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Lioubov à l'Abbaye de Ker Ozen – Chapitre 1




Cette histoire fait en quelque sorte suite au texte "Divorce Lioubov – Borderline – le jugement" paru récemment, vous pourrez vous y référer pour une meilleure compréhension.

Perdue au cur des Monts d’Arrée, au beau milieu de la lande bretonne, battue par les vents se dressait, telle une forteresse médiévale, l’imposante abbaye de Ker Ozen. C’était le terme du voyage pour le comte de Feule qui, après sa condamnation par le juge Pierheim, devrait effectuer un long séjour dans ce sinistre monastère afin de vérifier les allégations de dame Border sur ses réelles capacités à se transformer en loup.

Dès son arrivée, le comte fut reçu par le supérieur de l’abbaye, le Père Plex, et tenta de se présenter humblement.

Bonjour, mon Père ; je suis le comte de

Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase car le Père Plex le coupa sèchement :

Ici, il n’y a pas de place pour les titres de noblesse, d’autant que vous avez été condamné à séjourner en ces lieux pour une assez longue période d’observation sur votre comportement. Ici vous devrez vous composer un nom conforme aux critères de notre communauté ; ainsi, vous pourrez choisir un nom de Frère, d’Abbé, bien que vous n’en ayez pas le titre. Exceptionnellement, je vous autorise compte tenu de vos qualités à vous faire appeler Père. Vous avez vingt-quatre heures pour y réfléchir.

Le comte, ne s’attendant pas à un accueil aussi froid, en resta coi. Le supérieur agita une petite clochette, et presque aussitôt un moine entra dans la pièce.

Bonjour, Père Sévère ; pouvez-vous conduire ce pêcheur dans la « salle de réflexion » ?

Bien sûr, mon Père.

Puis se tournant vers l’homme qui le regardait sans rien dire, il lui ordonna de retirer sa robe de bure car, selon lui, aucun vêtement ne devait entraver les pensées.

Le comte, mortifié, se dénuda et suivit dans le plus simple appareil le Père Sévère à travers un dédale de couloirs, descendant plusieurs escaliers en colimaçon, croisant parfois des moines ricanants.

C’est ainsi qu’après un interminable trajet ils parvinrent jusqu’à la fameuse « salle de réflexion ». Cette pièce n’avait de salle que le nom. C’était une sorte de lugubre cellule monastique, plus proche d’un cachot, disposant pour toute literie d’une simple planche de bois mal rabotée. Un séjour plus ou moins prolongé dans ce sinistre lieu avait certainement hâté la décision de certains hésitants ou récalcitrants à prononcer leurs vux.

Une fois seul, il se mit à réfléchir sur le nom qu’il lui faudrait prendre. Père Sécuté ? Non, il ne se poserait pas en victime. Père Pète, Père Ceneige ? On lui demanderait pourquoi. Père Hipatéticienne ? Père Gola ? Père Sienne ? Père Tinant ? Père Savon ? Père Venche ? Non, cela n’allait pas : le Père Plex verrait bien qu’il se moquait de lui et le renverrait bien vite méditer pour quelque temps dans cet endroit infâme.

Il songea alors à utiliser un prénom, mais beaucoup étaient déjà employés ou sonnaient mal comme Abbé Pierre ou Père Serge ; d’autres rappelaient trop des marques de fromages, de vins ou d’alcools. Finalement, après de longues heures de réflexion, son choix se porta sur Igor, du nom d’un oncle russe éloigné, ne voulant pas prendre le titre d’Abbé Résina. Sitôt sa décision prise, il tambourina longuement à la lourde porte de chêne, espérant quitter ce lieu au plus vite ; mais ses appels restèrent vains. Pour passer le temps qui lui paraissait si long, il se masturba à plusieurs reprises, inondant de sa semence le sol de terre battue, et finit s’endormir.

Lorsqu’il s’éveilla, il vit près de la porte une cruche d’eau et un morceau de pain dur. Il essaya vainement de se sustenter, au risque de se casser les dents sur cette croûte dure comme du granit. Il se rendormit et fut brutalement réveillé quelques heures plus tard par le Père Sévère qui lui asséna plusieurs coups avec la corde de chanvre qui lui servait de ceinture.

Sorti de la « salle de réflexion », il refit le trajet inverse de la veille jusqu’au bureau du Père Plex, qui sèchement lui demanda :

Alors ?

J’ai choisi Igor, mon Père ; est-ce que le Père Igor vous convient ? dit il en tremblant, craignant la colère du prélat et un retour prématuré vers le cachot.

C’est parfait : Père Igor, cela sonne bien. Suivez-moi.

Toujours nu, accompagné du Père Sévère, il suivit ainsi jusqu’au cloître le Père supérieur qui le présenta aux autres moines de la communauté, tous réunis pour la circonstance, et leur exposa brièvement ce que devrait être la vie du Père Igor pendant la durée de son séjour.

À l’issue de cette brève allocution, le comte fut enfin autorisé à revêtir la robe de bure, dissimulant avec un certain soulagement à quelques centaines de paires d’yeux qui le mettaient plutôt mal à l’aise sa nudité marquée par la corde de chanvre.

Les moines en chur s’écrièrent :

Bienvenue à Ker Ozen, Père Igor !

Puis ils entonnèrent un long cantique d’action de grâce.

À la fin du cantique, beaucoup repartirent s’adonner à leurs activités, mais quelques moines vinrent cependant échanger quelques amabilités avec leur nouveau frère lai.

Le Père Mie accompagné du Père Huche le rejoignirent et le conduisirent jusqu’au fournil de la boulangerie monacale, où après avoir humé les diverses qualités de farines entreposées, il sélectionna celle qui serait la plus adaptée à un lent pétrissage. Il put sinstaller assez confortablement pour se mettre à l’ouvrage et leur faire une démonstration de son savoir-faire. Il leur expliqua doctement les justes mélanges de farine, d’eau et de levain qui étaient nécessaires pour obtenir une pâte lisse et onctueuse à souhait, ainsi que le temps nécessaire pour laisser cette pâte reposer dans le pétrin.

Il leur montra ensuite de quelle manière il fallait sectionner de petites miches qu’il faudrait pétrir à nouveau, avec autant d’amour que les fesses d’une jolie femme, pour en façonner de jolis petits « bâtards » qu’il faudrait ensuite mettre dans un four à bonne température afin qu’ils cuisent et dorent tout en conservant une mie bien moelleuse.

Le Père Mie et le Père Huche suivaient avec beaucoup d’attention les conseils prodigués par le Père Igor.

Mais déjà cette première journée touchait à sa fin car le soleil commençait à décliner dans le ciel, et à l’heure de l’Angélus le Père Igor devrait subir sa première crucifixion

(à suivre)

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