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L'âge de jouir – Chapitre 2




Les discussions des gens, le passage des voitures dans une artère proche, et le tintement lointain d’une musique du monde produisaient un dense capharnaüm qui couvrait d’autres bruits pourtant plus à l’aise et moins discrets. Au troisième étage d’un immeuble, des silhouettes se mouvaient dans le fond de la pièce, laissant leurs cris se disperser sans gêne aux quatre vents. Un homme dans la vingtaine à peine franchie poussait de furieux coups de reins en se cramponnant sur les hanches d’une femme à quatre pattes, bien ancrée aux couvertures du grand lit. Le visage en sueur se fermait comme il semblait concentrer toute sa force mentale à l’action suprême. Le torse luisant, ce n’était pas le manque d’envie qui tenaillait Simon ; il était dur à se faire mal et la fille tellement mouillée le faisait glisser au moindre mouvement, chacun de ses cris était une victoire alors qu’il s’approchait du point de non-retour. Dans ces instants, chacune de ses sensations était multipliée.

Les yeux entrouverts, il regarda les cheveux orangés dispersés sur les épaules de sa partenaire chauffée à blanc ; elle ne faisait pas mentir les légendes, avec sa bouche chantante et ses seins qui ressortaient fièrement sous son tee-shirt vert clair. Une fois au lit, elle se montrait à la hauteur de tout ce qu’elle avait suggéré dans ses mots ou ses gestes. Il ne pensait plus qu’à l’orgasme qui allait l’immerger d’un instant à l’autre. J’y suis presque…

Judith haletait au rythme croissant d’une poussée toujours plus forte et ses mains devaient chaque instant s’accrocher malgré le désir et la chaleur chancelante immergeant son bas-ventre. Elle croulerait bientôt sous la vague, elle sentait qu’il n’aurait plus trop de chemin à faire lui non plus, après une étreinte aussi rude et sommaire, mais tellement bonne. Se retrouver seule au matin chez ce mec, après une soirée mémorable lui avait fouetté le sang, et l’atmosphère encore toute proche de la fête lui avait donné l’envie de se jeter à l’eau.

Un nouveau coup de reins avait sublimé ses ultimes forces en une lame implacable. Projetée hors du monde dans une nuée de chaleur baignant, un doux flux électrique galopait dans ses veines de par toutes les parties de son corps. Elle ne ressentait plus que de façon lointaine les poussées s’enchaînant toujours à une allure toujours aussi forte jusqu’à ce dernier coup, où Simon se figea dans une pose simiesque coiffée d’un hurlement plus fort que tous les autres. Il s’accrocha plus fort aux hanches de sa partenaire qui ne prit que peu de voix pour se plaindre, toute occupée qu’elle était à goûter son plaisir, jusqu’à ce qu’une de ses paumes ne dérape et plaque leur bruyante étreinte contre le matelas rebondi.

Sa poitrine compressée lui coupa la souffle une seconde, mais encore dans les brumes de son proche voyage, elle se redressa comme si de rien n’était avant de se coucher sur le dos pour recevoir le baiser charnel de son amant hors d’haleine, les mots s’égarant entre deux bouffées d’air.

« Bordel, c’était génial !

C’est clair, tu as été à fond, j’ai adoré !

Avec toi, c’était pas difficile ! dit-il en passant une main de son épaule à travers sa poitrine.

Ils se complimentèrent doucement en laissant leurs curs reprendre un rythme abordable, l’atmosphère semblait reprendre ses droits, ils entendaient de nouveau les gens au-dehors, de même qu’un fond de musique d’une rue plus proche que les autres. La queue à présent molle et allongée contre la cuisse de Judith relevait la douce chaleur de son entrejambe roux tout proche, face au courant, passant par le cadre de la fenêtre. Le jeune homme lui caressa le ventre une dernière fois et se releva avant de l’aider pour admirer une (dernière ?)fois son corps superbe.

Judith goûta son regard, passant d’un point à un autre de son corps. D’abord, les aréoles carmines de ses seins pâles, puis son ventre évasé (?) et sa toison rousse entourant une fente discrète se détachant à peine au fond de ses hanches. Les yeux marron passèrent par les doigts fins, jusqu’aux ondulations vagabondes de ses cheveux. Et la jeune femme savait qu’il ne manquerait pas d’admirer ses fesses légèrement arrondies tandis qu’elle irait vers la salle de bain.

Judith secoua sa tête et renvoya ses cheveux en arrière avant de reprendre ses vêtements jetés aux coins de la chambre.

Heureusement qu’on a fait le ménage avant, dit-elle, je n’aurai pas eu la force ou le cur de m’y mettre maintenant !

Et je te remercie d’avoir été là, dit-il sur un ton faussement résigné ; sinon je serais partie zoner à droite à gauche en attendant ce soir.

Tu remets ça ce soir ?

Oui, fit un Simon motivé, c’est l’été, je ne veux pas manquer une occasion de m’amuser !

Judith se fendit d’un sourire sur une mine interrogative.

T’amuser ? dis-moi, je suis la combientième sur ta liste ?

La combientième ? dit Simon avec une moue. C’est pas très Français, ça ; pour une future prof, ça la fout mal…

Je ne vais pas en fac de Lettres ; dit Judith en oscillant sa tête ; tu dois me confondre avec une autre. Alors, dis-moi, combien tu en as eu jusqu’à présent ?

Pour être honnête, depuis mi-juin, une vingtaine.

Presque une par jour, pensa la jeune femme, il est doué… Ou persévérant, ou les deux.

Avant qu’elle n’ait pu répondre, Simon prit son visage dans sa main et l’embrassa doucement.

» Mais toi, c’était génial, tu étais très chaude, une des meilleures toutes catégories.

La jeune rousse eût un sourire presque excessif et baissa légèrement la tête.

C’est pas la peine de me sortir les grands mots. T’en as pas eu besoin avant, t’en as pas besoin après !

C’est pas un baratin pour midinettes, dit le jeune homme sur un ton léger. Je suis parfois déçu avec les filles. Elles baisent, mal, pour oublier leur vie, se faire offrir des trucs ou jouer les rebelles devant leurs copines. J’aime pas ces filles-là ; elles jouent les étoiles de mer et savent à peine sucer. Toi, tu es de celles qui en veulent, qui aiment ça, avec qui je peux discuter avant comme après sans avoir l’impression de les barber, et qu’est-ce que j’aimerais vous rencontrer plus souvent.

Des mots pareils auraient sonné beaufs, voire vulgaires, chez beaucoup d’autres ; lui assumait totalement et sans lourdeur. Ça le rendait encore plus intéressant, dans la catégorie des mecs qui pensaient à la fois avec leur tête et avec leur queue.

Ça me va droit au cur, dit-elle, ne trouvant pas d’autres mots sur le coup. Je te souhaite d’ajouter du monde à ta liste. Quant à moi, je vais bientôt y aller. Mais avant, je dois prendre une douche.

Simon l’y conduisit en admirant ses courbes alors qu’elle fermait la porte sans se retourner.

Sortant peu après du nuage embué, elle remit son pantalon, agrafa son soutien-gorge vert émeraude sous son tee-shirt et fit un chignon de ses cheveux encore luisants.

Du coin du couloir, Simon la raccompagna jusqu’à sa porte et lui ouvrit dans un sourire sincère. Après un dernier baiser et une parole grivoise au creux de l’oreille (auquel elle répondit par un regard tout aussi lubrique), la jeune rousse descendit les trois étages jusqu’à la rue débordant du soleil de midi.

La brise agréablement chaude ranima les souvenirs de son orgasme tout proche et son sourire se fit plus doux. Une pointe de faim lui tenaillait le ventre, tout comme l’envie de retrouver une certaine connaissance qu’elle avait perdue de vue la nuit d’avant.

Le hasard les fit se croiser dans un quartier en dehors de la ville que Judith traversait pour trouver à manger dans une crêperie toute proche.

Clotilde était aussi grande qu’elle, avec des formes plutôt généreuses, qui n’avait pourtant pas contribué à déséquilibrer sa tête bien faite ou se suspendait des boucles brunes naturelles, des yeux bleus et un visage fin adepte des sourires fondants, pour ses conquêtes du jour comme pour ses amies. Portant une veste moulante et un pantalon valorisant ses jolies jambes, elle se tourna vers Judith et l’enlaça de mots bien forts.

Ma belle Judith, je savais que je te recroiserais !

Je me posais la question en arrivant justement…

Comment ça s’est passé ? Vous l’avez fait ?

Elle sauta presque sur place quand Judith hocha la tête.

Génial ! C’est ce qu’il te fallait pour te remettre d’aplomb après le flop de l’autre jour !

Tu m’étonnes, je ne voulais pas en rester là. Mais la prochaine fois, peu importe ta combine pour me trouver un mec, tu ne pars pas sans me prévenir. Je t’ai cherché dans tout l’immeuble avant de recevoir ton message.

Désolée, fit son amie, mais c’était pas une combine. Christelle n’était pas très bien, elle est tombée malade et je l’ai ramenée chez elle ; j’ai voulu te prévenir, mais je n’ai pas eu le temps et je n’ai pu le faire qu’une fois chez elle.

Oh mince, est-ce qu’elle va bien ?

Oui, elle a juste mis un truc fort dans un verre où il y avait déjà un truc fort. Elle s’en remettra.

Tant mieux, fit Judith en soupirant ; tu allais quelque part ?

Oui, viens chez moi, je veux tous les détails !

Plus tard, autour d’une bouteille de goyave, Judith raconta à une Clotilde enthousiaste les regards échangés toute la soirée avec Simon, le rapprochement, la remise en ordre de l’appartement à l’aube après une demi-nuit de sommeil et l’étreinte ardente autour de midi.

À défaut de trouver de bons coups d’un soir, tu sais jouer de bons coups du matin ! fit-elle sur un ton badin ; vous allez vous revoir ?

Pour baiser, oui, sûrement, mais pas pour autre chose. Le mec est un Don Juan qui aligne les conquêtes. Il ne cherche pas de copine.

Un mec de dix-neuf ans, quoi ! sourit Clotilde.

Oui, mais il est à l’aise et honnête avec ça, il aime baiser, et il le fait bien. Et quand il m’a séduite, il ne m’a pas prise pour une potiche. Il m’a mieux traitée que la plupart des autres mecs, qui jetaient de la poudre aux et promettait plein de trucs, ou se fendaient en déclarations.

Il aime baiser et il réfléchit, en plus, comme quoi, on ne se fatigue pas inutilement à chercher !

Oui, et c’est ce qui est cool ; mais ça complique les choses. C’est génial de trouver des mecs sérieux pour des plans, mais ça risque de me manquer d’avoir un copain régulier.

Je te comprends, dit Clotilde sur un ton soucieux, c’est dommage de ne pas avoir autre chose autour du lit.

Les yeux de Judith divaguèrent autour de la table.

Oui, et c’est un truc qui me tiraille. J’ai été deux fois en couple, et ça me plaisait, mais c’était pas aussi intéressant que maintenant. Les mecs ne se donnaient pas autant que les autres que j’ai pu connaître depuis.

Oui, mais tu ne les as pas connus aussi longtemps. L’amour, c’est autre chose, à terme.

C’est vrai, mais ils avaient des idées de l’amour assez naïves ou décalées. Le premier voulait se marier vers vingt ans ; l’autre me prenait pour une bonne fée en mode bouée de sauvetage, merci. Les mecs comme Simon qui veulent des plans cul me plaisent plus dans leur état d’esprit. Ils sont naturels avec les filles, comprennent qu’elles ont envie de sexe, se lâchent avec elles… Le truc, c’est qu’ils n’ont pas envie de se mettre en couple.

Mais qu’est-ce qui t’oblige franchement à te mettre en couple aujourd’hui ?

Judith la fixa tout à coup, comme si la discussion lui avait échappé.

« Je veux dire… Tu aimes enchaîner les mecs, tant mieux si ça te plaît, et ne te prends pas la tête si c’est juste pour du sexe. Tu ne vas pas perdre le goût de la vie commune. Après, tu me supportes moi, et tu supportes aussi Léna ou Alya ; je peux te dire que tu seras parée si tu recroises un amoureux potentiel…

Elle ralentit sur les derniers mots, baissant la tête sur un ton de conspiratrice.

… Surtout si tu trouves ta moitié chez les filles…

Judith eût un sourire coupable et chercha mollement à éviter le regard de son amie. Une tentative futile face à quelqu’un qui la connaissait depuis aussi longtemps.

» C’est pas une honte d’aimer les filles en 2009, il faut dire qu’elles te le rendent bien !

C’est vrai, dit une Judith hésitante entre le soutien et la gêne. C’est juste que je me suis surtout retrouvée avec des filles après des ruptures. C’est les seules avec qui j’arrivai à reprendre confiance. J’ai l’impression de me servir d’elles à chaque fois et je n’aime pas ça.

Qui te dit que ça ne leur plaît pas ? dit Clotilde d’une voix flûtée. Une jolie rousse un peu paumée qui a besoin de quelqu’un pour oublier, c’est du pain béni pour certaines, quoi que tu penses. Les coups de quelques soirs, ça marche chez tout le monde ! D’un autre côté, peut-être que l’une de ces filles aimerait que tu trouves la confiance de rester auprès d’elle.

Judith trouva chez sa vieille amie le regard profondément malicieux qui annonçait plus qu’elle ne voulait bien en dire. Les mots lui vinrent presque instinctivement.

Tu as trouvé une fille pour moi ?

Non, oh là non…

Tu veux sortir avec moi ?

Les mots étaient sortis sans qu’elle y pense.

Non, pas spécialement, mais si on ne trouve personne après un certain âge, on pourrait toujours se mettre en couple.

Le ton posé qu’elle employait ignorait la boutade ou l’idée volante trouvée au coin de l’esprit. La connaissant, Judith sut qu’elle y avait réfléchi plusieurs fois.

Tu es sérieuse ? Tu es hétéro.

J’ai déjà embrassé des filles.

Tu étais à moitié bourrée et tu voulais chauffer des mecs !

Peu importe, on se connaît bien, on s’apprécie, et se supporte à long terme. C’est déjà mieux que la moitié des couples que je connais.

Judith ondula de gauche à droite. Elle n’avait pas tort, un couple, c’était avant tout deux personnes en bon contact. Mais ça lui semblait bien tôt de se préoccuper de sa solitude alors qu’elle n’avait pas encore un goût si amer, et elle ne doutait pas que son amie de toujours trouve une bien meilleure personne entre temps. Croisant les yeux de Clotilde, elle lui tendit la main.

Pourquoi pas ? dit la jeune rousse alors que son amie la prenait, ce n’est pas une promesse, mais un jour, on pourrait essayer. Mais avant ça…

Elle déposa un baiser sur le dos de la main, et la sentit réfréner un sursaut électrique. Un sourire naquit sur son visage pâle. La Clotilde salace, insatiable des frasques de son groupe d’amies autant que des siennes, tenait mal une timidité surgissant face à l’inconnu.

«… Trouve une fille bien, et couche avec elle. Tu dois savoir si ça te plaît vraiment.

Le regard de Clotilde se plantait dans une fragile détermination.

J’ai la fille bien. Devant moi.

Judith lui rendit un sourire fin.

Non, ce serait trop facile. Va dehors, trouve une inconnue (ne va pas voir Léna ou Alya) ; séduis-la, passe du temps avec elle, aimez-vous. Ensuite, reviens vers moi si tu le veux toujours, et je serais la fille bien.

Judith se demanda un bref instant si elle ne regrettait pas d’avoir laissé passer une si jolie novice…

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