Hombre et lumière. 1
(Il ny a pas de faute dans le titre, cest bien « hombre » « homme en espagnol »)
Dès le tout premier instant où je lai vu, jen ai été amoureuse. Tout en lui était beau : son nez, sa bouche, son visage, ses yeux. Je nai cessé de laimer, de le chérir au fil des jours, des années.
Jespérais ses visites ; lavoir près de moi était un pur bonheur.
Lors de notre première rencontre, jétais une toute jeune fille. Sa mère était là ; elle le regardait amoureusement, comme si cétait la huitième merveille du monde. Jai été jalouse ce jour là : oui, jai eu envie de lui dire « Il est à moi, pas à toi ! ».
Jétais jalouse quelle puisse lavoir tous les jours et moi que de temps en temps. Il était si câlin, si souriant Chaque fois jétais émerveillée.
Je me débrouillais toujours pour lavoir pour moi seule, lavoir avec moi ; même une seule minute nétait que du bonheur. Chaque fois quil repartait, je versais des larmes ; je ne vivais pas jusquà sa prochaine visite.
Jétais heureuse quand nous allions nous promener tous les deux ; nous en avons fait, de longues balades dans le parc Nous allions jusquau lac, main dans la main, jeter du pain aux canards. Il sémerveillait de tout, il riait de tout et moi jétais amoureuse.
Je me souviens de notre première promenade en barque, de notre premier bain ensemble. Je me souviens de tout ; de tous ces moments privilégiés que nous avons eus tous les deux.
Lui aussi madorait : il se languissait de mes visites, il avait toujours hâte de me voir. Il me sautait dans les bras et membrassait amoureusement. Bien sûr, cétait un amour platonique, un amour de tous les jours, de tous les instants. Un amour fou au fil des ans ; mais si agréable !
Jai eu mon bac à dix-sept ans. Ce jour-là, au lieu dêtre heureuse, jai pleuré. Je savais que lannée suivante, quand je serai à la fac, je ne pourrai le voir quune fois par semaine, le week-end ; cétait mon désespoir.
Les journées sans lui étaient un calvaire. Le vendredi, jallais à la gare en courant ; je savais quil mattendrait à la descente du train, quil serait là. Je me languissais de ses yeux rieurs et de son sourire câlin, de le serrer contre moi, de lui prendre un peu de sa chaleur, de lui prendre la main et de marcher jusquà la voiture. Même si sa mère était là, je lavais enfin un peu pour moi.
Elle aussi a été jalouse méchante, même envers moi. Jétais une gamine ; je ne comprenais pas tout. Je ne comprenais pas quelle ne veuille pas que nous sortions seuls, tous les deux, que je reste avec lui pendant des heures à le regarder dormir. Jétais en extase devant lamour de ma vie.
Tout cela a duré des années. Des années dimpatience, des années de bonheur et parfois de frustration.
Comme jai été heureuse quand enfin nous avons pu décider sans lavis des autres ! À partir du moment où il pouvait venir me voir, passer des heures avec moi, que je pouvais enfin lavoir réellement, juste pour moi seule.
Cet amour a guidé ma vie ; tout ce que jai fait et toutes les décisions que jai prises, cétait en fonction de lui, autant pour mes études que pour le choix dun métier qui me permettrait de rester auprès de lui. Jai eu des occasions immanquables que jai laissé passer à cause de lui, parce que je ne voulais pas le quitter, je ne voulais pas le perdre, je ne voulais pas méloigner de lui.
Avec lui, tout était sujet à rire, à faire la fête, au grand désespoir de sa mère. Dix-huit ans damour fou, dix-huit ans de bonheur. Et aujourdhui, je suis au paradis des femmes heureuses. Lamour platonique est devenu de la passion. Rien na été calculé : ça devait être écrit, et cela devait être. Aujourdhui, cest et ce nest que du bonheur. Aujourdhui, jai trente ans ; la vie est belle, je suis enfin heureuse.
Mes études finies, ma voie était toute tracée : ou jintégrais un cabinet davocats, ou jallais dans ladministration. Je suis allée en fac de Droit car cétait la plus proche. Jai eu mille opportunités, mais il aurait fallu partir loin. Pour rester près de lui, je me suis installée comme avocate. Je dois avouer quau début, cétait très dur ; depuis, au fil du temps, je ne me plains pas.
Jai acheté mon petit appartement en centre-ville ; quel bonheur quand il ma demandé si, pour être plus près pour ses études, je pouvais le loger la semaine : ce jour-là, mon cur a explosé dans ma poitrine !
Je me languissais des soirées et de tous ces moments privilégiés que je passais avec lui. Les journées me semblaient sans fin, attendant de rentrer pour être avec lui. Que de bons moments avons nous passés tous les deux, blottis lun contre lautre sur le divan, à regarder la télé ou parler Des discussions interminables, sur tout et sur rien.
Puis il y a eu ce jour, ce jour ou jai pensé mourir de bonheur.
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Nous sommes sur le départ ; toutes les valises sont dans la voiture. Ma sur Sabine et son mari Fabien sont déjà partis ; ils prendront mon frère Luc et sa femme en passant. Ils évitent ainsi de prendre deux voitures pour faire le voyage.
Nous voyagerons donc seuls, Jordan et moi. Je le houspille un peu car il met du temps à se préparer.
Jordan, dépêche-toi, mon chéri : il y a mille trois cents kilomètres à faire.
Jarrive, tatie.
Appelle-moi encore une fois « tatie » et je te casse ce vase sur la tête !
Il éclate de rire en sortant de sa chambre, un sac de sport à la main. Il sait que jai horreur quil mappelle tatie et lui, ce méchant, le fait exprès pour me faire enrager.
Je suis prêt ; allons-y.
Quemportes-tu encore ? La voiture est pleine. Nous allons à un enterrement, pas passer des vacances.
Dis, ma chérie, nous allons rester une semaine là-bas ; je prends mes bouquins.
Tu nas pas lintention détudier pendant huit jours ?
Je manque des cours ; je ne veux pas me retrouver en retard.
Le « ma chérie », il est sincère, au moins ?
Oui, Mademoiselle : vous savez bien que je vous adore et que sans vous je suis perdu.
Cest pour ça que tu prends tes livres, pour passer du temps avec ta chérie ? Je nai jamais vu Séville ; je pensais que nous en profiterions.
Il me regarde, fait un de ses sourires dont il a le secret, retourne dans sa chambre et revient les mains vides.
Ça te va comme ça ?
Oui, ça me va très bien, Monsieur mon chéri.
Nous voilà partis ; des arrêts pipi sur lautoroute, un arrêt à midi dans une cafétéria. Nous voilà à la frontière. Je commence à avoir mal au dos : ma petite Clio nest pas faite pour daussi longs voyages. Je regrette que Jordan nait pas son permis ; je navais pas prévu de faire étape, mais jai surestimé de mes forces : je sors de lautoroute à Barcelone et nous cherchons un hôtel. Par chance nous en trouvons un rapidement. Deux chambres sont disponibles : cest parfait. Le soir, nous allons dîner sur le port après avoir fait un peu de tourisme.
Je reçois un coup de fil de ma sur vers vingt-deux heures ; elle me houspille parce que nous ne sommes pas encore arrivés. Elle en a de bonnes, elle Ils sont quatre à conduire ; cest facile pour eux. En plus, ils nont pas une Clio mais une grosse berline qui avale les kilomètres. Ma voiture, elle, souffre de tous ces kilomètres, la pauvre ; pas question de dépasser le cent-dix, sinon elle ne finirait pas le voyage.
Nous voilà repartis, et nous navons fait que la moitié du chemin. Pas le temps de faire du tourisme : nous filons direct sur lautoroute.
Ouf ! Enfin Séville ; il ne reste plus quune cinquantaine de kilomètres. Jordan mindique la route à suivre en lisant le plan que nous avons. Nous arrivons en fin daprès-midi dans un petit village perdu au milieu des oliveraies et des orangeraies. Juste le temps de nous installer. Mais là, il y a un hic.
Pour un hic, cest un hic : toute la famille est là, et toutes les chambres sont prises ; il ne reste plus que le divan du salon. Pas dhôtel à moins de cinquante kilomètres à la ronde. Nous sommes obligés de partager le divan, Jordan et moi.
Cest bien la première fois que je dormirai avec quelquun dans mon lit. Ça me dérange un peu, je dois lavouer. Ça na pas lair de déranger Jordan, qui le prend bien.
Ça mennuie un peu dêtre obligée de dormir avec toi.
Tu ne vas pas rouspéter, pour une fois que tu as un homme dans ton lit !
Pas un homme, mon neveu. Et je ne rouspète pas ; ça me gêne un peu, voilà tout.
Gaëlle, tu dormais bien avec moi quand jétais gamin ?
Oui, mais tu navais pas dix-huit ans.
Ça change quoi ? Moi, jaimais bien dormir avec toi
Moi aussi.
Alors, où est le problème ?
Il ny en a pas ; tu as raison.