Cet endroit haut perché était une véritable oasis, une bulle de douceur de vivre, un îlot de calme à des kilomètres de l’agitation de la côte touristique.
A moitié caché par un rideau de plantes exotiques, le vilain crâne bosselé du Grec luisait comme une menace.
Mon cur cognait à tout rompre et mon corps ne pouvait s’empêcher de trembler.
A son doigt, brillait une bague florentine garnie d’un énorme chaton ouvragé qui devait valoir son pesant d’or.
Ce type, avec sa grosse moustache poivre et sel, était un véritable loup en liberté.
Il imprégnait les choses et les gens de sa puissante personnalité et me fixait avec ses petits yeux froids et venimeux enchâssés dans deux fentes étroites.
Il me jaugea avec un regard de professionnel, un regard qui a le pouvoir à lui seul de vous transformer en poupée de cire.
Et puis, ce gros dégoûtant avait une façon de vous déshabiller qui ne laissait planer aucun doute sur ses intentions,
Niarchos, sans aucune once de honte, déposa ses jumelles de voyeur, il me baisa la main en grand aristocrate quil se croyait être et me déclara dans un grand élan de modestie :
– Bienvenus dans mon royaume !
La description que vous m’avez faite de votre bien-aimée n’était pas surfaite, Eric.
Pour une fois, votre ami ne m’a pas menti, mademoiselle Valmont.
Si je n’avais pas passé l’âge du démon de midi, je vous aurais déjà fait la cour.
Il jeta un regard appuyé sur mes seins dont la pointe sombre marquait un peu trop nettement sous le tissu trop transparent.
J’ai toujours eu la mauvaise habitude d’avoir le bout des seins qui pointe en toutes saisons comme l’insigne visible de la femme insatiable et perpétuellement excitée que je suis.
Ses yeux brillaient déjà des feus de la perversité.
– Je vous l’avais dit, vous apprécierez Shana à la façon dont vous aimez la vie, la peinture ou l’architecture.
Le grand salon donnait sur la piscine par l’intermédiaire d’une vaste baie prolongée par une terrasse.
Les miroirs au plafond contribuaient à créer une ambiance trouble.
Il régnait dans cette pièce une atmosphère envoûtante qui ne tarda pas à produire sur moi un effet magique.
– Comme vous le voyez, les habitants de l’autre partie de l’île ne peuvent communiquer avec nous que par cet escalier de cent cinquante marches taillées à pic dans le roc et que vous venez d’escalader.
L’architecte l’a conçu de la sorte pour préserver mon intimité.
La moyenne d’âge des habitants de Xhios avoisinant les soixante ans, je suis ainsi à l’abri des visiteurs indésirables.
Sympa le voisin. Il nous fit ensuite les honneurs de sa royale demeure.
Dans le vestibule, une dizaine de vitrines éclairées exposaient une des plus belles collections de pièces anciennes qu’il m’ait été donné d’admirer.
– J’avais oublié que vous étiez une connaisseuse.
Elles sont belles, n’est-ce pas.
C’est ma plus grande fierté.
On prétend que c’est la plus fameuse collection du monde.
Je possède plus de trois mille pièces anciennes dans un état neuf.
Ma collection est estimée à plus de vingt millions de dollars.
Hélas, toute médaille à son revers. Hahaha!
– Très drôle ! Vraiment !
– Les assurances refusent de couvrir le vol tant que je n’accepterai pas de l’enfermer dans un coffre de banque.
Les plus belles choses sont faites pour être vues et touchées.
Tant que je serai vivant, je refuserai toujours qu’elles soient enfermées.
Mais je vois que vous vous intéressez aussi à la peinture
Une peinture révélatrice de l’état d’esprit du propriétaire trônait dans le vestibule.
Elle s’intitulait : « La mésalliance de la brutalité et de la grâce »
Etendue sur une croix diagonale, une superbe créature au corps de bronze se voyait torturée par un régiment de soldats romains.
Son beau visage illuminé trahissait assez peu la souffrance qu’elle devait endurer.
Ny allons pas par quatre chemin ! Elle arborait un sourire béat, la veinarde.
La croix, relevée en bosse en son milieu, présentait son bas-ventre dans une extrême cambrure.
Ses membres étaient écartelés et percés de redoutables crochets arrimés à de lourdes chaînes.
Voyant mon trouble, Niarchos m’apostropha :
– Que pensez-vous de mon chef d’uvre?
– Un beau chef-d’uvre d’impudeur, en effet ! Cette toile me donne le frisson.
– Frisson de peur ou bien de désir ?
– De peur bien sûr ! lui dis-je sans vraiment le penser.
– Dans le même ordre d’idée, je vais vous présenter « Geneviève ». Elle, c’est ma plus belle découverte bien quelle ne soit pas de chair et dos.
Un peu plus loin, une sorte d’armure incomplète se tenait sur un piédestal.
– Au XVI ième siècle, on l’appelait le fixateurune sorte de cote de mailles qui ne libère que les seins, les fesses et le sexe.
Vous imaginez aisément les tourments que pouvait subir une condamnée ainsi appareillée.
L’esprit humain a fort heureusement notablement progressé depuis cette lointaine époque féodale.
Au fur et à mesure de notre progression vers la terrasse, mes sens chaviraient tant la vision des gibets et piloris qui côtoyaient des carcans et autres joyeusetés exercèrent un effet attisant sur ma libido.
Il ne parviendrait jamais à me faire croire que les instruments de mort que je voyais tout autour de moi n’étaient plus ici que des objets d’art et de toute façon, je navais aucune envie dy croire.
– Suivez-moi, je vous prie ! Vous navez pas encore rencontré mon épouse. Je vais la gronder dailleurs de ne pas avoir été à mes côtés pour vous accueillir.
Et il nous laissa seuls quelques instants, en amoureux.
Nous nous sommes effondrés dans un canapé empire qui jouxtait la pièce principale pour digérer la masse dinformations issue de ce premier contact.
– Eric, cet homme me fait peur.
J’ai vainement sondé son regard, il ne manifeste aucun de ses sentiments.
– Flo ! Viens vite nous rejoindre, nos amis t’attendent ! Dépêche-toi, s’il te plait! J’ai horreur d’attendre.
A suivre