4 Esprits de famille
Kira en regrettait presque les instants de solitude tranquille sur un banc du jardin de la vérité ; une nuit lui avait suffi pour assimiler le manuel de combat des Nymphes grâce à ses facultés mentales, l’entraînement dirigé par Maraudeuse se révélait une tâche plus ardue depuis quatre jours. Elle se précipita sous la douche commune, une fois encore déçue de sa prestation.
Pourquoi tu râles ? s’esclaffa Hélionaïde en lui tendant un flacon de savon liquide capable de faire disparaître les bleus et autres meurtrissures superficielles de l’exercice, tu progresses bien.
Pas assez. Elle m’a encore envoyée valser comme une branche morte. Je me faisais l’effet d’une poupée entre ses mains.
Elle, c’était la Terrienne impossible à terrasser, impossible à ébranler ou même à toucher, alors Sarah devenait la cible de sa colère le temps de laver la honte sous l’eau tiède. En réalité, Kira enrageait de l’attitude purement amicale à son égard en privé.
Comme moi, malgré cent cinquante ans d’entraînement, soupira Hélionaïde dont le regard virait au gris acier. Donne-moi ça.
Les mains enduites de savon, la guerrière massa le bas des reins meurtri d’un geste caressant, la rougeur disparut. L’inspection se poursuivit dans le dos jusqu’aux épaules, puis les doigts s’aventurèrent sur les seins larges ; l’irritabilité de l’Auralienne trouvait son origine dans un désir sexuel inassouvi. La Nymphe saisit le plaisir fugace de sentir un téton dur avant d’être gentiment repoussée.
Désolée, je n’ai pas la tête à ça.
Hélionaïde aurait parié le contraire ; elle regarda s’éloigner les jolies fesses rondes avant de dénicher son clitoris gorgé.
Aramis se montrait discret derrière une couverture nuageuse, la pluie amènerait l’eau indispensable à toute vie. Aucune des huit milliers de Nymphes rassemblées, l’arme à la main, devant les vaisseaux de transport de troupes ne s’encombrait l’esprit de ridicules superstitions. L’astre brillerait au-dessus des nuages le temps d’un rapide clin d’il puis laisserait la place au noir sidéral. Au-delà, la violence des combats imposerait sa propre palette de couleurs.
C’est parti, glissa la reine d’un calme froid.
Sur le pas des portes, les Nymphes d’Opaline observèrent la gerbe rouge d’une fusée d’alerte exploser dans le ciel blafard ; leurs guerrières partaient rétablir l’ordre sur une planète éloignée. Callimaque supervisa l’embarquement en qualité de général en chef. Le vrombissement rageur des moteurs incita une nuée de torics, des petits passereaux multicolores dont les chants égayaient les abords des cités de Dyonisa, à déserter le coin devenu trop bruyant.
Aucun contretemps, pas l’ombre d’un accroc, Maraudeuse apprécia une nouvelle fois l’efficacité des Nymphes ; les Terriens feraient bien de s’en inspirer. Sur ce vu pieux, elle verrouilla la porte extérieure du Mirage, le voyant rouge près du battant s’éteignit. Quarante guerrières patientaient sur la passerelle, assises à même le plancher, détendues comme à l’exercice.
On est ta garde rapprochée personnelle, pouffa Sarah sereine à l’intention de Kira, tu as droit aux meilleures.
L’Auralienne rattrapa son amie à l’entrée de la salle de contrôle. Déjà troublée par la présence d’Hélionaïde à bord, elle s’interdit de ressasser un souvenir troublant.
Je ne crains rien avec toi.
Un baiser laissa une trace à peine humide sur son front.
Espérons que les soldats de ton frère ne soient pas des tireurs d’élite, je ne suis pas pressée d’avoir droit à des obsèques nationales.
Satisfaite de son effet, Sarah se précipita au poste de pilotage.
Rassemblés autour de la grande table d’opérations couverte de cartes annotées et des photographies des objectifs récoltées par des espions infiltrés, incapables de comprendre l’origine d’une migraine persistante, les membres du conseil de guerre ressentaient dans leur chair les ondes incohérentes du questionnement mental princier. Kiros, à l’écoute des arguments avancés par les conseillers, tapa du poing sur la table.
Alors ! À qui puis-je me fier ?
Vous devez faire une apparition, grommela le ministre de l’information attentif à ne rien laisser voir de sa gêne, le peuple voudra connaître les raisons d’une intervention militaire avec vous à la tête des troupes. N’oubliez pas, vous serez sacré souverain après la guerre.
Le général commandant secoua la tête, désolé d’avoir à batailler avec l’entourage du prince au lieu de réserver son énergie à l’ennemi.
Autant envoyer un message en clair à Karal sur nos intentions ! Ils auront ainsi le temps d’organiser la défense. Le plus sage est de passer à l’attaque comme prévu, votre altesse, il suffira de dire que le secret devait protéger la princesse.
L’action privilégiée par les militaires, la prudence dictée par les politiciens, chacun s’empressait de délivrer sa conception de la vérité. Kiros n’était pas certain d’entendre un réel bon conseil émerger de la dispute.
Au contraire, annoncez son assassinat par des terroristes sans dévoiler leur origine pour des questions de sécurité. Tout le monde vous remerciera d’avoir porté un coup décisif à la rébellion à votre retour victorieux.
Ah oui ! postillonna le général, ivre de rage à la face cramoisie du ministre. Quand nos troupes reviendront sous les acclamations du peuple d’Ashor, comment justifierez-vous l’invasion des autres planètes ?
L’argument toucha, Kiros se leva du large fauteuil recouvert de cuir de ianok réservé à l’autorité suprême ; la disparition annoncée des petits cervidés chassés pour leur peau ne préoccupait nullement le gouvernement.
Monsieur le ministre, préparez une allocution en mon absence. Laissez entendre que nous avons retrouvé la trace de ma sur sur Karal, et arrangez-vous pour expliquer la poursuite des opérations, tança le prince, pressé d’en finir. Je ne vois pas l’intérêt de vous payer si je dois faire votre travail. Maintenant, laissez-nous.
Imbu de sa victoire, le général se félicita du départ du politicien tête basse.
Nous devrions rejoindre Aural 2, votre altesse, les hommes sont impatients de vous voir prendre le commandement.
Bientôt, je veux profiter d’un dernier repas décent avant de partir en guerre, Karal peut attendre le temps d’un dîner.
Le Mirage se colla au vaisseau amiral sitôt sorti de la fenêtre sidérale, les cinquante transports de troupes se scindèrent en trois groupes. Kira observa les taches s’éloigner sur l’écran radar. La première vague rejoignait Aural afin de protéger le peuple d’une action éventuelle du palais, la seconde se portait à la rencontre de l’armée ennemie sur le planétoïde Aural 2, la dernière volait au secours des Karaliens.
Allez, mon bonhomme, fais voir ce que tu as dans le ventre.
Sarah, les sourcils froncés, poussa le levier de commande du condensateur d’énergie trafiqué. Rassurée par la décontraction palpable à bord, l’Auralienne ne put retenir un sourire moqueur.
Tu parles à ton vaisseau ?
Si tu savais ce dont je suis capable dans mes moments de solitude, rugit son amie satisfaite de sentir l’accélération subite.
Le sourire disparut des lèvres fines, remplacé par une tristesse latente. Le souvenir de sa mère seule dans la forêt maudite pendant dix-huit ans ne pouvait s’effacer. Elle avait été si proche tout ce temps. Et pourquoi Kira n’avait pas senti sa présence quand celle de Maraudeuse lui était apparue clairement ? De nombreuses questions demeuraient en suspens, Morgania saurait peut-être l’aider. La main de Sarah sur sa joue contraignit la jeune femme à vider son esprit.
Tu dois te reposer, on entrera dans l’atmosphère d’Aural 2 dans quatre heures. Va dormir ou te faire câliner par une Nymphe, mais ne reste pas là à gamberger.
Tu pourrais mettre le pilote automatique…
Pas maintenant, ma belle, répondit Sarah, attentive aux cadrans indicateurs, je dois savoir si les batteries tiendront la distance, la meilleure technique est encore de garder un il dessus.
Kira se leva, sa présence n’était pas souhaitée, Maraudeuse semblait avoir oublié la folle étreinte le jour de leur rencontre, ou était passée à autre chose. Malgré les non-dits et les mystifications des préceptrices chargées de l’éducation des princesses, quelques comportements humains lui apparaissaient immuables.
Elles tiendront, murmura la jeune femme dépitée.
Quoi ? demanda la Terrienne concentrée.
Les batteries, elles tiendront, répéta l’Auralienne d’une voix plus assurée avant de franchir le sas du poste de pilotage.
Elle se laissa tomber dans le fauteuil de la salle de contrôle, celui-là même ou Sarah lui avait fait l’amour, une découverte aussi magnifique qu’inattendue. La surprise venait d’un attachement sentimental aussi soudain. Désormais sevrée de la camisole chimique imposée depuis l’adolescence, Kira s’épuisait à contrôler par le mental des pulsions de plus en plus fortes, peut-être devrait-elle se lâcher.
Le sommeil priva la jeune femme de sombrer dans une interminable série de pensées sans suite ; d’après les préceptrices, l’organisme se protégeait ainsi d’un accroissement anormal de l’activité cérébrale, une conséquence temporaire de son apprentissage dans le jardin de la vérité.
Coordonnées vérifiées, aucune présence relevée près des objectifs, nous sommes parées à tirer.
La concentration de l’activité sur Aural 2 facilitait l’intervention ; de plus, l’absence de population civile empêchait toute victime collatérale. Callimaque hocha de la tête, le regard fixe.
Feu.
L’opératrice radio du vaisseau amiral diffusa l’ordre d’attaque. Des milliers de points lumineux s’échappèrent des tubes de lancements qui perçaient les flancs des transports de troupes. La reine se désintéressa des ogives.
Des nouvelles de Maraudeuse ? demanda-t-elle sobrement.
Pas encore, majesté, le Mirage devrait arriver sur zone dans moins d’une minute.
Et combien pour la frappe préventive ?
L’opératrice radio vérifia l’horloge en bas de l’écran sur lequel les points lumineux traçaient leur route mortelle.
La première vague atteindra l’objectif dans deux minutes, les autres suivront toutes les quinze secondes.
Le Mirage se posa en vol stationnaire sous la couche supérieure de l’exosphère hors de portée de détection.
Il est là ! rugit aussitôt Kira dans le siège copilote. Il dort.
Pas pour longtemps, soupira Sarah à la vue des nuées de points lumineux lancées à l’assaut du planétoïde.
Elle actionna la touche du module de communication, le silence radio ne servait plus à rien.
Kiros est sur place, nous amorçons la descente. Arrivée prévue dans six minutes.
Bien reçu, Mirage, signifia l’opératrice du vaisseau amiral. Fermez les yeux, le feu d’artifice est lancé.
Sarah se permit un sourire sans joie, déjà tournée vers l’imminence du combat. Kira, près d’elle, affichait une sérénité surprenante.
On l’a vu passer. Vous nous tenez au courant des résultats ?
L’autoguidage des ogives est activé, elles ne laisseront aucune cible en état.
La nuit traînait en longueur, monotone, vide de sens à l’esprit des sentinelles dans la casemate à l’entrée de l’astroport. Les contrôleurs de la tour en bordure du tarmac, eux, profitaient de sièges confortables devant leurs écrans, et de quelques autres privilèges non négligeables. Le hurlement de la sirène précéda la rougeur du ciel d’une douzaine de secondes, le garde n’eut pas le temps de saisir la nature de la menace.
Le premier drone toucha les deux chasseurs interstellaires prêts à décoller au centre de la piste, les suivants frappèrent les hangars. Les débris des trente vaisseaux dispersés à l’horizontale balayèrent la tour de contrôle puis le bâtiment assigné aux pilotes.
La pluie d’ogives s’abattit sur les astroports voisins, les transports de troupes alignés, déjà chargés de l’armement collectif en prévision de l’invasion, explosèrent à l’impact des drones. La moitié aurait suffi à détruire la flotte ; toutefois, Callimaque ne tenait pas à laisser un seul des trois cents vaisseaux en état de prendre l’air.
Sentence sauta de la passerelle, roula sur la pelouse, se rétablit puis tira. La sentinelle qui voulait la mettre en joue s’effondra. En moins d’une minute, la légion de Nymphes se dispersa autour du palais. La donneuse d’ordre entraîna une compagnie à sa suite en direction du perron, aucun garde ne tenta de s’interposer, cinquante armes jonchèrent le sol. Le général à la fenêtre de son bureau blêmit, il se reprit pour dévaler les escaliers menant au centre de communication situé au rez-de-chaussée.
La garnison du palais, composée de soldats inaptes à servir sur Aural 2, n’entendait pas se battre au nom d’un prince absent, encore moins y laisser la vie. La blondeur des guerrières en tenue de combat renforcée trahissait leurs origines, les yeux gris brillaient de détermination dans les visages sereins. Sentence tendit la main à l’officier prostré sur la dernière marche, essoufflé de son effort.
Votre arme, général. Nous sommes entre gens civilisés, vous n’en avez pas besoin. Une de nos légions se rend maîtresse de ville, je prends possession du palais au nom de la princesse Kira.
Civils ou militaires, les fonctionnaires présents lancèrent des regards soupçonneux à l’officier désarçonné.
Amenez-nous chez le vieux roi, somma la Nymphe convaincue de l’implication du général dans le complot, puis il vous faudra répondre à quelques questions, ajouta-t-elle avec un soupçon de cynisme.
Le profil sombre du Mirage se dessina sur le mur de flammes visible de la caserne. Sarah avait posé l’appareil le plus loin possible de l’incendie ; pourtant, l’explosion des piles à combustion de la flotte inutilisable rendait l’air ambiant quasi irrespirable à des kilomètres. Kira, insensible à la chaleur, visualisa la disposition des lieux.
Derrière le carré de bâtiments réservés aux officiers supérieurs de l’État major, huit casernements en enfilade abritaient chacun mille cinq cents hommes en armes, décidés à se battre. La jeune femme condamna mentalement les portes d’entrée avant de bloquer les accès aux soutes à munitions. Désormais enfermée à l’intérieur de ses propres murs, l’armée ne représentait plus une menace.
Kiros est passé avec deux cents soldats, annonça-t-elle sobrement, il arrive.
Maraudeuse se frotta les doigts, ses pouvoirs électriques changeaient avec la densité de l’atmosphère, son taux d’humidité, elle ne savait jamais à quoi s’attendre. À bord du Mirage, avec sa constance de dix-neuf degrés centigrades, les arcs étaient impeccables, les résultats garantis. Dans une chaleur sèche…
Un vrombissement annonça l’imminence du combat, les véhicules progressaient tous feux éteints, la violence de l’incendie leur ouvrait la route. Sarah visa le premier camion à une cinquantaine de mètres, une grosse boule étincelante voleta comme une baudruche dégonflée pour exploser à gauche de la cible. L’embrasement de la végétation illumina la colonne dans la nuit.
Merde ! rugit la Terrienne amère.
Merci d’allumer la lumière, pouffa Hélionaïde avant de tuer le conducteur d’un tir bien placé.
Aucune inquiétude ne troublait la sérénité de la guerrière ; même privée d’une partie de ses pouvoirs, Maraudeuse pouvait faire la différence avec sa force et sa vitesse. Ses congénères en faisaient les frais au centre d’entraînement.
Je sens que ça va me donner soif, cette histoire.
Membres d’une unité d’élite, les hommes avaient sauté des véhicules. Leur nombre ne garantissait pas la victoire ; en outre, les Nymphes pouvaient recevoir des renforts à tout instant. Ils montèrent à l’assaut de l’adversaire sous le couvert des hautes herbes. Sarah tenta de leur barrer la route, la gerbe explosa à une dizaine de mètres au-dessus du sol. Dépitée, elle dégaina son pistolet à ultrasons.
Le prince, inconscient de son isolement, tenta d’entrer en communication avec Kira, s’il parvenait à la priver de la protection des guerrières, la tuer serait une formalité, alors la victoire serait acquise.
Concentrée sur la fermeture des portes des casernes, la princesse ressentit l’intrusion mentale. Les hommes approchaient, le corps-à-corps devenait inévitable. Combien de victimes allaient payer de leur vie l’ambition de son frère ? Elle ferma les yeux, décidée à le combattre.
L’épaisse fumée des astroports en flamme teintait l’aube d’un gris sale, les Nymphes regroupées autour de Kira au centre d’un cercle de cent soixante hommes attendaient l’assaut final. La princesse devait être protégée coûte que coûte, les troupes de la reine, occupées à soumettre l’armée auralienne, ne pouvaient rien pour elles.
Un pantin désarticulé s’envola au-dessus des hautes herbes, les soldats déclenchèrent par réflexe un tir nourri à l’emplacement où se trouvait leur camarade une seconde plus tôt. Maraudeuse avait déjà disparu. Elle harcelait la troupe, consciente de devoir donner du temps à son amie.
Frère et sur se faisaient face dans le vide absolu ; toutes leurs forces mentales jetées dans le duel les empêchaient d’appréhender l’univers autour d’eux. Chacun tentait de faire plier l’autre depuis de longues minutes sans laisser augurer de l’issue. Kira décida d’aller au contact.
La princesse rompit la toile de protection tissée autour de sa personne malgré les cris des Nymphes, elle s’avança d’un pas déterminé. Un soldat visa posément avant d’être happé par une tornade humaine, Sarah neutralisa un second tireur potentiel puis jeta un il à la situation, confuse.
Les fusils inutilisables de chaque côté, les guerrières taillaient la route dans les rangs adverses à coups de poignard. Kira avançait, insensible à la mêlée ; les hommes, gênés par leur nombre, tentaient de l’atteindre sans plus se préoccuper des Nymphes.
Kiros, aveuglé par la somme des efforts fournis, attendait, incapable d’esquisser un geste. Où sa sur puisait-elle une telle force ? Il ne vit pas Maraudeuse se débarrasser d’un groupe de soldats érigés devant lui en barrière tandis que les autres essayaient de contrer l’avancée de la princesse.
Kira posa une main sur le front de son frère. Un souffle puissant comme une tornade dirigée vers le ciel bouscula les combattants, hommes et femmes confondus, Sarah se retrouva le nez dans la poussière. Kiros sentit son esprit se fissurer physiquement, puis céder à la pression phénoménale de la douleur. Il disparut sans avoir le temps de hurler dans un halo de flammes verdâtres.
Le palais d’Ashora connaissait une agitation singulière, le consortium des dirigeants de la planète Karal avait dépêché un ambassadeur à la réunion du haut conseil afin de remercier Callimaque et la princesse, les officiers se congratulaient à voix feutrées de la réussite des opérations, les représentants du peuple d’Aural attendaient de voir la future souveraine. Sarah franchit seule la porte du salon d’honneur.
Kira vous prie d’excuser son absence due à une fatigue extrême, elle vous demande de présider la séance, majesté.
L’esprit de sa protégée avait été mis à rude épreuve, le repos s’avérait indispensable ; Callimaque laissa s’éteindre les rumeurs.
Ne perdons pas notre temps à palabrer, certains attendent le festin avec impatience, pouffa-t-elle face à la nervosité de Maraudeuse incapable de trouver une trace d’alcool, où en sommes-nous ?
Le vieux roi ainsi que les complices civils et militaires de son fils sont sous bonne garde, annonça Sentence devant l’assemblée, nos patrouilles rassurent la population qui attend une déclaration officielle.
La Nymphe en charge de contenir l’armée de Kiros s’avança à son tour.
La princesse a maintenu les portes des casernes fermées, sauvant de nombreuses vies, aucune victime à déplorer de part ni d’autre.
Rarement Callimaque n’avait pris autant de plaisir à écouter les différents rapports des opérations du jour. Sarah s’étonna des regards tournés sur elle.
C’est à moi ? Désolée. Quatorze Nymphes ont été blessées au contact de la garde de Kiros, aucune grièvement.
Son amie la reine incapable d’éprouver le sentiment de haine, la Terrienne passa sous silence les soixante-treize adversaires tués.
Bien ! souligna Callimaque satisfaite. Les troupes auraliennes libérées de l’emprise mentale du prince ont déposé les armes. La guerre a été évitée, allons fêter ça.
L’enseigne allégorique incita Sarah à imprimer l’adresse dans sa mémoire ; derrière l’architecture désuète d’un début de 20ème siècle sur Terre, Ashora recélait des trésors dignes d’une société évoluée, comme cette auberge réservée aux femmes située en plein centre de la cité. La liberté sexuelle prônée par les Auraliens aurait pu servir d’exemple à nombre de civilisations.
Une Nymphe installée à une table salua la nouvelle venue avant de plonger une main dans le décolleté généreux de la jolie brune assise sur ses genoux. Maraudeuse se colla au comptoir de bois sous les regards fiévreux, la libido débridée de l’aventurière faisait des gorges chaudes dans les milieux éclairés du lesbianisme intergalactique. Sa présence ravivait l’espoir de quelques isolées.
Qu’est-ce tu veux boire ?
Le tutoiement intrigua Sarah ; la considération de la serveuse ne ressemblait en rien à l’admiration hébétée qu’on lui témoignait trop souvent.
Une bouteille de mariach et une pinte de bière. Comment tu t’appelles ?
Sarah suivit les gestes professionnels de la fausse blonde dénoncée par des sourcils fournis sombres. Âgée d’une trentaine d’années terrestres, elle aurait paru quelconque sans la sensualité de la petite bouche sous le nez mutin. La profondeur du regard bleu rappelait le calme de Kira.
Néphélia, répondit la jeune femme en repoussant la pièce jaunâtre de cinq crédits de la Fédération des Étoiles. Les Nymphes et toi, vous êtes mes invitées ce soir, Ashora ne pourra jamais s’acquitter de sa dette.
Laisse tomber. Tu as une copine ?
Les jeunes femmes roulèrent sur le lit les bouches soudées, pressées de donner libre cours à la passion charnelle. Néphélia abandonna le baiser pour saisir la tirette entre ses dents puis fit glisser le zip de la combinaison de Sarah. Elle libéra les seins lourds sans l’aide de ses mains, hypnotisée par les tétons saillants dans les aréoles roses.
Incapable de rester inactive, la Terrienne tira sur tous les bouts de tissus à portée de ses doigts. Une lutte s’engagea à mi-chemin entre le chahut et le déhanchement lascif, la robe rejoignit la combinaison sur le tapis. La nudité des protagonistes les incita à une trêve, le temps d’apprécier ce que chacune allait offrir à l’autre. L’air se chargeait déjà des premiers effluves du désir.
Sarah aurait apprécié d’observer davantage les petits seins tendus comme une invite, le sillon duveteux qui courait sur le ventre jusqu’au nombril, la broussaille sombre du pubis. Néphélia estimait avoir perdu assez de temps en préliminaires au comptoir, seul le contact de leurs peaux pouvait la combler. Elle se jeta sur les seins pour en sucer les tétons goulûment.
La jeune femme dénicha la fente sous le duvet soyeux, elle en força le passage d’un doigt bientôt suivi d’un second. Sarah se pâma dans un long feulement, tremblante, le ventre comprimé par l’excitation. Un ongle explora sa vulve tandis que l’autre partit à la recherche de l’entrée secrète. L’humidité ambiante permettait toutes les audaces.
La bouche à l’uvre sur les tétons, Néphélia poussa son avantage, le vagin lubrifié s’ouvrit à la pénétration. Sarah rugit de se sentir emplie, elle mordilla sa lèvre inférieure en acceptation de son sort, une main accrochée aux cheveux décolorés pour s’assurer de la bouche sur ses seins.
Décidée à dicter les règles, la jeune femme avide d’autres fantaisies se libéra pour poser les lèvres sur la plaie encombrée. D’habitude, elle n’appréciait pas de lécher ses amantes, préférant les baiser jusqu’à lire le plaisir dans leurs yeux révulsés. Ce soir était différent, Maraudeuse n’était pas une femme ordinaire.
J’ai envie de mettre ma langue dans ta chatte, gronda-t-elle connaissant l’attrait de la Terrienne pour les expressions imagées.
La réponse lui parvint sous forme de grognements. Enivrée de la senteur musquée, Néphélia la goûta, la légère amertume de la cyprine dissipa ses dernières réticences, elle fouilla le calice avec enchantement. Léchée, baisée, Sarah pétrit ses seins abandonnés, pressée de s’abandonner au plaisir.
La violence d’un combat entraînait toujours le même besoin irrépressible, comme si l’orgasme proclamait le privilège de la vie sur la mort. Parfois, un simple effleurement de son clitoris suffisait à l’envoyer dans les étoiles. En outre, une délivrance précipitée ne marquait pas la fin du jeu.
Lèche mon bouton, gronda-t-elle à la limite de l’hystérie.
Presque déçue de ne pouvoir en profiter davantage, Néphélia dénicha le petit organe de la pointe de la langue. Le doigt crocheté dans le vagin agité de spasmes, elle pinça la précieuse excroissance entre ses lèvres. Sarah se débattit dans la houle de la jouissance, la bouche ouverte, les yeux plantés au plafond qu’elle ne pouvait plus voir.
Le jour se levait à peine sur Ashora, les Nymphes de garde préparaient le déjeuner de leurs camarades malgré l’insistance des cuisinières du palais pour accomplir cette tâche. Maraudeuse s’assit sur la plus haute marche du perron, souriant à l’aube naissante d’une ère nouvelle.
Dans quelques jours ou quelques semaines au plus, Kira deviendrait reine d’Ashor pour le plus grand bonheur de ses sujets. Nul doute qu’elle serait une grande souveraine, sage, compatissante, à l’image de Callimaque. Les Nymphes savaient révéler le meilleur de leurs disciples au jardin de la vérité. Et l’Auralienne s’était montrée particulièrement brillante dans les épreuves du Grand Savoir.
Après le couronnement, Kira devrait prendre un époux afin d’assurer la descendance de sa lignée. C’était la raison qui, entre autres, poussait Maraudeuse à garder certaines distances ; « La reine et l’aventurière », ça ne ferait même pas un bon titre de roman sur Terre, alors de là à l’imaginer en couverture des journaux à scandale… Maraudeuse douta de l’existence d’une telle presse dans la cité.
Tu regardes l’herbe pousser ou tu retardes l’instant fatidique de monter les escaliers jusqu’à tes appartements ?
Et toi, déjà debout, sourit Sarah à son amie.
Sentence s’installa près de la Terrienne.
Ma journée d’hier n’a pas été aussi fatigante que la tienne ni ma nuit. Tu as brisé le cur d’une Auralienne, une pauvre fille qui pleurera d’attendre ton prochain passage à Ashora ?
Aucune promesse, une simple partie de baise.