situation commençait doucement, mais sérieusement à mangoisser.
— Dis-moi quelle est juste derrière toi, et quelle arrive.
— Mais non, je lai laissé dans sa cachette, elle ne voulait pas venir avec moi. Dis-moi ce qui se passe Zvolk.
— Est-ce quelle a agi bizarrement ? Réponds-moi !
Jaurais bien voulu écrire quelque chose comme : « et la lumière fut », mais cétait tout le contraire. En lespace dun millième de seconde, mon cerveau entra en ébullition, des frissons me déchirèrent léchine, remontant le long de ma colonne vertébrale en mélectrisant la base du cerveau. Javais un mauvais, un très mauvais pressentiment. En même temps, la bouche grande ouverte, jétais incapable de placer un mot. Oui, évidemment que Septima avait agi bizarrement. Moi qui pensait quelle faisait mine de ne rien comprendre : elle ne comprenait vraiment rien. Où partait-elle alors, la nuit ?
Je déglutis, attrapai le couteau de Zvolk directement à sa ceinture, et me mis à courir du mieux que je pus, retraçant à lenvers le chemin emprunté quelques minutes plus tôt ; cette fois en courant à en perdre haleine.
