J’avais posé sur mon bureau un calendrier imprimé sur la photo d’une star à la mode. Non que je fut obsédée par la fille en question mais disons que j’éprouvais à l’égard de son côté rebelle une sorte de respect naturel. Je songeais qu’elle avait tout de l’anti-star et que cette opposition ouverte à la secte hollywoodienne me la rendait très sympathique. Comme elle est franchement très à la mode et qu’il serait de mauvais ton de la désigner, je la nommerai simplement Luciféra.
La photo de Luciféra reposait donc sur son petit présentoir, obliquement à mon regard et je n’y portai d’abord pas réellement attention. Puis, au fil des jours et des semaines, sans même m’en rendre compte, il me fallut admettre que je regardais bien souvent mon calendrier. D’emblée, ce genre de filles me laissaient en général de glace : trop belle, trop jeune, trop populaire. Mon oil se piège à la séduction des intellos un peu quelconque qui cache un potentiel sexuel redoutable. Les filles trop sexy finissent par n’avoir plus rien à offrir tant elle expose leur sensualité quotidiennement. Ainsi, je ne m’inquiétais pas pour Luciféra, laquelle portait toutes ces qualités avec une grâce infinie.
C’était une sorte de vamp tardive, une Dietrich en rupture avec les conventions qui souhaitait révolutionner le monde. Elle participait volontairement à plusieurs ouvres de charité sur tous les continents et voulait que l’on reconnaisse sa valeur sur des bases autres que ses origines familiales ou sa beauté singulière. Elle avait un cran fou, une audace de dingue et semait autour d’elle la controverse nécessaire à la réussite de plusieurs tabloïds.
Luciféra était partout, à la télé, sur le web, dans les journaux. J’avais repéré plus de cinq cent mille sites dédiés à la star sur le net. C’est dire combien la planète entière s’était entichée de cette jeune femme passionnée.
Je voyais parfois ses films, parfois non lorsque les critiques me semblaient trop mauvaises. Elle évoluait dans une carrière en dents de scie où les frasques de sa vie amoureuse retenaient davantage l’attention que n’importe laquelle de ses prestations cinématographiques. Et je dois admettre que cette surexploitation de son image m’exaspérait souvent. La médiatisation excessive que l’on fait de certains individus les prive quelquefois de toute forme de crédibilité. C’est un peu la raison pour laquelle je ne portais pas plus attention à mon foutu calendrier.
Le jour du 17 juin, pourtant, le regard de cette femme me terrassa. Aucun présage symptomatique n’avait précédé le choc. Il y avait déjà si longtemps que son regard figé me jugeait doucement et puis vlan ! La chute ! Je tombai littéralement dans un gouffre d’étrangeté, comme happée par une force indifférente au monde réel. En une fraction de seconde, j’étais devenue la créature de Luciféra.
D’heure en heure, mes yeux multipliaient les arrêts sur le visage de Luciféra. Je remarquai son regard halluciné, les paradis de lumière dans ce regard. Tout son visage m’éblouit : son front altier et intelligent, l’arête fine de son nez droit et austère, l’agréable sillon au-dessus de sa lèvre supérieure et la chair froissée de ses lèvres un peu trop abondantes. De fins sourcils bordaient son oil et lui conféraient quelque trait exotique. Son iris bleu ne présentait rien de bien spécifique sinon l’étrange lueur qui semblait y brûler par tous les temps. Les tempêtes perpétuelles dans l’âme de cette jeune femme jaillissaient de son regard éloquent et la simple observation de ces yeux-là pouvaient fournir matière à thèse. Ses cheveux coupés avec désordre tombaient en une longue frange du coté gauche de son visage et renforçaient son air de loubard. Elle était assise, le dos un peu courbé dans une pose très garçon manqué. Ses épaules dénudés laissaient paraître une ossature un peu grossière et les veines qui serpentaient sur ses avant-bras accentuaient son allure masculine. Un tatouage à la symbolique mystérieuse trônait sur le haut de son bras droit pour renchérir son sens de la controverse. Et moi, je ne détachais plus les yeux de cette photo maudite, complètement absorbée par l’androgynie de personnage fascinant.
Une sorte d’érotisme violent se dégageait de toute sa personne. Je m’en rendais bien compte maintenant qu’à chacun des regards que je lui portais, mon ventre frémissait d’un émoi que je ne connaissais pas encore. Luciféra me conviait silencieusement à de drôle de noces, d’étranges banquets solitaires pendant lesquels je me réjouissais des images qu’elles suscitait en moi, pendant lesquels je me repaissais des fantasmes qu’à son insu elle semait dans mon corps. Elle me devint si familière que bientôt je délaissai la société qui m’entourait pour me retrouver dans l’intimité singulière que j’avais créé avec elle. Mon calendrier ne me quittait plus. Je le posais sur mon bureau le matin puis je le remettais dans ma valise le soir en quittant le travail. Je ne mangeais presque plus, passant la plupart de mon temps à la contemplation de cette souveraine égérie. Chez-moi, elle se déplaçait avec moi, sur le canapé, sur la table de chevet, dans le cabinet et parfois même sous les couvertures. Mon corps me brûlait à un point tel que je me masturbais plusieurs fois le soir, incapable de venir à bout de cette brûlure me dévorant.
Un soir, épuisée par cette routine qui me pesait, je décidai de jouer le grand jeu et d’en finir avec Luciféra. Depuis un certain temps, il me suffisait de regarder la photo pour mouiller abondamment. J’étais si excitée, je me tringlais avec tout un échantillonnage de godes, espérant que l’un d’eux me ferait jouir enfin et me délivrerait du fantasme obsédant de Luciféra. Je sortis la photo du cadre et je la traînai soigneusement sur le satin de ma peau. Je ne négligeai aucun endroit. D’abord ma bouche se posa sur les lèvres capiteuses et incroyablement douces de Luciféra. Je l’embrassai avec une fougue redoutable, ma langue forant désespérément dans un espace vide et pourtant je sentais toutes les joies que m’auraient apporté le contact réel de ce baiser. Puis la photo savoura la chair odorante de mon cou, de ma nuque, considérablement exaltée par les images qui défilaient dans mon esprit. Ma vulve réagissait vigoureusement, je la sentais non seulement noyée d’envie mais elle tressaillait sous les coups de cette langue prétendue. Lorsque le papier buta sur mes aréoles, j’eus un choc. C’est comme si la bouche enveloppante de Luciféra venait de s’emparer des chatons ornant mes seins et je dus m’agripper aux draps pour ne pas défaillir. Des dents chimériques me déchiraient le bout du sein et une douleur délicieuse me dardait le clitoris. Et la photo reprit son exultant voyage sur le territoire perturbé qu’était devenu mon corps. Mon ventre ainsi que le creux de mes reins rendirent honneur au contact illusoire de Luciféra. Je pouvais supposer le poids de son corps sur moi et je pouvais même ressentir les mouvements inexistants de son bassin entre mes cuisses. Puis lorsque la photo eut terminé vaillamment son périple entre mes fesses, (ce qui m’avait fait presque crier tant le choc du papier, transformer par ma tête malade en chair mensongère, avait été puissant) j’hésitai un moment avant de la diriger sur ma vulve extasiée. Je tentais de reprendre mon souffle, je me sentais démunie, dévastée par trop de sensations et ce bouillonnement d’émotions me rendait quasiment liquide.
Je me dis pourtant qu’il me fallait aller jusqu’au bout, que je devais absolument mettre un terme à cette folie. Ma main se raidit sur la photo et je la fit glisser doucement, très doucement dans la fente étroite de mon sexe, de sorte que les lèvres fantomatiques de Luciféra puisse à la fois goûter mon joyau interdit aussi bien que les rives de mon gouffre d’amour. Je renversai les yeux, une vague de salive me remplissait la bouche, je peinais à respirer convenablement et mon cour s’agitait dans ma poitrine avec une frénésie d’enfer. N’en pouvant tout simplement plus, j’attrapai un gode, le plus performant de ma collection, et je fichai la photo dessus. Elle était si trempée qu’elle colla au gode mais je pris bien soin de l’encapuchonner d’un préservatif. Ainsi, je vrillai en moi l’intégrale de Luciféra. Elle était là, elle vivait dans mes entrailles, l’utopique Luciféra, ondoyant dans mon corps et, sentant enfin l’orgasme poindre, je pris conscience de toute la gravité de cette fantasmagorie. Dans le même instant, une vague de cyprine surgit de mon vagin et mes yeux s’emplirent de larmes. Je jouissais avec des tremblements impossibles, mon esprit sombrait, vacillait. Un furtif éclair de lucidité me fit alors reprendre la photo de Luciféra. Je la chiffonnai et l’engloutit dans ma bouche. Après l’avoir mâchée et réduite en une pâte comestible, je l’avalai et ce fut la fin d’un rêve. Je suis désormais Luciféra.