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Eric, Julie et moi – Chapitre 12




La vie continuait. Les enfants grandissaient. Enfance, adolescence où la crise fut minime.

Jusquau drame.

Ce jour là, je rentrai plus tôt. Jentendis du bruit venant des chambres. Pensant à un cambrioleur, je mapprochai doucement, le téléphone à la main en train de composer le numéro de Police secours.

Le bruit venait de la chambre de Manon.

— Manon, cest toi ?

Pas de réponse mais un grand remue-ménage.

— ne bougez pas, jai appelé la pol

Ce nétait pas Manon, mais Ethan dans les fringues de sa sur.

Jéclatai de rire. Je me revis un peu plus de trente ans plus tôt dans la même position dans la chambre de ma mère. Sauf quelle ne ma jamais prise sur le fait.

Ethan était tétanisé, incapable de bouger et de parler. Je luis fit signe de venir sassoir à coté de moi, pour parler.

— il y a longtemps que tu fais ça ?

— trois ou quatre ans, finit-il par avouer après avoir retrouvé un semblant de calme.

— et pourquoi tu fais ça ?

— je ne sais pas. Je me sens bien en fille.

— tu veux changer de sexe ?

Silence.

Contrairement à moi, mon fils nétait pas quun simple travesti. Le mal était plus profond.

— je vois. Change-toi. Je vais en parler à ta mère. Et on trou

— non, ne dis rien à maman, ni à Manon.

— Manon va attendre. Par contre ta mère va être au courant.

— mais elle va me tuer.

— pourquoi ferait-elle une chose pareille.

— tu imagines, son fils travelo ? Elle ne comprendra pas. Ce nest pas dans son éducation. Je ne pense pas que Papy et Mamie lui ait ouvert lesprit jusque là.

Jeus toutes les peines du monde pour retenir déclater de rire.

— change-toi, ordonné-je en quittant la chambre.

Bien sur, je racontai tout à Julie.

— tel père, tel fils, conclut-elle.

— je crois que ça va plus loin. Je pense que cest une transsexuelle qui ne veut pas se lavouer.

— il va falloir en parler en Eve.

— cest ce que je me suis dit aussi.

— on fait quoi en attendant ? demanda Julie.

— ce que tu as fait pour moi. Laider. Si on lui interdit, ça va être pire. Autant le canaliser.

— cest ce que je pensais.

— et puis, ce sera peut-être loccasion de leur parler dHélène.

— tu nattends que ça nest-ce pas ?

— oui. Et de te faire lamour aussi !

— gourmand !

— cest la pâtisserie qui se moque du restaurant là !

Le lendemain, Julie et moi prîmes Ethan en tête à tête. On lisait sur son visage la crainte de la réaction de sa mère.

— bien dit-elle en prenant son ton sec quelle navait non seulement pas perdu mais qui en plus terrorisait les enfants. Ton père ma tout dit.

Ethan se recroquevilla encore plus.

— je suppose que si on tinterdit de thabiller en fille, tu continueras quand même en cachette ?

Ethan ne répondit pas.

— Je tai posé une question ! dit Julie en haussant le ton.

— oui, répondit Ethan presque inaudible.

— bon, cest bien ce quon pensait. Donc si tu veux aller dans cette voie, autant quon taide un peu. Ça tévitera de faire tout et nimporte quoi.

Ethan restait abasourdi. Toujours dans la crainte de sa mère, il ne sétait pas rendu compte de quelle lui proposait.

— Ethan, tu as compris ce que jai dit ?

— quoi ?

— je te disais que si tu veux aller dans cette voie, autant quon taide un peu. Ça tévitera de faire tout et nimporte quoi.

Mon fils tomba des nues. Il semblait que le monde sécroulait sous lui. Non seulement sa mère était à lopposée de limage quil sen était faite, mais en plus elle lui proposait de laider.

— tu tu es sérieuse maman ?

— mais bien sur mon chéri. Quest-ce que tu imaginais ?

— je …non je

— laisse tomber. Viens on va dire ça à ta sur.

— cest obligé ?

— plutôt oui. Il va bien falloir quà un moment ou un autre, elle soit au courant. Et puis, tu ne vas pas rester en fille juste dans ta chambre.

Ethan fit grise mine.

On ne peut pas dire que Manon accueillit la nouvelle avec joie. Au contraire. En fait limage quEthan sétait faite de sa mère collait tout à fait à sa sur. Lidée même que son frère se travestisse était un non sens, une abomination. Pour elle les hommes, ne devait pas mettre de jupe.

Ethan était effondré. Julie voulait intervenir mais je larrêtai.

— ok, ok. On en reparlera plus tard.

— cest pas la peine, cracha Manon.

— oh, sur un autre ton sil te plait. Quand tu seras autonome, tu pourras la ramener.

Bien quelle soit majeure, Manon vivait sous notre toit et dépendait de nous pour ses études. Piquée au vif, elle fila dans sa chambre.

— frangin ! Tu évites de fouiller dans mes affaires, cria-t-elle de lautre bout du couloir avant de claquer la porte.

Je neus pas à attendre longtemps pour remettre laffaire sur le tapis. Manon sétait un peu calmée. Mais lorsquelle rentra ce soir là, je vis aussitôt que javais matière à la moucher. Je fis part de mon plan à Julie qui le trouva très bon.

Sans rien dire, jinstallai le caméscope que je branchai sur la télé et braquai sur le canapé sur lequel mes enfants étaient assis.

— mais quest-ce que tu fais ? demanda Manon.

— une expérience. Regardez-vous. Vous ne remarquez rien ?

Mes enfants scrutèrent lécran pendant de longues minutes, sans trouver la réponse.

— bon. Ethan. Va voir ta mère dans ta chambre.

— mais

— fais ce que je te dis.

Il revint un petit quart dheure plus tard et se rassit à sa place. Manon eut une moue de dégout. Ethan était maquillé, perruqué et arborait une petite poitrine.

— alors ? Vous ne remarquez toujours rien ?

Manon était horrifiée. Non pas parce que son frère sétait travesti, mais parce quil lui ressemblait comme deux gouttes deaux.

— tu vois Manon, si en maquillant Ethan, on en fait une fille, si on te coupe les cheveux, te démaquille et cache ta poitrine, tu ressembles à un garçon. Tu as beau sortir tes grands discours sur la séparation homme femme, il nempêche que tu thabilles comme un garçon. Et ça ne date pas daujourdhui. Donc, tu peux dire ce que tu veux, le premier travelo, cest toi.

Vexée par laffront, Manon se mit à pleurer avant de se réfugier dans sa chambre.

— tu veux rester comme ça ? demandé-je à Ethan.

— je peux ?

— bien sur, dit Julie. Autant thabituer dès maintenant. On fera ta garde-robe petit à petit. A propos, tu tes choisi un prénom de fille ?

— Mégane. Ethan Mégane, cest presque pareil à loreille.

— ok.

On passa à table. Manon refusa de se joindre à nous. Elle arriva plus tard totalement métamorphosée. Jupe courte, petit haut, ballerines, coiffée et maquillée avec soin.

— voila qui est beaucoup mieux, dit Julie. Pourquoi tu ne fais pas ça plus souvent ?

— parce que cest du travail.

— javoue, ça prend du temps. Mais cest quand même mieux que ton look de garçonne. Il te faut juste trouver un juste milieu entre les deux.

— je vais y réfléchir. Ethan, jai mis de vieilles fringues que je ne mets plus sur ton lit.

— merci Manon.

La semaine se termina. Le calme était revenu dans la maison. Manon commençait à digérer les dernières nouvelles et surtout, commençait à se remettre en cause.

Il était temps pour Hélène de faire son entrée dans la famille.

Je profitai de labsence de Julie partie faire du shopping avec son fils et de Manon à son cours déquitation.

Ce fut elle qui rentra la première et découvrit une femme occupée à ranger la cuisine.

— qui êtes vous ? Comment vous êtes entrée ? demanda-t-elle, pas vraiment rassurée.

Je me retournai.

— je vous ai posé une question ! insista-t-elle en brandissant sa cravache, ce qui me fit sourire intérieurement.

— et bien Manon !!

— P papa ???

— et oui ! Déçue ? Choquée ?

— je je ne sais pas. Elle le sait Maman ?

— bien sur. Elle ma connue comme ça en premier dailleurs.

Justement, Julie et Ethan arrivèrent à ce moment là.

— alors, tu as craquée, dis ma femme en membrassant.

— je te lavais dis, non ?

— parfait, tu pourras briefer ton fils maintenant. Moi, je suis épuisée.

Elle se laissa tomber dans le canapé et envoya valdinguer ses escarpins. Manon sassit en face.

Mon fils et moi partîmes dans sa chambre ranger tous les paquets.

Il y avait plusieurs tenues, du décontracté au chic, trois paires de chaussures, plates, moyennes et à talons hauts, plusieurs ensembles de lingerie sans oublier lincontournable porte-jarretelle et enfin, tout ce quil fallait pour se maquiller.

— tu sais te servir de tout ça ? demandé-je.

— pour les fringues, ça devrait aller. Mais cest le maquillage qui va être plus difficile.

— le mieux sera daller prendre des cours chez une esthéticienne.

— cest possible ça ?

— bien sur. Je te laisse te changer et tu mappelles pour le maquillage.

— bien papa.

Hélène retourna dans le salon où la mère et la fille discutaient.

— je lui racontai comment on s’était connu.

— oh. Tes pas couchée ma fille.

— et tu es vraiment tombée amoureuse de lhomme et du travesti ?

— oui. Cest bizarre, mais tu as lamant et la copine dans la même personne. Que rêver de mieux ?

— mouais répliqua Manon, sceptique.

— tu verras tiens à ce propos, pas de petit ami ? demanda Julie.

Manon piqua un fard.

— non, dit-elle. Je vais me doucher et me changer.

— là taurais pas du, dis-je à ma femme. Elle va encore faire la tête.

— cétait trop tentant. Humm, ma chérie, tu es toujours aussi belle.

— et toi tu es plus belle de jour en jour.

— flatteur !

— non cest vrai. Je taime

— moi aussi je taime.

— grrr ! Sil ny avait pas les enfants

— et alors ? Ils sont grands maintenant.

On partit dans la chambre pour faire lamour.

Et bien sur ce fut à ce moment là quEthan, ou plutôt Mégane, mappela pour la séance maquillage.

— vois avec ta sur ! Je suis occupé.

On continua sans se soucier de nos enfants. On avait mis nos vies entre parenthèses ou presque. Il était temps de les ouvrir. Et de pousser nos enfants à évoluer vers leur vie dadulte et faire leurs propres choix sentimentaux, professionnels.

Ethan se toqua la porte de sa sur, qui contre toute attente accepta de laider.

— maman ma dit quelle ferait du shopping avec toi la semaine prochaine, dit Ethan

— jai besoin de rien.

— elle ne veut pas que tu te sentes lésée par rapport à moi.

— je ne me sens pas lésée. Mais cest gentil.

Manon conseilla et guida son frère sans arrière pensée ni vengeance.

Manon et Mégane firent leur entrée dans le salon. On sétait nous aussi refait une beauté.

— eh pas mal, fit Julie.

— cest grâce Manon, dit Mégane.

— tu nes pas mal non plus, dis-je à ma fille. Tu devrais sortir plus souvent comme ça. Les garçons vont ne vont plus te lâcher.

Manon rougit violemment. Mais je remarquai le coup de coude de Mégane dans ses cotes.

— aurais-tu quelque chose à nous dire ?

— non rien, répondit lintéressée.

— euh, comment dire, on a aussi été ado nous aussi, rappela Julie.

— bon. Mais ça va pas vous plaire.

— ah bon ? Tant que ça ? Tu as tué quelquun ?

— mais non !

— ah, tout va bien alors. Bon, tu accouches ?

— voila, continua Manon, visiblement très embarrassée, les garçons ne mattirent pas du tout.

— tu préfères les filles ? demandé-je bêtement

— oui. Désolée.

— désolée de quoi ? Tu nas pas avoir honte de tes préférences. Regarde Anika et Maëva ou Marie et Clémence, ça ne leur pose pas de problème.

— oui mais vous espériez des petits-enfants.

— cest sur. Mais rien nest perdu. Rien ne tempêche davoir des enfants. Maëva est bien maman.

— mais que vont dire Papy et Mamie ?

— oh ne ten fait pas pour eux, continua Julie. Du moment que vous êtes heureux, heureuses, ils le seront aussi.

— pareil chez Papy et Mamie « sud ».

— mais moi, se plaignit Mégane.

— pareil pour toi. Ils ont très bien accepté Hélène, dit Julie.

— cest pas trop le cas pour papa et maman mais ils sy feront, tinquiète.

— vous ne men voulez pas que je sois homo, redemanda Manon.

— mais bien sur que non ! Tu as une petite amie alors ?

— oui. Elle sappelle Valentine.

— et toi, Mégane, tu savais ?

— oui. Je les ai surprises en train de sembrasser. Manon ma vu et ma tout raconté en me faisant promettre de ne rien dire.

— et toi Mégane ? Fille ou garçon ? demandé-je.

— je ne sais pas encore. Les deux ou ni lun ni lautre.

— et toi papa ? Tu es marié avec maman. Mais tu aimes les hommes aussi.

— oui, bien sur.

— comme moi, jaime aussi les femmes, ajouta Julie.

— quelle famille ! conclut Manon.

La semaine suivante, Manon nous présenta Valentine que lon adopta aussitôt. Elles sétaient rencontrées au centre équestre. Et si Manon tenait absolument à y passer du temps, ce nétait pas que pour la passion des chevaux.

Quelques mois plus tard, elles intégrèrent toutes les deux lécole vétérinaire de Maisons-Alfort.

Mégane devint rapidement une jeune femme très crédible, encore plus que je lai été. Même si elle ne voulait pas ladmettre, elle filait tout droit vers un changement de sexe.

Et cela arriva bien plus vite quon ne lavait imaginé. Car si on avait fixé des règles à savoir pas de travestissement en dehors des week-ends et vacances scolaires, Mégane passa outre. Et malgré notre interdiction, elle se rendit au lycée en fille. Autant dire quelle venait de donner un coup de pied dans une fourmilière.

Il fallut plusieurs entretiens avec le directeur, consulter un psy qui avalisa la transsexualité dEthan, demander le témoignage dEve et le temps aidant, la direction du lycée autorisa Mégane à poursuivre la scolarité dEthan. Ce qui eut un effet plus que visible sur ses notes et le bac quelle obtint avec la plus haute mention.

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