Une cinquantaine de soldats armés débarquèrent ce matin-là, pendant qu’ils dormaient tous à la ferme, et les réveillèrent en sursaut.
Cela faisait maintenant près de deux ans que le pays était occupé par des troupes ennemies, et la guerre n’avait pas fini de faire rage. Par miracle, les habitants de la petite exploitation agricole de Soufflechamps avaient plus ou moins été épargnés jusque-là. Bien sûr, les hommes valides avaient tous dû partir au début de la guerre pour défendre leur patrie. Personne à la ferme ne les avait revus depuis.
Tout le monde vivait avec l’espoir qu’ils continuaient de se battre quelque part, et qu’ils finiraient bien par revenir un jour. Mais la chance avait, semblait-il, décidé de tourner en ce début d’automne.
Ce fut un des soldats ennemis qui, à l’aide d’un porte-voix, ordonna du milieu de la ferme :
Par ordre de l’armée d’Eriarh, sortez tous de vos maisons ! Il ne vous sera fait aucun mal si vous coopérez ! Vous pouvez prendre le temps de vous habiller !
Il ne serait pas venu à l’esprit des occupants de la ferme de tenter de résister. Désarmés et largement inférieurs en nombre, ceux-ci étaient en majeur partie des femmes de tous âges, quelques vieillards infirmes, ainsi que des enfants.
Moins de trois minutes plus tard, ils s’étaient tous rassemblés dans la cour de la ferme, à la lueur de l’aube. Personne n’avait osé protester. Après tout, les soldats avaient précisé qu’ils ne leurs feraient pas de mal, il aurait été irrationnel de résister.
L’armée ennemie était rassemblée à l’entrée de la ferme, bien en rang derrière une charrette tirée par deux chevaux. Au milieu de la cour, en face deux, un soldat, à l’aspect important et imposant accompagné de deux autres de ses collègues, la main sur le fourreau, les observait.
Alignez-vous ! ordonna d’une voix forte celui qui les avait tirés du lit.
Le petit groupe de civils resta figé, sans vraiment comprendre ce qui était en train de se passer.
Nous ne sommes que de simples fermiers vivant de notre nourriture, nous ne faisons de tort à personne… supplia une femme de grande taille en tête de l’attroupement.
Silence ! rétorqua le soldat avec un geste sec du bras. Alignez-vous !
Tout le monde s’empressa de s’exécuter, et une ligne d’une vingtaine de personnes fut bientôt formée.
Bien.
Le soldat qui donnait les ordres tendit son porte-voix à l’homme sur sa gauche et s’avança vers le rang nouvellement formé. Il se mit à le longer.
Toi, dit-il en attrapant une jeune femme aux longs cheveux blonds bouclés et en la projetant violemment vers ses deux acolytes restés en retrait.
Non ! s’écria dans un sanglot la femme à côté d’elle un instant plus tôt. Pas ma fille !
Silence ! gronda le soldat devant elle.
Il lui infligea un brusque coup de poing dans le bas ventre, et la femme s’étala dans la boue en pleurant.
Maman ! Il n’y a rien à faire, on ne peut pas résister ! lança la jeune fille aux cheveux blonds.
Le soldat avait déjà repris son inspection forcée et était presque arrivé au bout de la ligne que formaient les fermiers.
Et toi, lança-t-il à nouveau en attrapant une autre jeune fille.
Eldria fut quelque peu secouée quand l’homme la saisit par le devant de la robe, mais elle réussit à ne pas tomber alors qu’il l’envoyait valser vers les deux autres soldats. Son cur battait à tout rompre. Elle n’avait aucune idée de pourquoi elle avait été choisie, elle qui n’était qu’une simple fille de ferme.
Tout en jetant un coup d’il à sa tante restée derrière elle, elle se dirigea vers celle qui avait été sélectionnée comme elle, près des deux soldats.
Eldria, ça va ? demanda-t-elle en chuchotant.
Oui ça va Salini… marmonna Eldria d’une petite voix.
Que nous veulent-ils ?
Aucune idée, répondit-elle en toute franchise.
Eldria nappréciait pas vraiment Salini. Un peu plus âgée qu’elle, elle la trouvait trop exubérante, toujours prête à s’afficher, à se mettre en valeur. Les deux jeunes filles ne se côtoyaient pas beaucoup en dehors du travail à la ferme. Pourtant, en cet instant, Eldria était contente de ne pas se retrouver seule dans cette situation.
Les deux soldats à côté d’elles leur avaient, à leur grande détresse, attaché les mains dans le dos. Eldria aurait voulu se débattre, ne pas se laisser faire, mais Salini lui fit remarquer que c’était inutile, que résister ne ferait qu’empirer les choses. Après tout, cela n’était sûrement qu’un malentendu.
Une fois que leurs liens furent correctement serrés, les deux hommes armés les emmenèrent en direction de la charrette garée un peu plus loin. Derrière elles, le soldat en charge avait repris la parole à l’attention des autres fermiers, restés en arrière :
Ne vous en faites pas, vous les reverrez très bientôt, en attendant, retournez à vous occupations.
Eldria et Salini furent forcées à monter l’une après l’autre dans le petit véhicule, et à sasseoir sur des bancs en bois. Deux autres personnes étaient déjà dans la carriole, deux jeunes femmes également. L’une d’elles, une fille dà peu près leur âge aux cheveux bruns et habillée d’un simple haillon marron, était recroquevillée dans un coin et sanglotait en silence. L’autre semblait un peu plus âgée et avait de longs cheveux roux. Elle était assise à côté de la fille par terre. Elle les regarda toutes deux entrer avec de grands yeux, en jetant un regard sombre aux soldats qui refermaient la porte de la charrette sur leurs quatre prisonnières.
Quelques secondes plus tard, elles entendirent le cocher agiter son fouet, et la charrette se mit à bringuebaler, suivie de près par un détachement de soldats.
Eldria jeta un coup d’il à travers les barreaux en fer de la porte qui les maintenaient enfermées, et regarda s’éloigner, à la lumière de laube, la ferme au sein de laquelle elle avait vécu toute sa vie.
Au moins deux heures s’étaient écoulées. Eldria et Salini avaient appris que les deux jeunes femmes en leur compagnie s’appelaient Karina et Dricielle. Karina, la rousse, les avait également informées qu’elle venait dun petit village marchand, un peu plus au nord. Elle avait été la seconde à être emmenée de force la veille au soir par le détachement de soldats. Dricielle, la première donc, était restée recroquevillée dans son coin et n’avait pas cessé de pleurer. À force dinsister, Karina avait seulement réussi à lui faire dire son prénom, sans plus. Elle avait abandonné toute tentative de communication depuis, préférant la laisser tranquille.
Où nous emmènent-ils ? demanda Salini qui semblait de plus en plus inquiète à lidée de séloigner autant de chez elle.
Je lignore totalement, répondit Karina. Jai essayé de le demander à un des gardes quand on sest arrêtés devant votre ferme ce matin, mais il a préféré mignorer.
Jimagine que ça a un rapport avec cette foutue guerre, extrapola Salini. Ils veulent peut-être nous interroger, je ne sais pas…
Peut-être… En tous cas moi je nai rien à voir avec tout ça, jespère quils nous ramèneront vite chez nous.
Karina avait la mine renfrognée. Les trois jeunes femmes n’échangèrent que quelques mots tout au long du voyage. Eldria avait trop la peur au ventre pour parler, de toute façon.
Ce ne fut qu’après quatre heure d’un éreintant voyage que la charrette s’arrêta, et que la porte s’ouvrit brusquement. Deux soldats les firent descendre une par une. Dricielle fut même sortie de force. Eldria, quant à elle, fut la dernière à descendre. On les avait emmenées dans une sorte de camp retranché, ce qu’elles devinèrent en raison des grands murs de pierre qui les entouraient. Aux alentours se dressaient divers bâtiments au milieu desquels de nombreux soldats s’affairaient.
En face de la charrette s’élevait une grande tour, aux allures de donjon. Au grand désespoir d’Eldria, ce fut là quelles furent toutes quatre conduites. A lintérieur, on leur fit longer un long couloir, d’une propreté irréprochable, qui conduisait en son extrémité à une simple porte. Sans bien savoir ce qui pouvait les attendre derrière, elles furent alignées en face, l’une derrière l’autre. Salini était la première, suivie de Dricielle, la tête baissée, les yeux rougis par les larmes. Venaient ensuite Karina et enfin Eldria qui fermait la marche.
Un des soldats qui les escortait frappa à la porte, tandis que les autres repartaient dans le couloir en s’esclaffant. La porte s’ouvrit dans un grincement sonore et l’homme fit entrer Salini. Celle-ci lança un regard dans son dos en direction d’Eldria et lui adressa un faible sourire, comme pour la rassurer. Il nen était rien, Eldria était morte de peur.
Une fois qu’elle fut entrée, la porte se referma. Quelques longues minutes sécoulèrent dans un silence pesant, puis elle s’ouvrit à nouveau. Ce fut au tour de Dricielle d’être traînée de force à l’intérieur. Eldria tendit l’oreille, mais elle ne discerna aucun son en provenance de la pièce. Au moins, personne n’avait crié, ce qui était déjà une bonne chose.
Après une autre poignée de minutes, Karina entra à son tour, et Eldria se retrouva bientôt seule dans le couloir, en compagnie du garde qui lui jetait de temps à autre des regards en biais.
Son cur battait la chamade. Elle était dans une prison, loin de chez elle, et il était peu probable qu’on l’ait emmenée ici simplement pour prendre le thé… Tout ceci était louche, très louche. En quoi quatre jeunes fermières pouvaient-elles bien les intéresser ? Eldria ne savait que peu de choses de la guerre qui faisait rage depuis maintenant plusieurs mois !
Enfin, la porte s’ouvrit pour la quatrième fois, et Eldria fut à son tour forcée à entrer. La pièce était petite et seulement éclairée par deux torches accrochées aux murs. Eldria s’était attendue à trouver les trois autres jeunes filles à l’intérieur, mais fut surprise de voir qu’elles n’étaient nulle part. En voyant une autre porte de lautre côté, elle en déduisit que ses compagnes dinfortune avaient été emmenées par-là chacune à leur tour avant elle.
Au milieu de la pièce se tenait une femme de grande taille, les lèvres retroussées, les yeux plissés, l’air sévère. Elle avait les cheveux gris coiffés en chignon et fixait Eldria avec dédain, comme si elle eût été un sac de pommes de terre avariées.
Deux gardes étaient postés autour de la porte qu’Eldria venait de franchir, et l’un d’eux détacha les liens qui maintenaient les mains de cette dernière attachées dans son dos depuis plusieurs heures.
Avancez ! ordonna la femme à l’air sévère.
Elle regarda Eldria s’avancer timidement vers elle, et s’assit devant un simple bureau en bois, une feuille et un crayon à la main.
Votre âge ! interrogea-t-elle d’un ton qui s’apparentait plus à une affirmation qu’à une question.
Heu… Dix… Dix-huit ans, répondit Eldria d’une petite voix, son cur tambourinant de plus en plus fort contre sa poitrine.
Elle vit la femme commencer à noter sur le morceau de papier.
Votre nom !
Eldria Calann…
La femme continuait de noter. Eldria put lire à l’envers « 18 ans, Eldria Calann, environ 1m60, cheveux châtains mi longs, yeux bleus », ce qui constituait une parfaite description de sa personne.
La femme se leva brusquement. Elle fixa Eldria de haut en bas pendant quelques instants, puis ordonna de nouveau d’un ton sec :
Très bien, déshabillez-vous.
Eldria la regarda sans comprendre.
Qu… quoi ?
Déshabillez-vous, répéta-t-elle sur le même ton.
Mais je…
Exécution, ou c’est moi qui m’en occupe, et croyez-moi vous risquez de ne pas apprécier, linterrompit-elle avec un regard noir qui ne laissait pas place à la discussion.
Sur ces mots, elle sortit d’une de ses poches un petit couteau et le pointa vers elle d’un air menaçant.
Eldria la fixa pendant encore quelques instants en rougissant, et en essayant de ne pas penser aux deux gardes dans son dos. Figée de terreur, elle ne voyait aucun moyen de se sortir de cette situation. Cette femme allait impunément violer son intimité. Elle prit une profonde inspiration, tentant tant bien que mal de trouver la force de se contrôler. Tout ceci n’était qu’un gigantesque malentendu, et on allait bientôt la relâcher. Peut-être la prenait-on pour une terroriste, ou quelque chose comme ça. Elle devait quoiquil arrive conserver sa dignité et se dévêtir seule. Il était hors de question que quelquun la touche.
Elle commença par retirer ses chaussures, et sentit bientôt la pierre froide du sol sous la plante de ses pieds. Puis, lentement, elle entreprit de défaire dans son dos les lacets de sa robe. Elle se demanda si Salini, Dricielle et Karina avaient dû elles aussi se déshabiller quelques instants plus tôt. Elle souleva sa robe avant de la laisser tomber en boule par terre, se retrouva de fait en sous-vêtements dans la pièce mal éclairée. Elle espérait bien que par "déshabillez-vous" cette femme à l’air revêche entendait qu’elle puisse au moins conserver cette tenue décente.
Mais la femme, qui la fixait toujours d’un regard inquisiteur, s’approcha soudain d’elle, le couteau à la main.
C’est trop lent ! s’écria-t-elle.
Elle leva son couteau. Pendant un bref un instant de panique, Eldria crut qu’elle allait le lui planter dans la poitrine. Elle eut un mouvement de recul, mais cétait trop tard, la vielle femme était déjà sur elle. Mais contre toute attente, celle-ci se servit finalement de larme blanche pour déchirer le devant de son soutien-gorge, avant de l’arracher d’un geste vif, presque impatient.
Eldria poussa un petit cri de surprise, et dans un réflexe pudique, plaça instinctivement ses bras devant ses seins désormais nus. Elle était maintenant simplement vêtue d’une culotte, et sentait les regards des deux gardes derrière elle qui se posaient avec insistance sur son dos et sur ses cuisses exposées.
Mais la femme au chignon ne lui laissa aucun répit, et écarta brusquement les bras d’Eldria pour examiner ce qui se cachait derrière avec un regard d’expert.
Pas trop gros… Peut-être un peu petits… murmura-t-elle semblait-il pour elle-même en griffonnant d’une main sur le papier.
Elle lui lâcha les bras puis se pencha en avant, pour lui passer les mains sur les hanches. Eldria, sous le choc, crut pendant une seconde qu’elle allait finalement la mettre entièrement nue, mais la femme se contenta de lui effleurer rapidement l’entre-jambe. Elle sentit le contact de ses doigts glacés au travers du fin tissu de sa culotte et ne put empêcher un frisson de lui remonter le long de l’épine dorsale, alors qu’elle resserrait machinalement les jambes, comme si ce mouvement pouvait mettre sa plus stricte intimité à l’abri.
Bien, pas d’arme dissimulée… marmonna la vieille femme en retirant sa main et en notant encore quelque chose.
Elle ramassa nonchalamment les chaussures, la robe, et les restes du soutien-gorge déchiré d’Eldria, puis alla les ranger dans une armoire près de la porte du fond. La jeune fille, qui avait de nouveau enlacé ses bras autour de sa poitrine comme si elle avait froid alors qu’il faisait plutôt chaud dans la petite pièce éclairée par les flammes reconnut à l’intérieur de celle-ci les vêtements de Salini et Karina. Elles aussi avaient visiblement eu à subir cette épreuve si humiliante quelques minutes plus tôt… Elle se demanda encore une fois où elles avaient été emmenées, car c’était certainement là qu’elle-même irait bientôt…
La femme sortit de l’armoire un pagne grisâtre, d’une propreté douteuse, et le jeta à Eldria qui ne se fit pas prier pour l’enfiler, en prenant bien soin de ne pas exposer encore plus ses formes aux regards indiscrets des deux gardes dans son dos. L’idée de sortir d’ici à moitié nue lui déplaisait encore plus que de porter ce haillon crasseux, mais elle ne put pourtant s’empêcher de froncer le nez en sentant l’odeur qui en émanait.
La femme au chignon frappa ensuite à la porte en face d’Eldria, et un nouveau soldat entra. Après qu’il lui eut attaché les mains dans le dos à l’aide d’une chaîne en métal cette fois Eldria dut le suivre, et ne fut pas mécontente de ne plus avoir à se sentir observée de la sorte par deux hommes et une femme qu’elle ne connaissait pas.
Ils traversèrent quelques couloirs sombres, menant à un escalier en colimaçon qui descendait. Eldria était de moins en moins rassurée en pénétrant de plus en plus dans les sous-sols de la prison. Une poignée de minutes plus tard, ils arrivèrent dans une autre petite pièce donnant sur quatre portes. Le garde sortit un trousseau de clés et ouvrit celle située tout à gauche. Ils entrèrent dans un autre petit couloir sombre. Au bout de celui-ci, Eldria eut le temps d’apercevoir une petite pièce faiblement éclairée. De chaque côté du sombre corridor étaient aménagées quatre cellules deux de chaque côté plongées dans la pénombre.
Ce fut la première à leur gauche que le garde ouvrit dans un grand bruit métallique après l’avoir déverrouillée. Eldria n’osait pas parler, mais elle se sentait rabaissée d’être traitée de la sorte, telle une prisonnière de guerre, alors qu’elle n’avait fait de mal à personne… La femme en haut n’aurait-elle pas pu se contenter d’une simple fouille au corps en la laissant garder ses vêtements ? Une éventuelle arme ne serait de toute façon pas passée inaperçue à travers une simple robe… Et puis quelle avait été cette curiosité malsaine qui l’avait poussée à lui examiner la poitrine de si près ? Ce n’était pas comme si quelque chose de dangereux aurait pu s’y cacher…
Le garde poussa Eldria à l’intérieur de la cellule, lui enleva ses chaînes sans mot dire, puis disparut dans le couloir en prenant bien soin de verrouiller à nouveau la grille derrière lui. Il fallut quelques secondes à Eldria pour s’habituer à l’obscurité ambiante. L’endroit était miteux et peu spacieux. Ce ne fut qu’après un moment qu’elle aperçut enfin une forme sombre dans un des coins de la pièce, recroquevillée sur lune des deux paillasses posées par terre. Elle eut d’abord un mouvement de recul en voyant la forme bouger légèrement, mais c’est en entendant de faibles gémissements qu’elle finit par s’approcher.
Dricielle ? dit-elle à voix basse.
La jeune fille ne réagit pas. Elle portait toujours le haillon marron qu’elle avait déjà dans la charrette un peu plus tôt. Apparemment, la femme au chignon n’avait pas jugé utile de lui en donner un nouveau. Celui-là était de toute manière suffisamment sale.
Dricielle ? Tu m’entends ? demanda une nouvelle fois Eldria en lui touchant prudemment l’épaule.
Mais Dricielle ne réagit pas plus. Elle avait les yeux grands ouverts, fixait le vide, et se mordillait le bout des doigts avec nervosité. On aurait dit qu’elle était dans un état de traumatisme avancé.
Eldria se releva en la regardant. Qu’avait-il bien pu lui arriver pour quelle soit dans cet état ? Elle se dirigea vers les barreaux de la cellule, et jeta un coup d’il dans le couloir. Celui-ci était vide. Il y régnait un silence total. Elle se dirigea de nouveau vers la jeune fille et s’agenouilla à ses côtés.
Dricielle, que t’est-il arrivée ? S’il te plaît.
Aucune réaction.
Dricielle… Dricielle ! recommença Eldria.
Finalement, la jeune fille consentit à lever les yeux vers elle. Elle ne pleurait plus, cependant son regard laissait nettement transparaître la panique et la peur.
Comment ça va ? Ils ne t’ont pas fait de mal ? demanda Eldria en la fixant droit dans les yeux.
Dricielle ouvrit légèrement la bouche, mais elle ne semblait pas en mesure d’articuler le moindre mot. Eldria dut renouveler ses efforts pendant plusieurs minutes pour la faire revenir à elle. Il fallait qu’elle sache ce qu’il lui était arrivée pour qu’elle soit dans cet état. Dans un geste vain, elle prit le visage de Dricielle entre ses mains et la regarda de nouveau dans les yeux.
Dricielle, j’ai besoin de savoir… répéta-t-elle une nouvelle fois d’une voix qu’elle essayait de rendre la plus calme possible, malgré son agitation intérieure.
Toujours aucune réponse. Eldria soupira. Elle s’adossa contre un des murs en pierre brute. Après tout Dricielle était peut-être simplement folle. Peut-être qu’elle ne comprenait simplement pas ce qu’Eldria lui disait… Pourtant, alors que cette dernière commençait à perdre tout espoir, Dricielle se mit enfin à murmurer :
Ils… Ils sont venus me chercher chez moi, à la ferme… dit-elle en déglutissant péniblement et en détournant le regard.
Eldria se précipita à ses côtés.
Tout le monde dormait à cette heure-là… Ils nous ont demandé de… de sortir de chez nous, tous sans exception.
Jusque-là, l’histoire concordait parfaitement avec ce qui était arrivé à la ferme de Soufflechamps quelques heures plus tôt.
On est sortis b-bien sûr…
Dricielle déglutit une nouvelle fois. Elle semblait avoir du mal à respirer correctement. Eldria lécoutait avec compassion.
Un des soldats, le cap… capitaine, nous a demandé de nous aligner… Après quelques protestations, il a sorti son épée et menacé de… de tuer quiconque n’obéirait pas à ses ordres… Alors on s’est alignés… Et puis, je ne sais pas p-pourquoi, il m’a sortie du rang et a voulu m’emmener.
Elle marqua une légère pause.
Mais… mais les autres ont protesté… Tout le monde s’est agité… Ils… ils voulaient me protéger…. Alors les soldats ennemis ont sorti leurs armes et ont essayé de contenir leur colère mais… Ils ne se calmaient pas… Alors le capitaine a fait une ch-chose… Il a… Il a…
Des larmes commençaient à couler de nouveau le long de ses joues, tandis quelle avait de plus en plus de difficulté à s’exprimer. Eldria la prit par les épaules.
Il a… ? reprit-t-elle d’une voix encourageante.
Mais Dricielle s’était de nouveau mise à pleurer.
Il… il n’a pas fait tuer les autres au moins ? demanda Eldria avec horreur.
Elle s’empressa de faire non de la tête…
Il… il m’a violée, lâcha-t-elle enfin en reniflant. Il a d-déchiré tous mes v-vêtements avec son épée, et m’a mise face contre terre, n-nue, dans la boue… Je… je me suis débattue mais… deux autres soldats m’ont agrippée et m’ont empêchée… de bouger…. Je… J’étais moins forte qu’eux, je ne pouvais rien… rien faire… Puis il a défait sa ceinture et…
Elle marqua une courte pause. Elle n’avait pas besoin d’en dire d’avantage.
Il m’a v-violée, devant ma famille et mes… amis… pendant que les autres soldats les retenaient, acheva-t-elle. Puis ils m’ont frappée, et ont menacé de m’égorger si les autres ne se calmaient pas…
Dricielle se redressa sur ses genoux dans un mouvement qui semblait douloureux et souleva le côté de son haillon jusqu’à la taille, exposant son flan contusionné à Eldria. Elle aussi ne portait qu’une simple culotte en dessous.
Elle eut le temps de distinguer de nombreux bleus et vit que d’autres endroits de sa peau étaient rougis, avant que Dricielle ne rabatte son vêtement de fortune.
Ce fut un choc pour Eldria… Comment pouvait-on faire une chose pareille à une jeune femme sans défense, et pour aucune raison apparente ? La peur, puis la panique la submergea. Il était évident que les gens qui les avaient capturées toutes les quatre ne comptaient pas leur témoigner le moindre respect.
C’est… horrible, lança Eldria en haletant.
Mais soudain, des bruits de pas se firent entendre dans le couloir, ainsi que le tintement d’un trousseau de clés, tandis qu’une lumière vacillante sur le sol semblait indiquer que quelqu’un approchait.