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[Sci-fi] Fièvre rose – Chapitre 3




Bienvenue ! Clipsez votre badge porte-nom bien en évidence sur votre haut. Un guide va vous escorter jusqu’au parc. Nous vous souhaitons un agréable séjour parmi nous. Avec Fièvre rose, voyez la vie en rose !

C’est reçu par ces mots que j’imagine mon arrivée à la citée des plaisirs, au coucher du soleil. Nous sommes un petit groupe d’invités. Des femmes à bite en talons hauts, porte-jarretelles et soutien-gorge en dentelle laissent aisément paraître leurs tétons et nous prennent par les fesses. Conviés à passer la nuit en groupe, nous faisons des "jeux d’intégrations" coquins et nous nous introduisons les uns aux autres par le cul. Nous rejoignons au lever du jour nos villas privatives luxueuses avec piscine, grand salon et chambres de harem. Nous découvrons enfin, à la nuit suivante, des attractions comme la grande roue de la chatte, les grandes pines russes et le manège bandant. Aux abords, des salons de massage, des thermes au milieu de vastes jardins suspendus et des casinos nudistes nous attendent.

Point de tout cela.

Je suis plongé(e) dans une cuve de gel pseudo-amniotique par un laborantin sans manière qui appuie sur ma tête pour que cela rentre plus vite. Je crois me noyer. Black-out. On m’arrache à un rêve érotique agréable par un simulacre violent de renaissance.

Passés les derniers tests de résistance psychologique et physique, je ne désespère pas de ma villa, mon petit paradis superficiel et les activités de colonie de vacances érotique. Au lieu de cela, on m’inflige la traversée en groupe d’un beaucoup trop long tube de verre suspendu qui passe au-dessus d’un centre-ville grouillant de passants en habits de la fin du XIXe siècle. La frustration de ne pas disposer de plaisirs immédiats m’empêche de profiter de la vue rare. J’entends les hélices des ballons dirigeables, bateaux de croisière qui naviguent au-dessus de nous. Je vois les jardins de fleur, les fontaines et les routes pavées qui décorent les larges rues ouvertes. Je sens l’odeur des herbes, des épices et des fruits vendus sous les arches des immeubles d’architecture classique bien entretenus. Je dédaigne cette idéalisation bobo snob romantique vintage et écolo. Merde.

Je suis venu ici pour me soûler au sexe, pas pour vivre dans un roman de Zola remastérisé par Disney, Greenpeace et un éditeur de steampunk.

Personne ne vient nous voir. Apparemment, nous ne serons plus tenus par la main. Nous sommes livrés à nous-mêmes. Le tube de verre débouche sur un grand hall et trois toboggans. Je ne peux pas refouler un rire nerveux. Non, je ne me sens pas bien à Fièvre rose et je suis toujours le même exhibitionniste voyeur compulsif et pudique. Le coup de foudre demeure toujours la suite de mon attirance sexuelle au premier coup d’il pour autrui. Tous ces étranger(e)s nu(e)s bisexués(e)s me mettent en rut. Je cache le sexe qui me trahit le plus sous mes mains. Je suis ridicule. Un bon tiers d’entre nous mouille et bande et certains se masturbent. Nous transportons tous les mêmes clichés sur Fièvre rose et personne ne lit les manuels d’utilisation.

De nos jours, tous les curieux sont déjà à Fièvre rose depuis longtemps et ne s’y ajoutent que les désespérés bien trop accablés par leurs soucis respectifs pour s’affairer à préparer leur arrivée dans un monde nouveau. De toute façon, plus personne ne prête attention aux publicités et l’on se contente des ragots peu flatteurs. On finit par céder quand nous sommes trop malheureux et trop lâches pour nous donner la mort. Nous arrivons à Fièvre rose comme nous sauterions d’un immeuble pour nous jeter dans le vide, en quête d’un envol et convaincus de nous écraser au sol.

Je vois autour de moi plusieurs couples se former et tenter d’apprivoiser leurs corps pour se baiser. Je n’ai pas plus de courage qu’auparavant. J’envie les tourtereaux qui entreprennent de se pénétrer en plein ciel. J’emprunte vite un toboggan à ma portée avant que quelqu’un ne m’aborde.

Quand on arrive en ville par un toboggan et que notre chute est amortie par un bac à sable, cela ne laisse plus de doute possible quant aux immondes fantasmes de ses architectes.

Pédophiles de merde ! Ça ne vous a pas suffi de me mettre en couveuse et faire accoucher de moi un ventre métallique ! Vous allez me faire quoi à la prochaine étape, hein ?! Vous allez me faire porter une couche puis je me ferais draguer par une sale ordure dans votre genre ?!

Je suis scandalisé(e), choqué(e). Je veux partir d’ici. Tout de suite.

J’espère que vous êtes bien mal à l’aise et que vous avez bien honte ! Salauds ! Je n’ai pas de mot pour exprimer ma haine pour votre espèce !

Je m’adresse à tout ce monde autour de moi qui ne semble pas prendre garde à la situation.

Alors, hein, tout le monde est trop pourri pour résister à vos vices, c’est ça ?! Vos statistiques je les emmerde ! Je vais retourner dans le vrai monde !

Tout le monde autour me regarde. Comment ça ? Jai honte ?! C’est vous tous qui devriez avoir honte ! J’ai froid, si froid. Je sens une partie de moi se glacer tandis que je ne sens plus la partie gauche de mon visage. Black-out.

*

Mmmh.

Où suis-je ? Qu’est-ce quil se passe ? J’entends un bruit de stylo qui griffonne du papier, ou, plus vraisemblablement, sur une tablette tactile.

Vous savez, Fièvre-rose, c’est du sérieux. Vous ne pouvez pas nous cacher des choses ainsi.

Cacher quoi ? Mais qu’est-ce qu’il vient de se passer ? Je suis où ? Combien de temps ai-je dormi ?

Ecoutez. Lépilepsie, la pédophilie, c’est pas rien. Ce sont des éléments dont nous aurions dû parler en entretien.

Je réalise que je suis bardé d’électrodes et de fils qui s’insèrent partout dans ma peau. C’est un cauchemar. Le rêve érotique s’est transformé en cauchemar.

Exactement ! C’est précisément ce que nous souhaitons éviter, et pour cela, vous ne pouvez pas vous permettre d’omettre des points aussi relevants sur vous-même.

J’ai des sueurs froides tandis que je réalise que la voix qui me parle lit dans mes pensées. Qu’est-ce qui est vrai ?! J’ai toujours haï les récits qui se terminent par un lâche, "ouf, ce n’était qu’un rêve" et il semble que ma propre histoire ne soit qu’une fable. Mon angoisse est croissante à mesure que je n’arrive plus à déterminer où se situe le rêve. Je fonds en larme. La voix semble rire de mon sort.

Détendez-vous. Respirez profondément. C’est passager et, je vous rassure, vous allez très vite reprendre vos esprits.

Jamais, l’injonction "Je vous rassure" n’a jamais rassuré une personne en pleine crise de panique et d’angoisse, pas plus que les "Respirez profondément" et les "Détendez-vous" agaçants.

Ah ! Vous voyez ! Nous y sommes. Vous ne cessez de prendre votre cas pour une généralité. Vous devez envisager l’autre comme une véritable personne, et pas une copie de vous sous d’autres vêtements.

Je m’étrangle alors que la voix semble ajouter à la torture des attaques personnelles. Je me demande de plus en plus ce que je fais ici.

Vous "aimez tout le monde". Bien. En êtes-vous si sûr (e) ? Ne souffrez-vous pas, au fond, d’un cruel manque d’affection ? N’appréciez-vous pas chez les autres l’affection qu’ils vous portent, plutôt que de vous intéresser sincèrement à eux même ? Ce que je vois, c’est que vous manquez d’amour. Vous souhaitez ardemment qu’on vous aime, mais vous êtes incapable de donner de l’amour en retour. Alors, vous nous avez inventé cette fable du "trop-plein d’amour". C’est bien pratique d’aimer tout le monde quant à la moindre occasion de connaître l’objet de vos désirs, vous vous défilez. Vous vous faites du bien tout seul et une fois la chose accomplie, vous fuyez.

La voix marque une pause et alors que je m’apprête à ouvrir la bouche, je suis coupé par sa reprise.

Oui. C’est bien cela. Vous êtes un égoïste. Imbu de vous-même. Et (…)

Cette fois, cela a dépassé les bornes. Je crie.

Mais vous m’emmerdez ! Vous êtes qui vous ?! Psychologue de mes deux ouïes ! Vous êtes fier de votre analyse ? Ça vous plaît de remuer la merde ? Oui, je n’arrive pas à donner de l’amour ! J’ai été touché par mon oncle, ado, et oui je ne m’en remets pas ! Savez-vous seulement ce que cela fait, d’être la victime, et de se sentir coupable ? La honte d’avoir ressenti du plaisir alors que vous vous faites toucher par un vieux pervers. Être démoli à l’intérieur en moins de cinq minutes par le gentil oncle qui abuse de votre confiance d’enfant à adulte. Voir votre modèle annihiler vos repères dans ce monde d’un coup de sa bite. Ne pas pouvoir effacer cette image. Avoir peur du viol, une peur insurmontable. Ne plus être capable de concevoir l’acte sexuel autrement qu’un viol en perspective. Renoncer à l’acte, car au fond de vous, vous craignez plus que toute autre chose de reproduire sur autrui ce que l’on vous a fait subir. Merde ! Laissez-moi tranquille !

Je me prends la tête entre les mains et tente comme je peux de m’extirper de toutes ces électrodes et ces câbles plantés en moi. Je semble avoir émergé du néant. Une troupe d’infirmiers m’avise de ne pas essayer de retirer le matériel moi-même. Je suis allongé. Je suffoque, mais parviens à reprendre progressivement le contrôle alors qu’on me retire mes chaînes. Des mains viennent de partout nettoyer au désinfectant les zones d’insertion des aiguilles retirées de mon corps. Je n’ai aucune force. Je suis soulevé(e) par deux infirmiers qui me conduisent en dessous d’un pommeau de douche qui crache à forte pression de l’eau tiède. Je parviens finalement à me détendre et éclaircir mes idées.

En peignoir de bain blanc, je traverse les couloirs dont les parois murales transparentes laissent largement entrevoir le vide astral. Je m’assieds sur un fauteuil rouge confortable, ravi de me remettre de mes émotions dans le calme. J’ai bien le temps de faire une sieste, sans rêves, avant que ne me rejoigne une collègue que je connais bien.

Gwenn fait son entrée en chemise repassée d’un blanc éblouissant, contrasté par un nud papillon noir, une ceinture à fermeture en métal argent et un long pantalon noir ample à taille élastique, serré à la taille et ample au-dessus des pieds. Elle ne porte pas de chaussures à talon et je me rappelle avoir reçu une volée de plomb lorsque je lui en avais fait la suggestion. C’est une femme de caractère. Gwenn a les cheveux noirs, la peau très claire, un nez aquilin, des lèvres fines et des yeux d’un brun profond et perçant. Son expression faciale, calme, détendue, mais réservée ne laisse que très subtilement entrevoir ses émotions, mais loin de lui retirer son charme, cela met en valeur la douceur de ses traits. Elle semble comme placée hors du temps. Grande et fine, j’admire chacune de ses arrivées comme un défilé de mode. Tout du moins, je suppose, n’ayant jamais assisté à de telles cérémonies.

Qu’est-ce que tu regardes ?! me lance-t-elle de haut, avec gravité, non sans une certaine malice.

Je lui réponds en la fixant avec un sourire appuyé, puis je retourne à mes méditations en contemplant le vide astral depuis mon siège alors qu’elle s’assied à mes côtés, sur un fauteuil adjacent.

Comment s’est passé ton séjour dans l’incubateur ? Il te reste des neurones après tout ça ?

Je vais bien de ce côté-là. C’était très stimulant. Ça m’a beaucoup inspiré, mais de vieilles blessures sont remontées à la surface.

Oh, pauvre chéri (e)…

Gwenn place son bras droit derrière mon cou jusqu’à remonter à mon épaule alors qu’elle me caresse les cheveux d’une main et me prend la main gauche de l’autre. Je lui passe également mon bras autour du cou et nous nous enlaçons, la tête posée en appui l’une contre l’autre et les yeux contemplant l’absence de toute chose au-delà du couloir transparent. Nous restons longtemps ainsi, appréciant le silence et la vue.

Je vais te laisser récupérer tranquillement. Ne tarde pas trop non plus à rédiger ton rapport. Nous devons tous y passer, mais c’est important. Fièvre rose est peut-être notre seul espoir de rompre l’ennui dans cette prison ambulante.

Je suis serein (e), mais un peu triste. J’acquiesce silencieusement.

Je t’aime Gwenn, lui dis-je affectueusement en la regardant dans les yeux.

Gwenn rit tendrement; puis déjà levée et sur le départ, elle me rend mon regard, se penche, puis me chuchote à l’oreille :

Moi aussi je t’aime, Lou.

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