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Elle et Elle – Chapitre 1




Si tout s’était passé comme prévu, nous aurions dû être heureux pour toujours. Tout ne s’est passa pas comme prévu.

Un an après avoir épousé l’amour de ma vie, Monsieur m’annonça en vrac que tout était fini, qu’il m’avait trouvé une remplaçante, que j’allais prochainement recevoir les papiers du divorce, que j’étais priée de déménager tout de suite parce que, bon, l’appartement était à son nom, et que ça serait mieux si je ne faisais pas trop d’histoires.

Je me retrouvai à la rue, comme ça, du jour au lendemain, avec mon sac de voyage, à essayer de ramasser les miettes de mon petit cur et à me pincer très fort pour me réveiller. Je ne pleurai même pas : je crois que ça faisait trop d’un coup.

Alors quoi ? Qu’est-ce que j’allais faire ? Rentrer chez ma mère ? Exclu. Un de mes ex ? Je n’en avais pas tant que ça et je crois que je me serais sentie sale de tenter ce coup-là. Non, il n’y avait qu’une solution envisageable : appeler Laetitia.

Est-ce que j’aurais dit qu’elle était ma meilleure amie ? Je ne publiais pas de classement, mais dans la mesure où c’est le seul nom de copine qui me soit venu à l’esprit, il faut croire que oui.

Laetitia et moi, c’était fusionnel depuis le début. On se connaissait depuis la fac, il n’y a pas si longtemps que ça, finalement, et entre elle et moi ça avait tourné immédiatement au coup de foudre amical : on se disait tout, on se donnait des petits surnoms mignons, on pouvait s’appeler au milieu de la nuit, on était tout le temps à se faire des câlins, c’était ma bouée, ma batterie, et, en l’occurrence, mon refuge. Vous voyez le genre.

Donc ce terrible matin, je sonnai chez Laetitia. Elle venait de me donner son feu vert par téléphone (« Mais enfin ma chérie bien sûr que tu peux habiter chez moi. Viens vite. »)

Elle ouvrit la porte, et m’apparut ravissante. Ma pote portait un polo noir ajusté à sa taille de guêpe, une petite jupe fleurie, légère et printanière, et ses cheveux noirs étaient noués en deux nattes d’écolière. Comme toujours, ses lèvres étaient maquillées d’un rouge franc et luisant. Oui, elle avait beau être professeure assistante en lettres classiques ou quelque chose comme ça, elle avait toujours son air de lycéenne c’était exaspérant, pour être franche.

Moi aussi, je m’étais faite belle, presque comme pour un rendez-vous je crois qu’être présentable, ça m’aidait à rester debout alors que j’étais au bord du chaos.

Elle sourit dès qu’elle me vit, me demanda d’entrer dans un petit souffle rauque. Moi, dès que j’eus franchi le seuil, je fondis en larmes, enfin. Il fallait s’y attendre, j’imagine. Je me réfugiai dans ses bras, logeant ma joue dans le creux de son cou.

Elle m’emmena dans le salon et des deux prochaines heures, je n’en gardai pas de traces : c’était la lamentable confession de l’échec de mon mariage, un monologue pathétique entrecoupé de sanglots, de transmissions de mouchoirs, avec Laetitia qui faisait de son mieux pour endiguer le tsunami de mon chagrin en me réconfortant de sa voix tendre. Ses cuisses me servaient d’oreiller et elle caressait délicatement mes cheveux, mon front et l’arête de mon cou en m’écoutant parler.

« Tu le sais, hein, que tu peux rester ici toute la vie » me dit-elle pour m’empêcher de paniquer. C’est con mais ça me faisait du bien.

Je parlai énormément, jusqu’à ce que je n’aie plus grand-chose à dire et que des choses banales et rassurantes prennent le dessus. Elle m’invita à défaire mon sac de voyage et tout le reste qui était entassé dans la voiture elle avait libéré une armoire pour accueillir mes affaires. Et puis on se fit une omelette : ni elle ni moi n’avions faim mais on n’allait quand même pas arrêter de vivre.

En garnissant les assiettes, je me mis à nouveau à pleurer je me sentais tellement idiote ! Les larmes coulèrent toutes seules, à présent moins comme une cascade que comme le début d’un deuil.

Immédiatement, Laetitia vint à la rescousse. Pour me réconforter, elle vint dans mon dos, m’envelopper dans ses bras comme un doudou. 

« Tu n’es pas seule, Laure » murmura-t-elle, ses lèvres fraîches effleurant le lobe de mon oreille.

D’un doigt, elle vint effacer les sillons de larmes sur mes joues, avant de me serrer contre elle, très fort. Ses doigts effleuraient mes avant-bras, ses paumes se posaient sur mon ventre. Avec une infinie tendresse, elle déposa une série de bisous sur mon épaule, puis, progressivement, dans l’arrondi de ma nuque. Je sentis ma peau se couvrir de chair de poule à son contact.

« Je suis là, ne t’inquiète pas. »

Même si je refusais de donner un nom à cette sensation, j’étais troublée. Sans explications, Laetitita me retourna contre elle, pour que nous soyons face à face, les yeux dans les yeux. Un silence s’installa.

Mon amie s’approcha tout près de moi et caressa mes cheveux, investie soudain d’une audace que je ne lui avais jamais connue. Ses doigts suivirent l’arrondi de mon crâne, plusieurs fois, puis elle replaça sur le côté une de mes mèches rebelles, et termina sa caresse en effleurant le côté de ma mâchoire. Nos yeux ne se quittaient plus une seconde, comme si l’univers avait rétréci. Elle s’approcha insensiblement, et caressa ma nuque du bout des phalanges.

Nous étions face à face, tout près. Trop près. C’était curieux et embarrassant d’être debout tout près d’elle. Je sentis le sang affluer et brûler mes joues, et l’angoisse se diffuser et tenailler ma poitrine, asphyxiée par quelque chose qui ressemblait à de l’anticipation.

Sans dire un mot, Laetitia poursuivit ses gestes de douceur : à travers les vêtements, ses mains explorèrent mes épaules, mon dos, mes flancs, la naissance de mes fesses. Elle me fit un baiser sur le front, sur le bout du nez, sur les paupières, puis au bord de mes lèvres.

J’espérais que ma peau n’était pas aussi chaude au toucher que ce que je ressentais. J’étais perdue, je ne savais plus quoi faire. Mais je prenais conscience que ce qui était en train de se passer dans cette cuisine n’était plus simplement l’expression de notre amitié.

..

Après un instant de temps suspendu qui ressemblait à l’hésitation d’une parachutiste, Laetita plongea sur ma nuque, et lécha tendrement l’arrondi de mon cou : un parcours lent, charnel et délibéré, pas du tout le genre de truc où elle aurait pu, après coup, prétendre qu’elle avait fait un faux geste, et certainement pas le genre de chose qu’une femme fait à une de ses amies si elle tient à conserver intacte la stricte hétérosexualité de leur relation. Bref : la grosse surprise.

Immédiatement, mon cerveau se mit en surcharge : je ne savais pas comment réagir, aussi je me figeai, la bouche ouverte en un petit « o », sans rien dire, sans rien faire. Electroencéphalogramme plat.

Curieusement, ce fut elle qui eut l’air d’être surprise, comme si ça lui avait échappé, comme si elle n’avait été que spectatrice de son geste. Elle écarquilla les yeux. Le rouge lui monta aux joues. Elle baissa le regard, puis le promena en tous sens, évitant le mien, cherchant un point d’ancrage. Finalement, ce vent de panique se calma. Elle reprit ses esprit. Elle sourit même, brièvement, comme si elle venait de parvenir à un accord avec elle-même. Et elle arrima à nouveau ses yeux dans les miens. Ils brillaient comme deux galets au bord de l’eau.

« Je sais à quoi tu penses » me dit-elle.

Tant mieux, ça m’intéressait, parce que moi je n’en avais aucune idée.

Je surpris sur son visage impossible de se tromper un éclat de désir. Laetitia me désirait. Elle prit une grande respiration et me dit :

« Est-ce que je peux t’embrasser sur la bouche ? », ses yeux noirs, presque noyés de larmes, étaient plongés dans les miens.

« Quoi ? Ce n’est pas Il ne faut pas » balbutiai-je.

« Tu réfléchis trop » répondit-elle.

Tout ce que je voulais, c’est un peu de chaleur humaine. Embrasser Laetitia, ça ne faisait pas du tout, mais alors pas du tout partie de mes projets. Cela dit, et là, c’était peut-être le plus important : impossible d’affirmer que je n’en avais pas envie

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