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To be or not to be – Chapitre 3




Je me réveillai le premier en début daprès-midi, la bouche pâteuse et Woody Woodpecker dans ma tête. Ma tenue de la veille encore sur le dos mais passablement froissée, je préparai le café, ce qui fit venir mes hôtes.

— Tu me rendras mes vêtements ? demandé-je à Marianne.

— Oui, je te les mettrai dans la salle de bains.

— Parfait. Merci.

— Euh, où tu as mis mes fringues ?

— Sur le panier de linge sale.

— Jai bien vu, mais cest de ceux-là dont je parlais.

— Je sais. Mais aujourdhui encore, tu vas répéter ton rôle de Chloé.

— Cest nécessaire ?

— Non, mais cest mieux si tu veux vraiment avoir lair crédible sur scène.

— Mouais, si tu le dis. Et tant quon y est, je peux vivre en fille jusquà la dernière représentation.

Marianne eut encore ce sourire bizarre.

— Ben, maintenant que tu en parles, je pense que ce serait mieux. Il faut que tu deviennes Chloé et pas seulement jouer Chloé.

— Tu ne crois pas que tu pousses le bouchon un peu loin ?

— Tu dis ça, mais je suis persuadée que tu penses comme moi.

Je ne répondis pas. Le pire, cest quelle avait raison.

Etonnamment, Fabien nintervenait pas, restant spectateur, ou comptant les points. Comptage qui nétait pas en ma faveur.

Je me résignai donc à suivre les conseils de Marianne. Je pris ma douche et passai une robe à fines bretelles. On passa encore la journée à Paris. Marianne, et parfois Fabien, me reprenait sur mes postures. Je nétais pas encore Chloé mais ça prenait forme.

En fin daprès-midi, ils me ramenèrent chez moi. Jétais toujours habillée en fille. Dire que mes parents furent surpris de me voir ainsi est un euphémisme. Mais on surtout Marianne leur expliqua le comment du pourquoi.

— Alors si cest pour la pièce, ironisa Maman

— Heureusement que ce nest pas un rôle de tueur en série, railla papa avant de replonger dans son journal

— On se retrouve mercredi ? dit Marianne.

— Oui, mercredi.

Elle me fit la bise, comme dhabitude et contre tout e attende, Fabien aussi, me laissant bouche bée.

La semaine repris. Maman travaillait comme secrétaire dans le collège de la ville. Papa, lui était ouvrier spécialisé chez Renault et faisait les deux-huit.

Conformément aux conseils de Marianne, je mhabillai exclusivement en fille. Par contre, le plus dur était le maquillage. Et comme je narrivais à rien, je me contentai de rouge à lèvres et dun peu de mascara. Les premières sorties en public en solo furent pénibles. Tout le monde me regardait de travers avec des sourires plus ou moins moqueur et je dus me justifier. Puis cela rentra dans les habitudes et les commerçants jouèrent le jeu.

Mes journées se passaient principalement au téléphone à démarcher les municipalités pour vendre mon projet. Ce qui était loin dêtre simple. Pas facile de convaincre quune pièce dramatique jouée par des amateurs puisse intéresser un public. Il était plus facile de réserver la scène pour un vaudeville aux portes qui claquent et joué par des acteurs connus, voire reconnus. Je prenais donc rendez-vous avec le responsable de la culture pour vendre mon projet et le fait que jy aille en fille était un atout non négligeable. Mais souvent insuffisant pour les faire changer davis.

Malgré tout, je réussis à décrocher une petite trentaine de dates. Ce qui nétait pas si mal, même si jen avais espéré atteindre les cinquante représentations.

Juin était fini. Les vacanciers migraient vers les plages. Marianne et Fabien en firent autant. On avait convenu de faire une pause avant de terminer les répétitions et de commencer les représentations mi-septembre.

Mes parents avaient accepté mes lubies de saltimbanque et me traitaient comme une fille, mappelant Chloé et parlant de moi au féminin. Même moi, jarrivai à féminiser mes accords de participe passé.

— Je trouve que tu fais encore un peu garçon, me dit maman. Tu devrais te maquiller un peu plus. Et monter tes jambes.

— Oui, mais cest pas facile. Et puis il faudrait que je me fasse épiler.

— Et oui, faut souffrir pour être belle. Prends rendez-vous chez mon esthéticienne. Et tu feras dune pierre deux coups.

Je fis une mine de dégoût et allai dans la cuisine me servir un verre deau.

Hasard ou coïncidence, en revenant dans le salon, je retrouvai maman qui vernissait ses ongles. Je ne sais pas pourquoi, mais je massis en face delle, la regardant faire.

— Tu veux essayer ? me dit-elle une fois fini

— Je ne sais. Tu crois que je devrais ?

— Oui, je crois.

Je tendis mes mains.

Plus tard, jadmirai mes ongles laqués de rouge vifs. Et je dus admettre que cétait plutôt joli.

Joëlle, lesthéticienne de maman, maccueillit chaleureusement. Je lui avais tout expliqué par téléphone. Elle mépila tout en me bombardant de questions sur mon projet. Enfin, elle me donna quelques conseils pour parfaire mon maquillage. Je repris rendez pour le mois suivant. Joëlle me promit de venir voir ma pièce.

Je ressortis les jupes et les débardeurs légers. Avec la chaleur de ce début juillet, jappréciai ces tenues et jenviai les femmes de les porter tout le temps.

Lorsque je rentrai ce soir-là, maman me tendit un grand sac.

— Cadeau ! dit-elle.

Je regardai à lintérieur : un minishort en jean, un top à bretelle, de la lingerie et une boite de chaussures.

— Pourquoi ?

— Parce que jen avais envie. Jai eu deux garçons et aucune chance de davoir le plaisir de faire du shopping entre filles.

— Maman ! Si je suis comme ça, cest juste le temps de la pièce. Après, cest fini.

— Oui, oui, je sais. Je profite de linstant. Cest tout.

Si jusquà présent, je marchais à plat, maman moffrit des sandales à petits talons.

— Elles sont jolies. Mais le talon, je ne suis pas sure que ce soit une bonne idée.

— Mais si, tu verras, cest juste une question dhabitude. Et puis, si ton personnage veut quil jette son dévolu sur un autre homme, ton personnage se doit dêtre séduisant. Sexy.

Elle avait insisté sur le mot « personnage » pour justifier ce cadeau. Cétait à lui quil était adressé, pas à moi. Elle réussit à me convaincre.

Je filai dans ma chambre pour essayer la tenue et mettre les sandales. Les quatre ou cinq centimètres de talons fins me donnèrent déjà du fil à retordre. Ou plutôt des chevilles. Je nosai même pas imaginer ce que ce serait avec des talons bien plus haut tels que je pouvais en voir dans la rue. Pourtant ces femmes marchaient avec le plus naturellement du monde.

Par contre, et malgré moi, je me pris de passion pour les vernis à ongle. Je ne sais pas pourquoi, mais jadorai ça. Sur moi et sur maman aussi. Je trouvai que ça faisait de très jolies mains. Jen changeai régulièrement, vidant doucement les flacons de maman.

Elle men fit la remarque. Je bredouillai une explication. Mais le lendemain, je découvris trois nouveaux flacons.

Marianne et Fabien rentrèrent de vacances la peau joliment bronzée. Moi aussi javais pris des couleurs. Sauf que mes épaules étaient barrées dune fine ligne blanche, là où se trouvaient les bretelles de mes petits hauts.

Tous les deux me firent la bise.

— Mignonnes tes sandales, dit Marianne

— Cest un cadeau de maman, dis-je.

— Elle a bon gout.

— Tu es de plus en plus fille, dit Fabien, plutôt avare de commentaires et de compliments

— Merci Fab. Mais ce nest que temporaire tu sais.

— Oui, oui, répondit-il sans conviction aucune.

On reprit les répétitions à raison de trois à quatre séances par semaine. Tout se passait bien. Mais au fur et à mesure quon avançait, je me rendis compte dun problème. Dun gros problème. Dun très gros problème.

Chloé devait embrasser Fabien. Et lidée dembrasser un garçon ne me faisait pas particulièrement bondir de joie.

Je gardai pour moi mes inquiétudes jusquau jour où lon arriva à cette fameuse scène. Le texte voulait que je saute au cou de Fabien pour lembrasser sauvagement.

Evidemment, le moment venu je me bloquai. Javais beau me dire que ne nétait pas moi, que cétait le personnage de Chloé, rien à faire. La raison et mes hormones mâles dhétérosexuel convaincu reprenaient le dessus.

Marianne et Fabien dégagèrent des trésors de persuasion pour me convaincre de jouer la scène. Les débuts furent timides mais je finis par arriver à un résultat correct.

On était en août. La pièce avançait. On avait fait faire un décor minimaliste mais suffisant. Lambiance sappuyait surtout sur une bande son. Désormais, on répétait la pièce comme si on la jouait pour de bon. Autrement dit, en costume.

Marianne arriva ce soir-là avec un sac quelle me donna.

Je déballai le contenu sur la table. Il y avait un bikini, des soutiens-gorge avec plus ou moins de dentelle et une boite. Elle contenait une paire de faux-seins plutôt volumineux.

— On nest pas obligé daller jusque-là.

— Non. Mais cest mieux.

Javais la désagréable sensation davoir déjà entendu cet argument.

Encore une fois, Marianne pris les choses en main et fixa ces nouveaux accessoires sur mon torse. Puis elle noua le haut du bikini. Cet ajout de volume me perturba un moment. Mais la reprise des répétitions me les fit oublier.

Je venais de passer un nouveau cap dans ma transformation. Et par moment, javais limpression de prendre du plaisir à être une fille. Constatation qui me laissait un goût amer.

Au matin, maman remarqua ma poitrine artificielle sur laquelle javais bataillé ferme pour lemprisonner dans un soutien-gorge. Elle ne fit aucun commentaire. Papa sourit en secouant la tête, moqueur.

Le grand soir de la première arriva. Javais un trac monstre et je crus un instant que mes vieux démons accrochés à ma timidité refaisaient surface. Mais non, cétait juste la présentation dun projet que javais mené de bout en bout. Ce soir, le public, le jury, impitoyable ou condescendant, me dirait si javais bien fait de me lancer dans une telle entreprise.

Je jetai un dernier coup dil à la salle qui se remplissait doucement. Je repérai mes parents, les amis, les voisins qui avaient eu la gentillesse de payer le modeste prix du billet.

On joua la pièce, sans couac ni trous de mémoire. Dans la scène fatidique, je me jetai sur Fabien pour lembrasser puis mon personnage mourrait, préférant se perdre dans les flots plutôt que dans un amour perdu ou impossible.

Nous allâmes à la rencontre du public à loccasion dun pot. Nous reçûmes quelques félicitations et beaucoup dencouragements, nous souhaitant toute la réussite du projet.

Certains sétonnèrent lorsquils comprirent que Chloé était un garçon, saluant la performance même si lidée du travesti les dégoutait un peu.

Joëlle, lesthéticienne, contrairement à ce que javais pensé, avait assisté à la représentation et me félicita chaudement pour le réalisme de mon interprétation.

Lautomne arriva, jonchant les rues de feuilles mortes balayées par un vent froid avant dêtre ramassées par des machines bruyantes. Cela faisait longtemps que les balayeurs ne balayaient plus ni ne maniaient de pelles, même sils se levaient toujours à cinq heures. Je continuais de vivre en fille, toujours pour rester imprégnée de mon personnage. Dailleurs, tout le monde mappelait Chloé. Je découvris aussi les collants et testai les bas autofixants. Mais je leur préférai de loin les pantalons bien plus pratiques. Mes petits hauts légers firent place à des pulls et des manteaux. Mes sandales furent rangées dans le placard pour des escarpins ou des bottines que lon me poussa à acheter avec un peu de talons.

On jouait notre pièce jusquen juin, date à laquelle on avait décidé darrêter pour laisser Marianne et Fabien terminer leurs études. Tous les deux avaient décidé de garder le théâtre comme un loisir mais avaient décidé que ce serait trop compliqué den vivre.

On joua notre dernière représentation là où on avait joué la première. La bouche était bouclée. Et pour fêter cette dernière on décida de faire la fête. Restau, boite de nuit. On rentra au petit matin. Marianne, fatiguée, alla se coucher directement. Je restai avec Fabien qui me proposa un verre. Javais déjà passablement bu. Mais un verre de plus ou de moins, quest-ce que je risquais ? De toute façon, je ne conduisais pas.

Il servit une vodka-orange, on trinqua. Fabien posa son verre et me regarda bizarrement. A moins que ce soit le trop plein dalcool qui déformait ma vision. Il se pencha doucement vers moi et posa ses lèvres sur les miennes.

— Mais quest-ce que tu fais ? dis-je en mécartant vivement.

Fabien bredouilla une vague excuse.

— Jai envie de toi, dit-il après avoir repris ses esprits.

— Mais je suis un garçon !

— je sais. Et cest pour ça que jai je

— Tu es , commencé-je

— Homo. Oui. Tu ne le savais pas ?

— Cest pas écrit sur ton front, rétorquai-je un peu en colère.

— Désolé. Je pensais que tu étais au courant. Jai toujours craqué sur toi. Ta fragilité, ta gentillesse. Et quand tu as commencé à te travestir en fille, je tai trouvé encore plus craquante. Alors la scène où tu membrasse était un cadeau pour moi.

— Je suis désolée, je ne peux pas. Je ne suis pas comme toi.

Je me levai, pris mes affaires

— Je suis désolée Fabien. Je suis désolée.

Je quittai lappartement, laissant mon ami avec sa déception et son chagrin.

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