I – LE QUIDAM
Mais qu’est-ce qu’il fait chaud !!! Dire que les gens du Nord nous envient le soleil, on voit bien qu’ils ne le voient -ou ne le subissent – pas plus de quinze jours dans l’année. Tandis qu’ici, il faut bien le constater : on étouffe ! Et comme ces touristes passent leur temps à s’entasser sur les plages de la côte d’Azur, le local que je suis n’a même plus quelques centimètres carrés de sable pour s’étendre au bord de la mer. Résultat des courses : à 25 ans, je suis obligé de rester enfermé chez moi, la clim étant la seule chose qui puisse encore m’empêcher de mourir de chaud.
Alors, je ne vous cacherai pas que mon été est assez morne. Il s’étire entre la télévision, la sieste et la lecture d’un bouquin sur les grandes batailles livrées par l’armée soviétique (en russe dans le texte, puisque je parle couramment cette langue, ce qui est très pratique à une époque où l’anglais est partout). J’ai l’impression de perdre mon temps, je préfèrerais presque être déjà rendu en septembre pour commencer ma licence de socio.
Oui, j’ai un peu de retard, et alors ?
Même le Tour de France n’arrive plus à me distraire ! Ce diable d’Armstrong l’a écrasé en dix jours, et l’absence d’Ulrich nous a privé de ce qui aurait pu rester de suspense. Reste à s’extasier devant les questions d’animateurs débiles et à se taper des séries multirediffusées. Ah! Seule innovation de qualité : la présentatrice du 13 heures de France 2 a pas mal de charme. Mais bon, ça ne m’occupe pas bien longtemps.
J’étais donc occupé comme tous les jours à zapper lorsque je tombe sur un bulletin d’information. Crash d’avion, krach boursier, terrorisme… Mouais… C’est d’un banal à pleurer. Soudain, un visage illumine l’écran ! Une superbe jeune femme brune envoie ses baisers à une foule manifestement au anges, avec à son bras un vieillard cacochyme qu’on aurait pu confondre avec le grand-père de Lucie, l’Australopithèque dont nous descendons tous. Inutile de dire que je suis fasciné et que je ne perds pas une miette des images qui défilent. L’apparition a la peau dorée comme une tartine de pain grillé, une sourire à défroquer dans l’instant un cardinal intégriste, des seins parfaitement proportionnés qui semblent gorgés de promesses, et un postérieur à faire perdre le nord à la plus honnête des boussoles !
J’entends alors le commentaire ou plutôt la fin du commentaire puisque la majeure partie m’est passée bien au-dessus de la tête. ’ La jeune Maria-Lita a donc conquis le c?ur du président de ce petit pays d’Amérique du Sud. Ancienne Miss Monde, elle n’a pas reculé devant la différence d’âge que d’aucuns jugeront
excessive, près de cinquante ans. L’amour est décidément le plus fort.’
J’avais été obligé de baisser mon caleçon tellement ce reportage m’avait filé la trique. Dès le reportage fini, je me jette sur le PC et le premier moteur de recherche venu. Maria-Lita, c’est un nom assez peu commun. Je tombe vite sur une photo officielle de la cérémonie. Mais qu’est-ce qu’elle est mignonne, sacredieu ! Rien à voir avec les boudins que mes potes et moi arrivons de temps à autre à emballer ! Et n’allez me traiter de macho attiré par la superficialité, je sais ce que c’est que le grand amour, ou plutôt je l’ai su, et trop jeune. J’ai donc décidé de me payer un peu de bon temps jusqu’à la trentaine, j’aurai toujours quelques années pour dénicher la perle rare (ça, c’est ma version à moi). Mes amis disent que mon expérience malheureuse m’a fait perdre toute volonté de m’engager sentimentalement. Ce n’est peut-être pas complètement faux.
Mais pour l’heure, ces considérations me passent bien au-dessus de la tête. Mon caleçon est parti sur mes genoux, et ma main s’excite sur mon sexe à pleine vitesse. J’imagine le beau sourire de Maria-Lita près de ma verge, je me persuade que ces doigts qui me caressent les bourses sont ceux que j’ai entr’aperçus à la télévision. Ces pensées délicieuses viennent rapidement à bout de mon endurance, et de longs jets viennent se répandre sur le kleenex que j’ai tout juste eu le temps de saisir. Epuisé et heureux, je peux m’affaler sur ma chaise, l’air béat, plein de reconnaissance pour cette charmante latina qui pourtant ignore jusqu’à mon existence.
Cependant, un détail me chiffonne, m’agace, vient troubler ma jouissance encore si proche. La dernière phrase prononcée par le journaliste résonne encore dans ma tête. ’L’amour est décidément le plus fort’… Quel abruti ! Je n’ai rien contre les personnes qui ont un petit côté fleur bleue, mais entre une top-model de 25 ans et un politicien notoirement corrompu plus âgé d’un demi-siècle, les probabilités d’un coup de foudre tendent vers le zéro absolu. Le pouvoir attire les jolies femmes bien plus sûrement que la gentillesse ou l’abnégation. D’ailleurs je n’en veux même pas à ces dames, c’est purement génétique. Les guenons les plus fécondes sont attirées par les mâles les plus forts. Dans nos sociétés ’civilisées’, la fertilité est devenue la beauté pendant que la force physique cédait à la puissance financière. C’est véridique, ouvrez n’importe quel bouquin d’ethnologie…
J’en étais là de mes réflexions, maugréant sur notre organisation sociale qui m’était décidément bien peu favorable, lorsque la sonnette retentit bruyamment dans le silence. C’était Valérie, mon flirt du moment. Pas vilaine quand j’y repense… 22 ans, plutôt petite, bien proportionnée, de magnifiques yeux noisettes, que venaient malheureusement gâcher des dents mal implantées et des jambes arquées. Elle ne serait jamais vraiment belle, mais personne ne pouvait dire que c’était une morue.
— Salut Fred, ça va ? Tu fais quoi ? me demande-t-elle dans un sourire plissé.
— Comme d’habitude, absolument rien… Je regardais les infos.
— Alors, je peux rentrer ?
Et la voici dans la place. ’Tu sais, je me pose des questions sur toi et moi’ me lance-t-elle en se laissant tomber sur le canapé. Moi, j’évite de me poser des questions avant le cap des deux mois. On sait alors si le couple est solide ou s’il ne sert qu’à agrémenter les week-ends où il n’y a pas de sport à la télé. Et avec Val, ça ne fait qu’une semaine, mais je sais déjà que ce n’est pas la femme de ma vie. Manque de distinction, manque de réflexion, manque d’esprit critique… Un pur produit de la génération Hélène et les garçons, qui voit le monde comme un paradis où tout le monde est beau et gentil.
’Tu vas trouver ça con, mais je sens que le lien entre nous est très solide, qu’il durera toujours’, poursuit-elle. Aïe ! C’est vraiment mal parti, moi qui ai horreur de briser des innocences comme ça ! Et la voilà qui commence à se frotter à moi, à me faire les yeux doux, à me parler dans l’oreille. ’Je me trompe jamais sur ce genre de choses’… Ben là pourtant t’es bien à côté, ma jolie. Bon, il faut que je lui dise la vérité et que je lui rende sa liberté.
Mais pendant que je prends mon courage à deux mains, ses mains à elle ont trouvé autre chose à agripper. Elle caresse mon sexe à travers l’étoffe de mon caleçon, ce qui a tôt fait de ramener popaul au garde-à-vous. Cette attaque vicieuse me fait perdre le fil de mes idées.
D’un coup elle descend cet ultime bouclier de tissu, m’empoigne à pleine main et, en me masturbant, me pose la question qui tue : ’tu m’aimes, hein ?’ Comme les femmes sont perverses ! Comment voulez-vous dire non dans une telle situation ? Je tente de m’en tirer en rejetant la tête en arrière, ce qui me masque à la vue de Val toujours assise, et en soupirant d’aise. Mais cela ne lui suffit pas ! Elle accélère la cadence, caresse mon scrotum de sa main libre et insiste : ’non, dis-moi que tu m’aimes !’ Impossible de résister. Honteux de ma faiblesse, je l’assure qu’oui. Son regard étincelle de bonheur. Dans des moments comme ça, quand elle est rayonnante et décidée, je pourrais effectivement presque en être amoureux. Pour me récompenser de ma bonne réponse, elle me prend en bouche le temps de deux ou trois allers-retours, puis elle titille légèrement mon gland du bout de sa langue. J’en fermerais les yeux. Elle me regarde fixement et continue ses va-et-vient de la main.
— On pense la même chose alors. Fred, je veux que tu me fasses un enfant et qu’on se marie.
Pan ! Elle m’aurait annoncé que Dieu s’était une nouvelle fois incarné sur Terre et qu’il était dans la pièce à côté, ça m’aurait un peu moins surpris. Mes yeux écarquillés n’étaient pas la seule réaction, puisque j’avais débandé en deux secondes. Val en était d’ailleurs plus que surprise, puisqu’elle s’acharnait sur ma verge avec une vigueur non feinte, mais vaine.
’Il faut qu’on parle…’ dis-je à la jeune fille visiblement catastrophée par l’impact de ses paroles. Je déployais des trésors de patience pour lui faire comprendre qu’il fallait casser :
— Tu sais, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée.
— Mais si !
— On est vraiment jeunes…
— Ca ne me fait pas peur !
— Et il y a beaucoup de différences entre nous…
— Non, on est pareils !
Ainsi de suite, elle a réfuté mes arguments pendant 30 minutes. Elle ne m’avait plus laissé le choix : ’Ecoute Val, je t’aime bien, mais tu es vraiment trop conne ! Ouvre les yeux bon sang ! Tu vois bien qu’on est loin du grand amour !’ Déjà, je regrettais ces paroles trop dures en voyant ses yeux qui devenaient humides. Pas des pleurs de dépit, mais des larmes de colère :
— T’es trop con ! T’es un idiot ! Mais regarde-toi ! Tu crois qu’un jour une fille voudra de toi ? T’es un raté, une loque, une sous-merde, sous tes grands airs ! T’as pas de boulot, pas de physique, pas d’avenir ! Tu crèveras seul dans ton trou !
Et elle partit en claquant la porte. Je suis resté quelques minutes sonné par le déluge d’insultes auquel Val venait de me
soumettre. Que mon physique était banal, je l’avais remarqué. Que mon niveau social n’était pas très élevé aussi, mais je ne savais pas faire grand-chose de vraiment méritoire. Je n’étais ni un chercheur, ni un écrivain, ni un héros, je n’étais rien qui puisse attirer une belle femme.
J’étais dépité lorsque mes yeux se posèrent sur l’écran du PC, resté en l’état depuis l’arrivée de Val. On y voyait encore Maria-Lita, son sourire éblouissant et le déchet qui lui servait de mari. Un déchet certes, mais riche, et chef d’Etat, et époux d’une bombe sexuelle.
C’était décidé. Un jour moi aussi j’aurai les plus belles. Un jour je serai Président.
FRED