Sophie de Beaumont et Yann de Ker-Yvon virent le jour à quelques heures dintervalle, et dès que lon fut assuré quil y avait bien une fille au château de Beaumont et un garçon au domaine de Ker-Yvon, lavenir des deux enfants fut tout tracé : le jour venu, ils suniraient, ce qui assurerait à leur descendance la mainmise sur le canton qui deviendrait ainsi le plus riche de la contrée, capable de rivaliser avec les plus grandes fortunes du royaume. Les deux familles étant très liées, et les deux domaines séparés uniquement par une vaste et magnifique forêt, les deux enfants se virent donc souvent et, ce qui au départ était mariage de raison devint au fil des années une très belle et très tendre histoire.
Au début pourtant, ils se haïrent, car si Yann avait demblée accepté cette union, Sophie qui avait déjà un caractère bien trempé et des idées bien à elle acceptait très mal ce compagnon que lon voulait lui imposer. Très vite cependant, succombant non pas tout de suite au charme, mais à lesprit inventif et aventureux de Yann, elle changea davis et les deux enfants acceptèrent de se retrouver le plus souvent possible, dabord avec dautres jeunes gens de leur âge, puis, plus le temps passait, plus ils en vinrent à préférer se retrouver seuls tous les deux.
Grand garçon blond aux yeux dun noir profond, Yann était svelte et élancé. Téméraire, et même comme lon dirait maintenant un peu casse-cou, il était toujours prêt à accomplir de folles prouesses pour saffirmer devant Sophie.
Blonde elle aussi, mais avec des yeux dun bleu limpide, cette dernière saffirmait de plus en plus comme une adorable jeune fille. Mais si son corps laissait déjà deviner les beautés qui feraient delle une femme convoitée, elle était également un vrai garçon manqué, et cétait même parfois elle qui entraînait Yann dans de folles aventures.
Ainsi les deux enfants devinrent-ils rapidement inséparables, à un tel point quen parlant deux on ne disait plus « Sophie et Yann », mais quon les surnommait de lunique prénom de « Sophyann ». Et les deux familles, qui sestimant de plus en plus se fréquentaient de même, voyaient avec ravissement lattachement des deux adolescents lun pour lautre.
Quand sestompa le temps des jeux propres à chaque sexe auxquels cependant chacun sadonnait pour faire plaisir à lautre et nêtre point séparés ils se rendirent vite compte quils étaient attirés vers les mêmes choses et que leurs émotions étaient les mêmes face à ce que lapprentissage de la vie leur faisait découvrir. Surtout, ils avaient tous les deux un attrait profond pour les choses simples de la vie, pour la nature, pour les animaux et, alliant lun à lautre, dès quils furent capables de se tenir convenablement en selle, cest sur le dos de fringantes montures quils parcoururent la forêt qui les environnait.
Ils aimaient se lancer des défis, à qui sauterait les plus gros troncs, qui arriverait le premier à un point nommé, et il fallait les voir, bien en selle, filant comme le vent tandis que lair et la vitesse rosissaient leurs joues et leur front. Mais quand ils avaient bien couru, bien galopé et que leurs montures étaient blanches décume, ils aimaient aussi revenir au pas, calmement, main dans la main. Et Yann récitait alors des poèmes à Sophie, ou alors dune même voix fredonnaient-ils de douces mélopées.
De nature curieuse tous deux, ils sintéressaient à la science, à la physique, cherchant à découvrir tous les secrets de lunivers ; mais ils aimaient aussi les beaux écrits, les calembours et jeux de mots, où là aussi leur imagination plus que fertile se lançait de grands défis. Bref, si la nature et les grands espaces leur permettaient dassouvir leur soif dindépendance et de liberté, ils savaient aussi se montrer à la hauteur de leur rang dans les réceptions et les salons.
Ainsi les années passaient dans la joie, le bonheur et linsouciance, et Sophie saffirmait de plus en plus comme une splendide et charmante jeune femme tandis que Yann, toujours aussi intrépide, avait cependant pris la maturité qui faisait de lui un jeune homme apprécié et recherché. Mais si les rencontres éphémères les jeunes paysannes culbutées dans un pré, derrière une meule de foin odorant pour ne pas être vues de tout le monde donnaient à Yann autant de plaisir que dexpérience, Sophie restait en son cur le Graal qui embellirait sa vie.
Et il en était de même pour cette dernière, certes courtisée par quelques nobliaux du voisinage qui, bien que la sachant déjà promise, tentaient leur chance auprès delle. Mais, même si elle se montrait toujours aimable avec chacun, elle ne favorisait absolument personne, et son amabilité et ses sourires nétaient quune preuve de sa bonne éducation. Cependant, ils ne se décourageaient pas, prenant toujours pour un grand honneur ce qui nétait que simple politesse.
Mais lâge fixé par leurs parents pour les unir lannée de leurs 18 ans approchait. Ils se sentaient si bien ensemble que cette union leur paraissait maintenant évidente et que chacun la désirait plus que tout. Cependant, ils lattendaient sans hâte, et ils ne voulaient pas brûler les étapes, car il était bien sûr impensable que Sophie narrivât pas vierge à cette union. Ils se contentaient donc de se tenir par la main le plus souvent possible lorsquils étaient seuls tous les deux, et la tendre pression de leurs mains lune dans lautre leur procurait de bien douces sensations.
Parfois aussi leurs lèvres se frôlaient, ou alors se serraient-ils furtivement dans les bras lun de lautre. Yann était alors tout troublé de sentir contre son torse une poitrine frémissante quil sentait bien ferme. Dans ces moments-là, il aurait désiré cacher à Sophie les réactions de son corps, mais cette dernière se serrait tant contre lui que son érection ne pouvait plus passer inaperçue. Et Sophie devait la rechercher, car il sentait alors ses doigts se crisper dans son dos tandis que sa respiration devenait plus vive.
Malheureusement, quelques mois avant la date de leur mariage, cette douce béatitude prit fin. Le pays était en guerre, et Yann se devait daller servir dans les armées du roi. On pensa un instant les unir avant son départ, mais on ne le fit pas en pensant à la perspective de la disparition de Yann qui laisserait alors une veuve éplorée. Et cest donc avec résignation quils se séparèrent, se jurant grande fidélité, certains quils étaient de se retrouver.
Yann prit la route après un baiser un peu plus prononcé que dhabitude sur les lèvres de sa belle promise. Il emportait avec lui un petit médaillon de son aimée, mais surtout dans sa tête de bien belles images : la vision de Sophie filant comme le vent sur sa monture aux temps de leurs courses folles, et comme elle montait « en garce » (à la garçonne), elle délaissait les amples jupes qui empêchaient de deviner ses formes pour une tenue qui, au contraire, ne cachait rien de la finesse et de la beauté de son corps. Des charmes, gages de volupté, qui emplissaient la mémoire de Yann. Des sensations diffuses de plaisir également, dans les moments où il désirait le plus caresser le corps de Sophie. Et ces meilleurs moments, les moments les plus troublants, cétait quand elle pliait le genou gauche et lui donnait la jambe pour quil la mette en selle. Rien que le fait de sentir sa jambe dans sa main, même au travers de sa fine bottine de cuir, lui procurait des frissons quil ne pouvait réprimer. Et puis, de voir son adorable petit cul, bien moulé dans ses vêtements, passer à hauteur de son visage, de ses lèvres… À chaque fois, il aurait désiré que ses mains sattardent sur ce beau postérieur, mais la morale et la bienséance lui interdisaient de tels gestes.
Il ne se passa pas une semaine sans quils néchangent un mot, et si le corps de Yann avait parfois besoin de livresse des filles à soldats qui suivaient larmée, Sophie dont le nombre de soupirants de tous âges sétait élargi resta fidèle au souvenir de son fiancé, ne répondant pas plus que par le passé à la cour intense de ses amoureux.