Les personnages et les situations de lhistoire qui va suivre ainsi que des épisodes suivants sont purement fictifs. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne serait que pure coïncidence.
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Angela avait rapidement gravi les marches du pouvoir. A trente-cinq ans elle sétait laissé porter par le vent de liberté qui avait soufflé sur son pays, fait tomber les murs, et elle avait adhéré au parti, avant den devenir rapidement une responsable régionale ; à peine un an après, elle avait été nommée ministre.
Durant les douze ans qui suivirent, son parti connut une alternance de succès et de revers, mais elle resta à la barre, sans être touchée par le scandale qui éclaboussa son ancien chef.
Arrivée à lâge de la maturité, elle se dit quelle finirait par occuper le poste suprême.
A cinquante ans cétait une petite femme blonde, aux cheveux courts, dont le corps avait pris de lampleur, surtout au niveau des hanches et de la poitrine. Son regard calme et doux nen était pas moins dénué de fermeté, voire dautorité quand elle distribuait ordres et consignes à ses subordonnés.
Allait-elle devenir la première femme chef de gouvernement de son pays ? Outre la fierté quelle en retirerait, ce serait la consécration, et la récompense pour les efforts fournis sans compter depuis toutes ces années.
Mais ce soir-là, alors quelle sortait dune réunion qui sétait finie tard, et quelle avait décidé de rentrer à pied pour prendre lair, le cur ny était pas.
Elle marchait dans les rues désertes et froides de la capitale et ressentait comme une grande solitude, dans sa petite robe bleue. Ses talons claquaient sur le ciment sinistre, lui renvoyant lécho de ses pas, et qui, pour une fois, lui semblaient irréguliers, comme mal assurés.
Certains de son parti ne partageaient pas ses idées sur la politique internationale et la politique énergétique, et elle était en proie au doute : comment, dans ces conditions, alors quelle ressentait une défiance dans cette petite assemblée, la plébisciteraient-ils comme chef du gouvernement, si son parti remportait les élections ?
Elle se dit que si sa carrière nallait pas plus loin, elle aurait peut-être gâché nombre de ses années où elle avait sans doute négligé son mari (second mari), sa vie de femme.
Oh, bien-sûr, elle nétait pas portée sur « la chose ». Avec léducation protestante quelle avait reçue, la répression des murs quelle avait connue dans ses plus tendres années quand son pays était encore sous le joug de la dictature, son esprit nétait pas tourné vers la bagatelle, ni vers des escapades romantiques sous des cieux plus ensoleillés (dailleurs, elle ne prenait que très peu de vacances, quelques jours par an, et jamais bien loin.)
Le moteur qui la faisait avancer, se lever le matin, courir dun meeting à lautre, haranguer ses militants, leur asséner ses idées politiques et économiques, donner des interviews, cétait sa foi, sa conviction quelle connaissait la route à suivre, et que cétait cette route quelle devait faire prendre à son pays.
Seulement, comment faire prendre cette direction à sa chère patrie si le doute et les hésitations de ses proches amis politiques se mettaient en travers de la route menant au pouvoir ?
Elle sarrêta, puis sappuya contre un mur, tête basse, soupirant, regardant ses pieds.
« – Il y a des soirs où lon doute, nest-ce pas ? » La voix la fit violemment sursauter, dautant quelle navait entendu personne approcher. Et là, se tenait à son côté, dans le faible éclairage de la rue, un homme grand, avec une tenue sombre et longue.
« – Oh vous mavez fait peur ! Vous me connaissez ? Vous mavez reconnue ?
— Bien-sûr. Je vous connais et vous suis depuis longtemps.
— Ah Vous venez à mes meetings ? mais vous nétiez pas à la réunion, ce soir, nest-ce pas ?
— Non, je ny étais pas. Enfin, pas vraiment. Je vous suis depuis longtemps. Depuis toujours.
— Toujours ?!
— Oui, en quelque sorte. Et depuis que vous êtes toute petite.
— Vous plaisantez ? »
Et puis après un temps :
« – Quoi, vous êtes de lex police politique ?!
— Madame, regardez-moi » rit-il. Effectivement, son visage juvénile montrait quil ne pouvait pas avoir été un de ces mouchards de la police secrète ; il devait être un très jeune adolescent quand celle-ci fut dissoute.
« – Oui », dit-elle dune voix lasse, « je suis stupide.
— Oh que non, vous êtes loin dêtre stupide. Mais je sais tout de vous
— Vous êtes un fan ? Ça me fait plaisir, mais je ne suis pas une rock star. Et je ne suis pas sûre, je ne peux vous garantir que jarriverai au pouvoir même grâce à votre soutien votre sympathique soutien.
— Oh mais si. Je peux vous aider. Je peux faire de grandes choses.
— Oui, bon »
Une espèce dilluminé, se dit-elle, et commençant à prendre un peu peur, il lui prit soudain lenvie de partir.
Sa main se posa sur son bras potelé. Çaurait dû normalement leffrayer, mais elle sentit une grande chaleur qui lenvahit, qui partait du point de contact et en rayonnait,
Il lui sourit de toutes ses dents, et son immense sourire et ses dents, magnifiques et immaculées, qui éclairaient tout son beau visage, lui firent chaud au cur. Sans quelle leut voulu, elle lui rendit son sourire, cétait comme magique.
« – Ce que femme veut »
Elle se sentit comme transportée. Linstant daprès elle était comme flottant au-dessus de la ville, sentant toujours sa présence à son côté, enveloppante, presque sensuelle. Elle voyait tout, tous les quartiers, les maisons bourgeoises, les monuments, et se sentait désormais toute légère. Sa tête était comme suspendue.
« Qui, qui êtes-vous ? » balbutia-t-elle.
« – Je suis un ange » dit-il, sur un ton naturel, comme une évidence. Elle ne fut même pas choquée.
« – Que voulez-vous ? » demanda-t-elle, avec un restant de méfiance.
« – Juste vous aider, cest tout. »
« – Comment pouvez-vous maider ? » répondit-elle, dubitative.
« – Vous verrez. »
« – Que pouvez-vous faire ? Comment pourriez-vous convaincre ces ânes que je narrive pas, moi, à décider, à suivre les bons axes ?! »
« – Je peux faire des grandes choses. Vous avez senti cette chaleur vous envahir, dans tout le corps, alors que je navais posé que ma main sur vous ?
« – Euh oui » répondit-elle un peu effrayée (« comment pouvait-il savoir ce que jai ressenti » se dit-elle instinctivement.)
« – Et bien ça cest peu de choses à côté de ce que je peux faire. Faites-moi confiance. »
« – Mais »
Elle leva les yeux vers lui, mais plus rien. Il avait disparu. Elle fit quelques pas tout autour, cherchant à le voir rien.
« Ai-je rêvé ?» se dit-elle, « Ça nest pas possible, je suis là, debout, dans cette rue de B., je ne me suis pas endormie. Je nai pourtant pas eu une hallucination, cétait trop réel. Et puis, je suis fatiguée, sans doute ; mais je nai jamais eu ce genre de faiblesse. »
Elle rentra à son hôtel, très troublée. Cependant, elle ressentait en même temps quun doute déstabilisant au sujet de ce quelle venait de vivre une étrange sensation de bien-être, dapaisement.
Et cette fatigue bienfaisante fit quelle se mit au lit, une fois dans sa chambre, et sendormit très vite, contrairement à son habitude.
Le lendemain elle se réveilla en grande forme et pleine dénergie. Rapidement la scène de la veille au soir lui revint. Elle écarta lidée que ce se fut réellement passé, bien quau fond delle-même, elle savait bien, chronologiquement, dans sa mémoire, ça nétait pas durant la nuit quelle avait vécu cet épisode. Mais étant une femme rationnelle, elle préféra faire comme si cet événement venait de se dérouler au cours dun rêve sans importance.
Elle avait retrouvé sa confiance, et même au-delà. Elle mit son découragement de la veille au soir sur le compte dune fatigue passagère, qui avait ce matin-là disparu après une nuit dun sommeil exceptionnellement réparateur. Son esprit semblait ne plus tenir compte de lattitude de défiance, voire de contestation, de ses collègues quelle avait dû essuyer lors de la réunion du soir ou la minimiser.
Deux jours après avait lieu une réunion nationale avec les chefs régionaux du parti, ainsi que celui du parti allié du sud.
Cest avec assurance et prestance quelle sadressa à eux, tenant littéralement un discours militant, assénant avec force toute la conviction sincère quelle avait en ses idées.
Elle ne put sempêcher dêtre étonnée de lagrément exprimé avec enthousiasme par ses collègues, qui semblaient conquis.
Des salves dapplaudissements accueillirent la fin de son discours, et mêmes quelques acclamations. Elle en rougit de plaisir.
Elle allait descendre de lestrade, quand jetant un coup il latéral elle laperçut. Là-bas, non loin de la porte, debout, à lautre extrémité, cétait lui. Lhomme dhier soir était là, revêtu de son grand manteau noir. Il la regardait. Elle vit son sourire, envoûtant, séducteur, ses dents qui brillaient. Ça nétait donc pas un rêve, elle venait de le comprendre. Mais cette pensée se mêlait aux autres, à son émotion qui venait de la prendre, joie, plaisir, surprise. Des collègues la félicitaient, lencourageaient à les rejoindre.
Et elle entendit sa voix, calme et si distincte quon aurait dit quil lui parlait à loreille :
« – Je vous avais bien dit que je pouvais réaliser de grandes choses. »
Elle leva les yeux, regarda dans la direction où elle lavait aperçu. Il était toujours là-bas, à au moins cinq mètres delle. Par quelle étrangeté acoustique avait-elle pu lentendre lui parler si distinctement à cette distance, et dans ce brouhaha ?!
Ses yeux se déplacèrent vers un homme qui sétait levé au premier rang et lui tendait la main pour la féliciter. Elle lui rendit la politesse.
Quand ses yeux se redirigèrent immédiatement sur lendroit où lhomme en noir se tenait une seconde avant et lui souriait, il avait disparu.
Elle échangea quelques paroles avec tous ceux qui se pressaient au-devant delle. Leurs encouragements, leur approbation faisait plaisir à voir et à entendre. Mais elle gardait lesprit occupé par la présence de cet homme étrange, qui venait de disparaître mystérieusement.
Elle fit le tour de la salle, lentement, passant de lun à lautre, le cherchant discrètement dans le même temps. Elle séclipsa en sexcusant, sortit dans le couloir, alla jusquà la porte du bâtiment, chercha même dans les sanitaires hommes, et mêmes femmes, déserts. Il sétait évaporé !
La réunion enfin terminée, euphorique mais fatiguée, elle reprit sa voiture et se dirigea vers sa maison, située dans une banlieue cossue.
Alors quelle était encore à dix bonnes minutes de chez elle, soudain, elle sursauta : lhomme en noir lui souriait dans le rétroviseur. Il était assis à larrière !
« – Alors » lui dit-il, « ça vous a plu ?
— Quest-ce qui ma plu ? » répondit-elle un peu brutalement
« – Eh bien, mon coup de pouce ? » rétorqua-t-il avec un sourire satisfait
« – Comment ça ? » sinsurgea-t-elle. « Mon discours et mes arguments ont fait un tabac. Parce que je suis sûre de moi, sûre davoir raison ; je les mène dans la bonne direction et ils lont compris !
— Soit. Et vous croyez quils lont compris comment ? Par lopération du Saint-Esprit ?
Hier ils en étaient presque à vous conspuer, et aujourdhui ils vous acclament
— Ils sont enfin devenus lucides, je les ai convaincus, cest tout.
— Cest tout. Comme cest simple. Je vais vous en dire la vraie raison : cest moi qui ai fait ça.
— Ecoutez » dit-elle sur un ton dénervement qui sentait un peu lanxiété, « je ne sais pas qui vous êtes ni comment vous faites ça, comment vous apparaissez et disparaissez dun moment à lautre, vous êtes peut-être un Houdini, mais mon succès en politique cest à moi que je le dois, à moi seul, je suis brillante, cest tout !
— Ah cest ça ? Vous croyez ça ? Vous croyez donc que je nai eu aucune influence sur lécho dithyrambique que votre discours a eu aujourdhui, ni sur laisance que vous aviez à trouver vos mots, la parole juste, la phrase percutante qui fait mouche dans leurs pauvres esprits ?
— Exactement ! Je suis une excellente oratrice, je le sais depuis longtemps !
— Eh bien, chère petite Madame, si vous ne croyez pas que cette magie sest opérée grâce à moi, je ne pourrai pas vous en convaincre, ni vous le prouver. Mais je peux vous dire une chose : si je peux faire des miracles et provoquer votre réussite je peux aussi obtenir le résultat inverse
— Vous me menacez ? Cest du chantage, cest ça ?
— Pas du tout, ma chère Angela. Nous allons juste faire un pari tous les deux : je vous parie que demain ils changeront totalement et de façon inexplicable davis, et même la presse et les sondages seront catastrophiques pour vous En fait, ça ne sera pas inexplicable pour vous et moi : parce que vous et moi saurons que cest parce que je lai décidé MAINTENANT.
— Vous êtes un idiot, je ne vous crois pas !
— A demain, chère petite Madame » finit-il avec un sourire mystérieux et il ouvrit la portière et sortit.
Elle eut beau le chercher dans le rétroviseur, puis tourner la tête de tous côtés, elle ne le trouva pas.
Elle en resta profondément troublée, et son mari, quand elle arriva chez elle, fut même surpris de son état.
La journée se termina tant bien que mal, et préoccupée, elle eut du mal à se concentrer. Pourtant elle fut sans cesse appelée au téléphone par ses collègues qui tenaient à la féliciter, à lencourager, à lassaillir de suggestions, didées, lui communiquant leur enthousiasme.
Ainsi elle se coucha rassurée, cherchant à oublier lépisode de la voiture, et reprit confiance, sendormant rassérénée en se remémorant son chaud succès à lissue de son discours pourtant sa dernière vision avant de sombrer dans le sommeil fut celle dune paire dyeux et dun sourire énigmatiques.
(A suivre…)