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Réconfort & vieilles dentelles VI. Les escarpins rouges – Chapitre 1




Comme je l’ai raconté précédemment (voir les chapitres précédents de Réconfort & vieilles dentelles) j’avais acheté une maison juste avant de me retrouver veuf.

Une fois passée la période de sidération et de tristesse, je m’étais un peu consolé avec des femmes qui m’avaient pris en pitié, et, ma foi, faute de mieux, les plaisirs charnels partagés avec des dames mûres m’avaient permis de remonter la pente et de retrouver la force de vivre.

 

Je commençais à avoir une liste de contacts téléphoniques assez longue, même si je n’avais pas vraiment besoin de les appeler, puisqu’elles connaissaient mon adresse ; me sachant seul et disponible, certaines comme mon agent immobilier, ou encore ma voisine d’en face, savaient bien où me trouver et ne se gênaient pas pour débarquer à l’improviste de temps en temps pour passer un moment agréable avec moi, pour ne pas dire se faire sabrer.

Mais ça, je l’ai déjà relaté.

 

Après plus de deux ans passés dans cette maison, je commençais à constater des fissures et des petites détériorations sur mes murs extérieurs et ma façade, ce qui est normal pour une très vieille bâtisse ; même si elle a très bien été entretenue, ce genre d’altérations survient assez vite.

Une maison, c’est du travail et il faut régulièrement et fréquemment refaire des petits ou gros travaux d’entretien.

 

Je dois dire que selon mon avis de profane il n’y avait rien d’urgent, mais mieux valait s’en occuper dès maintenant plutôt que d’attendre qu’il y ait de plus gros dégâts qui auraient pu s’avérer plus couteux à réparer.

 

J’habite dans un quartier pavillonnaire et j’avais vu qu’il y avait justement à deux rues de chez moi une petite entreprise de ravalement à l’enseigne bien en vue.

Puisque c’était vraiment tout près, plutôt que de prendre le téléphone, je décidai de m’y rendre à pied, aux heures ouvrables.

 

L’entreprise se situait dans l’enceinte d’une maison d’habitation (belle et grande, proprette et avenante), qui possédait une entrée bien visible pour la clientèle.

Pas de sonnette, je poussai donc la grande porte et avançai, traversai un petit show room bien agencé et ordonné, jusqu’au fond, où manifestement se trouvaient les bureaux.

 

Un grand bureau clair était ouvert. Une femme était assise derrière son bureau, elle me vit et me salua, me demanda ce que je voulais.

J’avançai et lui expliquai la raison de ma visite. Elle me fit immédiatement asseoir.

La pauvre était dans ses papiers, noyée par la comptabilité. Je compris très vite qu’elle était la femme de l’artisan, un peu la patronne en somme.

 

Elle avait de grands yeux bruns derrière ses lunettes, les cheveux courts – une coupe impeccable – châtain foncé avec des mèches plus claires, des mains très soignées avec de beaux ongles rouges vernis, bref une belle femme.

Quel âge pouvait-elle avoir ? Je voyais bien qu’elle était dans sa pleine maturité, elle avait peut-être plus de cinquante-cinq ans, mais son beau visage ne comportait aucune des marques infâmes que le temps inflige tôt ou tard aux femmes – et aux hommes – avec les années.

 

Très consciencieuse, très aimable, très professionnelle, elle comprit en moins d’une minute ce que je souhaitais, et me proposa de fixer un rendez-vous pour venir voir elle-même ma maison, ("puisque nous sommes voisins" me dit-elle), et qu’elle pourrait faire une première évaluation du prix des travaux, avant d’établir un devis plus précis.

 

Après tout, me dis-je, cette dame doit avoir tellement l’habitude et l’expérience, depuis le temps que son entreprise, son mari et ses ouvriers, effectuent ce type de travaux, qu’elle a acquis suffisamment de compétences pour pratiquer cette évaluation.

 

J’acquiesçai immédiatement et l’affaire fut entendue.

 

" – Je vais vous raccompagner" me dit-elle.

 

Je fus touché par cette attention – ce genre de manières polies ayant tendance à s’être perdu de nos jours – d’autant plus charmé qu’elle ne manquait pas de chien : me précédant, elle marchait avec grâce sur des talons très hauts (elle devait être assez petite et c’était avec une coquetterie toute féminine qu’elle se grandissait), des escarpins rouges rutilants des plus beaux. Le summum de la féminité, me disais-je.

 

Le jour du rendez-vous, ponctuelle, elle se présenta à ma porte.

Je fis avec elle le tour de la maison et lui montrai mes murs ; elle constata qu’il y avait en effet des petites détériorations et prit des notes.

Déjà, elle me renseigna sur les causes, et sur les remèdes qu’il y aurait à administrer à mes vénérables murailles.

 

Elle me dit qu’elle allait, pour commencer, me parler de ce que son entreprise pourrait faire, aussi bien les petites réparations que les différentes options de revêtement et de peinture.

J’avoue que j’étais impressionné par son professionnalisme, son expérience ; elle était méthodique, rigoureuse, et semblait bien maîtriser son affaire.

 

Nous rentrâmes et je l’invitai à s’asseoir dans ma cuisine, nous n’allions pas rester debout dehors. Elle prit place à la table, à côté de moi.

Elle avait une façon de me regarder de façon bien franche en s’adressant à moi qui me remuait profondément, une façon de ficher ses beaux et grands yeux de biche droit dans les miens qui révélait une très grande assurance. Elle n’en était pas moins féminine et humaine.

Je soutenais son regard, non par insistance mais plutôt comme s’il m’hypnotisait. Ses yeux étaient tellement beaux (un iris couleur d’agate avec un très fin cercle bleu foncé sur sa périphérie) qu’ils en étaient troublants.

 

Je me demandais en même temps comment elle voyait mon regard ; j’espérais que je n’avais pas trop l’air fasciné, que je n’avais pas l’air de la mater comme un affamé, affamé que je n’étais pas (au niveau femmes, j’avais plus qu’il me fallait de galipettes, ces temps-ci.)

Je la regardais en esthète, tombé en extase devant ce qui était pour moi une beauté pure, malgré la modeste apparence de cette petite femme à l’allure, somme toute, très banale.

 

J’essayais néanmoins de ne rien laisser transparaître (exercice auquel, sans me vanter, je pense exceller), et elle, en tout cas ne semblait ni gênée ni perturbée par mon regard.

 

Elle n’était pas avare de paroles, néanmoins, forte de son assurance et de la parfaite maîtrise de son sujet, elle alla droit au but, n’ayant pas besoin de tergiverser, et son discours n’était entaché d’aucune hésitation.

Elle me dit qu’elle allait m’établir secondairement un devis, et me donna une première estimation du prix, qui ne serait qu’une grossière fourchette.

Entre 9000 et 11 000 , précisa-t-elle.

 

Je ne tiquai pas, mais en moi-même je réalisai que ça ne serait pas une mince affaire. Il y avait du travail, c’était certain, point n’était besoin de protester, surtout qu’il me faudrait attendre le devis final.

 

Ma petite dame prit congé, je la raccompagnai jusqu’à la porte. Je la regardai un peu mieux. Elle portait aujourd’hui des bottes de peau noires ; elle était mince, et probablement menue sous son blouson mi saison.

Belle et racée, pensais-je, quelle élégance naturelle, quelle grâce féminine. D’autant que le tailleur assez chic, quoique classique, gris rayé qu’elle portait, lui donnait une classe folle.

Et sa maturité ne la rendait que plus exceptionnelle, plus remarquable, plus attirante. La maturité dans sa plénitude.

J’ai toujours fantasmé sur femmes de pouvoir ou du moins, sur les femmes d’un statut social élevé.

Celle-ci devait être financièrement à l’aise, et elle ne tenait manifestement pas à le cacher, étant probablement fière de sa réussite sociale.

 

Toute la journée et les jours qui passèrent je ne pus oublier cette entrevue et le souvenir de ses grands yeux. J’avais en tête les paroles d’une chanson de Sheller :

 

"Et toi tu ne savais pas ce que ça voulait dire

Quelqu’un qui tient ton regard aussi fort."

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