PARTIE II : TOI QUI ENTRES ICI, ABANDONNE TOUT ESPOIR
Chapitre 7 : Comme une ombre
Dis-moi que tu m’aimes, Amour.
À ce mot, une vague de frissons parcourt l’échine d’Aymeric et son cur se serre.
Ne m’appelle pas comme cela. Tu sais que j’ai horreur de ça…
Alors comment dois-je appeler mon petit ami si je n’ai pas le droit de lui donner un petit surnom affectueux ? « Amour », c’est ce qui me semble le plus approprié, non ? Qu’est-ce que tu as contre, au juste ?
Il se retourne pour éviter qu’elle ne voie la grimace nauséeuse qui lui déforme le visage. Ce mot, il est vraiment incapable de lui raconter ce qu’il lui évoque. Comment pourrait-elle comprendre ?
Les bras de la jeune femme l’enlacent et son menton se pose sur l’épaule du garçon.
Allez, je suis désolée, Aymeric, lui souffle-t-elle à l’oreille. Promis, je ne le referai plus. Tu ne me fais pas la tête au moins ?
Ses lèvres déposent de petits baisers sur la nuque. Une nouvelle fois, il frissonne. Ce coup-ci, c’est plus par plaisir. Il se laisse attendrir, soupire et tourne son visage, le regard bas, vers sa belle. Il n’ose la regarder dans les yeux de peur qu’elle n’y lise l’extrême désarroi qui l’habite. Une douce main se pose sur la joue mal rasée d’Aymeric et leurs lèvres se rencontrent. Le baiser est agréable. Pendant un temps, il oublie tout. Il respire de nouveau.
Les bouches se décollent. Elle le regarde. Ses yeux brillent d’amour. Aymeric la trouve vraiment magnifique. Ses longs cheveux noirs sont assortis à la teinte sombre de ses yeux. Sombre, mais pourtant si pétillant, si envoûtant, ce regard l’éclaire tel un phare sur une mer déchaînée. La jeune femme est comme une oasis dans un désert tourmenté. Seuls ses yeux arrivent à lui procurer un semblant de paix. Et ses lèvres qui forment un sourire timide. Il désire plus que tout s’y abandonner pour de bon, mais il ne le peut pas. C’est trop dur.
Dis-moi que tu m’aimes, Aymeric.
Je… hésite-t-il… je t’aime, Gaëlle.
Voilà un peu plus d’un an qu’il est sorti de cette ferme où il a bien cru mourir. Voilà un peu plus d’un an que Madeline a disparu sans laisser de trace. Pourtant, Aymeric a l’impression de ne jamais avoir quitté la bâtisse où il a été maintenu prisonnier des jours et des jours, comme si une partie de lui y était restée. Pourtant, l’ombre de Madeline plane encore sur lui à chaque instant. Combien de fois a-t-il cru entendre son rire ou le son cristallin de sa voix ? Combien de fois a-t-il cru apercevoir son visage dans la foule ? Combien de fois la mélodie qu’elle aimait chantonner a-t-elle résonné dans sa tête ? Non, plus jamais il ne sera celui qu’il était avant Mad. Quelque chose s’est brisé avec elle.
Il a rencontré Gaëlle il y a quelques mois. Elle lui est tombée dessus sans qu’il ne cherche une nouvelle relation. C’est elle qui a fait le premier pas, ainsi que les suivants. Bien qu’elle l’attirait énormément, Aymeric s’était trop refermé sur lui. Elle a appris à l’apprivoiser, et Aymeric a entraperçu de nouveau quelque chose qu’il pensait perdu à jamais : l’espoir de retrouver la paix. Il ne croyait pas à la possibilité de retomber amoureux après tout ce qu’il avait vécu. Pas après la mort de Daisy, pas après Mad. Et pourtant, elle a su lui redonner un peu plus goût à la vie.
Mais elle ignorait tout de ce qu’il avait vécu. D’ailleurs, elle l’ignore encore aujourd’hui. Plusieurs fois, il a voulu le lui dire, mais à chaque fois, seul le silence s’est exprimé.
Il a aussi parfois peur pour elle. Comment savoir si un jour Mad ne reviendra pas et tuera Gaëlle par jalousie comme elle l’a fait avec Daisy ? Il a pensé rompre plusieurs fois afin de protéger Gaëlle de Mad, mais la terreur de se retrouver à nouveau seul au monde, complètement perdu, l’a emporté. De plus, il a quelque part l’étrange impression qu’il ne la mérite pas, qu’il n’a plus droit au bonheur. Il n’a pas su protéger ni ses amis ni la femme qu’il aimait. Il a préféré s’adonner au plaisir sexuel que lui offrait Madeline alors qu’il sentait au fond de lui qu’il fallait fuir cette femme. Tous les signes montraient que cette histoire finirait atrocement mal. Il les a ignorés, et ses proches ont payé de leur vie.
Il ne sait plus ce qu’il devrait faire. Fuir ? Rester ? Pour le moment, il se contente de l’embrasser tandis qu’elle s’allonge et que son regard l’invite à la pénétrer. Aymeric se laisse guider. Positionné au-dessus d’elle, il enfonce son sexe rigide dans les chairs de sa belle qui pousse un soupir de contentement.
Il a quitté Méronze peu après les terribles évènements. Tout là-bas lui rappelait ses anciennes années de bonheur piétinées par Madeline. Il lui fallait prendre un nouveau départ, et pour cela changer d’air. C’est à Verlaize qu’il s’est installé, à un peu plus d’une centaine de bornes de son précédent domicile. Il y a trouvé un nouveau poste dans la même chaîne de grandes surfaces dans laquelle il travaillait avant. Et c’est ici que, quelques mois plus tard, il bousculait la jeune et pétillante Gaëlle.
Aymeric ne pense plus à rien. Seules quelques images flashent dans son esprit. Il se revoit à l’époque avec Daisy. Il a l’impression de retoucher au bonheur du bout des doigts. Cette pensée lui fait cependant peur. Pourtant, c’est ce qu’il souhaite : retrouver la paix et aimer à nouveau sans aucune entrave, revivre ce qu’il vivait avant que Daisy aille voir ailleurs ou avant que Mad la tue. Jamais il ne pourra oublier ses sentiments pour la disparue. Il revoit certaines similitudes avec Gaëlle, leur façon d’être, de rire ou de gémir sous ses assauts. Mais Gaëlle possède aussi quelques ressemblances notamment physiques avec Mad. Daisy, Gaëlle, Madeline… Mad, Mad, Mad, l’ombre.
Madeline lui a tout pris et l’a détruit. Il voudrait la faire souffrir à son tour. Il voudrait la voir brûler. Il voudrait serrer ses doigts sur sa fine nuque et voir la vie quitter son regard apeuré. Oui, cette pensée le hante soudainement. Il avait eu cette chance, mais il s’était ravisé au dernier moment. Si l’occasion devait se représenter… Il se voit le faire ; cela a l’air si réel…
Il sent le corps de Mad qui se débat sous lui tandis que ses doigts se resserrent sur sa gorge. La peur et l’incompréhension se lisent dans les yeux de sa proie. Elle essaye de crier, mais aucun son ne sort de sa bouche. Lui ne peut s’empêcher de sourire. Il la tient enfin ! Toujours plongé en elle, il ressent enfin pleinement le plaisir, il se sent libre, puissant. La mort de Mad n’est plus qu’une question de secondes.
Et puis c’est le choc. Une violente gifle lui remet les idées en place. Telle la foudre, l’horreur de la réalité s’abat sur lui : ce n’est pas Mad qu’il était en train d’étrangler, mais Gaëlle. Il fait un bond en arrière et en tombe du lit. Comment cela peut-il être possible ? Mad était là, il l’aurait parié. Il lui faisait l’amour tout en lui ôtant la vie. Gaëlle, une main sur la gorge, se redresse dans le lit et lui jette un regard d’incompréhension. Elle n’est pourtant pas aussi perplexe que lui. Le jeune homme est pris soudain de nausée et s’enfuit dans la salle de bain où il s’enferme.
Il n’est pas long à régurgiter son dernier repas dans la cuvette des toilettes. Il se retrouve quelques secondes après assis en position ftale devant le miroir, le cur emballé d’un malaise persistant. Tandis qu’il cherche à comprendre ce qu’il vient de se passer, des larmes commencent à perler aux coins de ses yeux. Malgré l’obscurité de la pièce, il distingue son reflet dans le miroir. Celui-ci lui apparaît plutôt comme une sorte d’ombre. Il sent une présence tout autour de lui, la même que celle de ses cauchemars. Celle qui l’attire sans arrêt vers la ferme pour l’emporter avec elle dans l’obscurité à jamais. Il a même la sensation d’entendre l’écho de son rire caverneux et de la voir debout derrière lui, une main griffue se posant sur son épaule. Peur, dégoût, honte… Aymeric fond en larmes.
De l’autre côté de la porte, Gaëlle entend tout de l’état émotionnel de son amant. Malgré ce qu’il vient de faire, elle n’arrive pas à lui en vouloir. Elle est plutôt terriblement inquiète.
Aymeric, que se passe-t-il ? Vas-tu me dire à la fin ce qu’il t’arrive ? Je t’en supplie, parle-moi !
Je ne peux pas.
Et puis l’homme décide finalement de sortir de la salle de bain sans même porter un regard sur sa belle. Il ramasse ses habits au sol. Gaëlle s’approche de lui pour le prendre dans ses bras et lui montrer qu’elle est là pour lui, mais il la repousse.
Ce n’est pas grave, tente-t-elle de le rassurer tandis qu’il s’apprête à quitter l’appartement. Tu ne veux pas me dire ce qui t’arrive ? Tant pis, j’attendrai que tu sois prêt. Mais je t’en prie, reste avec moi ce soir, ne me fuis pas.
Lui tournant toujours le dos, Aymeric hésite, mais finalement ouvre la porte et sort du logement sans même se retourner. C’est trop douloureux pour lui. En refermant derrière lui, il entend Gaëlle éclater en sanglots. Le cur du jeune homme se serre, mais il est incapable de faire demi-tour.
Il a fait deux heures de route. Pourquoi ressent-il toujours le besoin de revenir à cet endroit ? C’est là où tout a commencé, là où il a rencontré Mad, là où a débuté sa chute. C’est toujours le même vacarme assourdissant qui anime les lieux, mais aujourd’hui, Aymeric ne trouve plus aucun plaisir à écouter les notes qui s’enchaînent. Assis devant le bar de la boîte de nuit, il vide les verres les uns après les autres d’une humeur taciturne.
L’esprit embrouillé, il observe la foule qui se déhanche sur le rythme endiablé de la musique, comme à la recherche d’un visage connu qui pourrait peut-être adoucir sa peine. Il repère un groupe de jeunes qui sont particulièrement bruyants. Parmi eux, une jeune brune dans une robe moulante lui donne l’eau à la bouche et l’envie de mordre. Elle est très sexy dans cette tenue qui laisse deviner l’absence de sous-vêtements. Il ne peut s’empêcher de la fixer.
À voir comment elle se trémousse contre un mec et comment elle l’embrasse, il ne faut pas longtemps à Aymeric pour comprendre qu’elle est maquée. Malgré tout, il n’arrive pas à détacher son regard de ces courbes sensuelles et à faire taire son désir.
La petite a fini par remarquer le regard insistant que lui portait Aymeric. Au lieu de s’en offusquer, la belle adopte un comportement encore plus lascif avec son compagnon, frottant son cul sur l’entrejambe tendu du mec tout en jetant des illades de défi à Aymeric.
Sans trop qu’il ne se souvienne comment, Aymeric se retrouve enfermé dans des chiottes crades avec la demoiselle. Il se voit l’embrasser et jouer avec ses nichons gonflés. Il se voit lui ordonner de s’agenouiller et lui enfoncer son sexe dans la gorge. Il se rappelle avoir vu la jeune nympho avaler sa bite en entier et la pomper avec plaisir. Il se souvient d’avoir repris le contrôle de la situation et de lui avoir imposé son rythme sans aucune délicatesse. Il se souvient de n’avoir cherché qu’à jouir sans se préoccuper de sa partenaire éphémère. Il se souvient d’avoir été plongé dans un plaisir brumeux et de se vider les couilles sur la tronche de la demoiselle, car cette dernière insistait pour l’avertir qu’elle n’avalait pas. Il se souvient de l’avoir laissée derrière lui en la traitant traitée comme une moins que rien et de tomber sur son mec, la rage aux dents.
Moins d’une demi-heure après, il est dehors. À peine a-t-il effectué quelques pas qu’une silhouette imposante surgit sur lui. Il n’a pas le temps de réagir qu’un poing s’écrase sur sa face. Le coup est si violent qu’il est projeté au sol.
Je vais t’apprendre à te taper ma meuf, sale fumier ! grogne le grand costaud.
Sa mâchoire le fait souffrir, mais Aymeric n’en a cure. À vrai dire, il ne fait même pas attention à la douleur physique. Elle lui paraît si insignifiante… À quatre pattes, Aymeric tente de se relever, mais une forte frappe du pied lui défonce les côtes. Sous le choc, le corps du garçon roule et termine sur le dos.
Relève-toi, sale petit merdeux, si t’es un homme ! J’vais te casser la gueule à la loyale.
Aymeric le regarde tandis qu’un rire nerveux s’échappe de sa gorge. Les menaces de son agresseur lui paraissent si insignifiantes… Il obéit tout de même et se relève en riant toujours de façon incontrôlée.
Putain, mais tu te fous de ma gueule en plus, enculé ? Je vais te planter ! Tu vas voir, ça te coupera ton envie de rire.
Et pour mettre corps à ses menaces, il sort un canif de sa poche. Aymeric l’observe, toujours le sourire aux lèvres, et écarte les bras en signe d’invitation. Non, mourir ne lui fait pas peur. Après ce qu’il vient de faire à sa bien-aimée, mérite-t-il seulement de vivre ? Ne vaudrait-il pas mieux mettre fin à l’être misérable qu’il est devenu ?
Ce n’est pas la réaction à laquelle l’autre s’attendait. Voilà ce dernier hésitant, déstabilisé par l’absence de frayeur d’Aymeric. Méfiant, il se décide à ranger l’arme.
Je vais me montrer généreux pour ce soir, mais ne t’approche plus jamais de ma meuf ou tu le regretteras !
Quoi ? C’est tout ? Tu me menaces et tu fais dans ton froc derrière ? Tu n’as vraiment pas de couilles ! Pas étonnant que ta meuf aille voir ailleurs.
La provocation fait mouche et au lieu de partir comme il s’apprêtait à le faire, le mec charge Aymeric en poussant un cri de rage. Deux poings s’abattent sur son estomac, mais il ne bronche quasiment pas. Que sont de vulgaires coups comparés aux êtres chers qu’il a perdus, à ce que Madeline lui a fait subir, à ses penchants qui le poussent à faire du mal à la seule personne qu’il ait réussi à aimer depuis ? Pourquoi baiser des filles qui ne représentent rien pour lui ? Pourquoi s’est-il retrouvé à étrangler Gaëlle ?
Bien vite, une frénésie le gagne, comme une sorte de pulsion de rage. Passif quelques secondes avant, le voilà maintenant qui rend coup pour coup. Très vite, il prend le dessus et son agresseur se retrouve à terre. Aymeric domine largement le combat et abat une série de coups sur la tronche de l’autre type qui hurle ; les poings d’Aymeric se couvrent de sang. Dans une dernière tentative, le costaud récupère le canif dans sa poche et essaye d’embrocher son adversaire, qui voit le coup arriver et s’empare de l’arme en lui tordant le poignet.
Voilà la froide lame dans sa main. Un étrange désir s’empare de lui. Il se sent tout-puissant. L’autre est là à sa merci. Il pourrait lui ôter la vie à tout instant, débarrasser l’humanité de ce connard inutile. Et s’il la plantait dans sa gorge, juste pour voir ? Quelle sensation ressentirait-il ? Pourquoi son corps brûle-t-il de tenter l’expérience ? Merde, que lui arrive-t-il ?
Aymeric sent les ténèbres l’entourer. Il a l’impression que la présence de ses cauchemars est là, derrière lui, pour guider son poignet. L’ombre malfaisante n’est jamais bien loin, de toute façon, le torturant encore et encore. Il ne se reconnaît plus, il est effrayé. Sa main tremblante lâche finalement l’arme et Aymeric s’enfuit.