Chapitre 4 : Balayage
Le lendemain, la mort de CowBow77 hantait encore nos esprits. Ayaka et moi avions dormi sur le sol du centre Pokémon d’Argenta ; il était désormais impossible de se déconnecter du jeu. La nuit avait été dure, si dure que j’avais à peine fermé les yeux. Chaque fois que j’essayais de m’endormir, je revoyais la queue en pierre d’Onix serrer le corps frêle de CowBoy77 avant de le couper en deux. En voyant son visage, je remarquai qu’Ayaka était dans le même état, les cernes sous ses yeux pouvant en témoigner.
-Bonjour, dit-elle faiblement.
Je lui embrassais le front en la saluant.
-Si c’est ma bouche que tu visais, c’est raté, dit-elle.
-Désolé. Je crois qu’il me manque une nuit de sommeil.
-On est deux, dit-elle en m’embrassant succinctement.
Nous nous levâmes en étirant nos muscles endoloris et quittâmes le centre Pokémon. Il pleuvait. Génial, pensais-je, en plus d’un changement de plan merdique, le temps aussi devenait merdique.
-Il va falloir penser à une stratégie, dit Ayaka.
-Tu parles d’une stratégie pour vaincre Pierre ?
-On n’a pas le droit à la moindre erreur, et qui sait ce que Secoya nous a préparé. CowBoy77 était comme nous, un dresseur extrêmement expérimenté. Pourtant, d’après MissMalice, il s’est fait battre par Onix à plate couture.
-Je suis prêt à parier que Secoya a augmenté au maximum les EV et les IV des Pokémon des champions (les IV et les EV d’un Pokémon définissent leurs forces en combat ; plus un Pokémon en a, plus il est puissant).
-Je pense aussi. Il va falloir s’entraîner dans la forêt de Jade. Je ne vois pas d’autres solutions.
J’acquiesçai. Nous ne perdîmes pas plus de temps et quittâmes Argenta pour replonger dans la forêt où nous affrontâmes des Pokémon sauvages toute la journée. Au final, mon Tygnon prit cinq niveaux, mon Pikachu sept. Quant au Machoc d’Ayaka, il était monté de huit niveaux. Nous voulûmes poursuivre notre entraînement, mais l’icône de la messagerie s’alluma en bas de notre champ de vision.
-C’est un message des joueurs. Ils veulent que nous nous rejoignions tous devant l’arène.
Ayaka et moi fûmes les derniers arrivés, encore une fois. Les autres joueurs nous attendaient impatiemment et furent surexcités en nous voyant entrer en ville. Nous les rejoignîmes, et aussitôt nous commençâmes à discuter de Pierre, le champion d’Argenta. Nous essayâmes de parler stratégie, mais à quoi bon : les stratégies variaient en fonction de nos starters. Nous avions toutefois décidé de nous regrouper, comme aujourd’hui, devant chacune des huit arènes de la région de Kanto. Ensuite, l’un de nous, de préférence quelqu’un possédant un maximum de Pokémon pouvant contrer le type utilisé par le champion, irait l’affronter pendant que les autres regarderaient le match et analyseraient le style de combat du champion.
-Bon, je suis d’accord pour faire comme ça, dit l’un des bêta-testeurs, mais il faut maintenant que l’on choisisse quelqu’un pour affronter Pierre en premier.
-J’irai, dis-je aussitôt.
Tous les regards se braquèrent vers moi. Certains furent surpris qu’une réponse fût donnée aussi rapidement, mais sur tous les visages je pouvais lire de la gratitude. Seule Ayaka, qui avait enroulé ses bras autour du mien, semblait inquiète.
-Vous me laissez cinq minutes, leur demandai-je. Ayaka et moi allons devoir soigner nos Pokémon avant que je ne commence.
Personne ne s’y opposa. Après tout, ce serait de la folie pure d’affronter un champion d’arène sans avoir une équipe au top de la forme. Ajouter à cela le fait que la moindre défaite entraîne la mort, et cette folie peut se transformer en suicide. Ayaka et moi avions décidé de ne pas montrer aux autres joueurs notre nouvelle relation, alors nous y allâmes sans prononcer le moindre mot. Toutefois, une fois que nous fûmes entrés dans le centre Pokémon, Ayaka se jeta presque sur moi.
-Tu as perdu la tête, me dit-elle. Pourquoi ne pas laisser un bêta-testeur avec un starter eau ou plante s’en occuper ?
-Parce que je n’ai aucune chance de perdre, fais-moi confiance.
Elle me lança un regard interrogateur ; elle avait compris que j’avais une idée derrière la tête. Je décidai pourtant de ne pas en dire davantage.
Dans l’arène, Pierre se trouvait au fond. Contrairement aux jeux vidéo ordinaires, il n’y avait aucun dresseur à affronter préalablement. Je m’avançai alors vers le premier défi de ce jeu. Je me mis à espérer que ma stratégie fonctionnerait, sans quoi ma vie prendrait un tournant inattendu.
-Pierre, champion d’Argenta, je te défis, dis-je au PNJ qui, n’ayant pas d’existence propre, passait sa vie virtuelle à ce même emplacement.
Pierre ne dit pas un mot. Il se contenta d’avancer jusque sur l’extrémité de l’arène, composée d’un sol ordinaire et délimitée par des traits blancs.
-Je te souhaite la bienvenue, challenger. Je me nomme Pierre et suis le champion de cette arène. Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours admiré la roche. Puissante et résistante, on ne peut la détruire qu’à grands coups de pioche. Aujourd’hui, je vais te montrer que tes talents de dresseur ne pourront rien face à la roche !
Il cessa de parler et lança une Pokéball qu’il avait décrochée de sa ceinture. De ladite Pokéball sortit un Racaillou, petit Pokémon de type roche/sol ressemblant à un caillou avec deux bras. Il avait également deux yeux et une bouche, mais pas de corps. De mon côté, j’envoyai Tygnon. Ce Pokémon de type combat, anthropomorphe, portait des gants de boxe aux poignets. Mon Pokémon étant le plus rapide, je fus le premier à attaquer. L’attaque Poing-Karaté fit beaucoup de dégâts à Racaillou : je vis que sa jauge de santé (elle était visible au-dessus de lui, à côté de son niveau) était passée sous la moitié. Pierre avait opté pour l’attaque Charge. Tygnon l’encaissa en perdant environ 15% de sa vie. Pas de quoi en faire un drame, surtout que le Poing-Karaté renvoya mon adversaire dans sa Pokéball. Sans sourciller, Pierre envoya sa deuxième Pokéball, et Onix, le long serpent de pierre, en sortit.
-Tygnon, reviens ! dis-je, totalement transporté par l’enjeu de ce combat.
D’un regard, je vis que tout le monde scrutait la moindre de mes actions. Comme chacun le savait, c’était maintenant que le véritable combat allait débuter.
-Pikachu, en avant !
J’envoyai Pikachu, la souris électrique et également mascotte de la série Pokémon. Tout le monde me regarda, intrigué. Ils avaient de quoi : un Pokémon électrique ne pouvait pas se défendre face à un Pokémon roche/sol. Ayaka, quant à elle, semblait avoir compris ce que je cherchais réellement à faire ; une lueur s’alluma dans ses yeux. Je reportai mon attention sur le match, car Onix utilisait l’attaque Tomberoche sur Pikachu. Les PV de ce dernier tombèrent à 55%.
-Mimi-queue ! criai-je
La statistique de défense d’Onix baissa d’un cran. Au tour suivant, nous fîmes exactement les mêmes actions. La défense d’Onix ayant baissé de deux crans, cette statistique était donc divisée par deux. Pour le tour suivant, je décidai de donner une potion à Tygnon afin de ramener ses PV à 100%. En contrepartie, Onix mit Pikachu K-O à l’aide d’une attaque Charge. Je m’apprêtai à le ramener dans sa Pokaball quand un détail capta mon attention : des étincelles émanaient du corps d’Onix. Aussitôt après, tous les bêta-testeurs pouffèrent de rire.
-Mais quel noob, ce champion ! scanda Ayaka.
Je ne pouvais que confirmer. Tout breeder digne de ce nom savait pertinemment qu’il ne faut jamais utiliser d’attaques physiques sur un Pikachu : la capacité spéciale Statique aurait une chance sur deux de s’activer et paralyserait le Pokémon adverse. Et là, Statique s’était activée. Cela signifiait que la vitesse d’Onix était divisée par quatre et qu’il avait une chance sur quatre de ne pas attaquer à chaque tour.
-Tygnon, mets un terme à ce combat !
Mon starter revint sur le terrain en pleine forme.
-Balayage !
Les visages de tous les bêta-testeurs s’illuminèrent à la seconde où je prononçai ce mot : ils savaient tous que j’avais déjà gagné. En effet, l’attaque Balayage infligeait des dégâts en fonction du poids du Pokémon adverse. Onix pesant environ 200 kilos (c’est énorme pour un Pokémon), couplé avec le fait que sa défense était divisée par deux et que mon attaque bénéficiait du bonus du STAB (le STAB est un bonus attribué si le type d’une attaque correspond au type du Pokémon l’utilisant. Balayage est une attaque de type combat, tout comme Tygnon) et infligeait le double de dégâts grâce à la faiblesse de la roche par rapport au type combat, je ne pouvais pas perdre ce match. Je regardai alors Tygnon effectuer son attaque sur Onix. Lorsque son pied atteignit la queue d’Onix, ce dernier poussa un énorme cri et s’effondra sur le sol, K-O. Après que Pierre eût rappelé son Pokémon avant de me donner le badge roche ainsi que la CT Tomberoche, je rejoignis les bêta-testeurs qui m’accueillirent comme un roi.
-Bien joué, me dit Ayaka qui m’avait rejoint. En plus, grâce à toi, nous savons une chose importante.
Je la regardai, impatient de savoir ce qu’elle avait remarqué.
-Personne ne l’a vu ? continua-t-elle. Onix était au niveau 15, exactement comme dans la version originale du jeu. Cela voudrait dire que seules les IV et EV ont été modifiés.
-N’en sois pas si sûre, rétorquai-je. N’oublie pas que Secoya peut modifier le jeu quand il le souhaite. S’il décide du jour au lendemain de faire monter les niveaux des Pokémon adverses, rien ne pourrait l’en empêcher.
-Il ne le fera pas, répondit quelqu’un.
Je me retournai et dévisageai celui qui avait parlé. Il était chauve et se faisait appeler DragonChild.
-Réfléchissons deux minutes. Nos corps se trouvent actuellement dans les cuves de la PlayStationVR, inconscients. Qu’est-ce qui empêcherait le prof de tous nous tuer pendant que nous jouons ?
J’avais beau réfléchir, je ne voyais pas quoi répondre : ce qu’il disait avait du sens.
-Je pense donc que Secoya n’est qu’un sadique qui va simplement se délecter de nous voir nous battre pour survivre. Ce qu’il veut, c’est du spectacle. Alors augmenter le niveau des Pokémon des champions pour les rendre invincibles serait contraire à ce principe, parce que nous n’aurions plus aucune chance. Vous voyez ce que je veux dire ?
Voyant que tout n’était pas clair dans nos esprits, DragonChild compléta.
-En gros, pour lui, nous tuer est un jeu. Dites-moi, lorsque vous jouer à un jeu vidéo, sur quelle difficulté réglez-vous le jeu ? Sur la difficulté maximale, pour pouvoir réellement l’apprécier. Le professeur Secoya fait la même chose. Il pourrait rendre les champions invincibles, mais cela reviendrait à régler la difficulté de son jeu sur « débutant ». Ce qu’il veut, c’est la difficulté maximale : nous tuer tout en nous laissant une chance de gagner.
Nous réfléchîmes tous à ce que ce DragonChild nous avait dit. En effet, cela avait du sens. Mais cela voulait également dire que d’autres surprises nous attendaient certainement.
Au centre Pokémon, nous soignâmes tous nos Pokémon. Chacun avait trouvé une technique différente pour vaincre le Onix de Pierre, ainsi seul CowBoy77 était décédé lors de ce combat. Nous nous fûmes tous salués avant que chacun ne reprît sa route, certains se dirigeant vers le mont Sélénité, à l’est d’Argenta, et d’autres vers la forêt de Jade afin de gagner quelques niveaux. Ayaka et moi étions de ceux qui partaient vers le mont Sélénité. Nous vainquîmes les PNJ sur notre route sans rencontrer la moindre difficulté (nous devions les affronter une fois chacun). Au bout du chemin, nous aperçûmes un centre Pokémon. Nous nous dépêchâmes de nous y rendre afin de nous soigner.
-Je ne sais pas pour toi, mais j’ai l’impression qu’on utilise à peu près cent cinquante fois plus les centres Pokémon que dans le jeu original, plaisantai-je.
-Je ne sais pas si tu te souviens, mais dans le jeu original, le prof Secoya n’essaie pas de nous tuer au moindre game over, poursuivit-elle en me tapant légèrement l’épaule.
Je ris, elle aussi. Puis son regard se focalisa sur un PNJ, au fond de la salle. Le vendeur de Magicarpe, pensai-je.
-Je te l’offre, dis-je à Ayaka.
-Pardon ?
-Ton Macicarpe, je te l’offre.
Je lui tendis cinq cent Pokédollars (la monnaie du jeu) et elle acheta son Macicarpe qu’elle pourra plus tard faire évoluer en Léviator : son Pokémon phare.
-Prête pour la grotte ? Demandai-je après qu’elle fût revenue de son emplette.
-On a vaincu Pierre, ce n’est pas une toute petite grotte de rien du tout qui va me faire peur. Sans oublier que je la connais par cur, tu veux que je te récite le chemin ?
-Inutile, je connais aussi, souris-je.
Sans perdre plus de temps à bavarder, nous entrâmes dans la grotte.
-Bon sang, je savais pas que c’était si sombre, une grotte, se plaignit Ayaka.
-Maintenant tu sais ce que ressens ma bite quand elle entre ici, lui répondis-je en plaquant ma main sur son entre-jambe.
-Tu es d’une élégance sans bornes, dit-elle en levant les yeux au ciel.
Nous rîmes tous les deux. Nous poursuivîmes notre chemin à travers la grotte et affrontâmes divers PNJ sans rencontrer le moindre bêta-testeur. Ils devaient être devant, pensai-je. Peu de temps s’écoula avant que nous n’arrivâmes dans une pièce rectangulaire. Là, un PNJ portant un costume intégralement noir, avec une casquette noire également, se dressa sur notre chemin. Un grand « R » était dessiné sur le devant de son tee-shirt, et ça ne voulait certainement pas dire Toys«R»Us.
-La team Rocket, chuchota Ayaka. Fais attention, je suis pratiquement persuadée que Secoya ne les a pas programmés pour n’être que de simples voleurs de Pokémon. Ils sont sûrement dangereux.
-Bien sûr qu’ils sont dangereux ! T’as vu le flingue qu’il porte à sa ceinture ?
Ayaka regarda attentivement, et aussitôt qu’elle vit l’étui contenant l’arme à feu, une lueur de panique s’alluma dans ses yeux.
-Je vais passer en premier, lui dis-je. S’il m’arrive quoi que ce soit, fuis et préviens les autres.
-Et je devrais t’abandonner ici, face à un homme armé ?
-Si c’est pour que tu restes en vie, oui.
Je ne lui laissai pas le temps de négocier et avançai. Lorsque je passai devant lui, le sbire de la team Rocket s’avança vers moi, la main sur son revolver encore caché dans son étui.
-Oust, sale gamin. Personne ne passe tant que la team Rocket n’a pas fait ce qu’elle avait à faire.
-Fais jouer tes Pokémon, pas ton flingue, lui dis-je avec un visage glacial, bien que je fusse totalement effrayé.
Le PNJ m’observa de la tête aux pieds avant d’envoyer un Pokémon : un Rattata. Mon Tygnon n’en fit qu’une bouchée. Derrière, il envoya un Abo (un Pokémon ressemblant à un serpent), alors j’envoyai Pikachu et l’histoire se répéta. Une fois le combat terminé, je ne rappelais pas Pikachu, au cas où le sbire tentât quelque chose. Toutefois, il me dit simplement que je pouvais passer. Je respirai en passant mon chemin. Après quoi, j’attendis Ayaka qui fit exactement les mêmes choses que moi. Au bout du chemin, nous rencontrâmes un nouveau membre de la team Rocket que nous battîmes de la même manière que le précédent. Nous poursuivîmes jusqu’à trouver un scientifique devant deux rochers ne ressemblant en aucun cas à tous ceux que nous avions pu voir jusqu’à présent. Les fossiles, dis-je tout bas. Ayaka confirma mes pensées en hochant la tête. Chacun notre tour, nous vainquîmes le scientifique et récupérâmes chacun l’un des fossiles. Nous n’avions pas pris les mêmes afin de compléter plus facilement le Pokédex : quitte à battre le professeur Secoya à son propre jeu, autant le faire jusqu’au bout. Quelques mètres plus loin, nous aperçûmes la sortie et nous y ruâmes. Heureusement pour nous, le soleil nous réchauffait ; les grottes étaient plus fraîches que ce que j’avais pu imaginer.
-Bon sang, ils m’ont fait peur avec leurs flingues, ces PNJ, souffla Ayaka. J’ai cru que notre partie allait s’arrêter.
-J’ai un mauvais pressentiment, avouai-je.
Ayaka me regarda, l’air de dire qu’il fallait que je développasse.
-Ces flingues n’étaient pas présents dans la version originale du jeu. C’est donc Secoya qui les a rajoutés. Je suis prêt à mettre ma main à couper que, plus tard dans le jeu, nos affrontements ne s’arrêteront pas à de simples combats de Pokémon.
-Tu veux dire que…
-Oui. Je pense qu’il peut être possible que nous mourrions sans même perdre le moindre combat.
-Mais ça ne correspond pas à ce qu’a dit DragonChild à Argenta ! Tu te rappelles, nous en avions déduit que Secoya recherchait du challenge !
-Je pense, Ayaka, qu’il a fait ça parce que nous nous en sortons beaucoup trop bien.