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PokémonVR – Chapitre 8




Nos yeux à tous étaient fermés, en larmes. Nous étions rassemblés dans la maison, en compagnie des deux habitants terrifiés, autour du cadavre de notre camarade. Agenouillé près de la table au centre de la pièce, je regardais dans le vide. En fait, je ne voyais rien : j’étais perdu dans mes souvenirs. Je revoyais ce PNJ membre de la team Rocket pointer son arme dans notre direction. Je revoyais son sourire sadique lorsque son doigt se posait sur la détente. Je revoyais nos visages terrorisés, nos larmes coulantes, nos pleurs incessants. Je revoyais le doigt du malfrat presser la détente. Lentement. Très lentement. Aussi lentement que la mort fauche les âmes, son doigt continuait son chemin. Lorsqu’il avait  achevé d’appuyer, une détonation nous avait crevé les tympans. Une détonation mortellement bruyante. L’un des nôtres était tombé à la renverse, ses mains pressant son torse désormais ensanglanté. Il s’était effondré sur Miss Malice qui, surprise, était tombée avec lui. Une chute lente mais douloureuse. Nous les regardions, mais nos regards n’étaient figés que sur une seule et unique chose : la tâche rougeâtre sur le tee-shirt blanc du bêta-testeur. Miss Malice était toujours au sol, incapable de se relever. Ses yeux coulaient abondamment, mais personne ne disait rien. Nous avions à peine entendu le sbire de la team Rocket s’échapper par le trou qu’il avait creusé dans le mur par on ne savait quel moyen. Ses bruits de pas avaient à peine résonner dans nos oreilles. Nous étions tous focalisés sur la même chose : ses cheveux blonds et courts reposaient sur le haut de la cuisse de MissMalice. Sa respiration, irrégulière, diminuait en intensité à chaque seconde qui s’écoulait. Ses yeux bleus se fermaient lentement tandis que sa bouche imprimait une grimace de douleur. Ses mains, couvertes de sang, tremblaient légèrement sur son torse. Il essayait d’articuler quelque chose, mais personne ne l’entendait. Pas même MissMalice dont la main reposait sur le front du mourant. Ses yeux avaient fini par se fermer totalement, sa respiration s’était coupée, ses membres avaient cessé de trembler, mais sa grimace avait subsister. Il était parti, et le retour lui était désormais impossible. Adieu, Pika-sama, ne pouvais-je m’empêcher de me répéter dans ma tête. Beaucoup tentaient de retenir leurs larmes, mais aucun n’y était parvenu. Nous pleurions devant cette scène épouvantable, devant cet homme devenu cadavre. Ayaka était dans mes bras, sa tête plongée sur mon torse. Elle serrait le tissu de mon tee-shirt entre ses mains. Je n’étais pas en meilleur état. Mes mains, dans le dos d’Ayaka, tremblaient. Je pleurais sans pouvoir m’arrêter, tout comme l’écoulement de sang qui ne cessait de croître. La tâche se répandait sur la surface du sol en bois et venait tâcher le tapis, composé de spirales colorées, au centre de la pièce, sous la table. DragonChild, Missmalice, Houxnid, Loser et tous ceux dont j’ignorais le pseudonyme étaient dans le même état, autrement dit incapables d’effectuer le moindre mouvement. Le temps s’écoulait à une vitesse phénoménalement lente, rendant plus pénible encore cette atmosphère lugubre.

-Il mérite d’être enterré, dit alors une voix tremblante.

C’était DragonChild. S’il y avait bien une personne qui, d’après moi, était incapable de pleurer, c’était bien lui. Je m’étais lourdement trompé. Il fit quelques pas en direction du cadavre et, lorsqu’il fut auprès de lui, il fit attention de ne pas marcher dans la flaque de sang et voulut prendre le corps dans ses bras. Il en fut toutefois incapable : le corps de Pika-sama commença à se volatiliser. Il se transformait en poussière qui, comme par magie, se dispersait dans l’air, comme un tas de sable dans la main d’un enfant. Nous regardions les restes de notre partenaire se dissiper : ses mains partirent en premier, suivies de ses bras et de ses jambes. Son torse commença alors à disparaître, petit à petit, jusqu’à ce que vînt le tour de son visage. Il ne resta alors plus rien du passage de Pika-sama dans ce jeu maudit, exceptée cette flaque rouge qui n’apparaissait sur aucun des jeux antérieurs. Il ne restait plus rien sur ce sol. Le néant. Exactement comme nos esprits, en ce moment.

Notre petit groupe avait poursuivit son chemin et se dirigeait en direction du sud. Nous avions quitté la maison des deux habitants sans prononcer le moindre mot, et pareillement jusqu’à atteindre la ville de Carmin-Sur-Mer. Nos visages, dont les traces de notre éprouvante mésaventure n’avaient pas encore disparu, étaient baissés. Nos yeux, occupés à regarder le sol en silence, ne voyaient rien des habitations de la ville : de grandes maisons de briques toutes reliées entre elles par des câbles électriques. Nous ne fîmes pas attention au bâtiment en construction présent à notre gauche. Nous ne vîmes rien des Machopeur, Pokémon de type Combat anthropomorphes aux corps musclés, porter de grandes poutres de métal pour les apporter à leurs dresseurs qui en feraient sûrement quelque chose, mais impossible de dire quoi. Nous nous dirigeâmes directement au centre Pokémon afin de soigner nos équipes affaiblies par les combats que nous avions dû effectuer sur la route. DragonChild était à l’avant du groupe et nous guidait je ne savais où, mais je n’avais pas envie de dire quoi que ce fût. Ayaka non plus, puisqu’à aucun moment elle ne parla. Nous continuâmes de marcher jusqu’à ce que nous comprissions que nous nous dirigions vers le quai de Carmin-Sur-Mer, là où était amarré l’Océane, le bateau sur lequel nous devions embarquer afin de récupérer la CS Coupe. Nous longeâmes diverses habitations, dont l’arène de la ville que nous visiterons lorsque nous serons en mesure de couper l’arbuste nous obstruant le chemin. Nous longeâmes la Cave Taupiqueur et tournâmes à droite, direction les quais. À peine marchâmes-nous sur le ponton qu’un PNJ habillé en marin nous interpella.

-Bienvenue sur l’Océane, le plus beau bateau de plaisance des sept mers. Puis-je vous demander de me montrer vos pass ?

Il n’éprouva pas le besoin de se répéter que nous sortîmes tous cet item rare, donné à chacun par Léo, de nos sacs en bandoulière et le lui montrâmes, nos visages toujours exempts de la moindre émotion.

-Bienvenue à bord ! Puisse la fête se déroulant à bord vous apporter bonne fortune !

    Notre petit groupe monta à bord de l’Océane. Ce bateau de plaisance méritait sa réputation : des lustres en cristal étaient accrochés au plafond et illuminaient les couloirs du bateau d’une douce lumière blanche. Divers tableaux, encadrés d’or ou d’argent, ornaient les murs beiges, et le sol, tout en bois, était parfaitement ciré et lustré. En face de nous se dressaient différentes portes. Vingt, pour être exact. Une pour chacun des bêta-testeurs. Enfin, originellement, cela devait avoir été prévu ainsi, parce qu’au jour d’aujourd’hui, ce nombre n’était plus tout à fait exact.

-Bon, c’est par là, je crois, la cabine du capitaine, psalmodia DragonChild.

Il partit dans une direction, aussitôt suivi par le reste du groupe. Toutefois, j’avais autre chose en tête. Je restai là où je me trouvais, malgré le fait qu’Ayaka me tirât par le bras.

-Tu ne viens pas ? me demanda-t-elle d’une voix sombre.

Je secouai la tête. Il était absolument hors de question que cette atmosphère lugubre persistât. Où étaient passés les sourires de chacun ? Certes, nous étions dans un jeu mortel, et l’un de nos camarades venait de se faire exécuter sous nos yeux ébahis, mais nous devions remonter la pente.

-J’ai quelque chose à dire, m’exclamai-je à haute voix.

Tout un chacun se retourna dans ma direction, interloqué.

-Écoutez, je sais que nous venons d’assister à quelque chose de tragique. Mais est-ce une raison pour abandonner ?

-De quoi est-ce que tu parles ? me demanda MissMalice. Nous n’avons pas abandonné.

-Ah oui ? Vous n’avez pas abandonné ? Alors puis-je savoir pourquoi personne n’a décroché le moindre mot depuis tout à l’heure ? Puis-je savoir pourquoi j’ai l’impression que vous risquez de sombrer en larmes à chacun de vos pas ? Puis-je savoir pourquoi j’ai l’impression que vous êtes morts en même temps que Pika-sama ?

-Fais attention à ce que tu dis, Redcliff, me menaça DragonChild.

Il s’approcha de moi. Si son crâne chauve était, depuis tout à l’heure, orienté en direction du sol, il était désormais bien droit, les yeux de son propriétaire me dévisageant avec colère. Sa bouche formait un rictus énervé et ses poings tremblaient légèrement.

-Je sais que Pika-sama et toi étiez proches, poursuivis-je. Mais regarde-toi. Depuis sa mort, tu n’es plus le même. Tu crois vraiment que s’il nous regardait, de là-haut, il aimerait te voir ainsi ? Tu ne crois pas qu’il s’attendrait à ce que tu t’en remettes ? Tu ne crois pas qu’au lieu de te morfondre, il aimerait que tu te battes pour honorer sa mémoire ? Et vous tous, repris-je en regardant le groupe des quinze bêta-testeurs nous regardant, DragonChild, Ayaka et moi, vous pensez vraiment que vous honorez Pika-sama avec vos mines sombres ? Nous l’avons pleuré tous ensemble, nous lui avons tous dit adieu, nous l’avons tous vu disparaître. Alors pourquoi est-ce que vous abandonnez maintenant ?

DragonChild me dévisagea d’un regard sombre. Je sentais qu’il mourrait d’envie de me frapper, je le voyais sur son visage.

-Tu veux que je te dise pourquoi j’ai le moral dans le cul, morveux ?! s’emporta-t-il. Alors je vais te le dire ! Pika-sama n’aurait jamais dû mourir ! Il n’a pas perdu le moindre combat, mais il s’est fait descendre quand même. Comment veux-tu battre un jeu qui ne respecte pas les règles ?!

-Certainement pas en baissant les bras comme tu es en train de le faire. C’est d’ailleurs tout ce qu’il ne faut pas faire, répondis-je en m’efforçant de rester calme.

Je comptais poursuivre, mais une icône en forme d’enveloppe fit son apparition en bas à gauche de mon champ de vision. D’un coup d’il, je remarquai que c’était le cas de tout le monde. Cela ne pouvait vouloir dire qu’une chose : ce mail avait été envoyé par le professeur Secoya. Je cliquai sur l’icône en surbrillance et un message apparut. Un message court mais très clair :

« Chers bêta-testeurs. Je suppose que la perte de Pika-sama a été un choc pour vous. Sachez tout de même que sa mort n’était pas gratuite. Vous vous rappelez sûrement du combat de RedCliff contre Ondine ? Vous avez tous remarqué le bug du 1PV restant ? En réalité, ce bug n’était pas accidentel. Je ne souhaitais simplement pas voir RedCliff mourir. J’ai donc décidé de l’aider à gagner, et en échange j’ai pris la vie de l’un d’entre vous au hasard. En d’autres termes, RedCliff, c’est en partie à cause de toi que Pika-sama est mort.

Sur ce, chers bêta-testeurs, je vous souhaite bon courage pour la suite, car croyez-moi, vous en aurez besoin . »

Je relus ce message plusieurs fois afin d’être sûr d’avoir bien compris. Pourtant, tout était clair : Pika-sama était mort à cause de moi. Mais alors, pourquoi ne pas m’avoir laissé mourir ? Pourquoi m’avoir gardé en vie pour tuer Pika-sama ? Cela était totalement contraire aux règles. Tant de questions se bousculaient dans mon esprit, tant de questions auxquelles aucune réponse ne me venait à l’esprit.

-Vous avez lu ça, les gars ? Cette fois, c’est certain. RedCliff est de mèche avec Secoya !

Les mots de DragonChild résonnèrent dans ma tête. Moi, de mèche avec un assassin ? Mais à quoi pouvait-il bien penser en m’accusant de la sorte ?

-Qu’est-ce que tu racontes ? Ce que tu dis n’a aucun sens, me défendis-je.

-Ah oui ? Alors explique moi pourquoi tu as eu droit à une seconde chance ? Pourquoi toi et pas Cowbow77 ? Pourquoi toi et pas Pika-sama ?

-Mais qu’est-ce que j’en sais ?! me retins-je de hurler. Tu crois que je ne suis pas paumé, moi aussi ? Je ne comprends strictement rien de ce qui se passe !

-Cause toujours. En tout cas, je refuse de continuer ma route avec toi. Qui sait, peut-être sera-ce mon tour, la prochaine fois. Qui m’aime me suive ! hurla alors DragonChild. Choisissez votre camp ! Soit vous me suivez, soit vous suivez RedCliff !

Je ne comprenais pas ce qui était en train de se passer. DragonChild voulait que l’on se séparât ? Était-il conscient que cela était contre-productif ?

-Attends, réfléchis un peu, intervint alors Ayaka. Pourquoi se séparer ? Cela ne ferait qu’augmenter nos chances de mourir !

-Détrompe-toi. C’est à peine si nous avons la moindre chance de rester en vie avec ce mouchard à nos côtés. Moi, je me barre pour retrouver le capitaine et prendre la CS. Que ceux qui veulent poursuivre à mes côtés me suivent.

Sans rien ajouter, DragonChild partit vers la droite, et la totalité du groupe le suivit. Enfin, presque. Seules Ayaka et MissMalice étaient restées à mes côtés. Ayaka, son bras désormais enroulé autour du mien, avait sa tête posée contre mon épaule. MissMalice, quant à elle, nous regardait d’un air inquiet.

-Tu ne suis pas les autres ? lui demandai-je alors.

Lorsqu’elle comprit que c’était à elle que je m’adressais, MissMalice eut un léger soubresaut.

-Non, finit-elle par répondre. Je me sens mieux à tes côtés.

-Tu n’as pas peur de te faire tuer par un nouvel échec de ma part ?

Je sentis la pression qu’exerçait Ayaka sur mon bras augmenter. De son pouce, elle caressa ma peau, comme pour me consoler.

-Ne sois pas trop dur envers toi-même, me répondit MissMalice. Si tu as perdu, dit-elle en mimant des guillemets en prononçant ce dernier mot, c’est uniquement parce que l’état de ton équipe ne pouvait pas faire de miracles contre un Staross.

-J’aurais dû le prévoir, lui répondis-je aussitôt. J’aurais dû prévoir un Pokémon pour vaincre Ondine.

-Ah oui ? Lequel ? La seule qui ait réussi à terrasser Staross est Ayaka. Tu n’as pas vu leurs matchs, mais beaucoup d’entre eux ne sont pas passés loin de mourir. Écoute, RedCliff. Tu es beaucoup plus fort que tous ces minables. Tu ne t’en rends peut-être pas compte, mais ton niveau est bien au-dessus du nôtre. Regarde, j’ai failli perdre avec une équipe qui avait l’avantage. Si on avait échangé les rôles, tu aurais écrasé Ondine sans faire d’histoires.

Je ne cessai de regarder le visage de MissMalice. C’était sans doute la première fois que je le voyais aussi déterminée.

-Maintenant, poursuivit-elle, tu vas me faire le plaisir de te ressaisir et de te remettre à te battre ! Je ne peux pas supporter que le dresseur qui m’a encouragée jusque là baisse les bras !

Je continuais de la regarder. Elle me fixait et m’envoyait ses ondes positives, je les sentais me redonner de la force. Je les sentais se répandre dans mon organisme, comme une dose d’adrénaline.

-Tu as raison, dis-je alors. Bon, je ne sais pas pour vous, mais j’irai bien entraîner mon équipe en affrontant les PNJ sur le bateau.

Le sourire que me lança MissMalice me donna chaud au cur. Nous partîmes donc vers la gauche, en direction des cabines contenant les dresseurs. Pendant notre marche, tandis que nous arrivions devant une longue rangée de portes situées à notre droite, nous entendîmes un long son grave : le sifflet de l’Océane. Ayaka, MissMalice et moi-même nous regardâmes, surpris, avant de comprendre que ce signal signifiait que le bateau quittait le quai. Nous ne comprîmes pas ce qui se passait. Dans les jeux originaux, l’Océane ne quittait Carmin-Sur-Mer qu’après être sorti du bateau, la CS Coupe en poche.

-Bon sang, qu’est-ce que ça veut dire ? s’inquiéta Ayaka.

Je pressai sa main dans la mienne avant qu’un nouveau mail ne rejoignît notre messagerie. Comme nous nous y attendions, il avait été envoyé par le professeur Secoya.

« Bienvenue à bord de l’Océane. Ne vous en faites pas, il sera de retour à Carmin-Sur-Mer d’ici deux jours. Considérez cela comme un cadeau de ma part. »

Rien d’autre ne complétait ce message. Je le relus encore et encore, dans l’espoir de trouver un message caché, mais rien ne me venait en tête.

-Il va falloir être prudent, trembla MissMalice.

Ayaka et moi la regardâmes sans comprendre où elle voulait en venir. Elle replaça la mèche blonde qui lui obstruait la vue derrière son oreille.

-Secoya ne nous a pas envoyés dans un jeu mortel pour nous faire ce genre de cadeaux. Nous allons devoir être prudents : je sens qu’il va se passer quelque chose pendant ces deux prochains jours.

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