Le soleil, levé depuis peu, réveilla Alice et Bastien. Le jeune couple, à cause du stress engendré par la reprise de leurs cours, avait peiné à s’endormir, si bien qu’ils avaient tous deux cru à une nuit blanche jusqu’à ce que, sans qu’ils s’en rendissent compte, leurs esprits s’étaient envolés pour un monde de douceur. Il était huit heures vingt lorsque le couple s’extirpa de son lit, repoussant mollement les couvertures recouvrant leurs corps nus. Alice, encore à moitié endormie, manqua de trébucher en quittant le lit. Elle parvint à regagner son équilibre avant de replacer derrière son oreille l’une de ses mèches blondes obstruant son regard. Elle bâilla légèrement avant de remarquer que les autres étudiants de leur promotion étaient dans le même état qu’elle. Bastien ne dérogeait pas à la règle, si bien que, en se levant, il se cogna le pied dans la table de chevet. Il poussa un faible juron avant de saluer sa petite-amie. Alice se rit légèrement de sa maladresse avant de se diriger vers les douches. Après un bref passage sous une chute d’eau artificielle, le couple se rendit au réfectoire afin de prendre son petit-déjeuner.
Un bol de chocolat au lait et quelques tartines de pain grillées et beurrées, c’était tout ce qu’il fallait à Bastien pour se réveiller. Alice, quant à elle, ajouta à cela une pomme qu’elle dévora presque sauvagement. Les effets de la reprise, pensa son petit-ami en s’efforçant de ne pas la fixer tandis qu’elle croquait le peu de nourriture restant autour du trognon de son fruit.
-Tu sais, personne ne va te la voler, dit Mylène, assise en face du couple, à l’intention de la jeune blonde.
Bastien réprima un léger sourire tandis qu’Alice avala brutalement ce qu’elle avait dans la bouche.
-Je sais, mais je suis en stress, répondit la concernée. Surtout qu’on commence par l’atelier cuisine, à dix heures.
Bien que Bastien ne le montrait pas autant qu’Alice, la venue de ce nouveau cours le faisait paniquer, lui aussi. Que ferait-il si cela ne lui plaisait pas ? Décidant de positiver, il balaya bien vite cette idée de sa tête.
-Je crois que je ne m’y ferai jamais, plaisanta Mylène. Mon frère va cuisiner.
-Il se débrouille plutôt bien, le défendit Alice. Il a cuisiné plusieurs fois pendant les vacances, et c’était plutôt bon.
Romaric, qui n’avait pas encore ouvert la bouche, finit son bol de lait. Il s’essuya la bouche avec la serviette, posée sous son assiette.
-Tu peux parler, petit-cur, intervint alors le petit-ami de Mylène. Tu as choisi de faire de la danse, mais je ne t’ai pas souvent vu danser.
Ce fut l’épaule d’un Romaric rieur qui reçut un léger coup de la part de la jeune brune.
-Je crois que je ne m’y ferai jamais, renchérit Bastien. Ma sur va danser.
Pour toute réponse, elle tira la langue à son frère avant de frapper derechef l’épaule de son petit-ami. Alice, de son côté, regardait la scène en souriant.
-En parlant de ça, intervint alors cette dernière. Tu as choisi de suivre quel cours ? demanda-t-elle à Romaric.
-J’ai toujours voulu être instit’, répondit-il. Je ne sais pas encore trop en quoi ces cours vont consister, mais je le saurai tout à l’heure. D’ailleurs, il va falloir qu’on y aille, à moins que vous ne vouliez arriver en retard au premier cours de l’année.
Remarquant qu’il était dix heures moins vingt, les quatre amis se levèrent et rejoignirent leurs dortoirs afin de se préparer à leurs cours respectifs.
Lorsque midi sonna, Bastien et Alice se trouvaient devant la porte menant aux cuisines, au rez-de-chaussée du château. La porte de la salle à manger se trouvait quelques mètres derrière eux, grande ouverte. C’était l’une des très rares fois où aucun son n’émanait de cette salle habituellement bruyante. Tandis que le temps s’écoulait, plusieurs étudiants rejoignirent les deux amoureux devant la porte des cuisines. Tous ne venaient pas de seconde année : les ateliers de ce genre étaient communs à toutes les promotions, exceptée celle des nouveaux arrivants. Les visages passèrent sans que Bastien n’en reconnût aucun. Leur couple devait être le seul des secondes années à avoir choisi cet atelier, pensa-t-il. Arriva alors un visage qu’il connaissait : son voisin de dortoir. En les voyant, le jeune homme, dont les cheveux blonds et courts faisaient ressortir ses yeux bleus, sourit en les rejoignant.
-Et moi qui pensais que nous serions les seuls de notre promotion à avoir choisi de faire de la cuisine, dit Bastien.
Le nouvel arrivant se gratta l’arrière de la tête en riant nerveusement.
-En fait, je voulais choisir sports, répondit-il, mais ma partenaire est plutôt convaincante.
Bastien remarqua alors que l’étudiant blond n’était pas venu seul : derrière lui se tenait une femme de petite taille, d’environ vingt ans. Elle avait les bras croisés autour de sa poitrine, dont la taille se trouvait dans la moyenne. Ses cheveux, lisses et bruns, tombaient sur ses épaules et se balançaient à chacun des mouvements de tête de la jeune étudiante. Un piercing au niveau de son arcade sourcilière gauche reflétait la lumière émise par les lustres accrochés au plafond.
-Salut, moi c’est Daphnée, se présenta la jeune femme.
Le couple la salua à son tour avant de se présenter.
-Mince, avec tout ça, je ne vous ai même pas dit mon nom, réalisa l’étudiant blond. Moi, c’est Guillaume.
Il tendit sa main devant lui, main que Bastien serra amicalement. Il voulut faire de même avec Alice, puis hésita. Il finit par lui faire la bise.
-D’ailleurs, merci pour la capote l’autre jour, ajouta Daphnée. On s’est drôlement bien amusé avec.
Un rire surpris barra les lèvres des deux amoureux. Daphnée était une personne très directe, comme ils avaient pu le constater. Ils voulurent discuter un peu plus longtemps, mais les portes des cuisines s’ouvrirent lentement. Un homme, tablier blanc attaché autour de la taille et du cou, les salua avant de les inviter à entrer. Les étudiants pénétrèrent alors dans une grande pièce que Bastien et Alice avaient déjà découverte auparavant. De multiples machines, pour la plupart des fours, des cuisinières et autres appareils de cuisson, étaient réparties à divers endroits dans la pièce. De nombreux plans de travail, parfaitement propres, semblaient attendre les étudiants. Bastien remarqua que des tabliers y avaient été déposés : il était absolument hors de question de cuisiner nu. Le cuisinier indiqua à chacun de choisir un plan de travail. Bastien et Alice, en tant que partenaires, choisirent deux plans de travail adjacents. Guillaume s’était placé à côté de Bastien, Daphnée à côté de son partenaire.
-Bonjour à tous et à toutes, dit alors le cuisinier se tenant au milieu de la salle. J’espère que vos vacances ont été agréables. En ce qui me concerne, pour ceux qui ne le savent pas encore, je serai votre professeur de cuisine, monsieur Gédugou. Cela va sûrement vous paraître exagéré, mais je vais commencer par vous parler des règles de sécurité dans les cuisines.
Il commença par montrer son tablier totalement propre, sûrement venait-il d’être lavé.
-Je ne veux voir personne cuisiner sans tablier, dit-il bien fort afin que le monde l’entendît. Il serait dommage que vous vous brûliez à cause d’une casserole d’eau bouillante.
Monsieur Gédugou poursuivit et s’approcha du plan de travail d’un étudiant qui, d’après son visage, devait être au moins en cinquième année et prit un couteau dans l’un des tiroirs, placé sous le plan de travail. Il le leva alors bien haut afin que tout un chacun pût le voir.
-La totalité des couteaux que vous allez avoir à utiliser ressemblera à celui-ci. J’espère ne rien vous apprendre, mais un couteau, ça coupe. Soyez donc très vigilants lorsque vous les manipulez. Il est donc interdit d’essayer de couper les cheveux de votre voisin avec ce genre d’outil, plaisanta le cuisinier.
Les étudiants rirent rapidement à cette plaisanterie, puis monsieur Gédugou toussota dans sa main afin de regagner l’attention de tout le monde.
-Il est également interdit de fumer, de boire, de se droguer et de profiter du corps d’un quelconque camarade pendant que vous cuisinez. Y a-t-il des questions ?
Silence total. Le professeur afficha alors un sourire satisfait avant de reprendre. Il commença alors à lister les erreurs à éviter lorsque l’on cuisine, comme par exemple laisser le feu allumé sans aucune casserole dessus. Bastien prit note de chacune des remarques du cuisinier afin de n’en commettre aucune. Alice, quant à elle, semblait écouter à moitié. Après tout, elle avait déjà quelques connaissances dans ce domaine.
-Bien. Je ne vais pas vous assommer plus longtemps avec mon discours de rentrée. Nous allons donc procéder à un petit exercice commun pour cette première heure de cours. Vous trouverez, dans ce frigo, indiqua monsieur Gédugou en pointant du doigt un énorme réfrigérateur dans un coin de la cuisine, une grande quantité d’ingrédients. Ce que je vais vous demander de faire, c’est de mijoter un petit plat en une heure. Le thème est libre, alors faites ce que vous voulez. C’est parti, vous avez jusqu’à onze heures vingt !
Chacun des étudiants se dirigea vers le réfrigérateur que le professeur avait pointé du doigt. Si la plupart des étudiants se servaient en produits riches et variés, Bastien avait préféré récupérer des produits simples à utiliser. Pour son premier essai, il n’avait pas envie de se risquer à cuisiner quelque chose de trop complexe qu’il risquait de rater. Il avait donc choisi de se diriger vers une purée de pommes de terre. Rien de bien compliqué, mais pour quelqu’un qui n’avait que peu d’expérience derrière lui, c’était suffisant. Revenant à son plan de travail, il resserra le nud de son tablier avant de remplir une casserole d’eau. Il la plaça sur l’une des plaques à induction, à droite de son plan de travail, et commença à chauffer. Attendant que l’eau commençât à bouillir, Bastien sortit les ustensiles dont il aura besoin : un couteau, un fouet à pâtisserie et un moulin à légumes. La fumée s’échappant de la casserole indiqua à Bastien que l’eau était prête. Il y plongea alors les pommes de terre et attendit. Il prépara une deuxième casserole qu’il remplit de lait. Bastien attendit plusieurs minutes avant de juger que ses pommes de terre devaient être cuites. Il éteignit la plaque à induction avant de s’emparer de la casserole. Il vida délicatement l’eau bouillante dans l’évier avant d’extirper les patates à l’aide d’un gant. Là, il décida de mettre le lait à bouillir. Il entama alors l’épluchage des pommes de terre, malgré la chaleur qu’elles dégageaient.
-Putain, c’est chaud ! se plaignit-il en se retenant de pousser un cri.
Parmi toutes les choses qu’il avait à faire, cette étape était, de loin, celle qu’il détestait le plus. Non seulement il était relativement lent, mais il détestait par-dessus tout la sensation de sentir de la pomme de terre écrasée sur ses doigts. Toutefois, il prit son mal en patience et acheva d’éplucher les féculents. Il les écrasa à l’aide du moulin à légumes et déposa sa mixture dans un grand saladier. Le lait chaud ne tarda pas à la rejoindre. Bastien commença alors, à l’aide du fouet à pâtisserie, à mélanger le tout. Pendant la manuvre, il ajoutait quelques morceaux de beurre à intervalles de temps réguliers. Lorsque sa purée fut compacte, il ajouta du sel, du poivre et une légère touche de muscade. Terminé. Il n’avait plus qu’à dresser une assiette, et le tour était joué. Vérifiant que tous ses appareils étaient éteints, il recula de son plan de travail et admira son assiette. Certes, elle ne sortait pas de l’ordinaire, mais il l’avait cuisiné seul, alors cela lui suffisait.
-Déjà fini ? demanda Alice.
Bastien tourna la tête dans sa direction et s’aperçut que sa petite-amie avait également terminé. Sur son plan de travail, une assiette de risotto attendait d’être dégustée.
-Tu dis ça, mais tu as été plus rapide que moi, rit Bastien.
-C’est parce que c’est pas trop difficile à faire, le risotto. Mais qu’est-ce que c’est bon !
Bastien confirma d’un signe de tête. De l’autre côté de la pièce, le cuisinier les regarda. Il se dirigea alors vers eux, s’excusant auprès de l’étudiant qui essayait de l’appeler.
-Une purée, pensa tout haut le cuisinier. Pourquoi avoir fait ce choix ?
-Parce que j’ai préféré faire quelque chose de facile pour commencer, répondit honnêtement Bastien. Je ne suis pas un habitué des cuisines.
-Ça me va, répondit le monsieur Gédugou en souriant. Je préfère que vous progressiez à votre rythme plutôt que de vous forcer à faire des choses trop dures. Bon, je goûte et je te dis ce que j’en pense.
Attrapant une cuillère dans le tiroir à couvert du plan de travail de Bastien, le professeur prit une bouchée de purée qu’il mit dans sa bouche avant d’avaler. Lorsqu’il ôta la cuillère. Il fut pris d’une quinte de toux qu’il contint autant qu’il put.
-La vache, t’as eu la main lourde sur le sel ! s’exclama-t-il.
Perturbé, Bastien ne sut que répondre. Il était pourtant persuadé de ne pas avoir exagéré. Sans doute le manque d’expérience lui avait-il fait défaut. Le cuisinier passa alors au plat d’Alice, dont il sembla apprécier la qualité.
Le couple, assis dans le grand réfectoire de l’école de Lisle, déjeunait aux côtés de Mylène, Romaric, Stéphane et Véronica. Chacun raconta ce qui s’était passé durant son premier cours, et, lorsque Bastien narra l’épisode de la purée trop salée, Mylène, qui dégustait une cuillère de ragoût aux carottes, ne put retenir sa surprise.
-Attends, toi, mettre trop de sel ? Pourtant, tu n’as jamais mangé très salé.
-Je sais, répondit Bastien. C’est justement ça qui me perturbe. Et j’ai beau me rappeler du moment où j’ai salé et poivré, je n’ai pas l’impression d’en avoir mis la dose.
Se forçant derechef à se rappeler de la scène, le jeune homme se revit, derrière son plan de travail, en train d’ajuster sa purée. Si Alice ne lui avait pas fait remarquer que, en continuant ainsi, son assiette de ragoût finirait par refroidir, Bastien aurait été certain de manger froid.
-Ne cherche pas midi à quatorze heures, lui répondit alors Romaric. Tu avais sûrement déjà salé l’eau, alors le fait d’en avoir remis à la fin aurait été de trop.
-Ouais, ça te ressemblerait bien, ajouta Mylène en tirant la langue à son frère.
Perdu dans ses pensées, le concerné réagit à peine. Il était trop occupé à essayer de se rappeler. Avait-il salé l’eau dans laquelle il avait plongé les pommes de terre ? Bastien était persuadé qu’il ne l’avait pas fait. Cette histoire commençait, à force de le faire réfléchir, à lui donner mal à la tête, si bien qu’il lâcha un râle agacé en avalant une cuillère de ragoût. Pourtant, cette question taraudait dans sa tête : que diable s’était-il passé ?