HISTOIRE écrite en partenariat avec Nicky Gloria

Paris, XVI arrondissement, près du Trocadéro.

Le 10 Mars 2011.

Tournant le dos à la large baie vitrée qui lui permet de découvrir le cours sinueux de la Seine, Lucrèce Gallis prend la tasse de café que lui apporte sa jeune secrétaire. Depuis six ans quelle est directrice de lAgence Immobilière, ses journées commencent toujours de la même manière : une bonne tasse de café devant les dossiers en cours. Avant de convoquer tous ses employés pour faire le point sur les priorités de la journée. Un rituel quelle ne tient pas à modifier pour tout lor du monde. Il ny a que les secrétaires et les commerciales qui changent

— Désirez-vous autre chose, Mm Gallis.

Oui, Lucrèce désire bien dautres attentions que sa secrétaire ne peut pas, hélas, lui offrir. Des services très particuliers Entre femmes.

Rêveuse, elle regarde la jolie femme qui vient de lui poser la question. Les beaux yeux effrontés contrastent délicieusement avec la douceur innocente du visage. Un air angélique et sage que dément la silhouette pulpeuse aux formes affriolantes. Les longs cheveux noirs qui cascadent en boucles rebelles sur les épaules ajoutent un aspect sauvage et farouche très piquant. Et que dire de sa démarche ondulante lorsquelle se déplace Petite mais admirablement proportionnée, souvent mise en valeur par des jupes ni trop longues ni trop courtes, juste ce quil faut pour dévoiler à peine ses splendides cuisses galbées Et laisser limagination deviner le reste. Or, justement, Lucrèce, ne cesse de passer des nuits blanches à fantasmer sur sa nouvelle secrétaire. A imaginer toutes les folies possibles, depuis le premier jour de son embauche, il y a quatre mois de cela.

A regret, elle répond à sa question.

— Merci, Nadia. Pas pour linstant.

La secrétaire esquisse une moue boudeuse et va faire demi-tour lorsque Lucrèce linterpelle au dernier moment.

— Une seconde, Nadia.

— Oui, Madame.

— Jaime beaucoup ce que vous portez, cest toujours chic, élégant, et strict Un peu trop strict justement, si vous voyez ce que je veux dire Un peu plus daudace et de légèreté ne seraient pas superflu, les clients en seraient sensibles, ce que je comprends parfaitement Nous vendons du rêve, du luxe, du glamour, à une clientèle très aisée, et nous devons représenter au mieux cette part de rêve en mettant tous nos atouts en valeur. Et, ma chère Nadia, vous possédez justement de beaucoup datouts.

— Cest gentil, Madame Je ferai des efforts vestimentaires, cest promis.

Elle devient rouge comme un pivoine et Lucrèce trouve cela charmant. Décidément, cette fille lui plaît de plus en plus.

— On dirait que cela vous gêne ?

— Non, pas du tout Enfin, oui, un peu Je suis issue dune famille très catholique et cela laisse des traces indéniables sur mon comportement. Jai du mal à me lâcher et à porter des choses trop sexy, mais je peux faire des efforts si vous me le demandez

— Laissez donc votre famille et votre éducation rigide de côté, pas de ça si vous voulez réussir dans mon agence. Il faut savoir casser ses tabous et ses préjugés pour avancer et persévérer. Et, justement, en parlant de réussir, est-ce que vous seriez disposée, à loccasion, à faire des heures supplémentaires de temps à autre. Le marché explose et jai besoin de tous mes collaborateurs pour répondre à la demande.

— Aucun problème.

Lucrèce a la voix un peu rauque en posant lautre question qui lui brûle les lèvres.

— Même durant les fins de semaine ? Ou tard le soir ?

Nadia bat des cils en rougissant furieusement, mais soutient son regard.

— Toujours aucun problème. Jai besoin dargent et le travail ne me fait pas peur.

— Nous pourrions des fois nous déplacer en province, dans des grandes villes en pleine expansion, et être obligées alors de dormir sur place, dans des hôtels. Je ne voudrai surtout pas que cela pose des problèmes avec votre fiancé.

Nadia se tortille avec embarras.

— Mon fiancé ne dira rien si cest pour la bonne cause. Et ce nest pas comme si je partais avec un homme. Vous êtes une femme et il na donc rien à craindre.

Lucrèce ne peut sempêcher de sourire. Comme cette jeune femme est ingénue ! Si elle connaissait ses véritables intentions, la pauvre partirait en hurlant pour se réfugier dans la première église venue. Le nombre de pêchés quelle a envie de partager avec cette délicieuse et naïve créature dépasse lentendement. Elle déglutit difficilement alors que des images érotiques viennent la hanter.

— Des fois il faut savoir se méfier aussi des femmes. Ce sont souvent les plus dangereuses. Surtout par les temps qui courent, avec lévolution des murs

— Bien sûr, vous voulez parler des lesbiennes ! Oh, mais je sais quavec vous je ne risque rien, Madame Jai entendu parler de vos projets de mariage. Justement, à ce sujet, je vous félicite, tous mes vux de bonheur.

Une douche froide naurait pas fait plus deffet. Lucrèce se ferme comme une huître, faisant voler en éclats tous ses fantasmes.

— Oui, merci Enfin, rien nest fait.

— Vous désiriez me dire autre chose, Madame ?

— Non, cest bon. Vous pouvez disposer, merci.

Nadia lui adresse un ravissant sourire et fait demi-tour. Lucrèce la suit des yeux en se passant lentement la langue sur les lèvres. Bien que discrète, sa façon donduler en marchant lui donne des picotements au creux de lestomac. Bon sang, le balancement de ses hanches lui donne le vertige ! Cette fille est une bombe à retardement et des envies détreintes impudiques refont surface aussi rapidement. Il y a longtemps quune femme ne lui avait plus fait autant deffet. Sa voix est caverneuse lorsquelle sécrie trop précipitamment.

— Nadia, attendez sil vous plaît

Surprise, celle-ci fait volte face et la regarde de ses grands yeux candides.

— Oui ?

Fermez la porte derrière vous.

Les autres employés ne sont pas encore arrivés mais elle ne veut prendre aucun risque.

Interloquée, Nadia sexécute.

— Venez prés de moi

Là encore, sa secrétaire obéit mais son visage exprime lincompréhension la plus totale. Mais Lucrèce sen moque. Elle sent de nouveau les démangeaisons au bout des doigts en la voyant approcher et une onde de chaleur la submerger. Nadia sarrête à quelques centimètres delle. Elle reste droite, tendue, un peu cambrée aussi, ce qui met en valeur sa chute de reins vertigineuse et son buste en avant. Les vêtements ne peuvent alors dissimuler la perfection de ses courbes, et Lucrèce a limpression den deviner tous les contours. Cette fille a un corps de déesse Fait pour lamour, avec une taille élancée, des seins fermes et orgueilleux, des fesses rondes et cambrées… Tout pour attiser le désir, en totale contradiction avec son visage de femme-enfant à la fois sage et romantique. Lucrèce se demande si, au lit, elle laisse de côté son air timide pour dévoiler au contraire un tempérament fougueux. Son désir monte de plusieurs degrés.

— Pour en revenir à vos choix vestimentaires, ne le prenez pas mal Cest plutôt un compliment. Avec un corps comme le votre, il faut savoir le mettre en valeur

Sa voix sest enrouée. A travers les vêtements, elle sent palpiter le corps chaud et souple de la superbe brune qui reste tétanisée. Lucrèce, très grande, la dépasse de quelques centimètres, et en tournant autour de sa secrétaire elle a limpression dêtre un prédateur se penchant sur sa proie. Un sentiment qui nest pas pour lui déplaire Son employée nen paraît que plus fragile et vulnérable. Une lueur dappréhension luit au fond de ses grands yeux, ce qui la retient de glisser une main sous son chemisier comme elle en meure denvie. Dommage La poitrine agressive de sa secrétaire attire autant les regards que les caresses, et la façon dont les pointes se tendent avec orgueil sous le tissu est un appel au viol. Brûlante de fièvre, elle imagine ses doigts glisser sur la chair nue et frémissante

Sa main gauche se pose sur le ventre de sa jeune secrétaire, en une caresse à peine appuyée, tandis que lautre se glisse dans le dos, en haut de cette chute de reins qui lui donne le vertige.

Nadia se crispe, respirant un peu plus vite. Prudente, Lucrèce se fait douce et enjôleuse, la berçant dune voix onctueuse, presque un murmure :

— Cest votre fiancé qui en a de la chance. Jespère quil en est conscient au moins

Sa voix est de plus en plus rauque alors quelle se déplace derrière elle, la frôlant insidieusement. Ses deux mains sont descendue sur les hanches, comme pour mesurer la taille. Mais lune dentre elles, assez vite, descend plus bas, à la limite de la jupe fendue, effleurant le haut dune cuisse ferme et racée.

La respiration de Nadia sest arrêtée. Elle ne fait rien pour la repousser mais elle se crispe davantage. Elle reprend son souffle en prenant enfin la parole.

— Mon fiancé nest pas de cet avis. Il nest pas loin de me quitter

— Quel idiot ! Et pourquoi donc ?

— Je suis frigide. Totalement frigide. Mon fiancé ne le supporte plus et je le comprends

La main de Lucrèce se retire comme si un serpent allait jaillir dentre les jambes de sa secrétaire. Cet aveu la refroidie aussi efficacement quune douche glacée.

— Je suis désolée pour vous Cela cela ne doit pas être facile, bafouille Lucrèce en reculant comme si elle venait dapercevoir le Diable en personne.

Sous le choc, elle se retranche derrière son bureau, se laissant tomber sur sa chaise.

Nadia lui adresse un triste sourire.

— Cest un lourd fardeau que je porte, et un véritable enfer pour mon fiancé, comme les autres hommes avant lui dailleurs Une vraie malédiction. Je suis navrée Je vous devais la vérité.

Lucrèce narrive pas à le croire. Quel gâchis !

Comme cherchant à vider son sac, Nadia déverse son malheur sur un ton geignard.

— Jai consulté deux spécialistes. Sans aucun succès. Mais le dernier avec qui je suis en traitement un docteur très renommé et reconnu ma laissé entendre que mon cas nétait pas désespéré. Il est sur une piste, la voie de la guérison peut-être

Lucrèce écoute à peine. Maintenant que cette idiote a brisé ses illusions, réduisant à néant tous ses fantasmes, son sort lui importe peu. Elle lennuie même franchement avec toutes ses révélations. Mais, par politesse, elle lève ses yeux sur elle pour senquérir :

— Oui ? Et quel est le traitement miracle de ce bon et renommé docteur ?

Cynisme et mépris, voilà les sentiments que sa secrétaire lui inspire maintenant. Heureusement, cette dernière ne comprend pas. Elle se tortille de gêne, baissant son regard en rougissant.

— Il pense que je suis frigide à cause des hommes. Parce que je suis certainement une lesbienne refoulée, et que seule une femme peut provoquer un déclic et me libérer de ma frigidité.

Là, Lucrèce en reste la bouche béante. Avec limpression quon lui déverse de la lave bouillante sur tout le corps. La bouche sèche, elle croasse péniblement :

— Je je ne sais pas quoi dire. Et pourquoi me dire tout cela ?

Nadia bat des cils dun air confus en levant son regard sur elle.

— Parce que japprécie votre présence et que je me sens bien avec vous Trop bien, même, et cela me trouble beaucoup.

Une boule de feu au creux du ventre, Lucrèce se lève. Le désir qui la possède charrie du sang en fusion dans ses veines. Les jambes tremblantes, elle va pour la prendre dans ses bras lorsque quune voix masculine, de lautre côté de la porte, sécrie avec force :

— Ohé ! Il y a quelquun ?

Cest Lucien, le plus ancien des employés. Toujours ponctuel celui-ci Pour une fois, cet imbécile aurait pu sautoriser un retard exceptionnel

Nadia esquisse un sourire dépité à sa patronne avant de sortir de son bureau.

En sueur, Lucrèce admire la grâce de sa démarche le plus longtemps possible.

La porte qui se referme ninterrompt en rien ses rêveries érotiques

David se renverse en arrière et éclate de rire :

— Non, cest pas vrai ! Tu lui as dit que tu étais frigide ?

Il rit tellement que la chaise sur laquelle il est assis grince dangereusement.

Nadia lui sourit avec malice en répondant :

— Oui, et cest venu comme ça, de but en blanc ! Écoute, il fallait bien que je trouve quelque chose pour calmer ses ardeurs !

— Oui, mais quand même ! Cest là un sacré mensonge, tu devrais avoir honte !

— En tout cas, cela a fonctionné. Elle était prête sinon à me sauter dessus comme une tigresse affamée.

Tout en parlant, elle pose sur la table de la cuisine deux tasses de café, un chocolat chaud, et un panier avec croissants et pains grillés.

David hoche la tête avec incompréhension. Il se lève pour terminer de nouer sa cravate dans le reflet du micro-ondes. Lui tournant le dos, il ne cesse pas pour autant de parler :

— Écoute, on en a suffisamment discuté, mais je trouve que tu joues là un jeu dangereux. Et lui dire ensuite que tu es sans doute une lesbienne qui signore ! Là, tu y vas fort ! Si ce nest pas de la provocation !

— Il fallait bien que je réveille son intérêt après cette douche froide ! Je ne dois surtout pas la décourager. Et, quand elle fera son faux pas, je dois en avoir la preuve. La filmer à son insu lorsquelle me fera des avances beaucoup trop flagrantes pour ne pas être contestées par qui que ce soit. Surtout par mon père.

David se retourne et lui jette un regard glacial.

— Tout cela ne te ressemble pas Cela va à lencontre de tes principes. Tu es une femme honnête, droite, une incurable romantique, rien à voir avec ce rôle dallumeuse que tu tefforces de jouer.

— Le destin en a décidé autrement, je nai pas le choix.

— Tu es une vraie tête de mule alors je ne chercherai plus à te dissuader Mais ta méthode nest sans doute pas le meilleur moyen pour la piéger. Je pense quil y a dautres solutions

Elle lobserve avec tendresse. Elle le trouve encore plus craquant lorsquil prend cet air contrarié. Fraîchement rasé et élégant dans un costume gris anthracite admirablement coupé, David est un bel homme, brun aux yeux marrons clairs, svelte et athlétique. Son fiancé, le père de son enfant. Et, même sil a sans doute raison, Nadia est décidée à ne pas faire marche arrière. La machine est en route. Jamais elle na été si déterminée. Et prête à tout pour parvenir à ses fins, usant de mensonges et de manipulation dans la plus grande immoralité, ce qui allait à lencontre de son éducation, comme venait si bien le dire David

Peu importe. Cétait pour la bonne cause. Sauver son père dun mariage désastreux et de la ruine.

Ce dernier, veuf depuis huit ans, était tombé amoureux de Lucrèce Gallis, rencontré à un vernissage. Jusquici, rien danormal Sauf que son père était le plus éminent et richissime chirurgien esthétique de Paris, et surtout lhomme le plus convoité par toutes sortes de femmes vénales et croqueuses de dot. Un coup de foudre brutal et des projets davenir aussi soudain avaient vite éveillés les soupçons de Nadia, toujours aussi prompte à protéger son père et ses intérêts. Ainsi, sans connaître Lucrèce, elle avait fouillé son passé. Deux mariages et deux morts accidentelles des maris. Etrange coïncidences où la veuve éplorée avait à chaque fois hérité de grosses fortunes. De quoi se poser des questions mais pas suffisamment pour remettre en doute la moralité de Lucrèce. Surtout que les morts étaient à chaque fois naturelles, et classées sans suite par la police. Mais, pour Nadia, l’imagination s’était enflammée Et sil sagissait de meurtres déguisés en accidents ? Et si Lucrèce était une mante religieuse qui se débarrassait sournoisement de ses maris milliardaires pour toucher le pactole ?

Aussi, en fouinant un peu plus, Nadia avait eu vent du suicide raté dune de ses meilleures amies, effacée ensuite de son cercle damis comme si son acte était suffisamment honteux pour mettre un terme définitif à une amitié vieille de douze ans. Intriguée, Nadia avait suivie la piste de cette mystérieuse amie, pour finalement la rencontrer. Et en rester abasourdie.

Lamie en question avait tenté de mettre fin à ses jours par amour. Par amour pour Lucrèce, avec qui elle vivait une passion secrète et tumultueuse depuis six ans, à linsu de tous.

Ainsi, Lucrèce était lesbienne, ou bisexuelle, peu importe Et une tueuse aussi vénale quimplacable. Tous ses mariages étaient mensonges et duperies. Pour sacquérir une partie de leur fortune. Et, de son vivant, Nadia empêcherait cette femme de nuire à son père, lhomme quelle chérissait le plus au monde. Devant le refus de lamie à témoigner ou à comploter contre son ancienne amante, Nadia avait été seule pour faire entendre raison à son père. Un combat perdu davance On ne peut lutter contre les affres dun amour aveugle. Son père était envoûté, éperdument amoureux de Lucrèce, enchaîné corps et âme. Mais Nadia nétait pas du genre à baisser les bras. Elle sauverait son père contre son gré.

Aussi lidée de piéger Lucrèce était venue naturellement, servir appât, réveiller chez Lucrèce de vieux démons en la séduisant. Et, lorsque celle-ci ferait le faux pas, tout filmer.

Lucrèce naurait plus alors le choix. Larguer les amarres en abandonnant ses projets de mariage si elle ne voulait pas que la vidéo la compromettant finisse entre les mains de lhomme sur lequel elle tissait sa toile. Un plan simple et efficace. Cela ne prouverait en rien les meurtres de ses anciens maris, mais dévoilerait au moins au grand jour sa malhonnêteté et tous ses mensonges. Suffisamment pour léloigner de son père. Et, qui sait, en la poussant dans ses derniers retranchements en usant de charme pour la rendre folle damour, elle réussirait peut-être à la pousser aux confidences, toujours avec la vidéo à lappui. Un jeu très dangereux, elle en est consciente.

Senfoncer elle aussi dans le mensonge pour prendre cette femme à son propre piège. Franchir certaines barrières dont elle ignore tout.

— Ne tinquiète pas, je resterai prudente. Je lallume un peu, cest tout, pour la pousser à la faute

— Qui joue avec le feu Enfin, jespère quelle est moche, ce qui limite les risques.

— Les risques ?

— De ty brûler !

— Aucun risque. Belle ou moche comme tu dis, cest une femme et je nai jamais été attirée par les femmes.

— Et celle-ci, elle est comment ?

— Assez belle, je dois le reconnaître. Grande, sexy, très distinguée. Brune aux formes plantureuses. La classe de la tête aux pieds. Très coquette et narcissique aussi

— Formidable ! Et cela ne tinquiète pas ? Enfin, cela dévoile une autre facette de ta personnalité.

— Ah ? Laquelle ?

Le regard de David pétille de malice.

— Ce côté sombre de ta personnalité. Sulfureuse et manipulatrice

Il préfère ironiser. Malgré tous ses efforts pour la dissuader de mettre son plan à exécution, et au nombre dincessantes disputes, il a compris quelle ne changerait pas davis. Cétait chez elle une vraie obsession, son combat, au point davoir pris un congé sans solde de deux mois elle était secrétaire médicale et sêtre inventée une fausse identité, un faux curriculum vitae, pour se faire embaucher dans lAgence Immobilière de cette Lucrèce Gallis. Cette détermination forçait le respect. Il avait alors compris que la douceur tranquille de Nadia était avant tout lexpression de sa force.

Alors, maintenant, autant prendre toute cette affaire à la légère

— Luc, le petit déjeuner est servi ! Dépêches-toi, tu vas être en retard à lécole.

Cest Nadia qui vient de crier depuis le seuil de la cuisine.

De petits pas dévalent les marches en trombe avant le claquement dune porte. Inquiète, elle se tourne vers son fiancé.

— Il a toujours ses maux destomac. Je vais reprendre un rendez-vous, ce nest pas normal Son traitement est inefficace.

Le téléphone qui sonne à ce moment loblige à sortir de la cuisine. David engloutit son café, se lève et remet le bol de chocolat chaud de leur fils dans le micro-onde. Trente secondes, pas plus A cet instant, Nadia jaillit dans la cuisine, lui intimant dun geste nerveux à éteindre le micro-onde qui fait trop de bruit. Intrigué, il sexécute. Il comprend que quelque chose ne va pas. Sa fiancée semble agitée, le portable collé à loreille dune main crispée.

— Oui, bien sûr, Madame Je marrangerai pour me libérer Aucun souci, je serai prête.

Puis elle reste sans voix avant de balbutier :

— Trois jours ? Cest cest long Oui, bien sûr, je comprends

Elle laisse planer un long silence avant de lâcher dans un soupir :

— Daccord. Vous pouvez compter sur moi.

Elle éteint son portable puis observe longuement son fiancé qui lui rend son regard, tout aussi perplexe.

— Le piège se referme, ça y est ! Elle a besoin de mes services pour un déplacement à Chartres, un gros contrat quelle veut être la seule à négocier, et qui nécessite apparemment deux à trois jours de présence sur place.

Il est aussi inquiet quelle est nerveuse et excitée Oui, cétait cela, la situation semblait lamuser, une dose de danger aussi excitante quinquiétante.

— Et bien, ta petite comédie a fait son effet, commente t-il avec dépit. Elle na pas tardé à trouver un prétexte bidon pour téloigner et se retrouver seule avec toi.

— Ne tinquiète pas, je gère. Dans cette histoire, cest moi qui tire les ficelles et qui mène la danse.

David ne dit rien. Sa fiancée est littéralement inconsciente, ayant la fâcheuse tendance à pécher par excès de confiance. Et il nest vraiment pas certain quelle contrôle aussi bien la situation

Dans les environs de Chartres, deux semaines plus tard.

Un hôtel de charme, véritable moulin qui élève sa façade ocre au -dessus de la rivière de lHuisne, au cur dun parc ombragé.

Romantique, tranquille, cest un écrin de verdure idéal pour les amoureux.

Un charme qui laisse Nadia indifférente.

La chambre est aussi conviviale et reposante, spacieuse, mêlant pierres et poutres en bois dans des tons chaleureux.

Cest celle de Nadia. Lucrèce a la même, juste en face, mais vient de trouver un faux prétexte pour la rejoindre.

Elle veut laider à trouver une tenue appropriée pour un dîner dans un restaurant gastronomique, en plein centre- ville.

Rachel nest pas dupe. Nadia est sur des charbons ardents, impatiente de la conquérir, et tout va se jouer dans les minutes qui viennent.

Elle a fait ce quil fallait pour la mettre dans un tel état.

Auparavant, dans la chambre de Lucrèce, elles ont fait quelques essayages. En toute innocence, comme deux amies qui séchangent leur secret de toilette et leurs atouts de séduction. Sauf que les regards gourmands de Lucrèce navaient rien dinnocents. Ses yeux embués de désir en disaient longs sur ses véritables envies. Et Nadia avait feint de lignorer, jouant la carte de linsouciance, tantôt effrontée ou pudique, espiègle ou ingénue, le feu et la glace Pour un cocktail explosif qui létonnait elle-même. Tout cela était si étranger à sa vraie nature. Depuis quelle avait laissé derrière elle sa petite vie trop tranquille, seule dans sa quête de vérité et de justice pour confondre cette femme, létrange sensation de tourner le dos à son fiancé se faisait plus pressante, comme si une part delle-même, essentielle, prenait une tournure définitive. Comme un point de non-retour quelle est incapable dexpliquer. Est-ce parce quelle se prend au jeu de cette mission solitaire ? Ou est-ce le fait de se sentir désirable et audacieuse, dévoilant des ombres de sa personnalité dans cette troublante partie de séduction ? Elle ne le sait pas. Comme elle préfère ignorer la beauté vénéneuse de sa patronne qui, en tenue sexy ou en sous-vêtement, est dune redoutable beauté. Comme le disait si bien David, les choses seraient plus faciles si Lucrèce était « moche ». Ce qui est loin dêtre le cas

Alors, lorsque Lucrèce sest montrée de plus en plus entreprenante, la poussant à aller plus loin dans leurs poses suggestives en sous-vêtements, elle avait compris quil était temps de battre en retraite, regagnant au plus vite sa chambre. Là où elle a installé le caméscope, caché sous une pile de vêtements, objectif braqué sur le lit, dans un placard légèrement entrouvert.

Tout est en place. Elle enclenche vite lenregistrement du caméscope avant que Lucrèce ne jaillisse dans sa chambre. Car celle-ci, dans un état de surexcitation incontrôlable, ne va pas tarder à apparaître.

Anxieuse, elle laisse un soupir résigné. Voilà, cest fait. Elle ferme les yeux, serre les poings. Sa gorge se noue en même temps quelle sent les larmes jaillir et elle lutte de toute sa volonté dun « non » étouffé et rageur.

Il est trop tard pour reculer, elle doit aller jusquau bout.

Elle sursaute imperceptiblement lorsque la porte souvre derrière elle, laissant pénétrer les effluves capiteux dun parfum féminin, celui de Lucrèce.

Au bruit du verrou qui déclenche la fermeture de la porte, elle sent sa gorge se serrer. Le clic à peine audible, si anodin, sonne comme un glas.

« Cest le moment » soupire t-elle intérieurement. « Seule et enfermée dans cette chambre avec une femme aussi dangereuse que manipulatrice. »

Elle ne se retourne pas, cherchant à contrôler ses émotions. Garder la tête froide coûte que coûte.

Elle sent la présence de Lucrèce derrière elle mais lignore. Elle reste toujours impassible lorsquelle se colle contre son dos, sappuyant un peu plus sur elle en posant sa main sur son ventre de la façon la plus naturelle.

— Nadia, jai tellement envie de toi lui susurre Lucrèce au creux de loreille.

Là, Nadia ne peut plus feindre lignorance. Il est temps de laffronter, marquer la surprise. A contre cur, elle se retourne.

— Que dites-vous, Madame Gallis ?.. Je ne comprends pas.

— Appelle-moi Lucrèce, je te lai déjà dit Nous sommes des amies maintenant.

Elle sapproche encore, légère, et un parfum capiteux enveloppe Nadia. Elles se font face et Lucrèce en profite pour se serrer davantage contre sa secrétaire qui a le dos plaqué contre le mur. Elle samuse à la provoquer en lui emprisonnant une cuisse entre les siennes. Nadia écarquille les yeux de stupeur, incapable de se reculer. Lucrèce tremble comme une jument en rut, collée à elle, entourée par le tournoiement de sa chevelure. Pourtant, il lui faut sapprocher du lit, là où tout se filme. Heureusement que le caméscope enregistre aussi le son dans une très bonne qualité stéréo. Elle doit la faire parler le plus longtemps possible

— Mais, Madame Vous aimez les hommes, vous allez vous marier !

— Les hommes ne mintéressent pas, ce sont tous des gros porcs totalement nuls au lit ! minaude Lucrèce en lui adressant un clin dil. Mais les femmes, elles, au lit sont divines, les meilleures amantes que jai connues

Dune secousse de la tête, elle chasse ses cheveux de jais de ses épaules et la fixe de ses yeux de braise. Nadia, fascinée, imagine alors une vampire cherchant à lhypnotiser, pour mieux lui soutirer toute son énergie. Elle tente déchapper à son emprise.

— Mais pourquoi vous marier alors ?

Difficile dengager la conversation alors que lautre ne cesse de chercher à vous embrasser. Tortillant la tête au risque dattraper un torticolis, Nadia y parvient. Mais elle ne peut empêcher les baisers et les coups de langue sur sa joue, son cou, son menton, le tout prodigué avec une telle sensualité quil lui est de plus en plus difficile de rester concentrée. Elle sursaute malgré elle lorsque Lucrèce réussit à lui mordiller le lobe de l’oreille.

Et dissimule un sournois frisson de volupté derrière un masque de dégoût.

Lucrèce, sans se décourager, finit par lui répondre :

— Nadia, je naime pas les hommes. Seul leur sale fric mintéresse, cest tout.

Sa langue agile continue de titiller et taquiner, provoquant chez sa proie une attitude de plus en plus nerveuse et crispée.

Mais ce n’est pas un sacrifice vain. En effet, le poisson mord à lhameçon. Sa première victoire, des aveux sur son homosexualité exclusive. Mais cela ne suffit pas, Nadia veut forcer la chance. Elle sefforce dignorer la femme qui se colle de plus en plus étroitement à elle, le corps parcouru de frissons.

— Vous les épousez seulement pour leur fortune ? Il y a donc eu déjà plusieurs mariages ?

— Oui, mais peu importe Cest toi que je veux, maintenant.

Percevant avec trop de précision la chaude pression des seins épais contre sa poitrine, Nadia cherche à la repousser mais elle saccroche fortement à elle. Cette garce est une vraie bombe incendiaire. Elle la regarde au fond des yeux et voit en eux une avidité prédatrice. Parfait, elle montre son vrai visage, quil faut immortaliser par le biais de la vidéo. Mais, en même temps, cela la fige dune peur sans nom. Cette femme est redoutable, une véritable mante religieuse qui veut se nourrir de toute substance érotique. Ce quelle désire, en plus de linitier à des plaisirs interdits, cest anéantir toutes ses certitudes hétérosexuelles, ses repères, son âme Alors que Lucrèce sexcite de plus en plus, sourde à sa résistance, Nadia réussit à se rapprocher du lit, titubante alors que lautre la maintient toujours comme une pieuvre affamée. En même temps, elle réfléchit à toute allure. Pour les aveux, cela nira pas plus loin, Lucrèce nétant plus en état de parler. Alors il lui faut démontrer que Lucrèce est aussi cette prédatrice prête à tout pour parvenir à ses fins. Une femme qui fait de labus de pouvoir, usant de son autorité pour corrompre une jeune femme innocente. Nadia commence alors à protester malgré la bouche pressante qui cherche la sienne.

— Non, Madame, je vous en prie Pas ça, je ne veux pas !

Autant parler à une sourde. Lucrèce sest arrangée pour placer son pubis et ses seins à la hauteur de sa partenaire, se frottant langoureusement en ouvrant une jambe afin de se coller plus étroitement à elle. Du grand art. La grâce menaçante dune lionne affamée Qui la pousse vers le lit pour se repaître de sa fraîcheur et son innocence…

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