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Photos de famille – Chapitre 1




Le Boeing en provenance de Bangkok se posa sur la piste. Pour tous les passagers comme pour ceux qui les attendaient, c’était le soulagement. Lors du vol, l’avion avait momentanément disparu des écrans de contrôle. La faute à un temps exécrable. Les passagers avaient été secoués comme des pruniers et certains s’étaient retrouvés avec l’estomac non pas dans les talons, mais sur les genoux. Quant à leurs familles, leurs proches ou amis, ils avaient eu leur lot de sueurs froides.

Les passagers applaudirent longtemps le pilote qui les avait amenés finalement à bon port, et le saluèrent encore plus chaleureusement en quittant la carlingue. Un homme plaisanta même avec une des hôtesses qui, suite à un décrochage de plusieurs dizaines de mètres, s’était affalée sur ses genoux. Il était peut-être le seul à avoir souhaité prolonger cette expérience.

Encore quelques minutes et Anton pourrait récupérer sa valise. Sa mère et sa plus jeune sur devaient piaffer d’impatience dans le hall. Il venait de passer plusieurs mois en Thaïlande et dans les Philippines où il avait fait chauffer son appareil photo ; il ne comptait plus combien il avait pris de clichés, mais il était enchanté par ce long séjour et avait hâte de regarder plus en détail le résultat de son mitraillage incessant.

Anton devait ce surnom à sa passion pour la photographie, art qu’il avait découvert à l’adolescence lorsque, après la mort accidentelle de son père, il s’était plongé dans la discothèque paternelle. Il y avait remarqué le style très personnel d’un photographe Néerlandais, Anton Corbijn, célèbre entre autres pour la pochette de « The Joshua Tree » de U2, et beaucoup d’autres encore. Toutes les rock stars étaient passées devant son objectif.

Gislain, son vrai prénom, voulut donc devenir photographe. Il souhaitait, bien évidemment, reproduire le style si évident de l’artiste hollandais, fait de photos en noir et blanc, au contraste marqué avec ce grain si prononcé. Il s’était jeté à corps perdu dans cette passion qui ne l’avait jamais quitté. Il avait ensuite réussi à se démarquer de son mentor, mais en avait tout de même gardé certains aspects, notamment cet effet de grain. Il y avait, par contre, définitivement perdu son prénom.

Ce vol marquait la fin d’un voyage de six mois en Asie, l’occasion de faire une kyrielle de prises de vue dans le but d’éditer un livre où il raconterait son périple. Il était de retour mais il n’avait pas la moindre idée de la durée de son séjour. Au moins quelques mois. Le temps de préparer l’édition de son livre et d’organiser une nouvelle expédition. Pour l’instant, il ne songeait qu’au plaisir de retrouver sa mère et sa petite sur.

Rachel, sa mère d’origine galloise, était arrivée en France l’été de ses dix-sept ans. Elle avait succombé aux charmes du pays, et dès lors il avait été hors de question qu’elle retournât vivre dans son Pays de Galles natal. Et dans la foulée, elle avait rencontré l’homme de sa vie, Éric, qui avait tragiquement péri dans un accident. Trois enfants était nés de cette union.

Gwenaëlle, sa sur aînée, vivait maintenant près de Londres depuis ses dix-huit ans. À la mort de son père elle avait subitement quitté la France, comme pour oublier la tragédie familiale. Étant totalement bilingue de naissance, elle n’avait pas eu de mal à trouver un bon travail, puis elle avait fini par épouser un bel Indien ; mais aux dernières nouvelles, le couple battait de l’aile. Rachel suspectait même sa fille d’avoir déjà quitté le domicile conjugal. Bien sûr, sa mère était triste pour elle ; mais après tout, elle n’avait que vingt-six ans et pas d’enfant : elle se remettrait vite de cette déconvenue.

Gislain, alias Anton, était né un peu plus d’un an après. Comme son père, il adorait partir à l’aventure et en avait même fait son mode de vie. Il s’était plutôt mal accommodé de son rôle de dernier homme de la famille ; déjà qu’il ne tenait pas en place, le décès de son père avait augmenté la fréquence de ses voyages à l’étranger.

Puis arriva Sabrina, la petite dernière. Sabrina était soi-disant née par accident. Au vu du résultat, on aimerait bien rencontrer ce genre d’accident tous les jours ! Elle avait hérité de cette maladresse, un manque total de confiance en elle, et malgré des études sinon brillantes tout au moins solides elle n’avait aucune idée précise de ce qu’elle envisageait pour la suite. Au fil des jours, elle se voyait tour à tour mannequin, chanteuse, actrice, médecin, écrivain, parfois photographe, mais on pouvait raisonnablement soupçonner que voir son frère partir pour de longs voyages et en revenir avec des tonnes de photos l’influençait énormément. La liste n’était pas pour autant exhaustive. Sa mère envisageait sérieusement soit de l’envoyer chez Gwenaëlle pour un an, soit de demander à son fils de la prendre sous son aile quelque temps pour qu’elle puisse sortir de son cocon et trouver enfin une voie qui lui convienne. Vivre et se faire de l’expérience, pas professionnelle mais humaine.

Sabrina était née six ans après Anton et n’en avait que dix quand son père avait disparu. Outre le décès de son géniteur, voir sa sur puis son frère s’éloigner du foyer avait été une catastrophe pour elle. Si elle en avait voulu énormément à sa sur, les retours de son bourlingueur de frère étaient une source rare et d’autant plus appréciée de joie. Aussi vénérait-elle son frère et le voyait comme un dieu vivant. Quand elle apprit que l’avion dans lequel Anton arrivait avait subi des avaries, elle avait blêmi, puis son ventre s’était mis à se tordre. Après toutes ces tensions, elle savait que dès qu’elle le verrait franchir les portes, elle pleurerait. Et rirait en même temps.

La porte coulissante s’ouvrit et les premiers passagers déboulèrent dans le hall. La longue carcasse à la peau mate d’Anton fut la dernière à franchir le seuil. Un grand sourire éclairait son visage qu’une barbe d’une bonne semaine tentait d’avaler.

   ─ Mon Dieu, tu ressembles de plus en plus à ton père ! lui asséna sa mère en passant une main dans sa chevelure ébouriffée. Il n’y a que la couleur de cette tignasse qui te confère un petit quelque chose de moi.

Il serra Rachel dans ses bras. Sa mère ne lui avait transmis qu’un peu de sa rousseur comme signe évident d’hérédité. Sa chevelure, qui ressemblait plus à une crinière qu’à une chevelure à proprement parler, était d’un blond qui tirait légèrement vers le roux. Bizarrement, il avait hérité la peau mate de son père. Il était l’opposé de sa sur aînée qui, elle, était très brune avec une vraie peau de rousse, au visage discrètement parsemé d’éphélides.

Sabrina se tenait derrière eux, attendant son tour pour étreindre son frère. Il lui fit un clin d’il par-dessus l’épaule de leur mère. Il en profita pour l’observer ; il y avait quelque chose de changé en elle, sans qu’il sache dire quoi. Il n’était pourtant pas parti assez longtemps qu’il ne puisse la reconnaître. C’était quelque chose d’imperceptible, dans sa manière de se tenir peut-être, ou un peu plus d’assurance. Physiquement, elle n’avait pas sensiblement changé en quelques mois. Si : sa silhouette s’était affinée. Ce n’était plus une adolescente, elle devenait une femme. Et même une bombe qui devait attirer tous les mâles dans les parages. Il se dit qu’il devrait garder un il sur elle tout le temps qu’il resterait ; le rôle de dernier homme de la famille semblait lui revenir au galop.

Sabrina avait tout hérité de sa mère, et l’avait même surpassée. Sa chevelure rousse enflammait le regard qu’il posait sur elle. Même l’air autour d’elle en devenait incandescent. Elle avait une peau typiquement laiteuse et couverte de taches de rousseur. Anton ferma les yeux : s’il continuait ainsi, il allait avoir une érection monstre et sa mère allait s’en rendre compte. Il allait cependant devoir regarder sa sur et la serrer à son tour dans ses bras. Il prétexta une envie urgente de se rendre aux toilettes pour se décoller de sa mère et éviter le contact immédiat avec sa sur.

Il se rua à l’intérieur, ferma la porte et dégagea son sexe. Il ferma les yeux, et l’image de sa sur lui vint directement à l’esprit. Mince ! C’était sa sur, quand même Il réfléchirait à ce problème plus tard ; pour l’instant il était urgent de vider le fusil. Il avait maintenant en tête le visage de sa sur : ses lèvres pulpeuses juste ce qu’il fallait, ses yeux rieurs, son sourire en coin qui révélait de belles dents blanches et régulières et creusait de jolies fossettes. Et puis et puis, ce décolleté ! Délicatement décoré d’éphélides et dévoilant légèrement la poitrine qu’il devinait d’un blanc immaculé, aux tétons d’un rose pâle et nacré. D’après ce qu’il en avait vu, l’opulence sans être démesurée de ces seins devait occuper sainement les deux mains d’un honnête homme.

Voilà ce qui avait changé chez sa sur : elle dégageait une sensualité torride. Il avait les yeux toujours fermés et se masturbait frénétiquement. Il se voyait frottant son gland, le méat contre ses mamelons. Il libérerait sa semence sur cette poitrine parfaite. Pour l’instant, il était dans les toilettes de l’aéroport, fantasmant sur sa sur. Il envoya un trait épais de sperme s’écraser sur le mur. Il nettoya sa verge, puis le mur. Il sortit, temporairement soulagé, et put enfin serrer Sabrina contre lui sans aucune crainte.

Ils prirent un café dans un des nombreux bars de l’aérogare : un établissement sans âme qui n’avait pour but que de soulager les voyageurs de quelques euros en leur laissant croire qu’ils obtenaient en échange un peu de confort. Il s’agissait pour la famille, aux trois-quarts réunie, de s’offrir une petite pause entre l’inconfort des sièges de l’avion à celui de la voiture. Ils avaient une bonne heure de route, et avec le décalage horaire Anton succomberait peut-être au sommeil. Il monta seul à l’arrière du véhicule ; il pourrait s’étirer à défaut de s’allonger en cas d’attaque éclair de Morphée.

Il était quinze heures quand la voiture s’immobilisa à l’abri sous la terrasse, une idée géniale de son père lorsqu’il avait acheté cette immense maison, un corps de ferme dont une partie menaçait ruine. Ils avaient vécu dans une caravane posée dans la cour, au centre des bâtiments qui formaient un carré, le temps que les rénovations se fassent. Une fois la partie habitation flambant neuve, ils avaient emménagé dans leur nouvelle demeure. Sabrina n’avait pas connu cette période : elle était arrivée lorsque les travaux de la grange avaient débuté.

Le toit était entièrement à refaire, et son père n’avait pas fait dans la demi-mesure : plutôt que de se lancer dans des rénovations coûteuses, il avait rasé tout le bâtiment et gardé les pierres pour reconstruire de toutes pièces le joyau de cette maison. Rachel étant à nouveau enceinte, il avait légèrement modifié ses plans. Dans la partie attenante à l’habitation, ils avaient commencé par ouvrir une nouvelle chambre à l’étage. Au rez-de-chaussée, la pièce servait de salle de jeu pour la petite dernière, de salon secondaire où trônait une cheminée qui chauffait au passage la chambre à l’étage. À côté de la cheminée, une porte donnait sur un petit local d’où partait une volée d’escaliers. Sur le palier, à gauche, une porte donnait sur la chambre de Sabrina, et en face une deuxième porte donnait accès à la terrasse, couverte au tiers. Sur toute la longueur, percée dans la dalle, une piscine s’étirait, soit plus de vingt mètres.

   ─ Tu viens piquer une tête, frangin ? Ça te réveillera.

   ─ Attends, il faut que je sorte les valises de la voiture

   ─ Vas-y, je m’en occupe, rétorqua sa mère.

Sabrina monta dans sa chambre en trombe pour se changer ; Anton pensa que son caleçon suffirait pour faire une petite brasse.

Le contact de l’eau était vivifiant après ces heures de transport. Il fit quelques brasses en attendant sa sur, plongea sous la paroi vitrée qui séparait la partie couverte de la partie extérieure de la piscine. Il continua de nager sous l’eau jusqu’à toucher l’extrémité du bassin puis refit lentement surface. Il s’allongea sur le dos sur cette eau presque aussi chaude que celle de la mer d’Andaman. Il regarda le ciel comme pour se remémorer le trajet effectué dans le firmament. Il volait à l’envers jusqu’à son départ, la dernière soirée avant son départ en compagnie de Kanyaphat qui lui avait servi de guide tout au long de son séjour en Thaïlande, tous les bons moments, et ceux plus galère.

   ─ À quoi penses-tu grand frère ?

   ─ À la Thaïlande.

   ─ Ça te manque déjà ?

   ─ Oui, forcément. Mais ce n’est pas vraiment ça. C’est le décalage horaire. Un peu comme si une partie de moi n’était pas encore arrivée. Comme si cette partie-là voyageait à une autre vitesse.

   ─ Ah ! Toi aussi tu as été touché par la sagesse chinoise.

   ─ Je ne suis pas allé en Chine

   ─ Chinois, Viêt-Namiens, Coréens, pour moi c’est tout pareil.

   ─ Tu ne devrais pas

   ─ Je sais, je fais des amalgames. Désolée, je suis moins attirée que toi par l’Asie, et pour moi ils se ressemblent tous. Mais j’imagine que pour eux, ce doit être pareil avec les Européens ; ils ne doivent pas percevoir la différence entre un Espagnol et un Allemand. À part la couleur des cheveux, bien évidemment.

   ─ C’est un point de vue intéressant. Je n’ai jamais pensé à demander à quelqu’un de là-bas.

   ─ Penserais-tu à quelqu’un en particulier ?

   ─ Oui enfin, non. Il faudrait que je demande aux personnes dont j’ai gardé l’adresse.

   ─ Toi, tu me caches quelque chose ! affirma Sabrina alors qu’elle lui appuyait sur les épaules comme pour le faire couler.

Ils chahutèrent un instant, comme des enfants qu’ils avaient été. Anton ne se défendait pas vraiment, la laissant prendre le dessus la plupart du temps, mais parfois il l’attrapait, la soulevait et la jetait plus loin. Elle revenait à la charge, s’agrippait à lui comme une pieuvre. Et puis il prit conscience qu’elle était tout contre lui. Il sentait les seins de Sabrina écrasés contre son dos. Il ne devait pas se retourner, auquel cas elle se rendrait compte de son érection qu’il ne pourrait pas faire disparaître comme à l’aéroport. Il plongea, se dégagea de l’étreinte et nagea en s’éloignant d’elle en signe de capitulation.

Il repéra deux serviettes de bain que sa sur avait dû apporter en arrivant directement dans la partie extérieure. Il fit quelques brasses dans cette direction, appuya ses mains sur le rebord de la piscine et, tournant le dos à sa sur, il sortit du bassin. Il attrapa une serviette qu’il jeta sur ses épaules en prenant bien soin d’en serrer les pans pour masquer son érection, puis se tourna vers sa sur.

   ─ Je vais m’allonger un moment ; j’ai comme un coup de barre, là, dit-il à Sabrina en tentant autant que faire se peut de contenir un sourire que le double sens de « coup de barre » avait fait naître.

   ─ OK, je vais nager encore un peu. Tu veux que je vienne te chercher quand maman aura préparé quelque chose à manger ? Ou préfères-tu que je te laisse te reposer tranquillement ?

   ─ Préviens-moi répondit-il s’en allant.

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